56 LE RAPPORT DURHAM I. LES CAUSES ESSENTIELLES DES MAUX/O) SELON DURHAM... ... AVANT ET AU MOMENT DE SON ARRIVEE AU CANADA: CONFLIT CONSTTTUTIONNEL ET POLITIQUE Les debats prolonges et multiples qui, quelques annees durant, avaient oppose les partis dans la colonie, et les bruits qui avaient couru sur eux dans la metropole avaient produit dans mon esprit, comme dans la plupart des esprits, en Angleterre, une opinion tres erronee des partis en desaccord au Bas-Canada. La querelle qu'on m'envoyait apaiser avait ete une querelle entre le pou-voir executif et la branche populaire de la legislature. Celle-ci, en apparence, avait lutte pour les droits du peu-ple et pour un gouvernement libre. L'executif, d'autre part, avait defendu la prerogative de la Couronne et les institutions qui, conformement aux principes de la Constitution britannique, avaient ete etablies comme un con-trepoids ä l'exercice sans frein du pouvoir populaire. Bien qu'au cours du conflit, certains indices eussent mis en relief l'existence de dissensions encore plus profondes et plus redoutables que celles qui auraient pu etre suscitees par de simples causes politiques, je m'etais figure, avec la plupart de mes compatriotes anglais, que la source originelle et constante du mal etait dans les vices des institutions politiques des provinces. [...] Je considerai ce conflit comme une de ces querelies auxquelles, en Europe, nous ont habitues l'histoire et la connaissance des homines: une querelle entre un peuple qui demande un accrois-sement des privileges populaires et un executif qui defend LES MAUX DU BAS-CANADA 57 * les prerogatives qu'il estime necessaires au maintien de j^^Fdre. [...] ... AU MOMENT ET A LA SUITE DE SON ENQUETE 1. Conflit constitutionnel, politique et administratif Je reconnaissais (dans ma depeche du 9 aoüt) que mon sejour dans la province avait modifie du tout au tout mes idees sur rinfluence relative des causes qu'on avait reconnues aux maux presents. Je n'en suis pas venu ä croire, il est vrai, que les institutions du Bas-Canada etaient moins defectueuses que je les avais supposes d'abord. Par suite des circonstances speciales oü je me trouvai, j'ai pu faire un examen assez efficace pour me convaincre qu'il avait existe dans la Constitution de la province, dans l'equilibre des pouvoirs politiques, dans l'esprit et dans la pratique administrative de chaque service du gouvernement, des defauts tres suffisants pour expliquer en grande partie la mauvaise administration et le mecontentement. 2. Conflit national suscite par la haine et la coexistence de deux nations distinctes vivant au sein d'un meme Etat Le meme examen m'a aussi convaincu qu'il exis-tait une cause beaucoup plus profonde et plus efficiente des dissensions particulieres et desastreuses de cette province — une cause qui brisait la surface de ses institutions politiques pour s'enraciner dans son contexte social 58 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 59 — une cause que ne pourraient corriger ni réformes cons-titutionnelles ni lois qui ne changeraient en rien les elements de la société. Cette cause, il faut la faire disparaitre avant ďattendre un succés quelconque de tout autre tentative pour remédier aux maux de cette malheureuse province. Je m'attendais á trouver un conflit entre le gouvernement et le peuple; je trouvai deux nations en guerre au sein ďun méme État; je trouvai une lutte, non de principes, mais de race. Et je m'apercus qu'il serait vain ďessayer ďaméliorer les lois ou les institutions avant que ďavoir réussi á exterminer la haine mortelle qui, maintenant, séparé les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles: Francais et Anglais. II serait vaniteux de ma part ďespérer, par une description, pouvoir donner á votre Majesté une idée des haines de races que m'a force de reconnaitre mon experience personnelle au Bas-Canada. L'heureuse absence chez nous de toute hostilité nationale nous permet diffi-cilement de comprendre l'intensite de la haine que la difference de langage, de lois et de coutumes suscite entre les habitants ďun méme village ou les citoyens ďun méme pays. Nous sommes portés á croire que le vrai motif de la querelle est autre chose, et que la difference raciale a seulement légěrement et occasionnellement accentué les rivalités attribuées á une autre cause plus habituelle. L'experience ďune société aussi malheureusement divi-sée que celle du Bas-Canada conduit á une opinion exac-tement contraire. La haine des nationalités tombe sous les sens mémes, ďune maniére irresistible et palpable, comme 1'origine ou 1'essence de toute la querelle qui divise la société. On s'apercoit vite que les rivalités qui paraissent avoir une autre origine ne sont que les modali-tés de cette perpétuelle et envahissante querelle et que toute dispute est ä 1'origine entre Francais et Anglais ou le devient avant d'avoir touche son terme. [...] H. DEPUIS QUELQUES ANNEES UNE HOSTILITE GENERALISED L'hostilite entre les races n'a acquis son influence permanente que depuis quelques annees et eile ne s'est pas montree partout ä la fois. [...] D'un autre cote, d'annee en annee, en depit des diverses influences qu'un gouvernement peut exercer, et qu'aucun peuple au monde n'est plus susceptible de trouver detestables que les Cana-diens francais, [...] le nombre des Canadiens francais sur qui pouvait compter le gouvernement a diminue ä cause de ces associations qui les ont entraines dans le camp de leurs compatriotes. Le soulevement de 1837 a complete la division. Depuis le recours aux armes, les deux races se sont distinctement et completement dressees l'une con-tre 1'autre. I. Opinion unanime des Canadiens anglais du