Introduction aux francophonies Pour définir la francophonie, nous allons envisager les trois valeurs sémantiques que recouvre ce mot : le sens linguistique, le sens géographique et le sens institutionnel. Naissance du terme francophonie Les sens linguistiques et géographiques du concept de francophonie dérivent tout deux de l’approche proposée par Onésime Reclus (1837-1916). Ce dernier, qui eut l’idée de classer les habitants de la planete en fonction de la langue qu’ils parlaient, créa le terme de « francophonie » pour désigner l’ensemble des populations parlant le français et donc, d’un point de vue géographique, l’ensemble des territoires om l’on parle le français[1]. Ces deux acceptions constituent encore aujourd’hui le premier sens du mot francophonie. Ainsi, il est courant de définir aujourd’hui la francophonie comme « le fait de parler le français » et, par extension, comme « l’ensemble des hommes et des peuples qui parlent le français ou parlant français, comme langue maternelle, comme deuxieme langue courante, comme langue officielle ou comme langue de communication internationale, éventuellement comme langue de culture ou de communication »[2]. On estime aujourd’hui `a plus ou moins 123 millions le nombre de francophones ; c’est sans compter les 72 millions de francophones partiels[3] . Cette définition insiste sur la diversité des statuts du français `a travers l’espace francophone, ce qui contribue `a relativiser le mythe d’une homogénéité au sein du monde francophone. Comme le souligne Didier De Robillard, « l’espace francophone ne peut etre conçu comme unique et homogene, on ne peut que le penser comme constitué de variétés d’amplitudes variables »[4]. Diversité linguistique au sein du monde francophone Au-del`a de la variété des statuts du français dans les différents espaces ou il est parlé, c’est la diversité linguistique de la langue française meme, au sein du monde francophone, qu’il convient de souligner. Ainsi, pour reprendre la définition du mot francophonie, dans son sens liguistique, affirmer que le concept désigne « l’ensemble des personne parlant le français » constitue déj`a un mythe. Il est aisé de comprendre que le français parlé au Québec est différent de celui que parlent les francophones de Dakar, de Bruxelles, de Tahiti, et ce, en raison de multiples facteurs : époque d’implantation du français, mode d’implantation, contacts avec les langues locales, relations avec la France au cours de l’Histoire, évolution du statut du français dans les divers espaces francophones… Si la diversité des français parlés en dehors des frontieres géographiques de l’Hexagone semble souvent évidente, le mythe d’un français de France, conçu comme « unique » et « invariable » dans une République « une et indivisible », est, quant `a lui, bien ancré dans les esprits. Mais nous en reparlerons plus tard. Les recherches menées par les linguistes, depuis plus de trente, tant en France que hors de la France, sur les variétés régionales du français accréditent donc, comme le souligne Pierre Dumont, « l’idée que le français est une langue multiple » et ont balayé « la vieille idée reçue selon laquelle ces particularismes ne seraient que du folklore »[5]. Le critere géographique Apres s’etre attardé sur l’acception linguistique du mot francophonie, abordons `a présent le sens géographique du concept que nous tentons d’approcher. Le critere géographique est fondamental dans la conception du cours. En effet nous avons choisi d’aborder le monde francophone ne le divisant en une série de « zones » géographiques. Nous décrirons, pour chacune des « zones » abordées, les grandes lignes de l’histoire francophone de l’espace considéré. Des exercices linguistiques completeront cette partie plus « théorique ». Enfin, nous lirons un texte d’un auteur francophone de cet espace, ce qui nous permettra de travailler le commentaire composé. Il nous emble important de souligner des maintenant la répartition du monde francophone en deux grands ensembles distincts : d’une part, les pays ou régions dans lesquels le français est la langue d’origine (outre la France, il s’agit essentiellement de la Belgique et de la Suisse romande), d’autre part les pays qui ont été amenés `a adopter le français pour des raisons historiques, géographiques ou simplement culturelles (il s’agit essentiellement des pays dans lesquels le français fut répandu par le biais des colonisations belge et française). Les Institutions francophones Évoquons brievement, `a présent, le troisieme