SCL 615 (2003) : SYNTAXE INTRODUCTION 1. Programme : (cf. SCL 615 (2002) Cours) D'après la plaquette : « Problèmes théoriques d’analyse. Analyse syntaxique en constituants immédiats et définition structurale des fonctions syntaxiques dans la phrase simple. » La syntaxe n'est plus le domaine phare de la linguistique, comme ce fut le cas au temps de la "grammaire générative" triomphante. Les linguistes sont passés à d'autres problèmes et à d'autres modes, considérant probablement qu'il n'y avait plus rien à dire en syntaxe, et préférant passer à un nouveau chantier, même si le chantier précédent n'a pas été terminé. Ils ont ainsi laissé la syntaxe aux grammaires et aux grammairiens, et, pour analyser les interactions ou les corpus oraux par exemple, on en est tout doucement revenu à la bonne grammaire traditionnelle. Or, si celle-ci a accumulé énormément d'observations intéressantes sur la ou les langues, on ne peut pas dire qu'elle ait développé, en syntaxe, des concepts et une théorie descriptive qui soient cohérents et scientifiquement satisfaisants. C'est ainsi que l'on emploie des termes grammaticaux comme sujet, complément d'objet, proposition principale, etc. sans se préoccuper le moins du monde de leur éventuelle définition et sans être gêné par le fait qu'il n'y en ait aucune définition scientifique. Peu importe, tout le monde sait de quoi on parle, au moins dans les cas les plus simples. Et l'on s'appuie sur ces concepts flous et non scientifiques pour faire une belle théorie des opérations cognitives, des actes de langage ou des intentions communicatives du sujet. La démarche n'est pas très scientifique; c'est le moins qu'on puisse dire! Je voudrais vous amener à remédier à ce manque de scientificité dans la description linguistique, en essayant de définir au moins les fonctions syntaxiques qui structurent et organisent la phrase dite simple. Ce ne sera donc qu'un commencement. Car il y a beaucoup à faire. On pourrait même dire qu'il y a tout à faire; car rien n'est bien précis ni rigoureux en analyse syntaxique. Pour cela, j'utiliserai, comme l'indique la plaquette, une technique d'analyse que les modes intellectuelles du jour considèrent comme obsolète. Les promoteurs de cette technique parlaient d'"analyse en constituants immédiats". Les formalistes "générativistes" l'ont transformée en ce qu'ils appellent le "modèle des constituants" ou une "grammaire de constituants", qu'à tort, ils ont identifié avec la linguistique dite structuraliste de leurs maîtres 2 et par conséquent rejeté comme dépassé. Comme c'est une technique à laquelle vous avez été initié l'an passé, vous savez que ce n'est pas une théorie de la syntaxe; c'est seulement un moyen précis et explicite de délimiter et d'identifier les réalités syntaxiques. Il permet d'objectiver le sentiment que les locuteurs peuvent avoir de l'existence de relations syntaxiques entre les constituants des énoncés. Nous commencerons ce semestre par quelques exercices qui vous permettront de vous rappeler ce que vous avez appris, l'an passé, sur l'analyse en constituants immédiats. 2. A l'examen, vous aurez à la fois des questions pratiques, où il s'agira d'analyser des phrases ou des segments de phrases sur lesquels vous n'aurez pas déjà travaillé, et des questions théoriques, où il faudra refaire une démonstration générale qui a théoriquement déjà été faite en cours pendant l'année. a. Les questions pratiques seront des exercices portant sur des exemples français ou des exemples dans une autre langue. Les études en sciences du langage ne sont pas des études de français au rabais, même si les étudiants qui les font ne se sont pas sentis capables de faire des études avant tout littéraires en lettres modernes ou classiques. On fait de la linguistique générale, c'est-à-dire de la linguistique portant non seulement sur le français, mais sur n'importe quelle langue. A ce propos, il faut bien reconnaître qu'une grande partie de nos étudiants ont choisi les sciences du langage parce qu'ils ne se sentaient et n'étaient pas assez forts pour faire par exemple du français, de l'anglais ou des lettres classiques, et encore moins des sciences et des mathématiques. Il faut donc compenser cette faiblesse par du travail et profiter de ce que la linguistique est une discipline nouvelle qui n'a pas été pratiquée dans le secondaire pour prendre un nouveau départ. Les questions pratiques de l'examen nécessiteront une certaine technique qu'il faudra mettre en œuvre, à savoir la technique de l'analyse en constituants immédiats. Cette technique vous donnera une supériorité sur les littéraires ou les anglicistes, qui, eux, parleront des fonctions