Bas-Canada Aucune section de la population anglaise n'a hesite ä prendre les armes pour la defense du gouvernement. [...] L'exasperation ainsi engendree s'est etendue ä l'ensemble de chaque race. Les plus justes et les plus senses des Anglais, ceux dont la politique avait toujours ete des plus liberales, ceux qui avaient toujours favorise la moderation dans les disputes provinciales semblent, depuis ce moment, avoir pris parti contre les Fransais, avec autant de fermete, sinon de ferocite, que le reste de 60 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 61 Ieurs compatriotes et avoir agree ä la r6solution de ne plus jamais se soumettre de nouveau ä une majorite francaise. Quelques exceptions confirment l'existence de la regie generate de l'hostilite nationale plutöt qu'elles ne mili-tent contre elle. 2. Division des Canadiern francais et position de "l'estabushment" Un noyau de Francais, remarquables par leurs vues larges et moderees, condamnent encore les Stroits prejuges de race et la violence ruineuse de leurs compatriotes; mais ils combattent avec la meme force ce qu'ils considerent comme pretentions injustes et violentes de la minorite; ils s'efforcent de former un parti de centre entre les extremes. Une grande partie du clerge catholique, quelques-uns des principaux proprietaires parmi les families seigneuriales et quelques autres subissant l'influence des anciennes alliances de parti appuient le gouvernement contre la violence revolutionnaire. [...] m. LES PARADOXES D'UN CONFLIT A LA FOIS POLITIQUE ET SOCIAL Une querelle fondee sur la simple raison d'ani-mosite nationale parait si revoltante aux idees de bon sens et de charite" qui regnent dans le monde civilise" que les partis, qui eprouvent une telle passion avec le plus de force et s'y livrent le plus ouvertement, prennent bien soin de se classer sous toutes autres denominations que celles qui definiraient correctement leurs buts et leurs sentiments. 1. Les principes invoques Les Canadiens francais ont essaye de dissimuler leur hostilite aux consequences de 1'immigration britan-nique et a l'introduction des institutions anglaises sous les apparences d'une guerre contre le gouvernement et contre ceux qui l'appuyaient. Ils representaient ces derniers comme une coterie de proteges corrompus et insolents. Majoritaires, ils ont invoque les principes du controle populaire et de la democratic; ils en ont appele aussi avec assez de succes a la sympathie des hommes politiques libe-raux de toutes les parties du monde. Les Anglais, voyant leurs adversaires heurter le gouvernement, ont lance le cri de la loyaute et de l'atta-chement au lien britannique. Ils denoncerent aussi les dispositions republicaines des Francais, qu'ils designent ou plutot qu'ils avaient coutume de designer sous le nom de radicaux. Ainsi Ton considera les Francais comme un parti democratique qui combattait en faveur de la reforme et les Anglais comme les representants de la minorite con-servatrice qui protegeait le lien menace de la Couronne britannique et l'autorite supreme de l'Empire. Cette idee contient une part de verite dans la mesure ou cela con-cerne les moyens par lesquels chaque parti tentait de faire valoir ses propres idees de gouvernement. La majorite francaise soutenait les doctrines les plus democratiques sur les droits d'une majorite numerique. La minorite anglaise profitait de la protection des privileges et se pre-valait de toutes celles des institutions coloniales qui per-mettaient au petit nombre de resister a la volonte de plus grand nombre. 62 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 63 2. Conservatisme et liberalisme veritables Mais si Ton examine les objectifs de chaque parti, l'analogie avec notre propre politique, semble perdue, sinon completement renversee. Les Francais parais-sent avoir employe leurs armes democratiques a des fins conservatrices plutot qu'en faveur d'un mouvement liberal et eclaire. Les sympathies des amis de la reforme se portaient naturellement du cote de la saine amelioration que la rninorite anglaise essaya en vain d'introduire dans les lois desuetes de la province. Toutefois, meme sur les problemes qui, recemment, avaient ete les sujets princi-paux de dispute entre les deux partis, il est difficile de croire que l'hostilite des races etait l'effet et non la cause de l'entetement avec lequel on soutenait ou Ton combat-tait les reformes desirees. Les Anglais se plaignaient du refus de 1'Assemblee d'etablir des bureaux d'enregistre-ment et d'abolir la tenure feodale. [...] II y a tout lieu de croire qu'un grand nombre de paysans, qui combattirent a Saint-Denis et a Saint-Charles, s'imaginerent que le principal resultat du succes serait Tabolition des dimes et obligations feodales; [...] que 1'Assemblee s'opposa a ces changements parce que les Anglais les desiraient et que, par ailleurs, la resistance rencontree chez les Francais stimula l'ardeur des Anglais a les demander. [...] 