sens du concept qui nous occupe, `a savoir le sens institutionnel. Comme l’explique Xavier Deniau dans son Que sais-je ? sur la francophonie, « l’appartenance linguistique et géographique `a un meme ensemble provoque chez les individus un sentiment de participation qui se traduit dans la réalité par la naissance d’associations et d’organisations publiques et privées »[6]. Ainsi la francophonie est devenue visible institutionnellement `a travers une série d’organismes qui jouent aujourd’hui un rôle fondamental dans l’affirmation du fait francophone au-del`a des frontieres e l’Hexagone. Nous nous contenterons d’en citer quelques-uns. Apres la Seconde Guerre mondiale, la vitalité de la francophonie se manifeste `a travers les nombreuses associations qui se forment. Des 1960, on crée la CONFEMEN, Conférence des ministres de l’Éducation nationale : c’est l’institution intergouvernementale francophone la plus ancienne. Une Association internationale pour la culture française `a l’étranger est créée la meme année. A partir de 1962, celle-ci publie une revue intitulée Culture française. En 1961, l’AUPELF, Associations des universités partiellement ou entierement de langue française, est fondée `a l’université de Montréal. Des hommes d’État africains se sont battus pour que naisse une communauté francophone. Le premier `a s’engager dans la lutte fut Léopold Sédar Senghor. Poete, écrivain mais aussi homme politique, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) fut un ardent défenseur de la cause francophone. Élu premier président de la République lors de l’indépendance du Sénégal en 1960, il utilise son influence alors grandissante sur le général De Gaulle pour que naisse un organisme francophone. En 1962, il propose de construire un Commonwealth[7] `a la française ; il est guidé par deux impératifs : maintenir l’unité africaine tout en préservant des liens privilégiés avec la France. En juillet 1966, pendant la conférence des chefs d’État de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM), `a Tananarive (Madagascar), il présente son projet de communauté francophone. A l’issue de la conférence, il est mandaté, avec le président nigérien Hamani Diori, pour engager des démarches aupres de quatre pays africains afin de développer une coopération culturelle et économique. En 1980, il quitte volontairement le pouvoir sans cesser de militer pour la francophonie. Née en 1970 et devenue en 1995 l’Agence de la francophonie, l’Agence de coopération culturelle et technique se nomme aujourd’hui Organisation Internationale de la Francophonie. Elle associe aujourd’hui cinquante-trois États et gouvernements et dix membres observateurs. Elle est dirigée par des instances politiques et integre des représentants de la société civile. Le sommet, instance politique supreme de la francophonie, réunit tous les deux ans la Conférence des chefs d’État ayant le français en partage. Temps fort de concertations et de décisions, son rôle est de dégager des orientations et de définir de priorités comme le dialogue Nord-Sud visant `a promouvoir la solidarité et une meilleure connaissance mutuelle, la modernisation et la mondialisation par l’inscription de la francophonie dans l’évolution technologique contemporaine ou encore le développement de la démocratie dans le respect des Droits de l’Homme. Il statue sur l’admission de nouveaux membres, et élit le secrétaire général. C’est en 1986 `a Paris qu’eut lieu le premier sommet. Depuis, les sommets sont organisés périodiquement dans différentes villes francophones : le dernier sommet `a s’etre tenu (le onzieme) a eu lieu `a Bucarest en Roumanie en 2006. Le processus progressif de constitution d’institutions francophones aboutit, depuis 1997, `a la nomination d’un Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, chargé désormais de faire entendre la « voix francophone » sur la scene internationale, ce qui confere une permanence politique `a la francophonie. Abdou Diouf est le secrétaire général actuel. Enfin, une série d’opérateurs, qui ne peuvent tous etre passés en revue ici, sont chargés de transformer les politiques décidées au plus haut niveau en actions concretes. Il s’agit, entre autres, de l’Agence universitaire de la Francophonie (elle développe des projets dans les domaines scientifique et de la recherche), l’association internationale des maires francophones (au service de la coopération décentralisée, elle soutient la mise en œuvre de la politique d’aménagement urbain et promeut une bonne