Joseph Quesnel L'anglomanie ou Le diner ä ľanglaise Joseph Quesnel (1749-1809) L'Anglomanie ou Le Diner ä l'anglaise La Bibliothěque électronique du Québec Collection Littérature québécoise Volume 101 : version 1.1 2 Du mime auteur, a la Bibliotheque : Poesies Colas et Colinette, ou le bailli dupe Les republicans francais 3 ĽAnglomanie ou Le díner ä ľanglaise Comédie en un acte et en vers 4 Personnages M. Primenbourg, seigneur de paroisse. Madame Primenbourg. La Douairiere de Primenbourg. Lucette, fille de M. Primenbourg. Le Colonel Beauchamp, gendre. Le Docteur Pennkreve. Vielmont, off icier, parent de M. Primenbourg. M. Francois, poete. La scene est a la campagne, chez M. Primenbourg. Le theatre represente l'interieur d'une salle meublee a l'anglaise, a cote de laquelle est un cabinet ou paraissent M. Primenbourg et le Colonel. 5 Scene I (Le Colonel, M. Primenbourg) Le Colonel Je lui ai tant parle du desir qui vous presse, Qu'il repondra demain a votre politesse. M. Primenbourg Ainsi done, colonel, j'aurai demain l'honneur De donner a diner a notre gouverneur ? Le Colonel Oui, beau-pere, demain. M. Primenbourg Quel honneur ! et sa dame Le suivra, dites-vous ? Le Colonel Tres surement. 6 M. Primenbourg Mon ame en est ravie au point, quel que soit l'embarras, Que mon coeur de plaisir ne se possede pas. Qui m'eut dit autrefois, malgre mon opulence, Que je dusse jamais traiter une Excellence, Je ne l'eus jamais cru. Le Colonel Oh ! vraiment je vous crois. Voici ce que vous vaut un gendre tel que moi. Depuis le jour heureux qu'epousant votre fille, De 1'eclat de mon nom j'ornai votre famille, Je me suis oublie pour ne songer qu'a vous ; Vous en aviez besoin, je le dis entre nous. Vous n'aviez point le ton, les manieres elegantes D'un seigneur possedant vingt mille francs de rentes ; Vous n'etiez point connu des puissances, des grands ; Jamais on ne voyait chez vous que vos parents ; Eh quels parents ! Dieu sait ! De bonte sans seconde, Bons et polis, d'accord, mais n'ayant aucun monde ; lis n'etaient qu'un obstacle a vous bien policer, Aussi, je commencai d'abord par les chasser ; Tout alia beaucoup mieux des qu'ils firent retraite : Et je suis si content des progres que vous faites, Que j'espere de vous faire un homme de cour. 7 M. Primenbourg J'en remercie le Ciel, Colonel, chaque jour. Je devais en effet etre bien ridicule ! Ma femme, ma maison, mes meubles, ma pendule, Rien n'etait ä l'anglaise, et jusqu'ä mes couverts Tout rappelait chez moi le temps des Dagoberts ; Mais docile ä vos soins, ä vos conseils fidele, Je changeai tous mes plats, je fondis ma vaisseile ; Et changeant l'or en cuivre et 1'argent en laiton, Ma maison fut en peu mise sur le bon ton. Le Colonel Vous vous en trouvez bien en cette circonstance... Mais j'apercois vers nous que madame s'avance. M. Primenbourg Ma mere est avec eile. 8 Scene II (Madame Primenbourg, Le Colonel, La Douairiere, M. Primenbourg) Madame Primenbourg Ah ! mon gendre, bonjour. J'ignorais qu'en ce lieu vous fussiez de retour. Le Colonel Mesdames, un instant, je viens voir la famille. Madame Primenbourg Soyez le bienvenu. La Douairiere Comment va notre fille ? Le Colonel Toujours ä 1'ordinaire. On prit hier le the Chez le vieux general, et je suis invite Avec eile aujourd'hui chez la jeune baronne. 9 La Douairiere Vous la ferez mourir, je crois, Dieu me pardonne, Avec tout ce the-la ! Du temps de nos Francais Qu'on se portait si bien - en buvait-on jamais ? Jamais - que pour remede, ou bien pour la migraine ; Mais avec vos Anglais la mode est qu'on le prenne Soir et matin, sans gout et sans necessite ; On croirait etre mort si Ton manquait de the ; Aussi, ne voit-on plus que des visages blemes, Des mauvais estomacs, des faces de careme, Au lieu du teint vermeil de notre temps passe. Voila ce que produit cet usage insense ! M. Primenbourg Vous ne devriez pas, par egard pour mon gendre, Ma mere, sans sujet nous faire cet esclandre ; Apprenez que jamais le the d'un general Au plus faible estomac ne peut faire de mal. La Douairiere Je ne crois point cela. Le Colonel Chez tous nos gens en place Etre prie du the, meme, c'est une grace 10 Que le rang qu'on occupe a seul droit d'exiger. Madame Primenbourg Engagez-la toujours a se bien menager. M. Primenbourg Oui, mais je suis d'avis qu'elle accepte et pour cause Les invitations... Or parlons d'autre chose. Savez-vous a diner qui nous aurons demain ? Madame Primenbourg J'aurai ma soeur, je crois, et mon cousin germain ; De diner avec nous ils ont fait la partie. Le Colonel, has, a M. Primenbourg. Ceci cadrera mal avec la compagnie. Vous sentez bien, monsieur, qu'avec un gouverneur II faudrait... M. Primenbourg (Bas, a part.) II est vrai. (Haut.) Ma femme, votre soeur Sait a n'en point douter le plaisir veritable Que Ton a de la voir, elle sait que ma table Est bien a son service ainsi qu'a mon cousin ; Mais nous ne pouvons pas les avoir pour demain. 