3. Les principaux antagonistes en presence A. LA POPULATION CANADIENNE-FRANCAISE ET SES PRINCIPAUX CHEFS Une population sans education aucune et singu-lierement amorphe, obeissant aveuglement a des chefs qui la gouvernent au moyen d'une confiance aveugle et d'etroits prejuges nationaux, voila des caracteres qui res-semblaient bien peu a la vigoureuse democratic issue de la Revolution americaine avec laquelle on avait voulu eta-blir des comparaisons. B. LES DIFFERENTES PARTIES DE LA POPULATION ANGLAISE Encore moins ai-je pu decouvrir chez la population anglaise ces serviles instruments d'une petite clique officielle, ou ces marchands fiers de leur fortune, tels que les avaient decrits leurs adversaires. J'ai trouve que la masse de la population anglaise, composee de vigoureux fermiers et d'humbles artisans, formait une democratic tres independante, pas tres maniable, et quelquefois plutot tumultueuse. Bien qu'ils Assent profession constante d'ultra-loyalisme et des doctrines de «haute prerogative*, je les trouvai tres resolus a maintenir en eux-memes un grand respect des droits populaires, et singulierement disposes a appuyer l'accomplissement de leurs desks par les mdthodes les plus fortes de pression constitutionnelle sur le gouvernement. Je trouvai la plus grande hostilite entre eux et les Canadiens. [...] Et il faut avouer en toute justice pour ce groupe de fonctionnaires tant assaillis comme les ennemis du peu-ple canadien que, — sans excuser l'influence malfaisante 64 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 65 de ce systéme d'administration qu'il était appelé á mettre á execution, — les membres des families officielles les plus anciennes et les plus puissantes furent, de tous les Anglais du pays, ceux chez qui je trouvai, en general, le plus de sympathie et de bienveillance envers la population francaise. Je ne pus done croire que cette animositě était seulement celle qui subsistait entre une oligarchic officielle et un peuple. Danvantage, j'en vins á la conviction que la lutte qui a été representee comme une lutte de classes était, en réalité, une lutte de races. [...] IV. PRINCIPALES DIFFERENCES ENTRE LES DEUX RACES ET SUPERIORITĚ INCONTESTÉE DES "BRITISH CANADIANS" II est á peine possible de concevoir les descendants d'aucune des grandes nations de l'Europe aussi dif-férents les uns des autres en caractére et en temperament, plus totalement séparés les uns des autres par la langue, les lois et les coutumes ou places dans ces circonstances plus propices á produire mésintelligence, jalousie et haine réciproques. Pour comprendre l'incompatibilite des deux races au Canada, il ne suffit pas de nous représenter une société composée á part égale de Francais et ď Anglais. II faut aussi avoir en téte quelle sortě de Francais et d'Anglais viennent en contact et dans quelle proportion ils se rencontrent. 1. Origine et mentalitě A. INKKTIE DE LA SOCIÉTÉ CANADBENNE-FRANCAISE a. Sous le Regime frangais Les institutions de France durant la periodě de colonisation du Canada étaient, peut-étre plus que celles de n'importe quelle autre nation d'Europe, propres ä étouffer l'intelligence et la liberté de la grande masse du peuple. Ces institutions traversěrent 1'Atlantique avec le colon canadien. Le méme despotisme centralisateur, incompetent, stationnaire et répressif s'imposa ä lui. Non seulement on ne lui donna aucune voix dans le gouverne-ment de sa province ou dans le choix de ses dirigeants, mais il ne lui fut méme pas permis de s'associer avec ses voisins pour la régie de ses affaires municipales que 1'autoritě centrale négligeait sous pretexte de les diriger. II obte-nait sa terre ďaprés une tenure singuliérement propre ä promouvoir son bien-étre immédiat, mais qui entravait son désir ďaméliorer son sort; il était aussitöt place ä la fois dans une vie de travail constant et uniforme, dans une trěs grande aisance et dans la dépendance seigneu-riale. L'autorite eeclésiastique ä laquelle il s'etait habitue établit ses institutions autour de lui, et le prétre continua ä exercer sur lui son ancienne influence. On ne prit aucune mesure generale en faveur de l'education et comme la nécessité n'en était pas ressentie, le colon ne fit aucun effort pour réparer cette negligence du gouver-nement. Nous ne devons done pas nous étonner que, dans de telles circonstances, ces hommes habitues aux travaux incessants d'une agriculture primitive et difficile, habi-tuellement friands de réjouissances populaires, se réuni- 66 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 67 rent en communautés rurales, occupant des portions d'un sol tout entier disponible et süffisant pour pourvoir cha-que famille de biens matériels bien au-delä de leurs anciens moyens ou presque au-delä de leurs désirs; qu'ils ne firent guěre de progres au-delä de l'aisance que la fertilitě du sol leur imposait; qu'ils demeurěrent sous les mémes institutions le méme peuple ignare, apathique et retrograde. Le long des rives alluviales du Saint-Laurent et de ses tri-butaires, ils ont défriché deux ou trois bandes de terre; ils les ont cultivées ďaprěs les plus mauvaises méthodes de petite culture. [... ] Toute 1 'energie qui existait parmi la population rut employee au commerce des pelleteries et ä la chasse qu'eux et leurs descendants poussěrent au-delä des Montagnes Rocheuses et qu'ils monopolisent encore, en grande partie, dans toute la vallée du Missis-sipi. La masse de la société montra dans le Nouveau Monde les caractéristiques des paysans d'Europe. La société était dense et méme les besoins et la pauvreté qui accompagnent le trop-plein démographique du Vieux Monde ne furent pas tout ä fait inconnus ici. Ces gens s'accrocherent aux anciens préjugés, aux anciennes cou-tumes, aux anciennes lois, non ä cause d'un fort sentiment de leurs heureux effets, mais avec cette ténacité irrationnelle d'un peuple mal éduqué et stationnaire. Ds n'etaient pas non plus dépourvus des vertus d'une vie simple et industrieuse, ni de celles que, d'un commun accord, les hommes attribuent ä la nation dont ils sortent. Les ten-tations qui, dans les autres Etats, conduisent aux délits contre la proprietě et les passions qui provoquent la violence étaient peu connues parmi eux. Iis sont doux et accueillants, frugaux, ingénieux et honnétes, trěs sociables, gais et hospitaliers; ils se distinguent par une cour- toisie et une vraie politesse qui penetrant toutes