ĽAPPOSmON : UNE FONCTION Ä RÉESTIMER MarcWILMET Universitě de Bruxelles (U.L.B.) Comme son correspondant grec épithéte, le terme apposition est issu de ľan-cienne rhétorique, oú il désignait une «figure de construction par exuberance» (Fontanier). La grammaire scolaire du XIXe siecle ľaffecte ä une fonction syntaxique, identifiée apres les fonctions sujet, complement ď objet, complement circonstanciel, et avant ľattribut. La demarche mérite d'etre retracée. - Premiére fonction dans ľ ordre hiérarchique : le sujet, nécessaire ä ľ accord du verbe. II suffit de poser les questions «qui est-ce qui... ? pour les personnes et qu'est-ce qui... ? pour les choses» (le «truc» se trouve encore chez Grevisse 1980", §275). - Deuxiěme fonction, indispensable, eile, ä ľ accord du «participe passé conju-gué avéc avoir» : le complement direct, i.e. non prépositionnel, délimitant par soustraction une troisiěme fonction : le complement indirect, prépositionnel. Or certains complements directs sont négligeables. Le boulanger a pétri LA NUIT aura beau projeter en téte de phrase le nom nuit, ce feminin ne déclenchera jamais la variation du participe pétri. On pourrait évidemment -on ne s'en est pas přivé - «sous-entendre» la preposition afin de rétablir un complement indirect: pendant la nuit. Mieux vaut utiliser une méthode qui a fait ses preuves : sur la lancée des questions qui est-ce qui... ? et qu'est-ce qui... ? localisant le sujet, qui (est-ce que) ? et (qu'est-ce) que ? ou quoi ? détecteront les complements directs intéressants. Ainsi, Le boulanger pétrit LA NUIT ne répond ni ä «(Qu 'est-ce) que pétrit le boulanger ?» ni ä «Le boulanger pétrit quoi ?» mais ä «Quand le boulanger pétrit-il ?». - Autour de quand ?, plusieurs mots interrogatifs jouent des coudes : ou ?, pourquoi ?, comment ? lis conduisent ä cerner une quatriěme fonction : le complement circonstanciel, de temps, de lieu, de cause et de maniere. Son installation provoque la refonte ď une fraction des complements directs et des complements indirects en complements directs ou indirects ď objet, vite réétiquetés complements ď objet direct, complements d'objet indirect, et accédant sous cette forme ä la gloire du sigle : C.O.D., C.O.I. Désormais, les praticiens n'auront de cesse ď allonger la liste des complements circonstanciels : de prix, de poids et de mesure (question combien ?), d'accompagnement et d'instrument (questions avec qui ? ou avec quoi ?), et, 413 LES FORMES DU SENS le stock ďinterrogatifs épuisé, circonstanciels de moyen, de propos, de résultat, de condition, de consequence, d'opposition, de comparaison, d'ad-dition... Au bord du Rubicon, un complement ď attribution (par exemple, Pierre off re un livre A MARIE) et un complement ď agent (par exemple, Le livre a été offert PAR PIERRE) hésitent entre ľ objet et la circonstance. - Sur ces entrefaites, le sujet, qu'on croyait case, se rappelle ä ľattention. Passe encore qu'il abdique ses prerogatives régaliennes dans, par exemple, Ilpleut DES HALLEBARDES (= «Des haUebardes pleuvent»), le détrônement provi-soire du sujet reel en faveur d'un sujet apparent y pourvoira. Plus déconcertant, le singulier ä, par exemple, «Femmes, moine, vieillards, tout était áescenáu» (La Fontaine). Qui est-ce qui descend ?Des femmes, un moine, des vieillards : assez de voyageurs pour justifier le pluriel. Une cinquiěme fonction pointera les noms «suppressibles» femmes, moine, vieillards vis-ä-vis de ľ«insuppressible» tout: Vapposition, flanquée d'une sixiěme fonction : Vapostrophe. Cest dans [le type d'exemples Maire de mon village, fy passe trois jours par semaine ou Enfant, ileutdegrandesdijficultésfamiliales] que, lorsquele verbe est ä la 2e personne, particuliěrement ä ľimpératif, la construction se confond avec celle de l'apostrophe (Arrive, Gadet