non pas avec ceste cruaute. Et quoy, n'en bruslez vous jamais: Assez rare-ment, dit le Pere, et encore, )e feu n'est que pour les crimes enormes, et il n'y a qu'une personne ä qui appartienne en chef ceste execution; et puis on ne les faict pas languir si long temps, souvent on les estrangle auparavant, et pour l'ordinaire on les jette tout d'un coup dans le feu, oü ils sont incontinent estouffez et consommez. Iis firent plusieurs autres questions au P. Super, comme, oü estoit Dieu, et d'autres semblables, qui luy donnerent de-quoy les entretenir sur ses divins attributs, et leur faire cognoistre les mysteres de nostre foy. Ces discours estoient favorables ä nostre Joseph: car outre qu'ils luy donnoient de bonnes pens6es, et estoient pour le confirmer en la foy, tandis que c6t entretien dura, personne ne pensoit ä le brusler, tous es-coutoient avec beaucoup d'attention, exceptez quelques jeunes gens qui dirent une fois ou deux: Ca il faut l'interrompre, c'est trop discourir; Et incontinent se mettoient ä tourmenter le patient. Luy-mesme entretint aussi quelque temps la compagnie sur Testat des affaires de son pays, et la mort de quelques Hurons qui avoient este" pris en guerre: ce qu'il faisoit aussi familierement et d'un visage aussi ferme qu'eust fait pas un de ceux qui estoient lä presens; cela luy valoit tousjours autant de diminution de ses peines: aussi, disoit-il, qu'on luy faisoit grand plaisir de luy faire force questions, et que cela luy dissipoit une partie de son ennuy. Des que le jour commence ä poindre, ils allumerent des feux hors du village, pour y faire eclater ä la veue du Soleil l'excez de leur crvaute; on y conduisit le patient. Le P. Superieur l'accosta pour le consoler et le confirmer dans la bonne volont6 qu'il avoit tousjours tesmoignde de mourir Chrestien; il luy remit en memoire une action deshon-neste qu'on luy avoit fait faire dans les tourmens, et quoy que tout bien consider il n'y eust gueres d'apparence de pech6, au moins grief, il luy en fit neantmoins demander pardon ä Dieu, et apres Pavoir instruit briefvement touchant la remission des pechez, il luy en donna Pabsolution sous condition, et le laissa avec l'esperance d'aller bien tost au Ciel. Sur ces entrefaictes ils le prennent ä deux, et le font monter sur un eschaffaut de 6. ä 7. pieds de hauteur; 3. ou 4. de ces barbares le suivent. Iis l'attacherent ä un arbre qui passoit au travers, de telle facon neantmoins qu'il avoit la liberie' de tournoyer autour; lä ils se mirent ä le brusler plus cruellement que jamais, et ne laissent aucun endroit en son corps qu'ils n'y eussent appliquö le feu ä diverses reprises; quand un de ces bourreaux commencoit a le brusler et ä le presser de pr6s, en voulant esquiver, il tomboit entre les mains d'un autre qui ne luy faisoit pas meilleur accueil. De temps en temps on leur fournissoit de nou-veaux tisons; ils luy en mettoient de tout allumez jusques dans la gorge, ils luy en fourrerent mesme dans le fondement, ils luy brvslerent les yeux, ils luy appliquerent des haches toutes rouges sur les espaules, ils luy en pendirent au col, qu'ils tournoient tantost sur le dos, tantost sur la poitrine, selon les postures qu'il faisoit pour eviter la pesanteur de ce fardeau; s'il pensoit s'as-seoir et s'accroupir, quelqu'un passoit un tison de dessous l'eschaffaut, qui le faisoit bientost lever. Cependant nous estions lä, prians Dieu de tout nostre cceur qu'il luy plust le delivrer au plus tost de ceste vie. lis le pressoient tellement de tous costez, qu'ils le mirent en fin hors d'haleine; ils luy ver-serent de I'eau dans la bouche pour luy fortifier le coeur, et les Capitaincs I luy crierent qu'il prist un peu haleine; mais il demeura seulement la bouche I ouverte, et quasi sans