FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 IV) LE ROMAN AVANT 1914 - L'ere des metamorphoses ; Evolution generale du genre IV) LE ROMAN AVANT 1914 - L'ERE DES METAMORPHOSES ; EVOLUTION GENERALE DU GENRE.... 1 IVB. LE REGNE DES MAITRES OFFICIELS...............................................................................................................1 IV.B.l. Le roman de consommation.............................................................................................................................1 IV.B.2. La varieté des etiquettes..................................................................................................................................1 LV.B.3. Permanence des structures..............................................................................................................................2 LV.B.4. L'envahissement de ľidéologie........................................................................................................................2 LV.B.5. La dissolution des categories esthétiques........................................................................................................3 1KB. LE REGNE DES MAITRES OFFICIELS IV.B.l. Le roman de consommation Dans les premieres années du XXe siěcle, le roman commence á envahir les étalages des librairies et á régner en maítre dans les cabinets de lecture. Le genre submerge tout. Le nombre des auteurs s'accroit. Tout se passe comme si beaucoup d'esprits avaient fait un sort á ce mot de TAINE : « Je pense que tout homme cultivé et intelligent, en ramassant son experience, peut faire un ou deux romans, parce qu'en somme un roman n'est qu'un amas ďexpériences». A côté des amateurs, les professionnels compromettent souvent leur talent dans de véritables travaux forces littéraires. Remy de GOURMONT protestait un jour contre cette hérésie qui poussait tant ďauteurs á écrire deux ou trois romans par an. Les MARGUERITTE, ROSNÝ ainé ou Paul ADAM étaient ďune redoutable fécondité. Le roman devenait une industrie et un commerce. Ľapparition de prix littéraires particuliérement destines aux romanciers, le Goncourt en 1903, le Fémina quelques années plus tard, favorisait cette tendance. Cette production intensive s'accompagnait d'un immense déchet. Pourtant les ceuvres de qualité ne manquaient pas. Ce qui est grave, c'est que beaucoup de romans semblaient coulés dans le méme moule. On voit triompher, á ľheure ou les maitres officiels, France, Barrěs, Loti, Bourget, exercent une sorte de pontificat, une littérature romanesque qui est de plain-pied avec le public petit bourgeois auquel eile s'adresse. II y a dans le domaine du roman, entre 1895 et 1914, une sorte d'affaissement de la littérature d'invention. De jeunes maitres qui ont fait ďéclatants debuts vers 1890, VALERY, GIDE, PROUST, demeurent inconnus. La fondation de la Nouvelle Revue Francaise, en 1909, représentait un mouvement de protestation contre les compromissions dans lesquelles se dégradait une littérature sottement descriptive ou bassement édifiante. IV.B.2. La varieté des etiquettes On entre dans un temps ou il devient de plus en plus difficile de classer la production. Les critiques s'y essayaient parfois pour tenter de trouver quelques points de repěre. Mais leurs classements étaient, en general, aussi arbitraires que superficiels. Est-on beaucoup plus avancé quand on a discerné une survivance de ľesthétique realisté ? Quand on a distingue le roman psychologique du roman de mceurs, les romans ďidéologie progressiste (ROSNÝ ainé) ou de pitie humaine (Ch. L. PHILIPPE) des romans réactionnaires de René BAŽIN ou d'Henry BORDEAUX ? Quand on a oppose le roman personnel ou autobiographique au roman objectif ? L'analyse des sentiments et ľétude des mceurs restent les deux sillons essentiels. II faut pourtant inventer de nouvelles categories pour y ranger des ceuvres qui ressortissent á de nouveaux desseins : le roman social, le roman collectif se proposent de peindre les foules, en un temps ou ľon s'avise de ľexistence d'une psychologie des foules. II faut bien aj outer á la catégorie du roman historique celie du roman préhistorique, pour