11 Madame Primenbourg Tant pis, he pourquoi non ? M. Primenbourg Vous saurez pour nouvelle : Que notre gouverneur, madame, et sa sequelle De diner au logis nous font demain l'honneur. La Douairiere He bien, est-ce un motif pour exclure sa soeur ? Votre civilite est assez incivile. M. Primenbourg Ma mere, ce n'est pas un diner de famille, Ou chacun tel que tel est admis sans facon. Le Colonel Comme il ne faut prier que gens d'un certain ton, On peut bien les choisir, sans offenser personne. La Douairiere Oh vraiment, colonel, vous nous la donnez bonne. Qui done a votre avis doit etre du repas, Si les soeurs, les cousins, les parents n'en sont pas ? Peut-on trouver mauvais d'etre en leur compagnie ? 12 M. Primenbourg Ne vous echauffez pas, ma mere, je vous prie. Notre gendre n'a point dessein de vous piquer ; Sur le choix qu'on fera Ton peut bien s'expliquer ; Mais, comme il le dit bien, il faut, ne vous deplaise, Autant qu'il se pourra, suivre la mode anglaise. La Douairiere Anglaise, ou non, pourvu que Ton les traite bien, Qu'on soit poli, civil, la mode n'y fait rien. M. Primenbourg Vous tenez trop, ma mere, a vos anciens usages. La Douairiere Les anciens, croyez-moi, n'etaient pas les moins sages. M. Primenbourg He bien, soit; mais enfin, puisqu'on a le bonheur Aujourd'hui d'etre Anglais, on doit s'en faire honneur, Et suivre, autant qu'on peut, les manieres anglaises. La Douairiere He bien, pour moi, mon fils, je m'en tiens aux francaises. Contester avec vous c'est perdre son latin. 13 Tout comme il vous plaira reglez votre festin ; Pour moi, je n'en suis pas ; adieu. M. primenbourg, la regardant aller. Je desespere De jamais au bon ton accoutumer ma mere. Madame Primenbourg J'ai regret de la voir partir si brusquement. M. Primenbourg On pardonne a son age un peu d'entetement. Madame Primenbourg Oui, mais de la facher serait-on excusable ! Je vais suivre ses pas. 14 Scene III (Le Colonel, M. Primenbourg) Le Colonel Qu'il est desagreable De lutter constamment contre leurs prejuges ! Je sais qu'a mes avis toujours vous vous rangez Et, sans vous trop flatter, je ne crains point de dire Que vous etes le seul qui se laisse conduire. M. Primenbourg Negliger vos avis ne me conviendrait pas Quand le gouverneur meme et sa dame en font cas. Le Colonel Beau-pere, de ceci je vous fis confidence, Mais de le repeter serait une imprudence Qui pourrait m'attirer le titre d'homme vain ; Laissons done ce propos, et parlons de demain. Choisissons entre nous quelqu'un de respectable, Pour faire noblement les honneurs de la table. 15 M. Primenbourg Cette affaire, apres tout, ne peut inquieter ; Assez passablement on peut s'en acquitter. Le Colonel Vous avez en effet bien autant d'elegance Que tous les bons bourgeois que je connus en France, Mais avec les Anglais c'est bien un autre tour ! Surtout pour les manieres et 1'usage de cour. M. Primenbourg De la Cour, il est vrai, j'ignore la maniere, Mais je puis inviter ma soeur et mon beau-frere, Qui, voyageant tres jeunes, ont vu bien du pays Et visite la France, et Londres et Paris. Le Colonel Lorsqu'il s'agit ici de gout et d'elegance, Pouvez-vous done citer encore votre France ? Je vous l'ai deja dit, vos parents ne sont pas Propres a figurer dans un pareil repas. M. Primenbourg Mais enfin, Colonel, comment faut-il done faire ? 16 Le Colonel II faut prier mes soeurs, mes nieces et mon frere ; lis sont, a mon avis, les seuls, - excepte moi, Qui puissent avec les grands figurer, que je crois : D'ailleurs, le gouverneur amene ici des dames, Ainsi vous jugez bien qu'il faut que quelques femmes Soient... Mais j'entends quelqu'un. Ah ! c'est votre docteur. 17 Scene IV (Le Docteur Pennkreve, Le Colonel, M. Primenbourg) Le Docteur Monsieu le colonel, tres humple serfiteur. Le Colonel Bonjour, docteur, bonjour. Le Docteur En faisant ma tournee Ch'apprends affec blaissir ici fotre arriffee ; V A monsieu Brimenpourg ch'en fais mon compliment, Et ch'en suis enchante pien excessifement. M. Primenbourg Asseyez-vous, docteur, et prenez cette chaise. Le Colonel Comment va la sante ? 