mouvement. C'est pourquoy, crainte qu'il ne mourvst I autrement que par le cousteau, un luy coupa un pied, l'autre une main, et I quasi en mesme temps le troisiesme luy enleva la teste de dessus les espaules, I qu'il jetta parmy la troupe ä qui l'auroit pour la porter au Capitaine Ondes- I sone, auquel eile avoit est6 destinde pour en faire festin. Pour ce qui est du I tronc, il demeura ä Arontaen, oü on en fist festin le mesme jour. Nous re- i commandasmes son äme ä Dieu, et retournasrhes chez nous dire la Messe. BARTHELEMY VIMONT (1594-1667) De Vimont, on peut lire les Relations de 1642, 43, 44 et 45. II dtait le troisieme superieur general de la mission du Canada. II vdcut au pays durant 20 ans, de 1639 & 1659, mais il avait d'abord fait un court sejour au cap Breton, en 1629, avant la prise du pays par les Kirke. Vimont n'ecrit pas plus mal que d'autres. Engage dans le combat missionnaire, il rend honnetement compte de ce qui se passe au pays. Une grande porte ouverte aux croix (Le discours indien itait joue", comme sur une scene. Le passage suivant de la Relation en est un bet exemple. Fait prisonnier par un Indien catholique, un Iroquois a eti remis en liberti et renvoyi en son pays pour I'assurer de la volonte des Franqais de faire la paix. Deux mois plus tard, VIroquois revient accompagne' d'ambassadeurs. Vimont raconte I'evinement.) Le cinquiesme jour de Juillet, le prisonnier Iroquois mis en liberty et renvoyd en son pays, comme j'ay dit au Chapitre precedent, parut aux Trois Rivieres accompagne de deux hommes de consideration parmy ces peuples, deleguez pour venir traitter de paix avec Onontio (c'est ainsi qu'ils nomment Monsieur le Gouverneur), et tous les Francois et tous les Sauvages nos alliez. Un jeune homme, nommd Guillaume Cousture, qui avoit este" pris avec le Pere Isaac Jogues, et qui depuis ce temps-la estoit rest6 dans le pays des Iroquois, les accompagnoit; si-tost qu'il fut reconnu, chacun se jetta a son col, on le regardoit comme un homme ressuscit6 qui donne de la joye a to\is ceux qui le croyoient mort, ou du moins en danger de passer le reste de ses jours dans une tres-amere et tres-barbare captivity. Ayant mis pied a terre, il nous informa du dessein de ces trois Sauvages, avec lesquels il avoit est6 renvoy6. Le plus remarquable des trois, nomm6 Kiotscaeton, voyant les Francois et les Sauvages accourir sur le bord de la riviere, se leva deboul sur l'avant de la Chalouppe qui l'avoit amen6 depuis Richelieu jusques aux Trois Rivieres; il estoit quasi tout couvert de Pourcelaine; faisant signe de la main qu'on l'escoutast, il s'escria: Mes Freres, j'ay quitt6 mon pays pour vous venir voir, me voila enfin arrive" sur vos terres; on m'a dit ä mon depart que je venois chercher la mort, el que je ne verrois jamais plus ma patrie, mais je me suis volontairement expose" pour le bien de la paix: je viens done entrer dans les desseins des Francois, des Hurons et des Algonquins, je viens pour vous communiquer les pensdes de tout mon pays. Et cela dit, la Chalouppe tire un coup de pierrier, et le Fort respond d'un coup de canon pour marque de resjoüissance. Ces Ambassadeurs, ayans mis pied ä terre, furent conduits en la chambre du sieur de Chanflour, lequel leur fit fort bon accueil; on leur presenta quelques petits rafraischissemens, et apres avoir mangd et petunö, Kiotsaeton, qui portoit tousjours la parole, dit ä tous les Francois qui l'environnoient: Je trouve bien de la douceur dans vos maisons, depuis que j'ay mis le pied dans vostre pays je n'ay veu que de la resjoüissance, je voy bien que celuy qui est au Ciel veut conclure une affaire bien importante, les hommes ont des esprits et des pensees trop differentes pour tomber d'accord, e'est le Ciel qui reiinira tout. Ce