y ranger ceux de ROSNÝ ainé. On continue á designer, par ľexpression de « romans romanesques », des ceuvres qui se proposent de divertir par des péripéties plutôt que d'instruire par des analyses. On doit recourir á ľexpression de 1 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 roman artiste pour evoquer des livres comme ceux de Pierre LOUÝS ou d'Henri de REGNIER. Dans quelle catégorie ranger les romans de Louis Bertrand ou de Jérôme et Jean Tharaud, qui suivent des itinéraires ďévasion ? Sous quelle rubrique placer les ceuvres de Marcel PREVOST, d'Abel HERMANT, d'Edouard ESTAUNIE, de René BOYLESVE, qui sont moralistes et psychologues autant que peintres des mceurs ? C'était une solution de facilité caractéristique du désarroi des esprits que de baptiser « féminins » les romans dont des femmes étaient les auteurs. IV.B.3. Permanence des structures En 1905, dans ľenquéte de Le Cardonnel et Vellay, Edmond JALOUX déclarait que les romanciers francais devaient renouveler leurs procédés techniques ; GJDE, de son côté, estimait que ľon entrait dans une époque ou l'apparition de nouveaux caracteres pouvait transformer le roman. Pourtant, on ne voit se dessiner, avant 1914, aucun renouvellement des caractěres et des techniques. Le roman est toujours constitué d'une alternance de descriptions, ďanalyses, de récits et de dialogues. Seul le dosage de ces divers elements variait d'un auteur á ľautre. II y eut, pendant quelques années, un engouement en faveur d'un roman tout entier constitué de dialogues : les succěs que rencontra le genre dialogue, avec Gyp ou Abel Hermant, furent de courte durée ; pourtant Roger MARTIN DU GARD utilisait á nouveau le procédé en 1913 dans Jean Barois. Quant á la composition, eile était en general fondée sur les structures qui avaient eu cours pendant le XIXe siěcle. On peignait une crise et son denouement aprěs avoir mis en place une lente preparation ; on retracait une vie par une lente succession ďépisodes ; ou ľon présentait un milieu en explorant, de chapitre en chapitre, des secteurs différents. Les romanciers gardaient les deux ambitions qui avaient animé la plupart de leurs devanciers du siěcle precedent : presenter un tableau des mceurs de leur temps et raconter une histoire. Cette double exigence d'une affabulation romanesque et d'une observation sociale constituait le caractěre essentiel de la creation romanesque. On était seulement tenté de mettre l'accent sur l'un ou l'autre aspect. Les MARGUERITTE, dans les quatre volumes du Désastre, voulaient se faire les historiens de la guerre de 1870 plutôt que de raconter une histoire fictive. Inversement, il y avait, dans certaines intrigues d'Henry BORDEAUX, une affabulation qui rappelait André Theuriet ou Victor Cherbuliez, et, dans ce cas, les données d'une intrigue conventionnelle supplantaient la peinture des mceurs. II faudrait faire leur place aux quelques rares tentatives qui entreprenaient de bouleverser la facture traditionnelle du roman. C'étaient celieš de Jules ROMAINS qui, dans Le Bourg régénéré (1906) et Mort de quelqu'un (1911)1, renoncait aux conventions de l'intrigue et du personnage : une nouvelle structure romanesque était adoptée, la narration était tissée d'une succession de scenes simultanées. En 1911, Le Trust de Paul ADAM représentait un effort pour éliminer faction unique et pour suggérer le foisonnement et la complexite du reel. IV.B.4. Ľenvahissement de ľidéologie Sous la varieté des etiquettes et la permanence des structures, apparaissait un phénoměne nouveau : ľenvahissement des fictions par ľidéologie. Le roman faisait la part belle á ľexposé de theses, conservatives ou progressistes. L'expression des idées se superposait ou, par moments, se substituait á ľhistoire contée. L'auteur assumait la responsabilité de certains développements ; il en confiait d'autres á ses personnages. Les dialogues devenaient des débats ou s'affrontaient des opinions opposées. Dans ce qu'on a appelé le roman á these, c'était ľagencement de ľhistoire qui prétendait demontier, sur le vif, le bien fonde de tel ou tel point de vue. Les romans devenaient de lourdes machines ; ils étaient défigurés par des développements parasites. Le genre devenait un genre « dépotoir » et « fourre-tout ». II n'y entrait, bien souvent, qu'un ramassis d'opinions. Cest vers 1900 que Paul Bourget était passe du roman psychologique au roman á these et qu'il avait fait succéder á la clinique la thérapeutique. Dans L'Etape, Un Divorce, ĽÉmigré, Le Démon de midi, il 1 Le héros mourait au debut. Le roman était fait de toutes les pensées, de touš les gestes que le mort suscitait chez ceux qui ľavaient connu. 