18 Fort pon. Le docteur Le Colonel J'en suis bien aise. M. Primenbourg Vos malades ? Le Docteur Assez pien ; che les fais tous guerir, Hors ceux, malcre mon art, qui se laissent mourir. Che ne puis pas querir toutes les malaties. Le Colonel J'en suis persuade. Le Docteur Sur quatre pleurecies Que ch'affais a traiter, il n'en est mort que trois. Le Colonel, a M. Primenbourg. Trois sur quatre ! vraiment c'est fort heureux, je crois. 19 M. Primenbourg v Oui. A propos, docteur, laissons la médecine, Je veux vous consulter. Le Docteur Sur quoi ? M. Primenbourg Sur la cuisine. Le gouverneur ici demain est invité ; Dites-nous ce qu'il f aut pour f aire un bon päté. Le Colonel On dit que de vos mains ils sont par excellence. Le Docteur Puisqu'en moi, colonel, fous affez confiance, Ché puis fenir temain et me ferai ľhonneur T'opérer, s'il se peut, au cout du couferneur. Le Colonel Ce talent, cher Ami, peut mener loin, peut-étre ; II est toujours trěs bon de se f aire connaitre. 20 M. Primenbourg Mais, pouvons-nous sur vous compter pour le certain ? Le Docteur Sur mon honneur, Messieurs, a temain. M. Primenbourg V A demain. 21 Scene V (Le Colonel, M. Primenbourg) Le Colonel Voila pour le diner une tres bonne affaire. M. Primenbourg Chez nous plus d'une fois j'ai vu son savoir-faire... II est tres obligeant. Le Colonel Comme vous je le crois... Mais quelqu'un vient encore ! M. Primenbourg Ah ! c'est Monsieur Francois. (Bas, a part.) Je voudrais le tancer pour sa plaisanterie. 22 Scene VI (M. Frangois, Le Colonel, M. Primenbourg) M. Francois Ne vous dérangez point, messieurs, je vous supplie. Je venais saluer monsieur de Primenbourg. (Au Colonel.) Et j'apprends qu'en ces lieux vous étes de retour. Le Colonel Bonjour, mon bon ami. M. Francois Je suis aussi le votre ; Nous nous aimons, je crois, bien autant l'un que 1'autre. Le Colonel En me parlant ainsi, certes ! vous m'obligez. Beau-pěre, vous voyez un de mes proteges ; De lui, depuis vingt ans, je m'occupe sans cesse, Cest un bon citoyen pour qui je m'interesse. 23 M. primenbourg, bas, á part. Et le plus grand menteur qui soit dans 1'univers ! Le Colonel Comment va la santé, et comment vont les vers ? En faites-vous toujours ? M. Francois Ma foi, la poesie Est un talent qu'ici personne n'apprecie. Je suis si dégoůté de tout le Canada Que j'irais pour un rien rimer au Kamtchatka. Le Colonel Qui peut done, mon ami, rebuter votre verve ? M. Francois Comment ! Depuis vingt ans qu'inspire par Minervě, Je suis du dieu des vers les aimables lecons, Qu'ai-je jamais recu pour prix de mes chansons ? Combien, pour célébrer du Francais les défaites, Mes vers ont-ils de fois embelli les gazettes ? Combien - de loyauté faisant profession -, N'ont-ils pas exalté les succěs ď Albion ? 24 Le Colonel Pour des raisons d'Etat, mon bon ami, je pense Que vos vers en effet meritent recompense ; De tout bon citoyen je suis le protecteur, Et je vous veux servir aupres du gouverneur ; Mais pour en obtenir a coup star les suffrages, Je voudrais lui montrer quelqu'un de vos ouvrages. Voyons ; qu'avez-vous fait dans ce beau genre-la ? M. Francois « Grand Dieu pour Georges Trois »... connaissez-vous cela ? Le Colonel Si je connais cela ! Cette chanson charmante, Que, pour peu qu'on ait bu, dans tous les clubs on chante ! C'est le « God save the King » imite de 1'Anglais. Certes, la loyaute se peint dans vos couplets. De vos talents vraiment je suis l'apologiste, Et ne vous croyais pas aussi bon royaliste. Je vous veux obtenir quelque bienfait du roi. M. Primenbourg Un moment, colonel, je m'y oppose, moi. Cette opposition surprend monsieur, peut-etre ? Mais il est bon, je le crois, de la faire connaitre. 25 M. Francois Quel sujet contre moi vous a done irrité ? M. Primenbourg Vous avez dans vos vers trahi la verite... J'en suis tres mecontent, s'il faut que je le dise. M. Francois La fiction toujours au poete est permise... Mieux que vous sur ce point je sais ce qu'il en est. Le Colonel Mettez-moi done au fait de ceci, s'il vous plait ? M. Francois Lisez sur ce sujet les preceptes d'Horace. M. Primenbourg Sachez que de chevaux je me connais en race. M. Francois Voyez encor de plus ce qu'en dit Despreaux. 