FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 IV) LE ROMAN AVANT 1914 - L'ere des metamorphoses ; Evolution generale du genre IV) LE ROMAN AVANT 1914 - L'ERE DES METAMORPHOSES ; EVOLUTION GENERALE DU GENRE.... 1 IV. C. LAFLAMBÉEDEL'APRÉS-GUERRE.................................................................................................................1 IV. C.l. line littérature industrielle..............................................................................................................................1 IV.C.2. Les generations littéraires...............................................................................................................................1 IV.C.3. Le cosmopolitisme litter aire............................................................................................................................2 IV.C.4. Les nouveaux pôles ď attraction......................................................................................................................2 IV.C. 5. Les romans de ľ evasion..................................................................................................................................2 IV.C.6. Les romans de ľinquiétude..............................................................................................................................4 IV.C. LA FLAMBEE DE ĽAPRES-GUERRE IV.C.l. Une littérature industrielle Cest lá une expression ancienne qu'on trouvait sous la plume de Sainte-Beuve, en 1839 : eile désignait, depuis lors, les travaux forces littéraires que s'imposaient parfois des producteurs de romans qui entendaient édifier de véritables cycles et rivaliser ainsi avec ľauteur de La Comédie humaine. Au lendemain de la grande guerre, cette expression revétait des acceptions un peu différentes ; eile évoquait le développement des prix littéraires et de la publicite, ľorganisation de plus en plus commerciale des maisons ďédition, ľapparition et le succěs de la presse littéraire, toutes choses qui contribuaient á susciter un climat nouveau. Le succěs des Nouvelles littéraires, au lendemain de la guerre, est un phénoměne considerable. Les interviews de Frederic Lefévre, Une heure avec..., invitaient les auteurs á s'expliquer sur la genese de leurs romans ; elles familiarisaient le public avec les problěmes du metier, faisaient connaitre de nouveaux auteurs. Cette débauche ďopinions imprimées aboutissait á une veritable inflation littéraire, parfois á une regrettable confusion des valeurs. Elle favorisait une effervescence de débats et de polémiques qui confere á cette perióde son caractére un peu survolté. Les prix, la publicite, la presse contribuent á tirer de ľombre, en un seul jour, tel ou tel romanci er. La mode change d'une saison á ľautre. Chaque éditeur teňte sa chance avec des formules variées. On essaie de faire du bruit avec les romans qu'on écrit, ou, á défaut, avec ce qu'on écrit sur le roman. On n'a jamais tant parlé d'une crise du genre que dans ces années ou il devenait envahissant. IV.C.2. Les generations littéraires Au lendemain de ľarmistice, les maitres officiels de ľavant-guerre disparaissent les uns aprés les autres : Barrés, France, Loti, et plus tard, Bourget, qui se survit á lui-méme et jouit, pendant de longues années, d'un paisible honorariat. Le contrecoup des hécatombes de la guerre se fait sentir : une generation ďécrivains a été fauchée et, avec Péguy, avec Emile Clermont, avec Alain-Fournier, le visage de ľaprés-guerre eüt été assurément different. La relěve des maitres a lieu dans des conditions particuliěres : Claudel, Proust, Gide, Val éry, qui ont fait leurs débuts vers 1890, ont attendu ces années ďaprěs-guerre pour connaitre la notoriété et la gloire. Ils sont les nouveaux chefs de file de cette periodě. Pour les jeunes, ils sont des complices plutôt que des pontifes. Breton et Val éry se rejoignent, malgré toutes les differences qui les séparent, dans leur commune suspicion á ľégard de la littérature, et en particulier de la littérature romanesque. Lafcadio, le héros des Caves du Vatican, est le