syntaxiques d'une façon intuitive et floue. Mais cette technique d'analyse il faudra la comprendre pour bien savoir l'appliquer; et il faudra éventuellement être capable de la justifier en discutant les résultats qu'elle pourra donner. On vous demandera donc de réfléchir sur la façon dont vous appliquerez cette technique d'analyse. Pour l'acquérir, faites tout seuls des exercices. Et quand vous n'êtes pas sûrs du résultat obtenu, soumettez-moi par écrit votre tentative, et je vous la corrigerai. En ce qui me concerne, je vous proposerai le sujet d'examen qui a été soumis à vos camarades l'an passé, et 3 ceux d'entre vous qui le voudront pourront le traiter comme un devoir écrit fait à la maison: ils me remettront et je le leur corrigerai. b. Les questions théoriques seront certes des questions de cours portant sur la théorie de la technique d'analyse en morphèmes. Mais il ne s'agira pas de réciter le plus de choses possibles qui ont été dites en cours, mais de faire semblant de mener une réflexion rigoureuse et méthodique qui soit une réponse logique et construite à la question précise qui a été posée. Il ne s'agira pas de dire le plus de choses possibles plus ou moins en rapport avec la question posée, mais il s'agira d'organiser une réflexion et une discussion qui réponde à toute la question posée, mais aussi rien qu'à la question posée. Même si par la suite vous ne faites plus de linguistique, cela vous aura appris à raisonner à propos de problèmes concrets, ce qui est incontestablement une qualité utile mais rare dans la vie. I. Bibliographie: cf. Syntaxe (Biblio) dans: Cours 99 / SCL 615 (99-00) II. Exercices: cf. Cours 615 (2001): Syntaxe p. 2-5, dans: Cours 2001 / SCL 615 (2001) / SCL 615 (2001) Cours Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié ; tous les hommes sont des sujets. (Saint-Exupéry, Le petit prince, X, p. 439) où il y a autant de morphèmes que de mots, sauf ne... pas, qui est un morphème à signifiant discontinu, savait, qui combine deux morphèmes (le lexème sav- et le morphème de «non actuel» -ait), et les, qui contient également deux morphèmes (le morphème de «définitude» l-, et le morphème de «pluralité» -es) all. Er wusste nicht, dass für die Könige die Welt etwas höchst Einfaches ist: Alle Menschen sind Untertanen. (p. 35) angl. He did not know how the world is simplified for kings. To them, all men are subjects. (trad. de Katherine Woods, p. 41) it. Non sapeva che per i re il mondo è molto semplificato. Tutti gli uomini sono dei sudditi. (trad. Nini Bompiani Bregoli, p. 48) esp. No sabía que para los reyes el mundo está muy simplificado. Todos los hombres son súbditos. (trad. de Bonifacio Del Carril, p. 45) 4 Questions : 1) Faire le tableau des commutations correspondant à ce qui vous paraît la bonne analyse en C.I. de cette phrase. 2) Donner une représentation graphique de cette analyse syntaxique. 3) Qu' il y a de commun et de différent dans les différents sujets il (et à sa place: le petit prince) et le monde? 4) Qu'y a-t-il de commun et de différent entre cette fonction de sujet et la fonction du SPrép pour les rois? 1. Le tableau des commutations: Commençons par quelques remarques sur les commutations. a. Des regroupements minimaux: Il faut remplacer le moins de morphèmes possibles à la fois par un seul morphème, si l'on veut obtenir une analyse syntaxique un peu détaillée. C'est ainsi qu'une commutation directement avec un seul morphème soit de trois morphèmes comme est très simplifié, soit de quatre morphèmes comme pour l-es rois manquent d'intérêt. On établit ainsi est très simplifié pour l- es rois dort ici que les trois morphèmes est très simplifié ou les quatre morphèmes pour l-es rois forment une construction; mais on ne sait rien sur l'organisation structurale interne de ces constructions. Or une construction formée de trois unités peut être soit la combinaison de trois unités indépendantes et au même niveau soit la combinaison de la première unité avec la combinaison des deux dernière unités soit la combinaison de la combinaison des deux premières unités avec la dernière unité, ce qu'on pourrait noter en recourant à un parenthésage comme en algèbre: ( a + b + c ) ou ( a + ( b + c) ) ou ( a + b ) + c ) C'est plus clair avec des graphes ou, si vous voulez, des arbres; car l'addition est commutative, puisque ( 1 + ( 2 + 3) ) = ( 1 + 2 ) + 3 ) c'est-à-dire ( 1 + ( 5) ) = ( 3 ) + 3 ) = 6 Avec des arbres, on voit clairement que l'on n'a pas affaire aux mêmes structures, ce que montre bien la figure 1. 