26 M. Primenbourg Vous ne m'apprendrez pas ce que c'est que chevaux. M. Francois Quand je parle de vers, vous pouvez bien m'en croire. M. Primenbourg Plutot que de mentir, il vaudrait mieux vous taire. Le Colonel Messieurs, accordez-vous - du moins dans vos propos, L'un parle de ses vers, 1'autre de ses chevaux ; Au fait dont il s'agit je ne puis rien comprendre. M. Francois Quant á moi, si j'ai tort, je suis prét á me rendre. M. Primenbourg Vous souvient-il, monsieur, qu'avec malignitě, Dans un conte insolent par vous-méme inventé, Vous m'avez insulté, sous le nom d'Imberville ; Disant qu'un certain jour, en partant pour la ville, Pour me lire vos vers vous voyant accourir, Je fessai mon cheval pour le faire partir ? 27 M. Francois Ah ! je vois a present ce que vous voulez dire. M. Primenbourg II n'est pas sur ce point besoin de vous instruire. D'un conte aussi malin vous connaissez l'auteur, Mais aussi mon cheval est connu par bonheur, Et je puis en depit de vos plaisanteries Prouver que vos discours ne sont que menteries ; Et que, depuis six mois croyant 1'avoir perdu, Mon fouet dans l'ecurie est reste suspendu. Jugez done, colonel, si j'ai lieu de me plaindre ! Le Colonel De tous ces contes-la vous n'avez rien a craindre ; On n'en impose point a notre gouverneur ; II sait qu'a cet egard vous etes connaisseur... Cependant, j'en conviens, l'histoire etait piquante. M. Primenbourg II faut, pour in venter histoire aussi mechante, Avoir pour la satire un gout desordonne. M. Francois Ainsi, mon proces fait, me voila condamne. 28 Hé, de grace, monsieur, avant que Ton me pende, Pour me justifier souffrez que Ton m'entende ! Voilá done le sujet ďoú vient votre courroux ? Hé, pourquoi done plus tot ne me le disiez-vous ? J'ai pour tout embellir un art que rien n'egale. Je puis ďun Rossinante en faire un Bucéphale. De vouloir vous fácher j'etais, certes, bien loin ; Mais qui vous aurait cru si tendre sur ce point ? Rien n'etait plus aisé que réparer mon crime : II ne fallait qu'un mot, que changer une rime, Et mettre que dansant, hennissant, humant l'air, Votre cheval, sansfouet, partit comme un eclair. M. Primenbourg Voilá la vérité que vous eussiez du dire, Et de lui ne pas faire un objet de satire. M. Francois Hé bien, faisons la paix ; j'arrangerai cela. Le Colonel Allons, beau-pěre, allons, il faut passer par la. En ceci notre ami connait son injustice Et le mal qu'il a fait, il l'a fait sans malice. Je connais bien son coeur. II n'est pas né méchant; 29 Mais peut-on resister toujours a son penchant ? M. Primenbourg Un beau penchant vraiment! celui de la satire. M. Francois Excusez-moi, monsieur, mon gout n'est que de rire, Et de faire a son tour rire aussi mon lecteur. Monsieur le colonel sera mon defenseur. Lui-meme a ses discours donne un tour poetique ; II se connait en vers autant qu'en politique, Et sait bien qu'un rimeur par la verve emporte Souvent dans ses crayons outre la verite ; Et que souvent il doit aux ecarts de sa muse Le sel qui dans ses vers pique, plait et amuse : Je m'en rapporte a lui; qu'il juge entre nous deux. Le Colonel En honneur, sur ce point, on ne parle pas mieux. Je connais un auteur d'un excellent ouvrage, C'est un poeme en vers nomme « L'Areopage » ; On ne fait point de vers comme cet homme-la ! Mais il faudrait l'ouir s'expliquer sur cela. Son principe vraiment est tout pareil au votre, Et l'un rime, ma foi, presqu'aussi bien que 1'autre. 30 He bien, sa muse hardie donne a chacun son lot; II pique, il raille, il ment, il radote... En un mot, On n'ecrit point en vers comme on ecrit en prose. Le poete toujours exagere la chose, Et je vous trouve heureux, beau-pere, en ce pamphlet, De n'y etre de trop que pour un coup de fouet. M. Primenbourg Les poetes anglais ont-ils meme licence ? Le Colonel lis sont en Angleterre aussi malins qu'en France, Mais de leur badinage on ne se fache pas. M. Primenbourg Allons, je n'ai plus rien a redire en ce cas ; Je vous pardonne tout et n'ai plus de rancune. M. Francois Excusez done, messieurs, ma visite importune. Vous etiez en affaire, il faut vous y laisser, Mais demain, pour vous voir, je pourrai repasser. M. Primenbourg, has, au Colonel II compte encor demain nous faire une visite... 