mesme jour on envoya un canot ä Monsieur le Gouverneur pour 1'informer de la venue de ces nouveaux hostes. Cependant et eux et les prisonniers qui n'estoient pas encor rendus avoient toute liberty de s'aller promener ou ils vouloient. Les Algonquins et les Montagnais les invitoient ä leurs festins, et petit ä petit ils s'accoustu-moient ä converser ensemble. Le sieur de Chanflour, les ayant bien traittez certain jour, leur dit qu'ils estoient parmy nous comme dans leur pays, qu'il n'y avoit rien ä craindre pour eux, qu'ils «stoient dans leur maison. Kiotsaeton repartil ä ce compliment avec une pointe assez aigue et assez gentile: Je te prie, dit-il ä l'Interprete, de dire ä ce Capitaine qui nous parle, qu'il use d'une grande menterie en nostre endroit, du moins est-il asseure' que ce qu'il dit n'est pas veritable. Et lä-dessus il fit une petite pause pour laisser former I'estonnement; puis il adjousta: Ce Capitaine me dit que je suis icy comme dans mon pays, cela est bien esloigne de la veritö: car je ne serois ny honore ny caresse dans mon pays, et je voy icy que tout le monde m' honore et me caresse. II dit que je suis comme dans ma maison; e'est une espece de menterie: car je suis maltraitte" dans ma maison, et je fais icy tous les jours bonne chere, je suis continuellement dans les festins: je ne suis done pas icy comme dans mon pays, ny comme dans ma maison. II fit quantity d'autres reparties qui tesmoignoient assez qu'il avoit de l'esprit. Enfin Monsieur le Gouverneur estant arrivd de Quebec aux Trois Rivieres, apres avoir considers les Ambassadeurs, leur donna audience le deuxieme Juillet. Cela se fit dans la cour du Fort ou Ton fit estendre de grandes voiles contre l'ardeur du Soleil: voicy comme le lieu esloit dispose. D'un cosle estoit Monsieur le Gouverneur, aecompagnö de ses gens, et du Reverend Pere Vimont, Superieur de la Mission. Les Iroquois estoient assis ä ses pieds sur une grande escorce de prusse, ils avoient tesmoign6 devant 1'assemble qu'ils se vouloient mettre de son costd pour marque de l'affection qu'ils portoient aux Francois. A 1'opposite estoient les Algonquins, les Montagnais et les Attikame-gues, les deux costez estoient fermez de quelques Francois et de quelques I Hurons. Au milieu il y avoit une grande place un peu plus longue que large, I ou les Iroquois firent planter deux perches, et tirer une corde de l'un a l'autre \ pour y pendre et attacher les paroles qu'ils nous devoient porter, e'est a dire, \ les presens qu'ils nous vouloient faire, lesquels consistoient en dix-sept col- \ liers de pourcelaine, dont une partie estoit sur leur corps; l'autre partie estoit renfermee dans un petit sac plac6 tout aupres d'eux. Tout le monde estant » assemble, et chacun ayant pris place, Kiotsaeton qui estoit d'une haute stature i se leva et regardant le Soleil, et puis tournant ses yeux sur toute la Compagnie, ■ il prit un collier de porcelaine en sa main, commengant sa harangue d'une I voix forte: Onontio, preste l'oreille, je suis la bouche de tout mon pays, tu I escoutes tous les Iroquois entendant ma parole, mon cceur n'a rien de mauvais, je n'ay que de bonnes chansons en bouche, nous avons des tas de chansons de guerre en nostre pays, nous les avons toutes jetties par terre, nous n'avons plus que des chants de resjoiiissance. Et la-dessus il se mit a chanter, ses compatriotes respondirent, il se pourmenoit dans cette grande place comme dessus un theatre; il faisoit mille gestes, il regardoit le Ciel, il envisageoit le Soleil, il frottoit ses bras comme s'il en eust voulu faire sortir la vigueur qui les anime en guerre. Apres avoir bien chante, il dit que le present qu'il tenoit en main, remercioit Monsieur le Gouverneur de ce qu'il avoit sauve" la vie a