grand cousin de bien des héros de facte gratuit et de la désinvolture cynique : les surréalistes ne ľont pas désavoué. Jacques Riviére a reconnu ľauteur du Temps perdu comme son dernier maitre ; il rendait hommage á Marcel Proust tout en disant Merci ä Dada. A côté des hommes qui avaient eu vingt ans vers 1890, Gide, Proust, Estaunié, Boylesve, s'imposent les survivants de la generation suivante : ceux qui ont fait leurs debuts avant la guerre et qui sont les vedettes plutôt que les maitres de ľaprés-guerre : Giraudoux et Colette, par 1 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 exemple. Enfin, la décennie de ľapres-guerre voit naítre de nombreux talents nouveaux : Marcel Arland, Drieu la Rochelle, Henry de Montherlant, Julien Green, Georges Bernanos, et combien d'autres ! C'est une assez étonnante rencontre des generations que ces années oú paraissent La Relěve du matin, La Bonifas, Les Faux-Monnayeurs, Sous le soleil de Satan, Le Paysan de Paris, Thérěse Desqueyroux, Nadja, Ľ Ordre, Ľ Arne obscure, Les Conquérants. IV.C.3. Le cosmopolitisme littéraire Le mouvement avait commence, en 1886, avec ľapparition du Roman russe. Mais, aprěs 1918, on entrait dans l'ere du cosmopolitisme. Le roman en était le premier bénéficiaire : c'est le genre qui, par nature, perd le moins á la traduction. L'afflux en France d'ceuvres étrangěres, suscitait de nouveaux poles d'attraction et orientait le roman francais vers de nouvelles destinées. On lisait Dostoievsky, Meredith, George Eliot, Thomas Hardy, Conrad. Valery Larbaud attirait l'attention sur Ulysse de James Joyce. Les romans de Virginia Woolf, de Maurice Baring, de Forster étaient, presque děs leur parution, traduits et commentés en France. Pirandello et Rilke avaient une audience considerable. La richesse d'invention du roman anglo-saxon faisait germer en France beaucoup de tentatives nouvelles. Les techniques du « monologue intérieur » et du « point de vue » procédaient de Joyce, de Conrad, d'Henry James ; revocation des abimes de l'inconscient venait, en droite ligne, des romans de Dostoievsky. IV.C.4. Les nouveaux pôles d'attraction On remettait en question les structures intellectuelles sur lesquelles on avait vécu jusqu'alors. Le bergsonisme, qui avait longtemps cheminé de facon souterraine, exercait une influence, vers 1925, sur beaucoup de jeunes romanciers. Cest sans doute ďun bergsonisme trěs largement compris que procédait cette abondante moisson de romans de ľadolescence. Le freudisme, á partir de 1922, venait ajouter son influence á celie de Bergson. II a donne aux romanciers le goüt de presenter des personnages complexes, saisis dans la multiplicité de leurs élans contradictoires et dans ľambivalence de leurs sentiments. Les theories de la relativite, que beaucoup ďesprits interprétaient hätivement et grossiěrement, ont agi comme un excitant intellectuel : les techniques romanesques du point de vue ont trouvé dans de telies idées leur horizon intellectuel : il n'y avait nulle part de point de vue privilégiá, chaque observateur avait une optique particuliěre et limitée, ľomniscience du romancier paraissait trahir la partialité de chaque point de vue. Enfin, depuis la guerre, on savait que les civilisations étaient mortelles : beaucoup de jeunes esprits tournaient en dérision les valeurs ďune société qui avait abouti á cette dérision de la culture. Tous ces elements de remise en question suscitaient une inquietude. Un nouveau mal du siécle naissait de ce désarroi. Ľart romanesque de ľapres-guerre était un effort pour échapper á ľinquietude ou pour en rendre compte. On comprend qu'il fut marqué ďun double signe : un désir ďévasion et ľexpression d'un tourment. IV.C.5. Les romans de ľévasion II y eut, děs le lendemain de ľarmistice, un immense besoin de distraction. Sans doute les romans de guerre que ľon vit paraitre contribuaient-ils á rappeler le souvenir des années terribles. Mais on demeure frappé par le prodigieux succěs que rencontraient, dans le merne temps, les romans de Pierre Benoit, Koenigsmark ou L Atlantidě : ils offraient une intrigue savamment agencée, des aventures, du mystěre, du romanesque. Ils n'avaient aucun rapport avec le roman d'aventure qu'avait annoncé Jacques Riviere en 1913. Louis Chadourne, avec Le Maitre du navire (1919), Mare Chadourne avec Vasco (1927), écrivaient, eux aussi, des romans d'aventure qui tournaient parfois á la dérision de ľaventure. Avant de trouver ľétrangeté dans 1'atmosphěre de Quai des Brumes (1927), Pierre Mac-Orlan écrivaitZe Chant de ľéquipage (1918) et substituait l'imaginaire au reel avec les allegories de La Cavaliěre Elsa ou de La Venus internationale. Les Tharaud évoquaient des paysages exotiques, révélaient des moeurs différentes des nôtres. Un titre de Dorgelěs cristallisait toutes ces velléités ďévasion : Partir. Le 2 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 cosmopolitisme de Paul Morand, dans les nouvelles d'Ouvert la nuit (1922) ou de Fermé la nuit (1923) héritait de celui de Valery Larbaud : ses héros étaient les derniers avatars de Barnabooth. A ce cosmopolitisme des bars á la mode, des trains de nuit et des enseignes lumineuses s'opposait l'exotisme des quartiers reserves, dont Francis Carco s'était fait, děs Jesus la Caille, une špecialite. Déjá, des Esseintes, le héros d'A Rebours, avait compris que l'on pouvait s'evader tout en demeurant parisien. A côté de ces formes géographiques de ľévasion, il y avait les modalités plus subtiles de ľévasion poétique. Cet aprěs-guerre est l'äge du roman poétique. Le « domaine merveilleux » qu'avait évoqué Alain-Fournier dans Le Grand Meaulnes, á la veille de la guerre, était devenu une patrie chére á beaucoup ďämes. Ce n'était pas un lointain Eldorado, mais ľintrusion de la féerie au sein de la réalité la plus familiére. Beaucoup ďauteurs voulaient, comme Alain-Fournier, insérer dans le réel ce « merveilleux » dont Breton disait qu'il était le seul element susceptible de féconder encore les ceuvres ďimagination. Le « domaine merveilleux », ce pouvait étre une chambre, comme celie des Enfants terribles de Jean Cocteau ; le passage de l'Opéra ou les Buttes-Chaumont, comme dans Le Paysan de Paris d'Aragon ; mais, aussi bien, la Campagne, qui, avec Giono, Pourrat, et surtout Ramuz, devenait le lieu privilégié ďune transfiguration poétique de ľunivers. Les feux ďartifice du langage, chez Jean Giraudoux, ouvraient la porte ďor ďun Eden retrouvé. Ils tissaient, entre divers ordres de réalité, des rapports nouveaux, surprenants, volontiers cocasses. A vrai dire, les caprices du style n'étaient que le reflet d'une volonte de se débarrasser des chaines de la logique. Jean Giraudoux inscrivait lui-méme son effort dans une vaste reaction contre le realisme et tout ce qu'il suppose de lourdeur, d'attention au banal, de restitution des conditions materielles de la vie. Son art du discontinu, de la surprise, de la fantaisie était, avec la psychologie romanesque de Raymond Radiguet, une forme subtile de ľévasion. Ce n'était plus d'un chapitre á l'autre, dans le jeu des péripéties, que se déployait le romanesque, mais d'une phrase á l'autre, d'un mot á l'autre ; il était devenu le goüt de l'inattendu, aussi bien dans les reactions du personnage que dans les comparaisons du romancier. Ľirréalisme était le trait essentiel de la littérature romanesque de ľaprés-guerre : les aventures contées par les romanciers n'étaient guěre situées dans une époque et dans un milieu. II faut attendre UEté 14, en 1936, pour que Les Thibault de Roger Martin du Gard apparaissent comme une fresque politique et sociale digne des romanciers du XIXe siěcle. Les romans de Mauriac évoquaient un climat plus qu'un milieu ; seule était suggérée la vie des ämes, et le monde extérieur n'était lá que pour offrir la correspondance symbolique des brůlures de la passion et des tourments de la vie intérieure. Les questions d'argent qui avaient joué dans La Comédie humaine un si grand role étaient, la plupart du temps, absentes des romans de ľaprés-guerre. « Un siěcle aprěs Balzac, écrivait André Thérive, quarante ans aprěs le naturalisme, comptez un peu combien de livres paraissent oú les personnages soient menés, comme dans la vie, par le souci de travailler ». La littérature romanesque n'était plus l'entreprise sérieuse, presque scientifique, qu'elle avait été au temps du realisme et du naturalisme. Elle était devenue un exercice de virtuositě. Le héros de roman était, comme ce personnage de Larbaud, « plein d'un réve intérieur qui transformait pour lui toute chose ». II ne figurait jamais, dans ce monde, qu'en spectateur amusé, décu ou émerveillé. II était significatif que le roman de Giraudoux, Juliette au pays des hommes, s'achevät au moment oú ľhéroi'ne, aprěs avoir explore le champ des possibles, rentrait dans la vie pour épouser Gérard. Les romanciers de ľaprés-guerre ont trouvé un refuge dans la peinture de ľintériorité, dans une contemplation émerveillée du monde, dans les fantaisies de leurs réves. Ce n'étaient que des facons de s'enfuir qui reflétaient, peut-étre, un refus d'assumer le réel. Ils ont été incapables de saisir les mouvements profonds de la societě de leur temps ou les problěmes qu'elle avait á résoudre. Les Balzac et les Zola avaient réussi á embrasser la réalité complexe d'un monde qui débordait toute vie individuelle. Ils avaient donné á la réalité une allure fantastique ou épique ; mais ils avaient réussi á évoquer le monde, non comme un décor, mais comme une force de resistance aux volontés individuelles. Beaucoup de réves, dans leurs ceuvres, avortaient devant les rigueurs du monde veritable. On était loin, en 1925, de ces réalités économiques et sociales qui avaient été constamment présentes dans La Comédie humaine. On y avait substitué, pour le meilleur et pour le pire, des prestiges, des féeries, des sortileges. André Salmon intitulait un de ses livres : LEntrepreneur ď illuminations. Beaucoup de romanciers de son temps, de Francis de Miomandre á Gilbert de Voisins, d'André Beucler á Jean Giraudoux, de Jean Cocteau á Alexandre Arnoux, ont tenté d'etre, au lendemain d'un drame de la 3 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 vie nationale, des « entrepreneurs d'illuminations ». L'apparition du populisme, en 1929, a été le premier signe d'une reaction contre une littérature romanesque de ľévasion. IV.C.6. Les romans de ľinquiétude II était naturel que, dans un monde secoué par la guerre et ébranlé par bon nombre de remises en question, on vít figurer, á côté des romans de ľévasion, les romans de ľinquiétude. A vrai dire, ce type de livre pouvait connaitre des formes nombreuses et diverses. Ľinquiétude apparaissait dans des ceuvres aussi différentes que Le Cahier gris, La Sorellina, Les Faux-Monnayeurs, Aimée, Ľ Arne obscure, Thérěse Desqueyroux, ĽImposture. Au fur et á mesure qu'on approchait des années trente, eile changeait de nature, ou eile tendait á se dissiper devant des tentatives de reconstruction. On la voyait s'épanouir dans les romans de type autobiographique, mais il était naturel qu'elle füt conduite á s'effacer, dans les romans de mceurs, devant ľobjectivité de la peinture. Dans le cas du roman d'analyse, le commentaire de ľauteur tendait á donner plus ďimportance á la generalite des observations morales qu'á la singularita des tourments exposes. La sobriété de ľexpression, la clairvoyance de ľanalyse rangeaient LEpithalame de Jacques Chardonne ou La Bonifas de Lacretelle dans la grande lignée francaise du roman psychologique. II arrivait pourtant que les scrupules mémes de la lucidité fissent sentir, comme dans Aimée de Jacques Riviére, le frémissement d'une inquietude. L'Ordre de Marcel Arland ou L'Ame obscure de Daniel-Rops peignaient les tourments de la jeunesse dans des romans qui étaient aussi des tableaux de mceurs. II reste que ce mot méme ďinquiétude a connu alors un assez prodigieux succěs. Aprěs les complaisances d'un pessimisme fin de siěcle, et avant les désespoirs ou les derisions de ľabsurdisme, il y a eu, dans les années vingt, cette generation de ľinquiétude : eile souffrait ďun élan qui n'avait pas trouvé de quoi se satisfaire ; eile laissait voir une recherche impatiente des valeurs, mais aussi une suspicion déclarée á ľendroit de