les classes de leur societe. b. Sous le Regime anglais • Signification de la Conquete La Conquete les a transformer, mais tres peu. Les classes plus elevees et les citadins ont adopte quelques coutumes et quelques sentiments anglais. Neanmoins, la negligence continuelle du gouvernement britannique laissa la masse du peuple sans aucune des institutions qui l'eussent elevee ä la liberte et ä la civilisation. II les a laisses sans l'instruction et sans les organismes du gouvernement responsable local, qui auraient permis d'assi-miler leur caractere et leurs coutumes, facilement et avantageusement, au profit d'un Empire dont ils deve-naient une partie. Ils demeurent une societe vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif. Essentiel-lement, ils sont encore Francais, mais des Francais qui ne ressemblent pas du tout ä ceux de France. Ils ressem-blent plutot aux provinciaux francais de l'Ancien Regime. Situation en 1837 Je ne peux traiter ce sujet sans attirer 1'attention sur une particularite sociale de ce peuple dont on n'a pas bien estime le role dans les soulevements du Bas-Canada. Un pays nouveau et non colonise, l'application du droit francais sur les successions et l'absence de tout moyen d'accumuler des richesses par le commerce ou l'indus-trie ont amene une egalite remarquable de fortunes et de conditions. Seules quelques families seigneuriales posse-dent de grandes proprietes, quoique pas toujours de grande valeur; la classe qui depend tout ä fait des gages est tres 68 LE RAPPORT DURHAM LES MAUX DU BAS-CANADA 69 infime. La masse de la population est formée de petits propriétaires fonciers laborieux des districts ruraux, com-munément appelés «habitants» et de leurs parents engages dans d'autres occupations. D est impossible ďexagérer leur manque d'instruction; aucun moyen d'instruction n'a jamais été prévu pour eux et ils sont presque tous dépour-vus au point qu'ils ne savent ni lire ni écrire. [...] La piété et la bonté des premiers possesseurs du pays permirent la fondation, dans les séminaires qui existent en différents endroits de la province, des institutions dont les fonds et l'activite sont depuis longtemps consa-crés au progres de 1'instruction. Ces institutions établi-rent également des séminaires et des colleges dans les villes et dans d'autres centres. L'enseignement donné dans ces maisons ressemble beaucoup á celui des écoles publi-ques anglaises, bien que le programme soit plus varié. II est totalement entre les mains du clergé catholique. On estime á environ un millier le nombre ďélěves dans ces établissements et, autant que j'ai pu m'en assurer, entre deux et trois cents jeunes gens ainsi formes en sortent cha-que année. Presque tous appartiennent á la famille de quel-que habitant. [...] Quelques-uns deviennent prétres, mais, comme les carriěres militaires et navales sont fer-mées aux colons, la plupart ne peuvent trouver de situation convenant á 1'idée qu'ils se font de leurs propres qualifications ailleurs que dans les «savantes» professions d'avocat, de notaire, et de médecin. II résulte de ce phé-noměne que ces professions sont trěs encombrées. On trouve dans chaque village du Bas-Canada une abondance de notaires et de médecins qui ont peu de clientele pour s'occuper et qui vivent parmi leurs propres families, ou en tout cas au milieu de la méme classe. [...] La plus parfaite égalité rěgne toujours dans leurs relations; celui qui est supérieur par rinstruction n'est séparé du paysan singuliěrement ignare qui le coudoie par aucune barriěre ďusages, de fierté ou ďintéréts distincts. [...] B. DYNAMISME DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE-ANGLAISE... Au sein de ce peuple, le progres de 1'immigration a introduit, récemment, une population anglaise affi-chant les caractéristiques familiěres des plus entreprenants de chaque classe de nos concitoyens. ... DANS LE FONCTIONNARIAT, LA JUSTICE ET L'ARMEE Les circonstances du debut de 1'administration coloniale écartérent du pouvoir les natifs canadiens et mirent tous les emplois de confiance et rémunérateurs aux mains ďétrangers ďorigine anglaise. Les plus hautes fonc-tions juridiques furent également confiées au méme groupe. Les fonctionnaires du gouvernement civil, ainsi que les officiers de 1'armée, composěrent une sortě de classe privilégiée, occupant les premiers rangs de la société ďoú était exclue 1'élite méme des autochtones, comme elle 1'était ďailleurs du gouvernement de son pro-pre pays. Ce n'est que depuis trés peu ďannées, ainsi que 1'ont affirmé plusieurs personnes qui connaissent bien le pays, que ce groupement de fonctionnaires civils et militaires a cessé ďafficher, vis-á-vis de la classe la plus dis-tinguée des Canadiens, un air ďexclusivité et de dédain qui était encore plus révoltant pour un peuple sensible et poli que le monopole du pouvoir et du profit; et ce favo-ritisme national n'a pris fin qu'apres des plaintes fréquen- 228 LE RAPPORT DURHAM CONCLUSION 229 ronne, qui est constamment exercée en Grande-Bretagne pour la vraie protection du peuple, n'aurait jamais dü étre délaissée dans les colonies; et si Ton y introduisait le rěgle-ment du Parlement imperial, selon lequel on ne peut sou-mettre aucun vote ď argent sans le consentement préalable de la Couronne, on pourrait sagement l'appliquer ä pro-téger 1'intérét public, souvent sacrifié maintenant ä la mélée pour la repartition des fonds locaux qui sert sur-tout ä dormer une influence indue ä certains individus ou partis. C. LA CREATION CONSTTTUTIONNELLE D'INSTmjTIONS Ml NICIPALKS L'etablissement ďun bon systéme ďinstitutions municipales dans toutes ces provinces est un sujet d'une importance capitale. Une legislature