Tokhrahenehiaron, le retirant l'Automne passe du feu et de la dent des Algonquins; mais il se plaignit gentiment de ce qu'on 1'avoit renvoye" tout seul dans son pays: Si son canot se fust renvers6, si les vents l'eussent fait sub-merger, s'il eut este noye, vous eussiez long-temps attendu le retour de ce pauvre homme abysme, et vous nous auriez accusez d'une faute que vous-mcsmes auriez faites. Cela dit, il attacha son collier au lieu destine\ En tirant un autre, il l'attacha au bras de Guillaume Cousture, en disant tout haul: C'esl ce collier qui vous ramene ce prisonnier. Je ne Iuy ay pas voulu dire estant encore dans le pays: Va t'en, mon neveu, prends un canot et t'en retourne a Quebec: mon esprit n'auroit pas este en repos, j'aurois tousjours pense et repense' a part moy, ne s'est-il pas perdu; en verit6 je n'aurois pas eu d'esprit si j'eusse precede" en cette sorte. Celuy que vous avez renvoye a eu toutes les peines du monde en son voyage. II commence a les exprimer, mais si pathetiquement qu'il n'y a tabarin en France si naif que ce Barbare. II prenoit un baslon, le mettoit sur sa teste comme un paquet, puis le portoit d'un bout de la place a l'autre, representant ce qu'avoit fait ce prisonnier dans les saults et dans le courant d'eau, ausquels estant arrive, il avoil transports son bagage piece a piece, il alloit et revenoit representant les voyages, les lours et retours du prisonnier, il s'echouoit contre une pierre, il reculoit plus qu'il n'avancoit dans son canot, ne le pouvant soustenir seul contre les courans d'eau, il perdoit courage, el puis reprenoit ses forces; bref, je n'ay jamais rien veu de mieux exprime que cette action. Encore, disoit-il, si vous I'eussiez aide" a passer les saults et les mauvais chemins, et puis en vous arrestant et petunant si vous I'eussiez regards de loin vous nous auriez consolez: mais je ne sgay ou estoit vostre pensee, de renvoyer ainsi un homme tout seul dans tant de dangers: je n'ay pas fait le mesme. Allons, mon neveu, dit-il a celuy que vous voyez devant vos yeux, suis-moy, je te veux rendre 84 85 dans ton pays au peril de ma vie. Voila ce que disoit le second collier qu'il attacha aupres de 1'autre. Le troisieme temoignoit qu'ils avoient adjoust6 quelque chose du leur, aux presens que Monsieur le Gouverneur avoit donnez au captif qu'il avoit renvoye en leur pays, et que ces presens avoient est6 distribuez aux Nations qui leur sont alli6es pour arrester leurs haches, pour faire tomber des mains de ceux qui s'embarquoient pour venir a la guerre, leurs armes et leurs avi-rons. II nomma toutes ces Nations. Le quatrieme present estoit pour nous asseurer que la pensee de leurs gens tuez en guerre ne les touchoit plus, qu'ils mettoient leurs armes sous leurs pieds. J'ay pass6, disoit-il, aupres du lieu ou les Algonquins nous ont massacrez ce Printemps. J'ay veu la place du combat ou ils ont pris les deux prisonniers qui sont icy: j'ay passe" viste, je n'ay point voulu voir le sang respandu de mes gens, leurs corps sont encore sur la place, j'ay destourn6 mes yeux de peur d'irriter ma colere. Puis frappant la terre et prestant l'oreille, j'ay ouy la voix de mes Ancestres massacrez par les Algonquins, lesquels voyans que mon cceur estoit capable de se venger, m'ont crie d'une voix amoureuse: Mon petit fils, mon petit fils, soyez bon, n'entrez point en fureur, ne pensez plus a moy, car il n'y a plus de moyen de nous retirer de la mort, pensez aux vivans, cela est d'importance, retirez ceux qui vivent encore du glaive et du feu qui les poursuit, un homme vivant vaut mieux que plusieurs trespassez. Ayant ouy ces voix, j'ay passe" outre et m'en suis venu a vous pour delivrer ceux que vous tenez encore. Le cinquieme fut donne pour nettoyer la riviere, pour