5 fig. 1: Les structures à 3 unités Et si l'on ne tenait pas compte de la linéarité, il y aurait un autre agencement. La première unité pourrait se combiner avec la dernière, et cette combinaison se combiner à son tour avec la deuxième unité, ce qui formerait, quand on parle de l'ordre des mots, une enclave. Elle serait représentable par le schéma de la figure 2, qui combine crochets et parenthèses. fig. 2: Enclave Le problème est le même pour une construction à quatre unités, à cela près qu'il y a plus de possibilités de structuration. On peut avoir affaire soit à une combinaison de quatre unités isolées, soit à une combinaison d'une combinaison de trois unités avec une seule isolée soit enfin à une combinaison de deux unités avec une seconde combinaison de deux unités. Il importe donc qu'elle est la combinaison qui est réalisée dans une construction formée de quatre morphèmes, c'est-à-dire à quelle organisation de constituants immédiats elle correspond. Ce peut être en effet une construction formée de quatre constituants immédiats ou une construction formée de deux constituants immédiats. Si la construction de quatre morphèmes a quatre constituants immédiats, cela veut dire qu'il n'u a aucune hiérarchie entre les quatre morphèmes qui la constituent. Mais si elle a deux constituants immédiats, l'un peut être un seul morphème et l'autre une construction, qui elle-même peut avoir deux ou trois constituants immédiats, ou tous les deux peuvent être des constructions, et ainsi de suite. Il est donc important de trouver des commutations moins radicales et moins rapides que celle qui font commuter directement toute la construction à quatre ou à trois morphèmes avec un seul morphème; car ceci permettra de voir quelle est l'organisation interne de cette construction. Dans les deux constructions envisagées plus haut, on peut dire, avec la grammaire scolaire que l'adverbe très porte sur l'adjectif simplifié, et donc que l'attribut du sujet est le groupe de morphèmes très simplifié et non pas le seul adjectif simplifié. Cela veut dire que les deux derniers morphèmes très et simplifié forment une construction syntaxique et que c'est ba c b c c a b cba 6 cette construction qui se combine avec le morphème verbal est. La construction est très simplifié a donc deux constituants immédiats, à savoir est et très simplifié, le premier étant donc un morphème et le second une construction; et cette seconde construction a elle-même deux constituants immédiats, à savoir le morphème très et le morphème simplifié. On obtiendrait ce même résultat à l'aide des commutations de la figure 3. très simplifiéest beau dort fig. 3: construction à 3 morphèmes Dans la construction à quatre morphème pour l-es rois, les commutations de la figure 4 l- es rois le pour Pierre ici fig. 4: construction à 4 morphèmes montrent que l'on a affaire à une construction à deux constituants immédiats, dont le deuxième constituant immédiat l-es rois a, lui-même, pour constituants immédiats une construction à deux constituants immédiats l-es et le lexème rois. Le problème de la structure interne se poserait de la même façon, si on se contentait de faire les commutations de la figure 5. l- es rois le monde est très simplifiépour lui Jean dort que oui cela fig. 5: Commutations incomplètes Car cela voudrait dire que la subordonnée complétive que pour les rois le monde est très simplifié a deux constituants immédiats, la conjonction que et la proposition pour les rois le monde est très simplifié, ce qui semble juste, mais que cette proposition a elle-même quatre constituants immédiats, à savoir la préposition pour, le SN les rois, qui a pour modèle le pronom lui, le second SN le monde, qui a pour modèle le nom propre Jean, et le SV est très 7 simplifié, qui a pour modèle le verbe intransitif dort. Ceci est manifestement faux, car si la construction pour les rois le monde est très simplifié a effectivement pour modèle ce que certains appellent le mot-phrase oui, on ne peut pas dire que cette construction est formée de quatre constituants immédiats. Car la préposition pour va avec son régime les rois, pour former le SPrép pour les rois, et le sujet le monde va avec son prédicat est très simplifié, pour former la proposition le monde est très simplifié. Il y a d'autres commutations à faire entre la suite de constituants pour lui Jean dort et mot-phrase oui, qui établiront que la proposition l- es le monde très simplifié le rois est grand pour lui Jean dort ici oui que oui cela fig. 6: Commutations pour la subordonnée complétive pour les rois, le monde est très simplifié a deux constituants immédiats, et non pas quatre, à savoir le SPrép pour les rois et la seconde proposition le monde est très simplifié, et que les constructions les rois, le monde et est très