generale, qui regit les affaires privées de chaque paroisse, en plus des affaires communes du pays, détient un pouvoir que pas un seul corps ne devrait posséder, si démocratique, soit-il dans sa constitution. [...] Le vrai principe de limitation de pouvoir populaire, c'est de le répartir entre plusieurs dépo-sitaires différents, comme on l'a fait dans les Etats les plus libres et les plus stables de l'Union. Au lieu de con-fier au seul corps représentatif la perception et la distribution entiěres de tous les revenus d'un pays pour fins générales et locales, il faudrait confier ä une administration locale le pouvoir d'imposer des taxes locales et de manipuler les fonds qui en proviennent. On espérerait en vain d'un corps représentatif le sacrifice volontaire de ce pouvoir. L'etablissement ďinstitutions municipales ä travers tout le pays devrait faire partie de chaque constitution coloniale. [...] D. L'ETABLISSEMENT D'UNE REGIE DES TERRES ET D'UNE POLITIQUE DE PEUPLEMENT L'etablissement ďun systéme sain et general pour la regie des terres et le peuplement des colonies est une partie nécessaire de tout systéme de gouvernement bon et durable. Le plan que je recommande á cette fin sera développé au long dans un rapport annexe en appendice. 2. Aux maux particulíers du Bas-Canada Ces principes généraux, toutefois, s'appliquent seulement á ces changements de regime nécessaires pour remédier aux désordres communs á toutes les colonies de 1'Amérique du Nord; mais ils ne peuvent pas du tout cor-riger les maux actuels du Bas-Canada, qui requiérent le reméde le plus immédiat. Les funestes dissensions ďori-gines, qui sont la cause du dommage le plus étendu, s'aggraveraient au moment present s'il survenait un chan-gement qui donnerait á la majoritě plus de pouvoir qu'elle n'en a possédé jusqu'ici. Tout plan par lequel on se pro-poserait ďassurer la tranquillité du gouvernement du Bas-Canada doit renfermer en lui-méme les moyens de met-tre fin á 1'agitation des querelles nationales au sein de la legislature, en établissant une fois pour toutes le carac-tére national de la province. A. LE REMÉDE SOCIAL: LA LENTE ASSIMILATION DES CANADD2NS FRANCAIS Je n'entretiens aucun doute au sujet du caractére national qui doit étre donné au Bas-Canada: ce doit étre celui de l'Empire britannique, celui de la majoritě de la 230 LE RAPPORT DURHAM population de l'Amerique britannique, celui de la grande race qui doit, a une epoque prochaine, etre predominante sur tout le continent de l'Amerique du Nord. Sans ope-rer le changement ni trop rapidement ni trop rudement pour ne pas froisser les sentiments et ne pas sacrifier le bien-etre de la generation actuelle, 1'intention premiere et ferme du gouvernement britannique doit a l'avenir con-sister a etablir dans la province une population anglaise avec les lois et la langue anglaises, et a ne confier le gouvernement de cette province qu'a une Assemblee decide-ment anglaise. a. Arguments contre I'assimilation On peut dire que c'est une mesure severe pour un peuple conquis; que les Francais au d6but composaient la population entiere du Bas-Canada et qu'ils en constituent encore la masse; que les Anglais sont de nouveaux venus, n'ayant aucun droit de reclamer la disparition de la nationality d'un peuple au milieu duquel les ont attires leurs aptitudes commerciales. On peut dire encore que si les Francais ne sont pas une race aussi civilisee, aussi energique, aussi apte a s'enrichir que celle qui les envi-ronne, ils sont par ailleurs unjieuple amable, vertueux et satisfait, possedant tout l'essentiel du confort materiel. On peut ajouter qu'on ne doit pas les mepriser ou les mal-traiter, parce qu'ils cherchent a jouir de ce qu'ils ont sans partager l'esprit de lucre qui anime leurs voisins. Apres tout, leur nationalite est un heritage. On ne doit pas les punir trop severement parce qu'ils ont reve de maintenir sur les rives lointaines du Saint-Laurent et de transmet-tre a leur posterite la langue, les usages et les institutions de cette grande nation qui pendant deux siecles donna le CONCLUSION 231 ton de la pensee au continent europeen. Si les querelles des deux races sont irreconciliables, on peut r6torquer que la justice exige la soumission de la minorite ä la Suprematie des anciens et plus nombreux occupants de la province, et non que la minorite pretende forcer la majorite ä prendre ses institutions et ses coutumes. b. Arguments en faveur de I'assimilation • Permettre le futur dlveloppement demographique et economjque de l'Amerique do Nord britannique Mais avant de decider laquelle des deux nations doit maintenant etre placee en etat de Suprematie, il n'est que prudent de chercher laquelle des deux finira par pre-dominer ä la fin; car, il n'est pas sage d'affermir aujourd'hui ce qui demain, apres une dure lutte, doit etre renverse. Les pretentions des Canadiens francais, ä la possession exclusive du Bas-Canada, fermeraient aux Anglais, dejä plus nombreux du Haut-Canada et des Cantons de l'Est, l'acces, par le grand canal naturel, de ce commerce qu'eux seuls ont cree et continuent encore. La maitrise de 1'embouchure du Saint-Laurent regarde non seulement ceux qui se sont etablis jadis le long de l'etroite ligne qui le borde, mais encore tous ceux qui habitent maintenant et qui habiteront plus tard dans Fimmense bas-sin du fleuve. Car, il ne faut pas regarder que le present. La question est celle-ci; quelle race vraisemblablement convertira par la suite en un pays habitable et florissant la zone inculte qui couvre aujourd'hui les riches et vastes regions qui entourent les contrees comparativement peti-tes et resserrees ou vivent les Canadiens francais? Si cela doit s'accomplir