III. Gaston Compere (1924) 3.1. Biographie Né `a Conjoux en 1924, Gaston Compere aime la province et s'en inspire souvent. Docteur en philologie romane de l'Université de Liege, apres avoir défendu une these sur le théâtre de Maeterlinck[1], il se remet, `a trente ans, `a l'étude de la grammaire et de la stylistique. Il a une étonnante maîtrise des ressources de notre langue, sait avec précision évoquer le mystere. Par ailleurs, il possede une solide formation musicale ; il est lui-meme compositeur. D'ou sans doute cette sensibilité aux rythmes, aux sonorités, aux harmonies des mots et des phrases, tout comme, d'ailleurs, beaucoup d'exigence en matiere de composition, d'architecture. Il a enseigné le français `a l'Athénée d'Ixelles pendant des années, ce qui ne l'a pas empeché de publier une oeuvre abondante. Sa rencontre avec Marcel Thiry lui a permis de connaître André De Rache qui révele le recueil de poésie Géométrie de l'absence (1969) `a un public de lettrés : dans cette œuvre, l’auteur tire chaque texte `a l’aide d’un principe de géométrie qui rejoint l’idée du poeme, mais que les vers transcendent par l’originalité des mots et la force des images. Plus tard, un jeune éditeur parisien, Pierre Belfond, lui accorde sa confiance. Le succes d'une oeuvre telle que Je soussigné Charles le Téméraire, Duc d'Occident, qui a fait l'objet d'une présentation `a l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, montre quelle large audience Gaston Compere a acquise dans la francophonie. Les pieces qu'il a écrites ou adaptées sont jouées sur les scenes les plus importantes de la capitale : Le Rideau de Bruxelles, Le Théâtre du Parc, et Le Théâtre de Poche. L'écrivain pratique tous les genres importants : poésie, roman, nouvelle, essai, théâtre. Il renouvelle sans cesse son écriture tout en gardant un style propre. Sensible aux grands courants littéraires passés et présents, il ne sacrifie pas aux modes. Il est, pour reprendre les termes de Frank Andriat, « un de nos auteurs les plus réputés ». En 1988, Gaston Compere a obtenu, pour l'ensemble de son oeuvre, le Grand Prix international d'expression française décerné par la Fédération internationale des Écrivains de langue française. 3.2. Extrait de Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Monthléry, c’étaient les feuilles. Que les vieux morts sont `a plaindre ! Ils ne cessent de ressasser les memes niaiseries. « Monthléry, ce sont les feuilles. » Si je me résous `a rentrer dans ma vie, j’en reviendrai toujours `a Monthléry. Je reviendrai `a Monthléry pour dix, vingt raisons. Meme ici ou je suis, meme maintenant (mais ces mots n’ont plus aucun sens), je tourne en rond. « Approfondissez ! disait Haneron. Un cercle s’approfondit, Monseigneur ! » Je l’ai écouté. Je n’aurais pas du. Ma destinée fut de descendre dans un entonnoir. J’en sortis dans la nuit. J’en sortis par un coup : un coup atroce, dont je ne puis plus dire grand-chose. Je fus de ceux qui, toute leur vie, l’ont attendu. J’imagine que Jean sans Peur alla au pont de Montereau sans rien deviner de ce qui m’obséda : le coup fatal. Charles le Téméraire : est-il nom plus incongru ? On va, on vient, on n’est rien, ou presque, on passe dans les pierres, dans les arbres, dans les ventres des femmes fécondées, on est nuage, sel broyé, eau vive, améthyste, raclure, harnais, pourriture – rien en fait, de vieux reves effilochés, de la dorure dédorée, la miniature sous le papier de verre, la gouache sous la pluie, le livre moisissant dans la bibliotheque. Tous les reves en vous prennent forme, et les formes sont bizarres et déchirantes. On tombe, on ébranle l’Europe, un homme meurt et ébranle l’Europe, et… Oh ! vanité de tout ! Mais le nom est l`a, le terrible nom, l’inepte nom terrible tellement répété qu’il ne semble pas avoir gardé son sens. Qui m’a trouvé ce nom ? De quelle cervelle obtuse a-t-il surgi avec ses cris de rage et ses gestes de défi ? Les peuples ont une merveilleuse propension `a confondre la casse et le séné. Et que dire des érudits qui se prennent pour des oracles ? Pour moi, j’aurais passé sur la Terre sans que nul ne sache qui j’ai été, sans que j’aie rien fait pour qu’on le sache. Pudeur invincible, invincible orgueil : surtout ne rien dire. Toute souffrance dite s’accroît. Le public s’amuse de la souffrance qui s’avoue[2]. ------------------------------- [1] Editée par la maison d’édition La Renaissance du livre : Compere G., Maurice Maeterlinck (collection Signatures), Tournai, 1998. [2] Compere G., Je soussigné, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne (Espace Nord), Bruxelles, 1989 (1985), pp. 19-20.