chasser les canots ennemys qui pourroient troubler la navigation. II faisoit mille gestes comme s'il eust amasse les vagues, et donn6 un calme depuis Quebec jusques au pays des Iroquois. Le sixieme pour applanir les saults et les cheutes d'eau ou les grands courans qui se trouvent sur les rivieres sur lesquels il faut naviger pour aller en leur pays. J'ay pense perir, disoit-il, dans des bouillons d'eau: voila pour les appaiser. Et avec ses mains et ses bras il unissoit et arrestoit les torrens. Le septidme estoit pour donner une grande bonace au grand Lac de Sainct Louys, qu'il faut traverser: Voila, disoit-il, pour le rendre uny comme une glace, pour appaiser les vents et temperer la colere des eaux. Et puis ayant par ses gestes rendu le chemin favorable, il attacha un collier de por-celaine au bras d'un Francois, et le tira tout droit au travers de la place pour marque que nos canots iroient sans peine en leur pays. Le huitidme faisoit tout le chemin qu'il faut faire par terre, vous eussiez dit qu'il abattoit des arbres, qu'il couppoit des branches, qu'il repoussoit des bois, qu'il mettoit de la terre 6s lieux plus profonds. Voila, disoit-il, le chemin tout net, tout poly, tout droit, il se baissoit vers la terre, regardant s'il n'y avoit plus d'epines ou de bois, s'il n'y avoit point de butte qu'on put heurter en marchant: C'en est fait, on verra la fumde de nos bourgades depuis Quebec jusques au fonds de nostre pays, tous les obstacles sont ostez. Le neufidme estoit pour nous enseigner que nous trouverions du feu tout prest dans leurs maisons, que nous n'aurions pas la peine d'aller querir du bois, que nous en trouverions de tout fait, et que ce feu ne s'esteindroit jamais ny jour ny nuit, que nous en verrions la clarté jusques dans nos fouyers. Le dixiéme fut donne pour nous lier tous ensemble tres-estroittement, il prit un Francois, enlaca son bras dans le sien, et un Algonquin de l'autre, et s'estant ainsi lie avec eux: Voila le noeud qui nous attache inseparablement, rien ne nous pourra des-unir. Ce collier estoit extraordinairement beau. Quand la foudre tomberoit sur nous, elle ne pourroit nous separer, car si elle couppe ce bras qui vous attache ä nous, nous nous saisirons incontinent par l'autre, et lä-dessus il se retournoit et saisissoit le Francois et ľ Algonquin par leurs deux autres bras, les tenant si ferme qu'il paťdissoit ne vouloir jamais quitter. Le unziéme invitoit ä manger avec eux. Nostre pays est remply de pois-son, de venaison, de chasse, tout y est plein de cerfs, d'eslans, de castors: quittez, disoit-il, quittez ces puans pourceaux qui courrent icy parmy vos habitations, qui ne mangent que des saletez, et venez manger de bonnes viandes avec nous, le chemin est frayé, il n'y a plus de danger. II faisoit les gestes conformement ä son discours. II esleva le douziéme collier pour dissiper tous les nuages de ľ air, afin qu'on vist tout ä descouvert, que nos coeurs et les leurs ne fussent point cachez, que le Soleil et la veríte donnassent jour par tout. Le treiziéme fut pour faire ressouvenir les Hurons de leur bonne volonté. II y a cinq jours, disoit-il, c'est ä dire cinq années, que vous aviez un sac remply de porcelaine et d'autres presens tous preparez pour venir chercher la paix: qui vous a détournez de cette pensée? Ce sac se renversera, les presens tomberont, ils se casseront, ils se dissiperont, et vous perdrez courage. Le quatorziéme fut pour presser les Hurons qu'ils se hastassent de parler, qu'ils ne fussent point honteux comme des femmes, et que prenans resolution d'aller aux Iroquois, ils passassent par le pays des Algonquins et des Francois. Le quinziéme fut pour tesmoigner qu'ils avoient tousjours eu envie de ramener le Pere Jogues et le Pere Bressani, que