Association Revue Française de Sociologie Review Reviewed Work(s): Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-être au travail by Marc Loriol Review by: François Vatin Source: Revue française de sociologie, Vol. 43, No. 1 (Jan. - Mar., 2002), pp. 169-172 Published by: Sciences Po University Press on behalf of the Association Revue Française de Sociologie Stable URL: https://www.jstor.org/stable/3322687 Accessed: 17-04-2019 18:31 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Association Revue Française de Sociologie, Sciences Po University Press are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue française de sociologie This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 17 Apr 2019 18:31:36 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Les livres permanences et des mutations de la soci6t6 salariale, reactivant la question de I'instabilit6 ou de la mobilit6 de la main-d'oeuvre et mettant l'accent sur la presence d'instances intermediaires structurant des espaces-temps de mobilit6: l'auteur rappelle d'abord que l'histoire du salariat peut se lire a travers le couple instabilit6/mobilite et montre notamment le caractere ancien de certains rapports au travail et a l'emploi d6cel6s chez les int&rimaires ; elle analyse ensuite plus precisement le r1le des entreprises de travail temporaire sur le march6 du travail, "a partir de leur fonction d'intermediation par rapport a la demande et a l'offre de travail. Cette etude permet de relativiser l'opposition entre march6 primaire et march6 secondaire du travail que l'on doit aux theories 6conomiques de la segmentation, et de faire le constat d'une certaine institutionnalisation du marche secondaire. L'auteur met en effet en evidence l'existence de certaines carrieres d'interimaires professionnels, qui reposent sur la construction d'une relation de confiance avec leur agence de travail temporaire. L'evolution du systeme productif et sa tendance " l'externalisation s'accompagnent ainsi d'une montee en puissance des instances d'intermediations, notamment sur les marches dits << externes >>, dont font partie les entreprises de travail temporaire que l'on peut definir comme des institutions gerant de fait certaines transitions professionnelles. Les entreprises precedentes remplissent aussi une fonction de socialisation inattendue, meme si elles contribuent a perenniser la polarisation du march6 du travail. On ne peut faire ainsi de constat univoque sur le sens que rev^t la pr6sence de ces soci't6s sur le march6 du travail. La lecture de l'ouvrage laisse certes quelques regrets. Ainsi la relation triangulaire entre l'interimaire, l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice est de fait envisag6e partiellement puisque l'auteur ne s'interesse directement qu'd un seul des trois c6tes du triangle (la relation entre les interimaires et les entreprises de travail temporaire). Les pratiques des entreprises utilisatrices des services de ces dernieres sont donc peu pr6sentes, alors qu'une prise en compte plus syst6matique aurait sans doute enrichi encore l'analyse. On notera egalement un paradoxe entre une tendance & homog6neiser parfois l'int6rim, 6pisodiquement oppose aux emplois stables, alors meme que l'ambition premiere de l'ouvrage est de mettre en evidence, par le biais de la typologie presentde et illustr6e dans la premiere partie, la diversit6 des usages sociaux de l'interim. Enfin, les termes choisis pour qualifier les trois types d'interim peuvent preter parfois a confusion: parler d'intdrim de transition peut laisser croire qu'il s'agit d'une 6tape debouchant sur un etat meilleur, alors que l'analyse montre bien qu'il peut s'agir de situations d'dloignement durable de l'emploi stable. Par-del& les critiques prec6dentes, l'ouvrage de Catherine Faure-Guichard offre une lecture stimulante et constitue un apport a la fois consistant et original a la sociologie de l'emploi et de la precarite, ceci au moment ofi l'emploi interimaire connait un dynamisme certain et touche un nombre croissant de categories socioprofessionnelles. Alain Quemin LATTS - UniversitW de Marne-la-Vallhe Loriol (Marc). - Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-&tre