et Galmiche 1986, s.v. apposition). - Ce périlleux échafaudage demeure sous la menace d'un cataclysme, car les complements du verbe étre subissent aussi vaillamment que les complements d'objct direct ľépreuve de qui est-ce que ?, qu'est-ce que ?,quoi ľetmaígré cela ne commandent pas ľ accord du participe passé (par exemple, Marie a été boulangěre. Qu'est-ce qu'a été Marie ? Boulangěre, mais, nonobstant ľantéposition du complement, La boulangěre qu'a ÉTÉMarie). Bon, on en fera des attributs, quitte ä user d'une entourloupette : «Le verbe étre n'ay an t pas de complement direct, on appelle attribut le mot qui parait en étre le complement direct» (Saint-Germain, Principes élémentaires de gram-maire et ď analyse grammaticale, 1862; cite par Chervel 1977, p. 193). Tous les pions du drame sont en place. De «ľapposition est un nom suppressible», ľécole va déduire abusivement qu'un nom suppressible est une apposition, puisqu'un adjectif suppressible n'en est pas une. De lä une surestimation et une sous-estimation constantes de la fonction. Ľapposition surestimée Prenons xmfauteuil VOLTAIRE et le roi LOUIS. Voltaire et Louis peuvent étre omis. Une premiére definition, large, de ľapposition les enrôle sur la base d'une simple relation de contiguite des noms propres et des noms communs. En un deuxiěme temps, une condition de coréférentialité s'ajoute, qui élimine Voltaire 414 ■> Ľ apposition : une function ä réestimer mais retient Loww (Voltaire «n'est pas» un fauteuil, tandis que Louis «est» bien le roi). Ľ etiquette «apposition» concerne (...) normalement un nom qui complete un autre nom mais le precise tout en désignant la merne chose (ils ont la merne reference). Par exemple, dans : Nos amies les betes, les betes est en apposition ä nos amies. Merne chose pour La region du Nord estprospěre (la region dont je parle est le Nord, le Nord est la region dont je parle). Le nom en apposition se distingue ainsi du nom complement, qui n'a pas la méme reference que le nom auquel il se rapporte; ainsi, dans : Une creme caramel, creme et caramel ne désignent pas la méme chose (la creme en question n'est pas du caramel et vice versa) : caramel est done complement du nom creme. De méme dans : Le pays dufromage, pays etfromage ne désignent pas la méme chose (le pays n'est pas le fromage et vice versa);fromage sera dit complement du nom pays (Leeman-Bouix 1993, p. 31-32). Le modele latin urbs Roma (avec nominatif Roma et non génitif Romae) conforte le raisonnement. Du coup, on annexe les constructions prépositionnelles la ville de Rome, la ville de Paris..., on y postule un de «vide» ou «incolore», et l'on dispute ä qui mieux mieux de l'apposition et de ľapposé selon que ville ou Paris sont les «mots importants» du syntagme ville de Paris. Comment calibrer cependant leur «importance» respective quand on s'avise que le premier nom est effacable salva verdate (par exemple, La ville de PARIS me plait => PARIS me plait) tout en régissant ľ accord (par exemple, La VILLE de Paris est BELLE vs Paris est BE A IT) ? Autant prôner un tirage ä pile ou face. Le Code beige de 1949 s'y résolvait allěgrement. Lorsqu'il s'agit ďun titre juxtapose ä un nom, comme dans les exemples suivants :CapitaineRenard; Monsieur Dubois, ď estle titre qui est l'apposition. Mais lorsque deux noms sont unis par la preposition de et désignent une méme ' entite, comme dans : La ville de Liege, oü est le terme principal determine par l'autre ? On peut soutenir que e'est ville, dont l'extension est la plus large, ou que e'est Liege, qui apparait comme le mot essentiel. Cherche-t-on un eritěre ■! ;i dans la place respective des termes ? On peut dire que l'apposition suit normalement le mot qu'elle complete. Mais on objectera qu'elle peut aussi le précéder. Devantces fluctuations legitimes, mais