C’était un matin. L’occupant nous occupait depuis déjà pas mal de temps. Je donnais un cours à des élèves de seconde sur l’utilisation du génitif après la préposition während. On frappa à la porte de la classe. Le proviseur entra, Muller, un Alsacien de l’Exode qui avait remplacé Valabrègue, révoqué par Vichy. Le proviseur était suivi de près par deux Allemands en uniforme de la Gestapo. Le plus grand, blond, les joues rouges et la mâchoire agressive, s’adressa à moi en allemand pour m’ordonner de les suivre. J’ai dit Mesdemoiselles, je vous prie de m’excuser. J’ai rangé mes notes dans ma serviette, j’ai enfilé mon manteau prince-de-galles à col de lapin et j’ai suivi les deux hommes sous le regard vaguement désolé du proviseur. (...) J’ignorais le motif de cette convocation, mais j’eus très peur de ne jamais ressortir par-devant. Je n’étais pas de race juive, je n’avais jamais eu aucun contact avec la Résistance (ma réserve à l’égard des parents Lachman n’avait pas été ma seule précaution), j’avais respecté scrupuleusement le couvre-feu, et qui pouvait connaître l’existence de ma bibliothèque clandestine ? En chemin, j’aurais pu me mettre à courir comme Lachman pour fausser compagnie à mon escorte. J’avais une mince chance de ne pas tomber sous les balles de leurs mitraillettes, mais pourquoi l’aurais-je fait ? J’étais coupable de presque rien.