c'estoit leur pensée; que le Pere Jogues leur fut dérobé, et qu'ils avoi'ent donne le Pere Bressani aux Hollandois, pour ce qu'il l'avoit desire: S'il eust eu patience, je ľaurois ramene; que scay-je maintenant ou il est? peut-estre est-il mort, peut-estre est-il noyé, nostre dessein n'estoit pas de le faire mourir. Si Francois Marguerie et Thomas Godefroy, adjoustoit-il, fussent restez en nostre pays, ils seroient mariez maintenant et nous ne serions plus qu'une Nation, et moy je serois des vostres. Le Pere Jogues entendant ce discours, nous dit en sousriant: Le bucher estoit prepare, si Dieu ne m'eust sauvé, cent fois ils m'eussent osté la vie, ce bon homme dit tout ce qu'il veut. Le Pere Bressani nous dit le mesme ä son retour. Le seiziéme fut pour les recevoir en ce pays icy quand ils y viendroient, et pour les mettre ä couvert, pour arrester les haches des Algonquins et les canots des Franqois: Quand nous ramenasmes vos prisonniers il y a quelques années, nous pensions estre de vos amys, et nous entendismes des arquebuses et des canons siffler de tous costez: cela nous fit peur, nous nous retirasmes, et comme nous avons du courage pour la guerre, nous prismes resolution d'en donner des preuves pour le Printemps suivant; nous parusmes sur vos terres et prismes le P. Jogues avec des Hurons. 86 87 Le dix-septieme present estoit Ie collier propre que Honatteuiate portoit en son pays; ce jeune homme estoit l'un des deux prisonniers derniers. Sa mere, qui estoit tante du P. Jogues au pays des Iroquois, envoya son collier pour celuy qui avoit donn6 la vie ä son fils; cette bonne femme, appercevant que le bon Pere qu'elle appelloit son neveu estoit en ce pays-cy, en fut fort resjoüye et son fils encore plus; car il parut tousjours triste jusques ä tant que le P. Jogues fut descendu de Montreal, alors il commenca ä respirer et ä se monstrer gaillard. Apres que ce grand Iroquois eut dit tout ce que dessus, il adjousta: Je m'en vay passer le reste de l'esti en mon pays, en jeux, en danses, en res-joiiissances pour le bien de la paix; mais j'ay peur que pendant que nous danserons, les Hurons ne nous viennent pincer et importuner. Voila ce qui se passa en cette assembled; chacun avoüa que c6t homme estoit pathetique et eloquent. Je n'ay recueilly que quelques pieces comme decousues tiroes de la bouche de l'interprete, qui ne parloit qu'a batons rompus, et non dans la suitte que gardoit ce Barbare. II entonna quelques chansons, entre ses presens, il dansa par resjoüis-sance, bref, il se monstra fort bon Acteur, pour un homme qui n'a d'autre estude que ce que la nature luy a appris sans regle et sans preceptes. La conclusion fut que les Iroquois, les Francois, les Algonquins, les Hurons, les Montagnets et les Attikamegues danseroient tous, et se resjoüyroient avec beaucoup d'allegresse. Le lendemain, Monsieur le Gouverneur fit festin ä tous ceux de ces Nations qui se trouverent aux Trois Rivieres, pour les exhorter tous ensemble ä bannir toutes les deffiances qui les pourroient diviser. Les Iroquois tesmoi-gnerent toute Sorte de satisfaction, ils chanterent et danserent selon leurs cous-tumes, et Kiotsaeton recommanda fort aux Algonquins et aux Hurons d'obeyr ä Onontio, et de suivre les intentions et les pens6es des Francois. Le quatorzi6me du mesme mois, Monsieur le Gouverneur respondit aux presens des Iroquois, par quatorze presens qui avoient tous leurs significations, et qui portoient leurs paroles. Les Iroquois les accepterent tous avec de grands t6moignages de satisfaction qu'ils faisoient paroistre par trois grands cris, poussez ä mesme temps du fond de leur estomach ä chaque parole ou ä chaque present qui leur estoit fait. Ainsi fut conclue la paix avec eux ä condition qu'ils ne feroient