qui, nous dit-on, déconcertent les élěves, la Commission, invitee ä établir une regle fixe, a cru devoir adopter la convention suivante : c' est le second mot, introduit par la preposition vide, qui sera considéré comme une apposition {Code de terminologiegrammaticale, Bruxelles, 1949, p. 9-10). Tesniere avait dénoncé ces heresies : «[Dans les deux exemples la ville de Rome, la ville de Paris], de Rome ou de Paris n'est pas une apposition comme on l'enseigne couramment, mais bien une épithěte» (1959, p. 165, § 15). Épithěte ay ant cä et lä servi indůment de doublet ä adjectif (la nomenclature officielle conserve une trace de ce dérapage en appelant «épithěte» ľ adjectif de, par exemple, le chateau MATERNEL, et «complement déterminatif» le nom transfere de, par exemple, un fauteuil VOLTAIRE), nous préférons parier de 415 LES FORMES DU SENS fonction determinative. Ľ opposition pertinente devient celie de la determination (avec ses trois volets 1° de quantification, 2° de caractérisation, 3° de quantifica-tion-caractérisation : cf. Wilmet 1986) et de la predication, dont relěvent aussi bien ľ apposition que 1'attribut. Seront éJiminées en consequence les «appositions intégrées» de Rioul (1983), notammení : (1) Le roiLouis... Louis est caractérisant direct du noyau nominal roi. II circonscrit 1'extension de ľ ensemble des rois ä un sous-ensemble de rois Louis sur lequel ľ article le prélěve un element épuisant le solde. Cela n'empéche pas qu' il y ait plus de Louis que de rois, comme les femmes restent factuellement en nombre supérieur aux médecins malgré un médecin femme (sous-ensemble de ľensemble des méde-cins, vs une femme médecin, sous-ensemble de ľensemble des femmes). (2) La ville de Paris... De Paris, caractérisant indirect du noyau nominal ville, rétrécit ľ extension de ľensemble des villes au sous-ensemble (pas nécessairement singleton : voyez Paris-Texas, etc.) des villes de Paris. La preposition de revét ici une acception égalisante = «Paris est une ville» parmi ses nombreux sens attestés : possession (par exemple, la maison de Marie), méronomie (par exemple, les mains de femme), lieu (par exemple, ľ air de la Campagne), source (par exemple, la descendance de Priam), temps (par exemple, lafiěvre du samedi soir), agent ou patient (par exemple, la critique de Guillaume = «celle que distille ou qu'essuie Guillaume»), etc. (3) Louis le Grand, Napoleon le Petit, etc. Les adjectifs grand, petit ont été pronominalisés par effacement des noms Louis, Napoleon, et retransférés en adjectifs des noyaux Louis, Napoleon. La quantification zero du syntagme nominal annonce un nom propre unifié, assimilable ä la sequence prénom + nom de famille (ou numero dynastique : Louis XIV...). En bref, Louis le Grand = «le x qui s' appelle Louis le Grand» vs le grand Louis = «le x grand qui s'appelle Louis». Idem des argotiques Max le Flambeur, Pépé le Moko, Denis-la-Menace, Dupont la Joie, Toto le héros, Mado P'tits-pieds (Queneau)..., retrouvant le precede de Perceval le Gallois, Jeanne la Pucelle, Louis le Hutin, Sinbad le Marin... et des agglutinés Jean Lefévre, Pierre Leběgue... (4) Nos amies les bétes, mon pote le Gitan, etc. Ľadjectif nominalisé (non plus pronominalisé) et retransféré en adjectif formate le sous-ensemble aux dimensions exactes que lui confere le quantifiant-caractérisant nos ou mon : «les bétes dans leur totalite sont nos amies», «le Gitan est mon pote». Comparer, par exemple, nos ancétres les Gaulois - «les Gaulois sont nos ancétres» ä «J'ai de mes ancétres gaulois l'ceil bleu blane, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte» (Rimbaud) = "les Gaulois sont parmi mes ancétres". 