dans les possessions bri-tanniques, comme dans le reste de l'Amerique du Nord, par quelque precede plus rapide que la croissance natu- 232 LE RAPPORT DURHAM CONCLUSION 233 relle de la population, ce doit etre au moyen de l'immi-gration des lies britanniques ou des Etats-Unis: ce sont les seuls pays qui fournissent les colons qui sont entres ou entreront en grand nombre dans les Canadas. On ne peut empecher 1'immigration ni de passer par le Bas-Canada, ni meme de s'y fixer. Tout l'interieur des possessions britanniques doit avant longtemps se remplir d'une population anglaise, qui augmentera rapidement chaque annee sa superiorite numerique sur les Francais. Est-il juste que la prosperite de cette grande majority et de cette vaste etendue du pays soit pour toujours, ou meme pour un temps, entravee par l'obstacle artificiel que la civilisation et les lois retrogrades d'une partie et d'une partie seulement du Bas-Canada eleveraient entre elles et l'ocean? Peut-on supposer qu'une telle population anglaise se soumette jamais a un pareil sacrifice de ses interets? Affennir la superiority des Canadiens anglais du Bas-Canada Je ne dois pas presumer, toutefois, qu'il soit possible que le gouvernement anglais n'adopte la politique d'entraver, ni de laisser entraver rimmigration anglaise au Bas-Canada, ni de paralyser ou de laisser paralyser l'emploi profitable des capitaux qui y sont deja investis. Les Anglais detiennent deja la majorite des plus grands biens du pays; ils ont pour eux l'incontestable superiorite de l'intelligence; ils ont la certitude que la colonisation du pays va leur dormer la majorite demographique; ils appartiennent a la race qui detient le gouvernement imperial et qui domine sur le continent americain. Si nous les laissons maintenant en minorite, ils n'abandonneront jamais leur espoir de devenir une majorit6 par la suite; ils ne cesseront jamais de poursuivre le conflit actuel avec toute la fureur avec laquelle il fait rage aujourd'hui. Dans un tel conflit, ils compteront sur la Sympathie de leurs compatriotes d'Angleterre; si elle leur est refusee, ils se sentent tres confiants de pouvoir eveiller celle de leurs voisins de meme origine. Ils sentent que si le gouvernement britannique entend maintenir son autorit6 sur les Canadas, il ne doit compter que sur la seule population anglaise; que s'il delaisse ses possessions coloniales, elles deviendront necessairement une partie de la grande Union qui y lancera rapidement ses essaims de colons qui, par la force du nombre et de l'activite, domineront bientot toute autre race. Les Canadiens francais, d'autre part, ne sont que le residu d'une colonisation ancienne et ils sont et devront toujours etre isoles au milieu d'un monde anglo-saxon. Quoiqu'il puisse arriver que le gouvernement etabli au-dessus d'eux soit britannique ou americain, ils ne peu-vent esperer aucunement pour leur nationalite. Ils ne peu-vent se separer de 1'Empire britannique qu'en attendant que quelque cause generale de mecontentement les en detache, eux et les colonies environnantes, et les laisse partie d'une confederation anglaise, ou encore, s'ils en sont capables, en effectuant seuls une separation pour se fondre ä 1'Union americaine ou maintenir pendant quelques annees un simulacre miserable de faible indepen-dance, qui les exposerait plus que jamais ä l'intrusion de la population environnante. Je suis loin de desirer encourager indistinctement ces pretentions ä la superiorite de la part d'aucune race en particulier. Mais tant que la plus grande partie de chaque region du continent americain ne sera ni defrichee, ni occupee, tant que les Anglais manifesteront une acti-vite si constante et si marquee pour la colonisation, il faut penser qu'il n'y aura pas un coin quelconque de ce conti- 234 LE RAPPORT DURHAM CONCLUSION 235 nent oil cette race ne pénétrera pas et oú elle ne prédomi-nera pas, lorsqu'elle y aura pénétré. Ce n'est qu'une question de temps et de maniěre: il s'agit simplement de decider si le petit nombre de Francais qui habitent pré-sentement le Bas-Canada seront anglicises sous un gour-vernement qui peut les protéger; ou bien si Ton remettra á plus tard le precede, jusqu'a ce qu'un plus grand nombre d'entre eux, par suite de la violence de leurs rivaux, aient á subir l'aneantissement d'une nationalité que sa sur-vivance prolongée aura renforcée et aigrie. ••• Assurer le bien-étre des Canadiens eux-mémes Et cette nationalité canadienne-francaise, en est-elle une que nous devrions chercher á perpétuer pour le seul avantage de ce peuple, méme si nous le pouvions? Je ne connais pas de distinctions nationales qui indiquent et entrainent une infériorité plus irremediable. La langue, les lois et le caractére du continent nord-américain sont anglais. Toute autre race que la race anglaise (j'applique ce mot á tous ceux qui parlent la langue anglaise) y appa-rait dans un état ďinfériorité. Cest pour les tirer de cette infériorité que je veux donner aux Canadiens notre caractére anglais. 1. Au profit de I'elite Je le desire dans 1'intérét des classes instruites que les distinctions de langue et de maniěres tiennent sépa-rées du vaste Empire auquel elles appartiennent. Au mieux, le sort du colon instruit et ambitieux n'offre aujourd'hui que peu d'espoir et peu de champs d'activite; mais le Canadien francais est rejeté encore plus loin dans l'ombre a cause d'une langue et des habitudes etrangeres a celles du gouvernement imperial. Un esprit d'exclusion a ferme les professions les plus elevees aux classes instruites des Canadiens francais, plus peut-etre qu'il n'etait absolument necessaire; mais il est impossible, meme avec la plus grande liberalite, que le gouvernement britannique puisse donner a ceux qui par-lent une langue etrangere une position egale au milieu de la concurrence generate de sa vaste population. 