31 Ne reviendrait-il pas afin que Ton 1'invite ? Le Colonel II le faut prevenir. (II court a la porte.) Mon bon ami, Francois, Demain, Ton est absent; venez une autre fois. M. Francois C'est bon. 32 Scene VII (Le Colonel, M. Primenbourg) Le Colonel Nous ne pourrions l'inviter qu'a 1'office. M. Primenbourg S'il avait eu pourtant un rang dans la milice, Peut-etre aurions-nous pu lui faire cet honneur. Le Colonel Inviter un poete avec un gouverneur ? Ce serait lui donner plaisante compagnie ! M. Primenbourg Ma foi, vu le penchant, l'amitie qui vous lie, J'ai craint quelques instants qu'il ne fut du repas. Le Colonel De cet homme, entre nous, je ne fais pas grand cas. C'est un assez bon diable, ancienne connaissance, De ces gens en un mot qu'on voit par bienseance ; 33 Qu'on recoit poliment a quelqu'instant perdu ; Mais qu'il vaut mieux flatter que d'en etre mordu. M. Primenbourg C'est en agir vraiment d'une facon discrete ; Vous savez votre monde... ha ! ha ! voici Lucette. 34 Scene VIII (Lucette, Le Colonel, M. Primenbourg) lucette Soyez le bienvenu, cher colonel Beauchamp ! De nous surprendre ainsi vous etes bien mechant, Et bien aimable aussi. Comment va la famille ? La petite derniere est-elle bien gentille ? Ma soeur chez milady dine-t-elle souvent ? Oh ! qu'on a de plaisir a ce gouvernement ! M'en irai-je avec vous, mon cher petit beau-frere ? Le Colonel Avez-vous bien encor des questions a me faire, Ma chere belle-soeur ? Allons, embrassons-nous. Mon epouse n'est pas aussi leste que vous. Le docteur lui ordonne un peu de promenade, Et de laisser le bal, vu qu'il la rend malade. Lucette Tant pis ; mais l'exercice en effet lui convient. Pour moi, de promener je me trouve fort bien, 35 II n'est pour la sante de meilleure methode. Mais comment se fait-il que le bal 1'incommode ? Jamais je n'eprouvai cette fatigue-la. M. Primenbourg v A votre age, ma fille, on ne sent point cela, Mais laissez faire... un jour... lucette Papa, vous voulez rire ? M. Primenbourg Brisons la, nous avons autre chose a nous dire. II vous faut preparer a recevoir ici, Demain, le gouverneur, ainsi que milady. lucette Milady vient ici ? Le Colonel On vous le dit, Lucette, Ainsi, ne manquez pas de faire une toilette. Lucette Vous me conseillerez pour mon ajustement ? 36 Le Colonel Oui, je vous friserai comme au gouvernement. lucette Oh ! tant mieux ; c'est toujours la mode la plus belle. Beau-frere, dites-moi, votre soeur viendra-t-elle ? Le Colonel Je l'espere. M. Primenbourg A coup star on ne l'oubliera pas, Puisqu'elle fait ici les honneurs du repas. lucette On ne peut mieux choisir. Vraiment j'en suis bien aise ; C'est elle qui connait la politesse anglaise ! 37 Scene IX (Le Colonel, Vielmont, M. Primembourg, Lucette) Le Colonel, interrompant Lucette. Chut, j'apercois Vielmont. Ah ! bonjour, mon ami. Vielmont Y a-t-il bien longtemps que vous etes ici ? Le Colonel Deux heures, environ. Vielmont Je le sais de ma tante. Je l'ai trouvee tantot grondeuse, mecontente ; Elle s'est plaint a moi que tous nos jeunes gens Ne sont plus aujourd'hui tels qu'en son jeune temps ; Qu'a present des Anglais on prend le gout, 1'usage ; Qu'on suit la vanite ; qu'on oublie le menage ; Que sais-je ! Elle se plaint qu'ici tout est change. Vous savez qu'elle tient a son vieux prejuge ; Mais a son age on peut parler sans se contraindre. 38 Le Colonel Savez-vous les raisons qu'elle aurait de se plaindre ? VlELMONT Oh non ; ces plaintes-la ne m'interessent pas. Elle a cite pourtant je ne sais quel repas Que Ton donne demain a la maniere anglaise. Une autre qu'elle eut ri de pareille fadaise, Mais la maman est vieille et se fait des tourments Au lieu de s'amuser des sottises du temps. M. Primenbourg Ma mere assez souvent se plait a contredire. lucette Ma grand'mere, il est vrai, trouve tout a redire. VlELMONT II importe en effet quand un repas est bon Qu'il soit fait a la turque, ou a 1'anglaise... Le Colonel Oh non ! Vous avez tres grand tort, mon cher, ne vous deplaise, De comparer la turque avec la mode anglaise : 39 Cest trěs fort different. LUCETTE Pardi, je le crois bien ; J'ai oui dire au chateau qu'un Ture n'est pas chrétien. VlELMONT J'ignore lá-dessus comme il faut qu'on s'explique. Je vous dis mon avis ; e'est tout. Le Colonel Par politique, Vous devriez du moins étre plus circonspect, Et pour 1'usage anglais montrer plus de respect. Pour tous les gouts francos je connais votre pente, Vous pensez en secret comme fait votre tante ; Aussi, mon bon ami, je vous l'ai dit, jamais Vous ne pourrez briller que parmi les Francois : Voilá du sieur Vielmont la veritable place. VlELMONT Voilá du sieur Beauchamp une rude menace ! Comment vivre content sous un pareil décret ? Par