416 Ľ apposition : une function ä réestimer (5) Cefripon de valet, un amour ď enfant (= «un enfant adorable», ž «un amour juvenile»), etc. La tournure, on le sait, a fait couler des flots d'encre et de commentaires (voir ä date récente Gaatone 1988). Elle procěde selon nous des quantifiants-caractérisants analytiques determinant les noms valet ou enfant: CEFRIPONDE valet = «ce valet (qui est un) fripon», UN AMOUR ď enfant = «un enfant (qui est un) amour»... A rapprocher des «enclosures» Pierre est UNE ESPĚCE DE Martien = «un Martien (quantifiant) + qui n'en est pas tout ä fait un (caractéri-sant)». Et l'on appréciera dans cette lumiěre la tendance - injustement flétrie des puristes - de ľintroducteur espéce ä troquer son genre contre celui du noyau : un espěce dTDIOTvs une espěce ď IDIOTE... (6) Un triangle d'oies sauvages, la troupe des travailleurs, etc. Seul benefice de ľ interpretation appositive de triangle et troupe, la trěs insolite regie ď accord du verbe «avec le complement» dans, par exemple, Un triangle d'oies sauvages PASSERONT lentement vers le nor d tombe aux oubliettes. C'est eher payé. En realite, deux analyses sont presque toujours possibles : 1 ° triangle ou troupe sont les noy aux du syntagme nominal et ont pour caracterisants prépositionnels d'oies sauvages ou des travailleurs; 2° oies ou travailleurs, noyaux, ont pour quantifiants un triangle de ou la troupe des. Le travail du linguiste consistera précisément ä décrire les facteurs qui favorisent le premier ou le second découpage (personnalité du determinant du nom 1 ou du nom 2, eventuelle caractérisation du nom 1 ou du nom 2, precedes divers de souligne-ment du nom 1 ou du nom 2, appetence sémantique du nom 1 ou du nom 2 avec le verbe, etc.). Ľapposition sous-estimée Personne ne discute les appositions FEMMES, MOINE, VIEILLARDS, tout était descendu ou Louis XIV, ROI DE FRANCE. Trois criteres ä tester done : 1° le statut nominal, 2° le caractěre suppressible, 3° le détachement ou, si l'on veut, l'asyndete (Dessaintes 1966). Premier entere : le statut nominal L'adjectif n'était jamais partie prenante aux fonetions sujet, complement ďobjet ou complement circonstanciel. Ľ attribut l'investit en revanche du méme role que le nom : Pierre est HABILE comme Pierre est BOULANGER. Encore fallait-il signaler contrastivement les adjectifs non attributs (de, par exemple, Pierre, I'HABILE homme...), qui se voient décerner la mention ďépithětes. 417 LES FORMES DU SENS Pour fermer en carré le triangle adjectifattributladjectifépithěte vs substantif (nom) attribut, on attendait un substantif ou un nom épithěte. Espérance décue. Les manuels partagent cette fonction entre les pseudo-appositions : le roiLOUIS, la ville de PARIS, Louis LE GRAND, nos amies les BÉTES...; les «substantifs employes adjectivement» : une robeMAUVE, la couleurMARRON...; les «noms composes» : chou-FLEUR, garde-BARRIĚRE... Le mot épithěte lui-méme retourne aux traités de rhétorique habillé en épithěte de nature (par exemple, Hugo : «LaPÄL£mortmélaitlesSOMBi?£Sbataillons»). Ilancreľidéeďune... nature ď épithěte. Un petit pas de plus et une épithěte détachée vient usurper la place des authentiques appositions adjectivales : par exemple, SURPRISE, la fillette laissa choir son bouquet ou «Un pauvre búcheron, tout couvert de raméej Sous lefaix du fagot aussi bien que des ans/Gémissant et courbé, marchait ä pas pesants...» (La Fontaine). Quid des noms juxtaposes aux adjectifs (par exemple, Rimbaud : «Un soldát jeune, bouche ouverte, téte nueJEt la nuque baignant dans le frais cresson bleu,/ Dort...») ou commutables avec des adjectifs (par exemple, DANS S A SURPRISE, la fillette laissa choir son bouquet) ? lis prennent la tangente du «complement circonstanciel de maniere», fonction de repli envahissant par un curieux retour des choses jusqu'aux adjectifs de «Dors-tu content, Voltaire ?»