Théâtre québécois Petr Kyloušek I. Théâtre en Nouvelle-France II. Théâtre canadien entre la Conquête et la Confédération (1760-1867) III. Constitution du théâtre canadien français (1867-1930) IV. Vers la modernité (1930-1960) V. La Révolution tranquille et son influence sur le théâtre VI. Situation du théâtre québécois après 1980 I. Théâtre en Nouvelle-France Port-Royal en Acadie le 14 novembre 1606 Le Théâtre de Neptune de Marc Lescarbot est une « gaillardise en rimes », un morceau de circonstance pour fêter un retour d’expédition du sieur de Poutrincourt. 78 vers sur 238 entre quatre personnages représentant les sauvages. Le texte contient cinq lexèmes micmacs. La présence « linguistique » est encore plus marquée dans les spectacles jésuites qui comportent de longues répliques et tirades en diverses langues amérindiennes: il est attesté que les rôles du sauvage huron, du prisonnier huron, de l’Algonquin, du Nez-Percé et de l’étranger du Nord ont été joué par de jeunes écoliers qui ont appris à réciter les répliques en langues autochtones En 1646, la représentation, dix ans après la première parisienne, du Cid de Corneille, mis en scène au magasin de la compagnie des Cent-Associés à Québec. Plusieurs autres pièces de Corneille sont jouées entre 1646 et 1694. II. Théâtre canadien entre la Conquête et la Confédération (1760-1867) « Si le goût du théâtre s’implanta rapidement et fermement à Montréal, c’est aux soldats de garnison et aux artistes de langue anglaise que nous le devons. » (Jean Béraud) Si le 15 avril 1765 déjà le public de Québec assiste à la représentation de Dom Juan de Molière, la vie théâtrale, à Québec et à Montréal, ne se développe véritablement qu’après 1774. Jusqu’en 1786, les auteurs français dominent (Molière, Pierre et Thomas Corneille, Voltaire, Beaumarchais, Destouches), ensuite ils alternent avec les auteurs anglais (Shakespeare, Swift). Institutions troupes, acteurs insertion du Canada dans les circuits saisonniers des troupes théâtrales ambulantes états-uniennes, notamment celles qui se déplacent entre Philadelphia - New York – Boston – Albany système de l’actor-manager: Edward Allen qui dirigeait la troupe newyorkaise The Old American Company, James Ormsby qui était à la tête de l’Albany Theatre, Edmund Kean, etc. troupes locales d’amateurs: Jeunes Messieurs canadiens (1791) à Québec ou Théâtre de société (1789) et Amateurs typographes (1839) à Montréal théâtres des collèges (jésuites, oratoriens) cirque: John Bill Ricketts fondation du Cirque royal (1824) par William West a C.W. Blanchard, à Québec Salles de spectacles Entre 1764-1805 une trentaine de salles, temporaires, apparaissent dont la moitié sert aux spectacles en français. Les premiers théâtres, au sens propre du mot, s’ouvrent à Montréal en 1804, 1806, 1808, mais leur activité n’est souvent que de courte durée. En 1825 enfin, une grande scène est inaugurée, celle du Théâtre Royal (Royal Theatre) avec un millier de places. À Québec, le Cirque Royal est transformé en Théâtre Royal en 1832. III. Constitution du théâtre canadien français (1867-1930) Le théâtre francophone se développe tout au long du 19e siècle à l’ombre du théâtre anglophone. Entre 1765 et 1858 on répertorie 225 soirées de théâtre francophone, contre 1450 anglophones. Il ne s’agira pas, pendant longtemps, d’une production très originale. Toujours est-il qu’elle est loin d’être négligeable. En 1933 Georges Bellerive dénombrera dans son répertoire d’auteurs dramatiques anciens et contemporains 95 auteurs dramatiques masculins, 17 féminins et 22 auteurs d’opéras ou d’opérette. Or, en 1967, Jean-Guy Sabourin constate déjà: « Vingt-sept compagnies permanentes, une centaine de boîtes à chansons, une cinquantaine de centres d’art répartis à travers le Québec, 300.000 spectateurs, voilà la vie des arts du