charitě du moins gardez-en le secret. D'un courtisan, je sais, vous avez le mérite, 40 Vous vous en trouvez bien, je vous en felicite ; Mais laissons ce discours et parlons du chateau. Dites-nous, colonel, n'est-il rien de nouveau ? On dit que le courrier n'apporte rien qui vaille ? Le Colonel Qui peut dire cela ? L'on a livre bataille ; Les Francais ont perdu deux de leurs generaux, Dix mille hommes de pied, quatre mille chevaux Avec leurs cavaliers : 1'affaire est decisive. Les Francais ne sont plus que sur la defensive, Et nos troupes partout battant leurs ennemis Se verront sous deux mois aux portes de Paris. M. Primenbourg Tant mieux ! Dieu soit loue ! lucette J'en suis bien enchantee ! Milady donnera sans doute une assemblee, Ou, pour s'en rejouir, vous serez invite, Et moi-meme avec vous. VlELMONT Je crains en verite, 41 Mon tres cher colonel, que pour cette nouvelle II ne vous manque encor un garant bien fidele. J'ai lu tous les papiers qui parlent des Francais ; On n'y lit par malheur que leurs brillants succes, Et Ton croit, vu le sort de la derniere affaire, Qu'on va s'accommoder et terminer la guerre. lucette Tant pis ! Notre assemblee en va done rester la ? Le Colonel Mais comment pouvez-vous contredire cela ? Nous avons, je vous dis, remporte la victoire. Lequel de vous ou moi sur ce point doit-on croire ? VlELMONT Celui qui parle vrai. M. Primenbourg En verite, Vielmont, Vous etes quelquefois tetu comme un demon. Des nouvelles du jour oseriez-vous pretendre D'etre aussi bien instruit que doit l'etre mon gendre ? Vous savez son emploi dans le gouvernement. 42 VlELMONT J'en ai oui parier, et Ton m'a dit vraiment Qu'il est fort lucratif. M. Primenbourg Et de plus honorable. VlELMONT Est-il vrai que les mets qu'on ote de la table, Dans les jours de gala, sont votre devolu ? Le Colonel Comment done ? C'est bien la mon meilleur revenu, Vu que sans debourser cela fait vivre au large. VlELMONT Vous avez la vraiment une tres belle charge ! Puisque du gouverneur vous goutez tous les mets, Vous pouvez bien aussi connaitre ses secrets, Et je veux etre un fat si jamais je replique Quand vous nous ferez part d'affaire politique. M. Primenbourg C'est trěs bien dit, Vielmont, et prendre un bon parti. On ne devrait jamais donner un dementi, 43 Sans savoir la raison sur laquelle on se fonde ; Vous aviez tort. VlELMONT Oui, le plus grand tort du monde. De ma temerite je suis presque confus. Adieu done, colonel, les Francais... Le Colonel Sont battus, Dieu merci. LUCETTE Oh, tant mieux. Chez milady, sans doute, II y aura concert, bal, ou souper, ou rout. Le Colonel J'en ferai mon affaire aupres du gouverneur. VlELMONT Quant a moi je ne puis pretendre a cet honneur ; Mais je cours de ce pas dementir la gazette... Or, sans adieu, messieurs... jusqu'au revoir, Lucette. 44 Scene X (M. Primenbourg, Le Colonel, Lucette) M. Primenbourg Nous l'avons mis au point de ne plus repliquer. Le Colonel Je crois bien que c'est moi qu'il voulait critiquer, Et je me trompe fort si son humeur piquante N'a point pris de son cru les discours de sa tante. M. Primenbourg Son esprit est railleur et le sera toujours. 45 Scene XI (Madame Primenbourg, Lucette, M. Primenbourg, La Douairiere, Le Colonel) Madame Primenbourg, une lettre ä la main. Ah ! mon pauvre mari, ah ! mon eher Primenbourg, Je viens vous annoncer une triste nouvelle ! Par cette lettre-ci... Lucette Quoi, maman ? M. Primenbourg D'oü vient-elle ? La Douairiere Milady ne vient pas. Le Colonel Milady ? 46 M. Primenbourg Hé, pourquoi ? Madame Primenbourg La lettre le dira. La Douairiěre Tout ce que je sais, moi, Cest que le messager me l'a dit ä moi-méme. lucette Quel chagrin ! Le Colonel Quel revers ! M. Primenbourg Quel déplaisir extréme ! Je suis au désespoir ! lucette Milady ne vient pas ! 47 Madame Primenbourg Nous avons done en vain fait les frais du repas ! M. Primenbourg, avec impatience. Voyons done, voyons done ce que dit cette lettre... On eut beaucoup mieux fait de ne pas nous promettre. (II re garde le cachet.) Elle est du gouverneur ; [voyons, lisons : « Monsieur, « Nous avions projeté ďavoir demain l'honneur « D'aller chez vous diner et passer la journée, « Esperant d'y trouver la famille assemblée ; « Mais sur certain avis du colonel Beauchamp, « Votre gendre trěs cher et notre aide de camp, « Nous avons différé cette partie charmante, « Puisque, pour le present, la famille est absente ; « D'autant que milady qui, certes, en fait cas, « Desire ainsi que moi qu'elle soit du repas. » Que veut dire ceci ? Madame Primenbourg Qu'avez-vous fait, mon gendre ? Le Colonel Comme vous ce billet ne peut que me surprendre ; Vraiment, Son Excellence a bien change d'avis ! 