gouvernance municipale), TV5Monde[8] elle diffuse ses programmes aupres de 165 millions de foyers), l’université Senghor (basée `a Alexandrie ; chargée du perfectionnement des cadres francophones), l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (organe consultatif fédérant 65 parlements, elle participe `a la mise en place et au renforcement des institutions démocratiques et mene des actions de coopération interparlementaire, notamment en direction des parlements du Sud) Parmi la cinquantaine de pays qui font partie de l’Agence de la francophonie, il convient de distinguer des sous-ensembles. En effet, tous les pays de l’Agence ne sont pas francophones de la meme façon ni pour les memes raisons. Comme nous l’avons déj`a souligné, le français connaît des statuts variés au sein de l’espace francophone. Ainsi les Sommets rassemblent non seulement les pays ou le français est langue maternelle, langue officielle ou langue d’usage, mais aussi des ays ou le français, sans avoir le statut de langue officielle, est une des langue internationales privilégiées ou enfin des pays ou le français est encore largement enseigné et survit comme langue de culture. Nous nous limiterons, `a quelques exceptions pres, aux pays francophones au sens « fort », `a savoir ceux ou le français jouit du statut de langue officielle. Pluralité culturelle des francophonies Dans son Que sais-je ? sur la francophonie, Xavier Deniau propose une quatrieme acception du terme « francophonie » qu’il nous semble important d’évoquer et de commenter brievement. Il s’agit du sens spirituel et mystique qui traduirait « le sentiment d’appartenir `a une meme communauté » et, par l`a, « l’ensemble des liens privilégiés unissant des peuples de meme langue, mais également les valeurs transmises par la langue, la culture et la civilisation de ces peuples »[9]. Les criteres de cette définition ne sont plus d’ordre linguistique ou géographique mais plutôt d’ordre philosophique : « grands idéaux de la France de 1789, aspirations de l’humanité ayant pour noms ‘liberté, concertation, entraide…’ »[10]. Cependant, comme le souligne Pierre Dumont, « non sur des valeurs purement linguistiques mais sur des valeurs morales et plus généralement idéologiques »[11]. Mais tout comme l’unicité de la langue française n’est qu’un leurre, l’hypothese d’une culture commune aux différents peuples s’exprimant en français ne peut se justifier comme le fruit de l’idéalisation d’un certain français et de son association permanente `a l’idée d’une « culture modele », en réalité purement illusoire. Nous allons privilégier une approche de la culture francophone qui en souligne la complexité et la pluralité. Cette diversité culturelle va de pair avec le caractere multilingue de l’espace francophone, que nous avons souligné plus haut. Ainsi nous rejoignons tout `a fait la pensée de Pierre Dumont lorsqu’il affirme : « le français peut etre l’expression de cultures autres que françaises : c’est un signe de vitalité, pas un facteur de désintégration comme on l’entend dire trop souvent »[12]. ------------------------------- [1] A l’époque, cette définition se référait essentiellement `a la France et `a ses colonies. Depuis l’acception géographique du terme s’est élargie et affinée. [2] Cfr Dumont J.-P., L’interculturel dans l’espace francophone, Paris, 2001, p. 14. ^[3] On définit comme suit un « francophone partiel » : personne ayant une compétence limitée réduite en français, lui permettant de faire face `a un nombre limité de situations. Si on élargit le cercle `a des pays ou `a des régions qui ne sont pas membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), comme l’Algérie (plusieurs millions), Israël (environ 600 000), l’Italie avec le Val d’Aoste (plusieurs dizaines de milliers) et au continent américain hors Francophonie, le nombre de francophones pourrait dépasser les 130 millions et atteindre 200 millions si on y ajoute les francophones partiels. ^[4] Cfr Cerquiglini B., Corbeil J.-C., Klinkenberg J.-M., Peeters B., Tu parles!? Le français dans tous ses états, Paris, 2000, p.89. [5] Cfr Dumont J.-P., L’interculturel dans l’espace francophone, Paris, 2001, p. 28. [6] Cfr Cfr Deniau X., La Francophonie (Que sais-je ? 2111) , Paris, 2001^6, p. 18. [7] Ce terme désigne une association politique. [8] www.tv5.org [9] Cfr Deniau X., La Francophonie (Que sais-je ? 2111) , Paris, 2001^6, p. 18. [10] Idem, p. 19. [11] Cfr Dumont J.-P., L’interculturel dans l’espace francophone, Paris, 2001, p. 22. [12] Idem, p. 39.