2. Au profit de la classe populaire Je desire encore plus l'assimilation dans l'inte-ret des classes inferieures. Leur aisance rudimentaire et egale se deteriore vite sous la poussee de la population a l'interieur des etroites limites dans lesquelles elles sont renfermees. Si ces gens essaient d'ameliorer leur condition, en s'etendant sur le pays environnant, ils se trouve-ront necessairement de plus en plus meles a une population anglaise; s'ils preferent demeurer sur place, ils devien-dront pour la plupart des manoeuvres a l'emploi des capi-tahstes anglais. De toute facon, il semblerait que la grande masse des Canadiens francais soit condamnee, jusqu'a un certain point, a occuper une position inferieure et a depen-dre des Anglais pour se procurer un emploi. Les maux de la pauvrete et de la dependance ne seraient que decuples par un esprit de jalousie et de rancune nationales qui separeraient la classe ouvriere de celle des possesseurs de la richesse et des employeurs. 3. En tenant compte de leur inferiority materielle, actuelle et ineluctable Je ne m'attarderai pas ici a decrire les effets de la maniere de vivre et de la division de la propriete parmi 236 LE RAPPORT DURHAM les Canadiens francais, pas plus que leurs effets sur le bonheur du peuple. Pour l'instant, j'admettrai que ces cho-ses leur procurent autant de bien-etre que le pretendent leurs admirateurs. Mais bonnes ou mauvaises, le temps n'est plus ou elles peuvent etre mises en pratique. II ne reste pas assez de terres inoccupees dans cette partie du pays ou les Anglais ne sont pas deja eta-blis, pour permettre a la population canadienne-francaise actuelle de posseder assez de fermes pour lui fournir, avec son systeme de culture, le confort qu'elle possede aujourd'hui. Aucune autre population ne s'est accrue davantage, simplement par les naissances, que les Canadiens francais depuis la Conquete. A cette epoque, on eva-luait leur nombre a 60 000. Ce chiffre, on le suppose sept fois plus eleve maintenant. D n'y a pas eu d'augmenta-tion proportionnelle ni dans la mise en culture du sol, ni dans la production des terres deja cultivees. On a en grande partie fait face a l'accroissement de la population par la simple subdivision repetee des proprietes. Dans un rapport d'un comite de l'Assemblee de 1826, que presi-dait M. Andrew Stuart, on dit que, depuis 1784, la population des seigneuries avait quadruple, tandis que la nombre des bestiaux avait double seulement et que la quantite des terres en culture n'avait augmente que d'un tiers. Les plaintes de detresse sont constantes. De tous cotes, on admet la deterioration des conditions de vie d'une grande partie de la population. Un peuple place dans une pareille situation doit changer son mode de vie. Si les Canadiens francais veulent garder la meme sorte d'existence agricole primitive, mais bien pourvue, ils ne le peuvent qu'a la condition de demenager dans les regions ou les Anglais sont etablis; ou bien s'ils s'accro-chent a leur residence actuelle, ils ne peuvent gagner leur CONCLUSION 237 vie qu'en abandonnant leur presente occupation, pour tra-vailler a gages sur des terres ou dans des entreprises com-merciales appartenant a des capitalistes anglais. Mais aucun arrangement politique ne saurait perpetuer leur etat actuel de proprietaries inactifs. Si les Canadiens francais etaient mis a l'abri de 1'affluence de toute autre population, en peu d'annees leur condition serait semblable a celle des pay sans les plus pauvres d'Irlande. 4. En tenant compte de leur inferiorite culturelle, actuelle et ineluctable On ne peut guere concevoir de nationalite plus depourvue de tout ce qui peut vivifier et elever un peuple que celle des descendants des Francais dans le Bas-Canada, du fait qu'ils ont conserve leur langue et leurs coutumes particulieres. C'est un peuple sans histoire et sans litterature. La litterature d'Angleterre est ecrite dans une langue qui n'est pas la leur et la seule litterature que leur langue leur rend familiere est celle d'une nation dont ils ont ete separes par quatre-vingts ans de domination etrangere, et davantage par ces transformations que la Revolution francaise et ses suites ont operees dans tout l'etat politique, moral et social de la France. Toutefois, c'est de cette nation dont les separent l'histoire recente, les moeurs et la mentality que les Canadiens francais dependent completement en ce qui concerne la presque totalite de l'instruction et les joies que procurent les livres. C'est de cette litterature entierement etrangere, qui traite d'evevements, d'idees et de moeurs tout a fait etrangers et inintelligibles pour eux, qu'ils doivent dependre. La plupart de leurs journaux sont ecrits par des natifs de France qui, ou bien sont venus chercher fortune au pays, ou bien y sont attires par les chefs des partis pour sup- 238 LE RAPPORT DURHAM CONCLUSION 239 pleer au manque de talents litteraires disponibles dans la presse politique. De la raeme maniere, leur nationalite joue contre eux pour les priver des joies et de l'influence civilisatrice des arts. Bien qu'issue du peuple qui goüte generalement le plus l'art dramatique et qui l'a cultive avec le plus de succes, et quoiqu'elle habite un continent ou presque chaque ville, grande ou petite, possede un theatre anglais, la population francaise du Bas-Canada, iso-lee de tout peuple qui parle sa langue, ne peut subventionner un theatre national. En verite, je serais etonne si, dans les circons-tances, les plus reflechis des Canadiens francais