au travail. Paris, Anthropos (Sociologiques), 2000, 293 p., 195 FF. En Provence, quand on dit de quelqu'un qu'il est << fatigue >>, c'est qu'il est gravement malade; s'il est << bien fatigu6 >>, c'est qu'il est a l'article de la mort. T6moignage d'une conception antique de la fatigue, qui fait de celle-ci le pendant de l'existence meme, le processus progressif d'6puisement des 169 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 17 Apr 2019 18:31:36 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Revue franqaise de sociologie forces corporelles qui mene inexorablement & la mort. A cette conception antique de la fatigue, Marc Loriol nous montre que s'en est substituee progressivement une autre, sous l'effet du processus de << civilisation >> tel que l'entend Norbert Elias. Dans une societ6 qui confine de plus en plus le corps a une place residuelle, la fatigue devient duale: d'un c6t6 la << bonne fatigue >>, celle qui resulte d'une activit6 corporelle satisfaisante, qui se repare par le repos et dont la mise en evidence suscite le developpement de l'iddologie et de la pratique du << sport >> ; de l'autre la << mauvaise fatigue >>, celle qui temoigne d'une relation degradee ia son environnement social et a son << moi >> intime. Cette mauvaise fatigue a connu des avatars divers au cours de notre histoire, de 1'<< acedie >> des premiers moines anachor6tes, qui ne parvenaient plus a se consacrer i Dieu, a la << m61ancolie >> des aristocrates des XVIe et XVIIe si6cles, ceux de la << soci6te de cours>> naissante, de la << neurasth6nie >> des bourgeois du XIXe siecle au << syndrome des yuppies >> Am6ricains des ann6es quatre-vingt, et surtout, au << burn out >> des infirmieres apparu dans les ann6es soixante-dix. Car l'ouvrage de Marc Loriol est principalement organis6 autour de ce cas des infirmieres, qu'il analyse avec finesse dans une perspective de sociologie des professions. Les infirmieres constituent d'abord une profession caract6ris6e par sa position << enclav6e >> entre les m6decins d'une part, les aides-soignantes d'autre part, et dont le positionnement professionnel doit sans cesse &tre red6fini dans une << lutte des places >>. Mais surtout, il s'agit d'une profession n6e d'une ideologie du d6vouement, ce dont t6moigne le monopole qu'exercerent longtemps les congregations religieuses. Or, la laicisation de la profession n'a pas r6solu la question: les infirmieres ne peuvent, a la diff6rence d'autres professions, d6finir leur identit6 de fagon pleinement r6active (aux m6decins, a l'administration de l'h6pital, aux malades eux-memes), puisque ce combat contre la maladie, la souffrance et la mort est, la fois, ce qui les d6finit professionnellement, et ce qui les unit aux autres composantes du << drame social du travail >> (1) hospitalier. D'o i, notamment, la faiblesse cong6nitale du syndicalisme dans cette profession et l'6mergence de conflits sporadiques anim6s par des organisations 6ph6mbres (les << coordinations >>). Le << syndrome du burn out >> et les strategies th6rapeutiques promues par ses theoriciens apparaissent alors comme un mode particulibrement bien adapt6 de la gestion du << mal-&tre au travail >> des infirmieres. Au lieu de socialiser le problkme, comme le syndicalisme, il le psychologise. Le << burn out >> decrit en effet le mal-etre infirmier comme 1'expression d'une tension entre le desir infirmier de soulager toute souffrance et l'incapacit" y parvenir totalement. II s'agit alors pou les infirmieres de naviguer entre deu ecueils : celui de l'insensibilisation totale a la souffrance d'autrui, en ne voyant plus la personne derriere le corps souffrant, celui au contraire d'une empathie trop forte, qui ne permet plus de proteger sa vie privee du spectacle de la souffrance vecue quotidiennement au travail. La solution resulterait dans une bonne << professionnalisation >>, qui organiserait le metier de l'infirmiere comme une professionnelle de la souffrance. Ce qui est passionnant dans la d6monstration de Marc Loriol c'est qu'il montre comment un quasi-consensus peut s'6tablir autour d'un tel schema, qui permet aux infirmi res de se voir reconnu un droit a la souffrance professionnelle, et a l'administration hospitalibre ainsi qu'aux pouvoirs publics de se d6fausser, par la psychologisation du probl6me, de (1) Selon la belle expression d'Everett C. Hughes que Marc Loriol mobilise de fagon pertinente. Voir le choix de ses essais publi6s en frangais par Jean-Michel Chapoulie, Le regard sociologique, Paris, Editions de I'EHESS, 1996. 