aucun acte d'hostilitö avec les Hurons, ou envers les autres Nations nos alliees, jusques ä ce que les principaux de ces Nations qui n'estoient pas presens eussent agy avec eux. Cette affaire estant heureusement conclue, Pieskaret se levant, fit un present de quelque pelleterie ä ces Ambassadeurs, s'ecriant que c'estoit une pierre ou une tombe qu'il mettoit dessus la fosse de ceux qui estoient morts au dernier combat, afin qu'on ne remuast plus leurs os, et qu'on perdist la memoire de ce qui leur estoit arrivd sans plus jamais penser ä la vengeance. Noel Negabamat se leva en suitte, il mit au milieu de la place cinq grandes peaux d'Elans: Voila, dit-il aux Iroquois, dequoy vous armer les pieds et les jambes, de peur que vous ne vous blessiez au retour, s'il restoit encore quelque pierre au chemin que vous avez applany. II en presenta encore cinq autres pour ensevelir les corps de ceux que le combat avoit fait mourir, et pour appaiser la douleur de leurs parens et amys qui ne les pourroient souffrir sans sepulture; qu'au reste que luy et ses gens qui sont a Sillery, n'ayant qu'un mesme coeur avec leur frere aisn6 Monsieur le Gouverneur, ils ne faisoient qu'un present avec le sien. Finalement on tira trois coups de canon pour chasser le mauvais air de la guerre, et se reptiyr du bonheur de la paix. MARIE DE L'INCARNATION (1599-1672) On ne donne qu'aux riches. Marie de l'lncarnation fut une grande mystique, « la Therese du Canada », dit Bossuet; on en fit un grand e'crivain. Certes, eile a beaucoup ecrit: 7 000 ä 8 000 lettres selon Dom Jamet qui entreprit l'6dition moderne de son oeuvre. Ces lettres, elle les a presque toutes ecrites de Quebec, oii eile vecut de 1639 ä 1672, fortement engagee dans les affaires de sa com-munaute et dans Celles du pays. Elle avait « un bon sens sup6rieur », dit Jean LeMoyne qui la considere comme « la mere par excellence de la colonie ». Femme d'affaires et grande mystique, elle semble avoir vecu simultanement une double vie de gfiant. Son action materielle n'est peut-e"tre que le corps visible de Taction mystique; ses ecrits historiques de meme peuvent ne trouver leur vrai sens que dans les ecrits spirituels. Sans doute, on ne sait plus toujours oü se Irouve le texte authentique de Marie de l'lncarnation ni comment exactement elle ecrivait puisque ses ecrits historiques sont souvent entrecoupes de longs passages empruntds ä la Relation de l'annee et que, surtout, Dom Martin, son fils, qui fut son premier editeur, a souvent edulcor6 le texte original. Les histo-riens ont fait l'eloge de son action et de son ecriture epistolaire; les litt6raires devraient sans doute aller davantage ä ses ecrits spirituels. Iis pourraient y dd-couvrir un grand style, une permanence des images et des themes, la rare aventure humaine d'une äme de feu. II venait a moi Des mon enfance, la divine Majestd voulant mettre des dispositions dans mon 3me pour la rendre son temple et le receptacle de ses misericordieuses faveurs, je n'avais qu'environ sept ans, qu'une nuit, en mon sommeil, il me sembla que j'etais dans la cour d'une ecole champfitre, avec quelqu'une de mes com-pagnes, ou je faisais quelque action innocente. Ayant les yeux levds vers le ciel, je le vis ouvert et Notre-Seigneur J6sus-Christ, en forme humaine, en sortir et qui par l'air venait a moi qui, le voyant, m'6criai a ma compagne: « Ah! Voila Notre-Seigneur! C'est a moi qu'il vient! » Et il me semblait que cette fille ayant commis une imperfection, il m'avait choisie [plutdt qu'] elle qui 6tait n6anmoins bonne fille. Mais il y avait un secret que je ne connaissais pas. Cette suradorable Majeste" s'approchant de moi, mon cceur se sentit tout embrase" de son amour. Je commengai a dtendre mes bras pour l'embrasser. 88 89