spectacle au Québec. Plus de quatre-vingt-dix pour cent des spectateurs sur scène sont donnés en langue française. » Nouvelles salles rue Sainte-Catherine à Montréal: Dominion (1870), Académie de Musique (Academy of Music; 1874, 2000 places, financée par Hugh Allan), Her Majesty’s Theatre (Théâtre de sa Majesté, 1898), Albert Hall (1880), Monument National (scène française, ouverte en 1893; fondé par la Société Saint-Jean-Baptiste), Théâtre des Variétés (français; 1898), Théâtre National (français; 1900), Théâtre Canadien (français; 1911) Québec dispose du Théâtre Jacques-Cartier, nouvellement reconstruit (1874) et concurrencé par l’Académie de musique et Victoria Hall. À Ottawa le Grand Opera House (1873) offre des spectacles en français, aussi bien que la salle de l’Institut Canadien-Français avec ses mille places. Gestion La pratique de l’actor-manager a été progressivement remplacée par les troupes itinérantes. Dès 1860, le développement des chemins de fer aidant, le Canada se voit intégré dans les circuits des grandes compagnies théâtrales états-uniennes, newyorkaises. Le théâtre devient l’objet d’une exploitation commerciale systématique liée aux grands succès de Broadway. Dès 1890, un phénomène de monopole apparaît: le Trust (ou Syndicate; fondé, juridiquement, en 1896 seulement) réunissant de puissants producteurs. Fin de la pratique du stock system, remplacé par un système rationalisé de tournées contractées à partir d’un plan central, le soi-disant travelling combination system. À commencer par 1892, les théâtres de l’Ontario et du Québec passent sous le contrôle du Trust newyorkais. Seulement, en 1896, le Canada est rangé dans la catégorie B qui exclut le grand théâtre. Avec l’appui des autorités, un nouveau théâtre prestigieux est construit - Her Majesty’s Theater (1898; 2000 places) et le maire Préfontaine salue chaleureusement l’inauguration de ce First Class Theater. Professionnalisation Les performances théâtrales en français dépendaient longtemps de l’existence des troupes d’amateurs, tels Amateurs typographes, Société des amateurs canadiens, Compagnie des jeunes amateurs canadiens ou bien Cercle Jacques-Cartier (1875-1890) qui, sous la direction de Joseph-George McGown, a préfiguré le travail systématique de formation professionnelle d’Elzéar Roy au Monument national, qui a eu l’idée d’organiser des cours d’élocution, un atelier pratique d’exercices dramatiques: les Soirées de famille débutent le 30 septembre 1898 et se poursuivent jusqu’en 1901. La troupe amateure ainsi formée étonnait par sa stabilité (26 membres réguliers, 30 occasionnels), son dynamisme et son rythme de production (30 à 35 spectacles en saison). Influence de Sarah Bernard et des acteurs français Ses retours répétés au Québec, avec un séjour ne dépassant jamais une semaine (décembre 1880, avril 1891, février 1896, novembre 1905, janvier 1911, juin 1911, octobre 1916, mars 1917), ont eu des conséquences multiples: - exemple de femme émancipée - dramaturgie osée: sa toute première pièce Adrienne Lecouvreur (auteurs : Eugène Scribe et Ernest Legouvé), jouée à Montréal en pleine période de l’Avent (1890), a été jugée immorale par les autorités ecclésiastiques de Montréal et de Québec. Résistance au Trust newyorkais en 1905. Production dramatique diversifiée -drame historique -drame bourgeois -comédie de boulevard -vaudeville américain -café-concert -drame religieux: Lorsque Julien Daoust crée, le 10 mars 1902 au Monument National, La Passion de Germain Beaulieu, la représentation de la figure du Christ, incarnée par Daoust, attire bien, par cette bravade contre l’un des interdits de l’Église, la condamnation officielle de l’archevêque de Montréal (comme d’ailleurs à New York et à Paris, pour les mêmes raisons), mais une tolérance de fait est appliquée. La Passion attire 