170 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 17 Apr 2019 18:31:36 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Les livres ses responsabilit6s proprement organisationnelles, de la question des << moyens >> et de leur gestion. Un tel compromis social ne saurait se retrouver a l'identique dans d'autres professions comme en t6moignent les incursions comparatives de Marc Loriol sur les terrains du transport routier et du transport public de voyageurs. Dans le transport routier, ce n'est que recemment que le theme de la fatigue a pu apparaitre, en rupture avec la tradition << machiste >> du metier sanctifiant l'effort productif, et cela tres largement a l'initiative des pouvoirs publics d6sireux de << civiliser >> l'espace routier. Dans les transports urbains de voyageurs se manifeste une tension claire entre une strat6gie patronale d6sireuse d'appliquer le << modele infirmier>> en attribuant le << stress >> des conducteurs face a la montee, reelle ou supposee, des << incivilites >>, a une insuffisante professionnalisation i ce nouveau metier, qui n'est plus simplement technique mais aussi << relationnel >>, et les syndicats, fortement implantes, qui cherchent au contraire "a traduire la question en termes << sociaux >> (effectifs, duree du travail, etc.). Comme on le voit, prenant le theme de la fatigue comme un analyseur social, c'est une reflexion ambitieuse sur le travail et ses modes sociaux de regulation que nous propose Marc Loriol dans la double lignee d'Elias et de Durkheim. Sa these est en effet que le developpement du processus de civilisation a modifie l'6thique du travail, qui n'est plus simplement une contrainte de l'existence, mais est pose comme le lieu necessaire d'un epanouissement personnel dans une societe marquee par une individuation croissante. La psychologisation des rapports sociaux dont temoigne la thematique de la << mauvaise fatigue >> constitue alors un mode privilegi6 de resolution des tensions au sein de l'espace professionnel. Face a un corps de plus en plus entrav6 dans sa mobilit6 naturelle, il nous faut parfaire sans cesse ce processus de << maitrise de soi >> dont Elias avait 6tudie l'9mergence dans la << societ6 de cours >>. La fatigue, et notamment la fatigue au travail, serait ainsi une expression paradoxale de la modernite, la face cachee de ce processus seculaire de reduction de l'exigence corporelle induit par le machinisme. D'abord ideologie des << classes oisives >>, le discours sur la fatigue tendrait " envahir la societ6 toute entiere a mesure que le travail se tertiairise et devient au sens commun (et cela non sans fondements << objectifs >>) de moins en moins << fatigant >>. Une these de cette ampleur ne va pas sans quelques faiblesses, sans quelques simplifications, n6cessaires sans doute pour renforcer la rh6torique argumentative. Nous regrettons notamment le choix, sociologiquement toutefois justifiable, de ne pas d6battre explicitement des discours a vocation << scientifique> sur la fatigue. En effet, cette posture ne peut etre maintenue dans toute sa rigueur et Marc Loriol ne peut s'empecher de laisser percer une critique 6pist6mologique, justifiee a nos yeux, sur maints discours pr6tendument << scientifiques>> ; de ce fait, une vraie critique 6pist6mologique aurait 6t6 bienvenue. Nous regrettons aussi, ce qui n'est pas sans lien avec la notation pr6c6dente, que Marc Loriol s'en soit souvent tenu sur ces questions a une litterature de seconde main, tres honn&tement cit6e. Signalons toutefois en matiere bibliographique que de nombreux titres, cites de fagon r6sum6e, << " l'americaine >>, dans le corps du texte, ne figurent malheureusement pas dans la bibliographie g6n6rale et que le lecteur ne dispose donc pas des r6f6rences completes de ces oeuvres. Nous soulignerons surtout le caractere un peu excessif de l'opposition qui est faite