2 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 voulait proposer des illustrations d'un corps de doctrine politique et sociale qu'il avait trouvé chez Balzac, Taine et Le Play. Pourtant, Bourget se défendait ďécrire des romans ä these ; il prétendait écrire des romans á idées. II soutenait que sa these n'était qu'un point de vue sur le spectacle humain et que ce point de vue se dégageait des événements rapportés. II était facile de rétorquer que les événements étaient choisis en fonction du point de vue que ľauteur entendait imposer, et qu'un agencement de circonstances imaginaires ne saurait prouver quoi que ce soit. II est inutile de revenir sur les nombreuses condamnations qu'on a portées contre le roman á these. On a tout dit, quand on a dit que c'étaient de mauvais romans et de mauvaises theses. II était louable de faire entrer des idées dans le roman, il était regrettable d'agencer une histoire pour imposer une solution. Un bon roman porte en lui un monde ďidées ; il ne gagne jamais á étre la demonstration ďune idée préconcue. IV.B.5. La dissolution des categories esthétiques Ľintervention des idées dans le roman rompait avec les habitudes du récit. II était bon que les romanciers eussent ľambition de faire réfléchir le lecteur. Mais ils couraient ainsi le risque de se fourvoyer, car, au lieu de raconter une histoire, ils exposaient un probléme. Un critique se plaignait un jour que les romanciers eussent perdu le goüt de conter et ľart ďintéresser le lecteur. Balzac ne s'était guére privé de prodiguer les commentaires en marge de faction ; mais la structure de beaucoup de ses romans restait fortement dramatique ; c'était un des paradoxes de ľart balzacien que les exposes de ľauteur en vinssent á servir la crédibilité et á renforcer ľintérét. Paul BOURGET, sur ce point, était proche de son maitre : nul plus que lui ne se défiait des récits inorganiques : ľagencement des événements, dans ses romans á these, se référait á la fois aux nécessités de ľintrigue et á des ambitions idéologiques. II est vrai qu'il était ľhéritier des maitres du XIXe siécle, dont il ne cessait de méditer les lecons. Mais, aprés lui, les romanciers ont péché par méconnaissance de leur art. Maurice BARRES ľobservait, en 1907 : « Quand je suis arrive á Paris, ľart du roman était connu et pratique excellemment par les Zola, les Daudet, les Goncourt, les Cherbuliez, les Ferdinand Fahre, derriěre lesquels se formaient á la maitrise les Loti, les Maupassant, les Bourget. Mais, aujourďhui, comptez ! Combien ďécrivains voyez-vous qui sachent créer cet univers que doit étre un roman, qui puissent construire unplan, camper leur s personnage s et les mouvoir ? » II est vrai que les auteurs de romans en étaient souvent venus, selon le mot d'un critique, á « mettre dans le roman autre chose que le roman lui-méme ». Anatole FRANCE était-il romancier ? et de quel mot designer, par exemple, son Histoire contemporaine ? était-ce un récit ? un essai ? un pamphlet ? France était un essayiste fourvoyé dans le roman plutôt qu'un romancier veritable. Les Déracinés de Maurice BARRES se présentaient bien comme un roman. Mais le second tome de la trilogie, Leurs Figures, n'offrait plus qu'une suite de croquis ; on n'y trouvait qu'une chronique parlementaire. Le mot de chronique désignait des ceuvres qui n'offraient guére le genre de plaisir qu'on demande habituellement au roman. On comprend děs lors la portée des remarques de Jacques RIVIERE, en 1913, dans ses articles sur « le roman d'aventure » : il insistait sur la nécessité d'une mise en acte constante ; le romancier ne devait pas confier directement ses impressions, mais les transmuer en événements. 3