48 La Douairiere II n'en a point change, c'est moi qui vous le dis, Le gouverneur voulait avoir leur compagnie Et ne demandait point tant de ceremonie ; Je vous l'avais bien dit. M. Primenbourg Malheureux contretemps ! Nous voila done prives de l'honneur qu'on attend ! Le Colonel II n'est que differe, consolez-vous, beau-pere, Je vous reponds de tout... mais taisons cette affaire. Madame Primenbourg lis seront tous piques. Le Colonel On les depiquera. S'il faut les inviter, on les invitera. La Douairiere Mais, voyez done un peu la belle manigance ! De gens qui sont ici vous annoncez 1'absence ! N'est-ce pas curieux ? 49 Le Colonel Ma foi, je le croyais ; Au reste ces messieurs n'ont point le ton anglais, Et c' etait un diner... La Douairiere Votre excuse est plaisante ! En cela ma famille est-elle moins decente ? Et si vos tons anglais ne sont pas de leur gout N'en sont-ils pas moins faits pour etre admis partout ? Madame Primenbourg Ma mere a bien raison. M. Primenbourg, apres un moment de reflexion. Je pense aussi comme elle. Le Colonel Ainsi me voila seul, comme un Jean de Nivelle ! Vous changez de systeme ; et bientot, je prevois, La faute de ceci va retomber sur moi; Je n'en suis cependant que l'innocente cause, Mais il est fort aise de reparer la chose. Cachons-leur cette lettre et laissez-moi l'honneur De les inviter tous au nom du gouverneur. 50 D'une telle faveur je puis avoir la gloire. Vous pourriez finement tout bas leur faire croire Que c'est par mon credit qu'ils obtiennent cela. La Douairiere, ä part. Quel fond de vanite ! M. Primenbourg Je hais ces detours-la. lis ne me croiraient pas... il vaut bien mieux se taire, Que leur en imposer : qu'en dites-vous, ma mere ? La Douairiere C'est tres bien fait, mon fils ; laissons la les detours, Et, si vous m'en croyez, abjurez pour toujours De ces tons etrangers l'orgueil trop ridicule. Je vous l'ai toujours dit, vous etes trop credule. Un chacun vaut son prix : que 1'Anglais soit anglais. Et quant ä nous, mon fils, soyons toujours francais. Le Colonel Monsieur ä cet egard n'a besoin qu'on l'eclaire ; II sait sur ce point-lä ce qu'il convient de faire. 51 La Douairiěre Vos conseils, colonel, ont pu changer ses gouts ; Mais il voit son erreur. M. Primenbourg (Au Colonel.) Oui, je reviens á vous. De vous désobliger il m'est assez pénible, Mais j'y suis résolu. La Douairiěre Tant mieux ! Le Colonel Est-il possible ? lucette, á part. Quoi ! mon papa voudrait nous désanglifier ! (Au Colonel.) Essayez done du moins á vous justifier : II est mille raisons que vous pourriez bien dire. Le Colonel J'en ai déjá trop dit et cela doit suffire v A qui sait estimer 1'elegance et le ton. 52 lucette II est vrai qu'en cela mon beau-frěre a raison ; Vous conviendrez, papa, que, quant á 1'elegance, Rien n'est tel qu'un Anglais, et surtout quand il danse. M. Primenbourg Ma fille, taisez-vous. lucette J'ai pourtant droit, vraiment. Le Colonel Mais, d'ou vient done enfin un si prompt changement ? Quoi ! Vous retourneriez á votre usage antique ! Ah ! des Anglais du moins redoutez la critique. Chez eux, grace á mes soins, vous avez du renom. Pourriez-vous mépriser cet avantage ? M. Primenbourg Non. D'en étre bien connu je sais les avantages ; Je sais les estimer, ainsi que leurs usages, Mais enfin, sans quitter ce ton de nos aieux, Je vois qu'on peut aussi se voir estimé d'eux. Mon erreur sur ce point, j'en conviens, fut extréme, 53 Mais si je fus trompe, je le fus par vous-méme. Tantot á votre avis nos parents n'etaient pas Propres á figurer dans un pareil repas, Et voilá que pourtant son honnéte Excellence Désire de les voir, exige leur presence. Le ton n'y fait done rien, et e'est pourtant ce ton Qui dessěche ma bourse et brouille ma maison. Or, je reprends mon train ; qu'on glose, qu'on babille ; Avec le gouverneur je prierai ma famille, Et bien d'autres encor que je veux inviter, Pour égayer ma table et vous faire pester. Aprěs le sérieux, on aime le comique, On ne peut pas toujours discourir politique. Amuser milady, e'est mon premier objet. Tous les honnétes gens servent á mon projet... J'aurai les Allemands et Francais du Village. Le Colonel V A