(Musset) ou Pour vivre HEUREUX, vivons CACHES. Et tant pis si d'aventure le circonstanciel de maniere ressemble furieusement ä un circonstanciel de temps ! On préfěre [...] parier ď«adjectif ä valeur de complement circonstanciel de maniere» dans des cas comme : U a connu la gloire adolescent = «il a acquis la gloire lorsqu'il était adolescent» (Arrive, Gadet et Gamiche 1986, s.v. attribut). II serait bien súr moins coüteux de renoncer au préjugé et d'accueillir parmi les appositions, non seulement les adjectifs (avec leur cortege de participes presents et passes), mais les verbes, syntagmes verbaux et sous-phrases (dont les relatives dites «explicatives» ou «appositives», justement: Dieu, QUI EST INVISIBLE, a cŕéé le monde visible, etc.). Deuxiěme critěre : la suppressibilité La phrase suivante ébranle les convictions : «Onze heures déjä ! et ma tante lady Eleanor Braybrooke gw/ n 'arrive pas.» Grevisse, qui lacite (1980", § 2610), ne peut s' en tirer qu' en inventant une catégorie ad hoc de relatives «indépendantes», abstraction faite du pronom relatif (sic). ; ■ . v ■ Dans certaines phrases, et surtout dans les phrases exclamatives de valeur affective, se rencontrent des propositions relatives sans aucun sens nettement caractérisé (...). On peut, en faisant abstraction du pronom relatif, considérer ces propositions comme indépendantes... 418 Ľ apposition : une function ä réestimer Pourquoi pas des appositions insuppressibles ? II y en aurait ď autres : On voit bien Charles PRESIDENT (^ on voit bien Charles). Marie ľa rendu EURIEUX (^ Marie ľa rendu). Le chat PARTI, les souris dansent (ť£ le chat, les souris dansent). Sa niéce ARRIVANT, c'était lefeu dans la maison (V sa niéce, c'était lefeu dans la maison)... Mais tous ces candidats supposent contourné le préalablc de ľasyndčte. Troisieme critere : le détachement Ľenrôlement abusif des roi Louis, ville de Paris, etc. ne doit pas faire perdre de vue qu'il existe de vraies «appositions intégrées», c'est-ä-dire non détachées (ce qui ne signifie pas, attention, que la melodie ne joue aucun role). J'en mention-nerais ďemblée trois : (1) Pierre boit son café CHA UD se pronominalise par Pierre le boit chaud plutôt que par Pierre le boit. D'autres tests plaident en faveur de ľ apposition : la relativisation (par exemple, Le café que Pierre boit chaud... de preference ä Le café chaud que Pierre boit...), la focalisation (par exemple, Son café, Pierre le boit chaud ou C est chaud que Pierre boit son café), ľ interrogation en comment (par exemple, - Comment Pierre boit-il son café ? — Chaud). (2) Ľ absence de quantifiant devant un nom propre atteste aussi la valeur predicative de ľ adjectif qui l'escorte. Par exemple, «Néron naissantl A toutes les vertus ď Auguste vieülissant» (Racine) = non pas "un avatar chronologi-que de Néron" (determination) mais "Néron (qui est) ä ľaube de son rěgne" (predication). (3) Si Pierre dort CONTENTconůent une apposition, il est exclu d'y reconnaitre une «apposition détachée». La portée de la negation montre en effet que le verbe unit au lieu de couper : Pierre ne dort pas content = «dort mécontent» vs Content, Pierre ne dort pas ou Pierre, content, ne dort pas = «la joie le rend insomniaque». A ľarrivée, aucune des trois exigences d'une apposition 1° nominale, 2° suppressible, 3° détachée ne s'étant révélée opératoire, la question d'une definition proprement linguistique se repose. - * ■''-": Nous sommes obliges de remonter un peu haut. N'importe quelle phrase P est constituée d'une énonciation (i.e. ľ expressivité de Guillaume 1919, les voix de Bakhtine 1929, le modus de Bally 1932, les embrayeurs de Jespersen 1924, de Jakobson 1963,deBenveniste 1966...)etd'un 419 LES FORMES DU SENS énoncé (i.e. V expression de Guillaume, le dictum de Bally, le propos de Bonnard 1981, le message de Goosse 1986'2, etc.). Soit: P = Énonciation + Énoncé Tout