40.000 spectateurs en quatre semaines en inaugurant la grande mode des drames religieux (Le Triomphe de la Croix, Pour le Christ, Le Défenseur de la Foi, Le Rédempteur), cette fois déjà sans le Christ représenté directement. IV. Vers la modernité (1930-1960) Crise du théâtre: concurrence du cinéma, crise économique, déclin des grandes scènes bourgeoises Vers le théâtre de qualité Montreal Repertory Theater (1930, scène bilingue, créée et conduite par la dramaturge Martha Allan), le Théâtre Stella (1930-1935, dirigé par Fred Barry et Albert Duquesne alias Albert Simard). Un autre pôle de qualité se constitue autour du père Émile Legault et du jésuite Paul Bélanger qui ont fondé dirigé une troupe d’amateurs du Collège Saint- Laurent – les Compagnons de Saint-Laurent (1937-1952) qui sera non seulement un centre de formation des futurs grands acteurs, metteurs en scènes et dramaturges professionnels, mais aussi un centre de réflexion théorique et critique grâce à la revue Cahiers des Compagons (1944-1947). Nouvelles conceptions dramaturgiques Jacques Copeau, Lugné-Poe, Pierre-Louis Jouvet, Charles Dullin, mais aussi Constantin Serguéïévitch Stanislavski Présence des acteurs français: Jean Vilar, Ludmila Pitoëff; Louis Jouvet en 1948, suivi par la troupe de Jean-Louis Barrault (1952), par le Théâtre National Populaire, avec Jean Vilar et Gérard Philippe (1954), et par la Comédie française (1955) Naissance des dramaturgies canadiennes Gratien Gélinas Claude Gauvreau: Refus global Diversification des scènes Grands théâtres Le Théâtre du Rideau Vert (1948), Jeune-Scène (1950; Marcel Dubé), Théâtre du Nouveau Monde (1951), Comédie-Canadienne (1958, fondée par Gélinas) et Théâtre Populaire de Québec (1963; création qui n’est pas sans rappeler le TNP de Jean Vilar à Paris; la spécificité du TPQ consistait à ne disposer d’aucune scène fixe, mais d’organiser ses représentations en tournée permanente à travers le pays). Scènes expérimentales « théâtres de poche » : les Apprentis-Sorciers (1954), les Saltimbanques (1962, fondés par les dissidents des Apprentis-Sorciers), Théâtre de Quat’Sous (1954), Théâtre de Dix-Heures (1956), Égrégore (1959). À Québec ce seront La Fenière, L’Estoc (1957) et Petit Théâtre de la Basoche (1958), à Sherbrooke Atelier (1960). V. La Révolution tranquille et son influence sur le théâtre Financement public Au niveau fédéral, le gouvernement libéral de Louis Stephen Saint-Laurent crée le Canada Council for the Arts, Conseil des Arts du Canada qui dès, 1957, subventionne le Théâtre du Nouveau monde, Montreal Repertory Theatre et Comédie-Canadienne. À partir des années 1960 le financement provincial Un Ministère québécois de la Culture et un Ministère québécois de l’Éducation sont constitués. Ceux-ci confient à Jean Gascon la création, en 1960, de l’École nationale de théâtre/National Theatre School. Le modèle en a été le Old Vic Theatre School of London, dirigé Michel Saint-Denis, neveu et élève de Jacques Copeau. Deux périodiques de critique et de réflexion théorique paraissent : Canada Drama/Art dramatique canadien (1975) et Cahiers de théâtre Jeu (1976). Les paroles de Robert Gurik attestent l’assurance des artistes québécois : « Il y a à Montréal présentement vingt-cinq jeunes auteurs dramatiques. Qu’il y ait seulement cinq qui aient du talent, et cette ville devient une des capitales mondiales du théâtre. » La période 1965-1972 marque le haut de la vague : 110 pièces mises en scène et publiées, 50 publiées seulement, 225 mise en scène seulement, 135 pièces jouées à la radio, plus d’une vingtaine à la télévision. Cité par Pierre Desrosiers dans Culture vivante, no. 5, 1967, p. 76. VI. Situation du théâtre québécois après 1980 Nouveauté: ouverture à l’altérité altérité féministe et homosexuelle altérité immigrée altérité amérindienne