entre le travail ouvrier, oh dominerait encore le modele classique de la fatigue-usure, et le travail infirmier, oui Marc Loriol d6ploie sa theorie de la << mauvaise fatigue >>. Sans doute Marc Loriol a-t-il raison de souligner la persistance de l'ideologie ouvriere de resistance a l'effort, la crainte syndicale de la psychologisation des rapports sociaux, et la volont6 patronale 171 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 17 Apr 2019 18:31:36 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Revue franqaise de sociologie d'6viter la reconnaissance sociale de nouvelles maladies professionnelles, toutes tendances qui concourent " un certain consensus de d6n6gation de la mauvaise fatigue ouvriere, a l'inverse pr6cis6ment du consensus pour sa reconnaissance dans le travail infirmier. Mais, c'est bien toutefois dans l'analyse du travail ouvrier que trouve sa source le discours moderne sur la fatigue si bien mis en evidence par Marc Loriol (2). En effet, la physiologie de la fatigue qui se d6veloppe a la fin du XIXe si cle d6bouche vite sur une double aporie: l'impossibilit6 d'assimiler la fatigue, meme celle resultant du travail << physique >>, a une d6pense 6nerg6tique, et la d6couverte de ce que le travail ouvrier lui-meme est << intellectuel >> et le sera de plus en plus avec le d6veloppement du machinisme. Aussi, tres vite, le d6bat passe de la physiologie a la psychophysiologie et de celle-ci " la psychosociologie, qui triomphe dans les etudes d'Elton Mayo. Le systeme Taylor lui-meme, habituellement consid6re aujourd'hui comme le symbole de l'enchainement du corps au travail, est alors pergu, non sans raison, comme la contrepartie de l'affaiblissement de la charge proprement physique de travail. Des le debut du siecle, le coeur de la question ne semble plus relever de l'usure physique, mais bien de la <>, liee au travail r6petitif et monotone, mais aussi au risque d'accidents qu'il induit. Le probleme est en somme celui de 1'<< organisation du surmenage >>, terme par lequel I'anarcho-syndicaliste Emile Pouget rebaptisait joliment 1'<< organisation scientifique du travail>> de Frederick Taylor (3). Cette derniere remarque n'invalide pas la these de l'auteur et me semblerait meme pouvoir s'inscrire avec profit dans sa demonstration. Elle inscrit bien en effet le travail en g6n6ral, et non seulement une de ses composantes professionnelles, dans le mouvement de << civilisation des mmeurs >>, meme si l'6volution s'opere a des rythmes diff6renci6s. De fagon g6n6rale, on ne saurait trop recommander la lecture de ce livre, au carrefour de la sociologie du travail et de la sociologie de la sant6, qui amine a penser en termes soci6taux des questions en g6n6ral laiss6es a l'expertise de sous-disciplines de plus en plus d6connect6es les unes des autres. Franqois Vatin Travail et MobilitW Universite Paris X-Nanterre - CNRS (2) Nous nous permettons de renvoyer ici ' nos propres travaux reunis dans Le travail, sciences et societd, Bruxelles, Editions de l'Universit6 de Bruxelles, 1999. (3) Emile Pouget, L 'organisation du surmenage, Paris, Rivibre, 1914. Arnsperger (Christian), Larrere (Catherine), Ladriere (Jean). - Trois essais sur l'dthique dconomique et sociale. Paris, INRA Editions (Sciences en questions), 2001, 212 p., 59 FF. Alors que les reperes moraux traditionnels semblent s'effacer dans nos soci6t6s modernes dominees par l'individualisme et le relativisme 6thique, les progres scientifiques enregistr6s dans des domaines comme la transgenese, le clonage animal ou les technologies de l'information conduisent << d6cideurs >>, praticiens ou citoyens " rendre des arbitrages dans des situations complexes et surtout inedites ofi l'intuition 6thique se d6robe. De fait, la r6flexion sur l'6thique ne saurait se limiter aux perspectives nouvelles offertes par les progres des biotechnologies dans la maitrise du vivant mais doit aborder resolument des questions 6conomiques et sociales comme les soutiens publics a l'agriculture, les usages concurrentiels de l'environnement, les nouvelles exigences des 172 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 17 Apr 2019 18:31:36 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms