Un petit roseau m'a suffi Pour faire frémir l'herbe haute Et tout le pré Et les doux saules Et le ruisseau qui chante aussi ; Un petit roseau m'a suffi A faire chanter la foret... Les Jeux rustiques et divins (1897) J'ai feint que les Dieux m'aient parlé ; Celui-l`a ruisselant d'algues et d'eau, Cet autre lourd de grappes et de blé, Cet autre ailé, Farouche et beau En sa stature de chair nue, Et celui-ci toujours voilé... Les Médailles d'Argile (1900) L'allusion `a Narcisse Un enfant vint mourir, les levres sur tes eaux, Fontaine ! de s'y voir au visage trop beau Du transparent portrait auquel il fut crédule ... Les flutes des bergers chantaient au crépuscule ; Une fille cueillait des rosés et pleura ; Un homme qui marchait au loin se sentit las. L'ombre vint. Les oiseaux volaient sur la prairie ; Dans les vergers, les fruits d'une branche murie Tomberent, un `a un, dans l'herbe déj`a noire, 10 Et, dans la source claire ou j'avais voulu boire, Je m'entrevis comme quelqu'un qui s'apparaît. Etait-ce qu'`a cette heure, en toi-meme, mourait D'avoir voulu poser ses levres sur les siennes L'adolescent aimé des miroirs, ô Fontaine ? Les Jeux rustiques et divins (Mercure de France, éditeur). L’onde ne chante plus... L'onde ne chante plus en tes mille fontaines, O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois ! Ta couronne ne porte plus, ô souveraine, Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois ! La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue Et le temps a terni sous le souffle des jours Les fluides miroirs ou tu t'es jadis vue Royale et souriante en tes jeunes atours. Tes bassins, endormis `a l'ombre des grands arbres, 10 Verdissent en silence au milieu de l'oubli, Et leur tain, qui s'encadre aux bordures de marbre, Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui. Qu'importe ! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ; Et je ne monte pas les marches de l'histoire Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux. Il suffit que tes eaux égales et sans fete Reposent dans leur ordre et leur tranquillité, Sans que demeure rien en leur noble défaite 20 De ce qui fut jadis un spectacle enchanté. Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade Et que Neptune `a sec ait brisé son trident, Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade Se souleve, une feuille morte entre les dents, Pourvu que, faible, basse, et dans l'ombre incertaine, Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau, J'entende longuement ta derniere fontaine, O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux ! La Cité des Eaux (Mercure de France, éditeur).