ce noble projet je donne mon suffrage, Beau-pěre, et de grand coeur on m'y voit applaudir. En agissant ainsi comptez-vous me punir ? Non, non, je n'y vois rien qui ne puisse me plaire. Sans la gaieté, morbleu ! fi de la bonne chěre ! Et notre gouverneur aime assez l'enjouement. Ah ! vous voulez avoir Francais et Allemands ? Bravo, e'est bien pense ; leurs différents langages, 54 Leurs gouts, leur caractere et jusqu'a leurs visages, Tout doit a la gaiete donner un libre cours. D'abord, mons. Frederic, dans un tres long discours Sans perdre un coup de dent, et humant le champagne, Nous fera voyager par toute 1' Allemagne ; Parlera d'Allendorf, de Francfort, de Bamberg Et surtout... te la cour tu tuc te Wirtemperg. II y connut, chddis, unefielle tuchesse... II vous dira tout bas... ce qu'elle a sur la fesse. C'est un homme amusant. II a tout vu, tout lu ; II n'est de potentat dont il ne soit connu ; II donnera pour vrai meme jusqu'a son reve. Tout pres de lui sera le doux docteur Pennkreve, Grave, disert, poli, sachant plus d'un metier, Et recemment muni d'un brevet d'estafier. II vous entretiendra de racoux, de phtisie, De fricanteaux, f ulceres et te son pharmacie ; Et charmera l'oreille avec son beau francois. A ses cotes sera mon bon ami Francois. Son air sombre, il est vrai, decelant sa folie, Peut risquer d'attrister un peu la compagnie, Mais on lui passera son grotesque maintien Vu qu'il est a la fois poete et musicien. De critiquer les vers il a pourtant la rage, II a meme, entre nous, ri de « L'Areopage » ; Mais sa critique n'est qu'un coup d'epee dans l'eau... 55 Cet ouvrage est juge ; il sera toujours beau. Du reste assez bon diable et meme un peu cocasse, Parmi les convies il peut tenir sa place, Sans compter ceux encor qu'on peut avoir ici. Ainsi, tout ira bien, je suis star de ceci. Mais, pour tout completer, ah ! que je serais aise Que Lucette chantat son ariette anglaise ; Pour terminer la fete il n'est rien au-dessus, Et ce dernier plaisir - Coronabit opus. M. Primenbourg He bien soit, j'y consens ; elle en a par douzaines, En francos, en anglais, - ses poches en sont pleines ; Qu'elle prenne du bon. Lucette Si 9a vous fait plaisir, Je chanterai mon air ; je n'ai point a choisir, Car je n'en sais qu'un seul, mais il en vaut bien trente, Puisque c'est justement ce que milady chante. La Douairiere Allons, je suis contente en vous voyant d'accord ; Passe encor quand les gens reconnaissent leur tort. Parlez-moi de se voir a la bonne franquette, 56 Comme nos pauvres gens... ah ! que je les regrette ! Pour la patisserie, - c'etait la le bon temps ! Comme tout a change, degenere !... pourtant, Indiquez-moi le jour que le festin se donne ; J'y saurai faire honneur aussi bien que personne. N'y manquez pas du moins. M. Primenbourg Ma mere, on le fera, Et vous pouvez compter qu'on vous avertira. La Douairiere C'est bon. Jusqu'au revoir. 57 Scene XII (Madame Primenbourg, Le Colonel, M. Primenbourg, Lucette) Madame Primenbourg Ah ! que je suis contente De pouvoir inviter et ma soeur et ma tante ! Rien n'est tel en effet que se voir sans facon. Le Colonel Quant a moi desormais je trouverai tout bon. Suivez le gouts anciens, ou la mode nouvelle, Ce m'est autant egal qu'a feu Jean de Nivelle. Je saurai qu'en penser, mais chacun a ses gouts ; II faut, comme Ton dit, hurler avec les loups. Mais il est deja tard ; la retraite est sonnee, Et je suis pour ce soir prie d'une assemblee De gens du meilleur ton. Je reviens sous deux jours. Bonsoir, beau-pere ; adieu, Madame Primenbourg. Madame Primenbourg Quoi ! vous partez deja ? 58 Le Colonel Oui, sans que rien m'arrete. Je suis dans l'embarras jusque par sur la tete ; Pourtant, comptez sur moi a l'egard du festin ; J'en parlerai sans faute au gouverneur, demain. M. primenbourg, courant vers la porte. Dites-lui qu'on aura la famille. Le Colonel V A votre aise. Mais je dirai toujours : Vive la mode anglaise ! M. primenbourg II n'en demordra pas !... Mais le voila parti: Ma femme il faut songer a s'appreter ici Pour ce jour desire. Et quant a vous, Lucette, Preparez votre voix a chanter l'ariette ; J'espere qu'au diner votre amoureux viendra... Ainsi point de ton faux. Lucette Si je puis, mon papa. Fin 59 60 Cet ouvrage est le 101e publie dans la collection A tous les vents par la Bibliotheque electronique du Quebec. La Bibliotheque electronique du Quebec est la proprietě exclusive de Jean-Yves Dupuis. 61