entrete-naient ä present l'espoir de continuer ä preserver leur nationalite. Quels que soient leurs efforts, il est evident que le processus d'assimilation aux usages anglais est dejä commence. La langue anglaise gagne du terrain comme le fera naturellement la langue des riches et des employeurs. II apparut, par quelques-unes des rares repon-ses que recut le commissaire de 1'Enquete sur 1'Instruction, qu'il y a environ, ä Quebec, dix fois plus d'enfants francais qui apprennent l'anglais que d'enfants anglais qui apprennent le francais. II doit s'ecouler beaucoup de temps, bien entendu, avant que le changement de langue puisse s'etendre ä tout un peuple. La justice et la saine politique l'une comme l'autre demandent que tant que le peuple continuera ä faire usage de la langue francaise, le gouvernement ne prenne pas, pour lui imposer la langue anglaise, des moyens qui, de fait, priveraient la grande masse du peuple de la protection des lois. •••• Assurer ä la population anglaise le contrdle politique du Bas-Canada Mais je repete qu'il faudrait entreprendre imme-diatement de changer le caractere de la province, et pour- suivre cette fin avec vigueur, mais non sans menagement; je reaffirme aussi que le premier objectif de tout plan qui sera adopte pour le gouvernement futur du Bas-Canada doit etre d'en faire une province anglaise et qu'ä cet effet il doit voir ä ce que l'influence dominante ne soit jamais de nouveau placee en d'autres mains que celles d'une population anglaise. En verite, c'est une necessite evidente ä l'heure actuelle. Dans l'etat d'esprit ou se trouve la population canadienne-francaise, etat que j'ai decrit comme etant non seulement maintenant, mais pouvant aussi vraisemblablement durer longtemps, lui confier rentiere autorite de cette province ne serait de fait que faciliter la rebellion. Le Bas-Canada doit etre gouverne maintenant, comme il doit l'etre ä l'avenir, par une population anglaise. Ainsi la politique que les exigences de l'heure nous imposent est conforme ä celle que suggere une perspective du progres eventuel et durable de la province. c. Moyens preconises par Durham La plupart des plans qui ont ete proposes pour le gouvernement futur du Bas-Canada suggerent, soit comme mesure permanente, soit comme mesure tempo-raire et transitoire, que le gouvernement de cette province soit constitue sur une base tout ä fait despotique ou sur une base qui le mettrait entierement entre les mains de la minorite britannique. On propose de placer 1'autorite" legislative entre les mains d'un Gouverneur entoure d'un conseil compose des chefs du parti britannique ou bien d'imaginer encore quelque Systeme de representation per-mettant, tout en maintenant les formes representatives, 240 LE RAPPORT DURHAM CONCLUSION 241 de priver la majorite de toute voix dans la regie de ses propres affaires. • Rejet de tout regime arbitraire ou non dlmocratique pour les raisons suivantes 1. Disapprobation unanime des Americains On ne pourra jamais maintenir longtemps un pareil gouvernement absolu dans une partie quelconque de l'Amerique du Nord, sans eveiller aux Etats-Unis un ressentiment unanime contre un pouvoir dont l'existence serait assuree par des moyens aussi odieux au peuple. [... ] 2. Experience constitutionnelle des Canadiens des deux nations L'influence d'une telle opinion agirait non seu-lement avec beaucoup de force sur toute la population francaise et maintiendrait chez elle la conscience d'une injustice et la volonte de resister au gouvernement, mais provoquerait encore un mecontentement tout aussi pro-fond chez les Anglais. Dans leur etat actuel d'irritation, ces derniers pourraient tolerer quelque temps une solution qui leur permettrait de triompher des Francais, mais j'ai tres mal compris leur caractere s'ils supportaient long-temps un gouvernement dans lequel ils ne possederaient aucune voix directe. [...] 3. Defauts essentiels et caractere inevitablement temporaire d'un tel regime L'experience que nous avons eue d'un gouvernement irresponsable envers le peuple dans ces colonies ne nous donne pas le droit de croire qu'il serait bien admi-nistre. [...] Mais la grande objection ä tout gouvernement de type absolu est qu'il doit etre evidemment d'une nature temporaire. [...] II serait alors depourvu de cette stability qui est une condition essentielle de gouvernement, aux epoques de desordre. II y a tout lieu de croire qu'un gouvernement ouvertement irresponsable serait le plus fai-ble qui puisse etre imagine. [...] 4. Critiques eventuelles de l'opinion publique mondiale Quant ä chacun de ces plans qui proposent de transformer la minorite anglaise en majorite electorale au moyen d'un mode de scrutin bizarre et nouveau ou par des divisions injustes du pays, je ne dirai que ceci: s'il faut priver les Canadiens du gouvernement representa-tif, mieux vaut le faire franchement plutot que de cher-cher ä etablir un regime permanent de gouvernement sur une base que le monde entier regarderait comme une simple fraude electorale. Ce n'est pas en Amerique du Nord qu'on peut tromper les gens sur une fausse apparence de gouvernement representatif ou qu'on peut les persuader qu'ils sont mis en minorite lorsque, de fait, ils perdent leur droit de vote. •• Proposition en faveur d'une mise en minorite' graduelle, comme les Americains sont alors en train de le faire en Louisiane La seule force capable de vaincre le mecontentement actuel et par la suite d'effacer la nationality canadienne-francaise, est celle d'une majorite numerique d'une population anglaise et loyale. Le seul gouvernement stable sera celui qui jouira de plus d'appuis populaires qu'aucun de ceux qui ont existe jusqu'ä ce jour dans les