toutes celieš dont eile n'avait pas encore pris la mesure. Les romans de ľinquiétude furent ďabord les romans de ľadolescence : c'est ľäge de toutes les inquietudes. Un des maítres de la jeunesse, André Gide, n'avait cessé ďaffirmer, de Paludes aux Faux-Monnayeurs, que son role était d'inquiéter plutôt que de rassurer, de poser des questions plutôt que d'apporter des réponses. II avait toute sa vie cultivé ľinquiétude : eile fleurissait á ľenvi dans un temps de désarroi. Elle figurait dans Le Liable au corps, La Vie inquiete de Jean Hermelin, Silbermann, Etienne, Jean Darien, ĽIncertain. Ľaprés-guerre trouvait son héros de predilection dans cet adolescent prolongé qu'était Salavin : il avait garde, dans ľäge mur, les miasmes et les phantasmes de la puberte. II découvrait parfois en lui d'assez inquiétantes lubies, et, toujours acharné á épier ses propres sentiments, il continuait de s'adorer tout en étant décu de lui-méme. On le voyait souvent prét á se dissiper en niaiseries, il était agacant á force de médiocrité, mais il était sauvé par une bonne volonte désarmante. Huysmans avait évoqué un Folantin écceuré par les banalités de ľexistence ; Sartre devait montrer Roquentin en proie á la nausée ; Duhamel, au debut de ľentre-deux-guerres, proposait la falote image de Salavin et de ses tourments. Quelle difference entre l'univers d'un Bourget et celui d'un Francois Mauriac ! Une certaine vibration de la prose, dans les premiers romans de Mauriac, était ľexpression d'une fiěvre : le tourment de la chair faisait obstacle aux élans de la charite, á moins qu'il ne soulignät la derision d'une pureté perdue. Thérěse Desqueyroux, vivante image de ľinquiétude, en venait á confier á Bernard que son geste était peut-étre issu du désir de voir naitre enfin, dans son regard, une lueur inquiěte. II y avait bien des sentiments troubles chez les heroines de Mauriac. Ce qui était frappant, c'est qu'on voyait souvent poindre l'aurore d'une redemption au creux méme du péché. On était loin de Paul Bourget, pour qui le salut était la recompense d'une vie droite ; en somme, un prix de vertu. Qu'on songe aussi á ce qu'était devenu le prétre, ce héros de roman ! Sans doute Bernanos s'attachait-il parfois á presenter de bons et solides cures, á l'aise dans le temporel, et réussissant á gérer efficacement les affaires de leur paroisse. Mais Donissan ! Quelle tourmente, en lui-méme ! II y avait quelque chose de dostoi'evskien dans ses brusques emportements, dans ses vertiges, qui n'étaient que le reflet« d'un orage inaccessible ». Beaucoup de romans présentaient le bilan des inquietudes d'une generation. Ceux de Maurice Betz, ceux de Drieu La Rochelle : L'Homme couvert de femmes, La Valise vide. II y avait, parfois, dans le 4 FJIA022 Littérature frangaise III (XXe siěde) IV. Le roman avant 1914 culte de ľénergie, une discipline de vie qui n'était que l'aveu d'une inquietude dominée. D'ailleurs, depuis Le Songe jusqu'aux Olympiques, la guerre et le sport n'empéchaient pas Henry de Montherlant de connaitre la crise des Voyageurs traqués : c'était pour lui la crise de la trentiěme année, plus profonde que celie de l'adolescence. On comprend que les premiers révolutionnaires qu'on devait voir paraitre vers les années trente ne fussent encore que des révoltés. Avec ce nouveau romantisme de Faction, les aventuriers étaient les moteurs de ľhistoire. André Gide, dans Les Faux-Monnayeurs, brossait une fresque inquiétante de dévoyés, de désaxés, de désespérés. Les Thibault qui, ďemblée, se proposaient d'etre une vaste peinture de la société francaise, commencaient, avec Le Cahier gris, par la fugue de deux adolescents tourmentés par le besoin de ľaventure. Jacques Thibault était bien le representant de sa generation : il avait lu, avec ferveur, Les Nourritures terrestres ; il avait ďabord voulu échapper á touš les carcans. Le monde lui apparaissait bientôt comme une réalité á transformer plutôt que comme un bien á conquérir. II y avait en lui, pourtant, une rage de destruction dans laquelle il espérait trouver, á tout le moins, l'occasion de son salut. 5