énoncé comporte en principe un support ou theme et un apport ou rhěme. De ľun ä ľ autre s'instaure un rapport de predication. A côté de la predication premiere, constitutive de ľénoncé, la predication seconde, facultative, surajoutée ä ľénoncé, greffée sur un terme quelconque de la predication premiére, confere ä son theme la fonction ď appose, ä son rhěme celie ď apposition. Une typologie complete des appositions n'aura plus qu'ä en préciser la nature (nom, pronom, verbe, sous-phrase), la fonction de ľ appose (sujet, objet premier, objet second, circonstanciel, attribut, apposition) et le mode ď attache de ľ apposition ä ľ appose : liaison directe (marquee ou non par une pause) ou liaison indirecte (prépositionnelle, pronominale, conjonctionnelle). On notera que ľ apposition ainsi concue integre ľ «attribut du complement ďobjet» des grammaires. Considérer, par exemple : (1) II s 'appelle SOCRATE ou J'appelle un chat UN CHAT: appositions nominales aux objets premiers se (coréférentiel du sujet) ou un chat, predications secondes directes sans pause. ~ (2) «Des bateaux, j'en ai pris beaucoup» (Brassens) : apposition nominale au pronom en (résidu de la pronominalisation d'un objet premier ä determinant «indéfini»), predication seconde directe avec pause. (3) Marie aime Pierre COMME UN FRĚREIle prend POUR UN FOUIle traite DE NIGAUD... : appositions nominales ä un objet premier, predications indirectes prépositionnelles. La méme description procure dans Pierre achěte aufleuriste desfleurs POUR MARIE, voire Pierre offre/confisque un livre A MARIE une interessante solution de rechange au «complement d'attribution-privation» de la grammaire scolaire. (4) Pierre a dix cravates DE ROUGES : apposition adjectivale ä ľ objet premier nominal, predication seconde indirecte prépositionnelle. (5)Marie a trouvé quelque chose DE BEAU : apposition adjectivale ä un objet premier pronominal, predication seconde indirecte prépositionnelle. (6)J'entends un hébé PLEURER ou J 'ai rencontre Pierre SORTANTdu cinema : appositions verbales (infinitif, participe) ä l'objet premier, predications secondes directes sans pause. (l)J'entends un bébé QUI PLEURE : apposition sous-phrastique ä bébé, predication seconde indirecte pronominale. (8) Je reconnais Pierre QU AND ILA BU : apposition sous-phrastique ä l'objet premier Pierre, predication seconde indirecte conjonctionnelle. Etc. 420 Ľ apposition : une fonction ä réestimer Ľ apposition réévaluée ne devra pas non plus étre surévaluée. Nous refusons ainsi ď annexer ľ «apostrophe» de, par exemple, Vieille canaille ! = «toi qui es (une) vieille canaille» ou «Paraissez, Navarrais, Maures et Castillans...» (Corneille) = "vous qui etes Navarrais...", «O Waterloo ! je pleure et je m'arréte, hélas !» (Hugo), «Allons done, de la place !/ Vieux fantóme éventé, la M ort, change de face :/La mer !...» (Tristan Corbiěre)..., autant de predications premieres incompletes - amputees du thěme -, ä situer sur le méme plan que les affichages Maison ä louer ou Pommes - «ceci est une maison ä louer/un assortiment de pommes ä vendre»). * En terminant, j'aimerais soumettre ä ľ eminent linguiste et ä ľ ami de longue date ä qui ces lignes sont dédiées une phrase ambigiie (dont nul n'hésitera en tout etat de cause ä lui appliquer la causale dans tous les mondes possibles - et le signataire la consecutive dans son univers de croyance personnel) : «Parce que vous étes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !»(Beaumarchais). Deux traductions : 1° "vous croyez étre un génie", 2° "vous croyez avoir du génie". Lune ferait, si l'on nous suit, du second vous un objet premier et de un grand génie une apposition ä ľ objet premier; ľ autre, de un grand génie ľ objet premier et du second vous ľ apposition. Y aurait-il une analyse alternative ? 421