simplifié ne sont que des constituants immédiats de ces deux constituants immédiats de la proposition. b. Des équivalences paradigmatiques ou fonctionnelles: Quand on fait des commutations, il ne faut pas faire commuter n'importe quoi avec n'importe quoi, en ne se souciant que d'obtenir un résultat qui est une phrase acceptable en français. Il faut que le groupe de morphèmes que l'on fait commuter avec un seul morphème et ce seul morphème remplissent, dans les phrases où ils se trouvent, le même rôle structural ou la même fonction syntaxique, c'est-à-dire entretiennent avec leur contexte exactement la même fonction, et que par conséquent la phrase qui présente le groupe de morphème en question et la phrase où ce groupe est remplacé par un seul morphème aient la même structure syntaxique. Cela veut dire que, dans ce contexte, ils doivent appartenir au même paradigme. Leur identité fonctionnelle est ordinairement manifestée par le fait que leur commutation est possible dans d'autres contextes syntaxiques. Si cette commutation n'est pas quelque peu généralisable, elle risque de n'avoir aucun intérêt pour l'analyse syntaxique de la phrase étudiée. Un tableau de commutations comme le suivant: 8 l- es rois le monde très simplifiéque pour eux est grandParis rapidement savait voir rapidement fig. 7: Fausses commutations n'a absolument aucune pertinence pour l'analyse syntaxique de notre phrase, même si des phrases comme Il savait que pour eux Paris est grand Il savait voir Paris rapidement Il savait voir rapidement sont aussi possibles en français que Il savait que pour les rois le monde est très simplifié. Car, outre le fait que la suite de mots *savait voir Paris est grand n'est pas acceptable, les cinq morphèmes que pour les rois ou les trois morphèmes que pour eux d'une part ne forment nullement une construction, et d'autre part ne peuvent en aucune façon être considérés comme appartenant au paradigme de l'infinitif voir. Ils n'ont pas du tout la même relation syntaxique avec les constituants de leur environnement. Car le SN le monde dans Il savait voir le monde (ou Paris) rapidement est le complément d'objet du verbe voir, alors que dans Il savait que pour eux le monde est grand il est le sujet de est grand. De même, le verbe voir est le noyau du complément d'objet du verbe savait et pourrait être à lui seul un complément d'objet dans Il savait voir alors que la suite que pour eux n'a aucune fonction par rapport au verbe savait et ne pourrait pas suivre seule le verbe savait dans *Il savait que pour eux qui n'est pas une phrase française. Si donc on peut, dans certains cas, remplacer que pour eux par le seul verbe voir, il ne s'agit pas d'une commutation, au sens linguistique du terme. De même, l'adverbe rapidement n'a nullement le même rôle structural et donc le même fonctionnement que les SV est grand ou est très simplifié, ni du reste que les deux mots Paris rapidement, qui, du reste, ne forment pas une construction, puisque Paris est le 9 complément d'objet de voir, et que rapidement est un circonstant par rapport au SV voir Paris. De même, le verbe à l'infinitif chanter de Il ne savait pas chanter peut certes fournir une commutation acceptable de la subordonnée de Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié puisque l'infinitif et la subordonnée complétive appartiennent au même paradigme, comme on le voit dans Je veux chanter / Je veux qu'il chante Je crois avoir dit la vérité / Je crois qu'il a dit la vérité et qu'ils sont tous les deux compléments d'objet de savait. Mais rien dans Il ne savait rien / Il ne savait pas chanter ne commute pas vraiment avec pas chanter. D'abord et avant tout, parce que ces deux mots ne forment pas une construction, ne et pas étant les deux segments du signifiant discontinu du morphème de négation, lequel est une expansion du verbe savait. On peut alors se demander si rien commute vraiment avec le seul infinitif chanter, ce qui revient à se demander si rien est bien, comme chanter, le complément d'objet du verbe savait. Car la commutation Il ne savait pas chanter / *il ne savait pas rien est inacceptable. En fait le morphème rien, que la grammaire scolaire range parmi les pronoms indéfinis, ne peut pas apparaître après des verbes intransitifs: *Je ne dors rien. *Je ne marche rien. *Je ne me promène rien. Il n'apparaît qu'après des verbes transitifs: Je ne sais rien. Je ne vois rien. Je n'aime rien. Je ne mange rien. Il est donc bien le complément d'objet de ces verbes transitifs, exactement comme les autres pronoms indéfinis: Il sait tout. Il voit quelque chose. Il aime quelqu'un. Il mange tout. même s'il ne semble pas commuter avec l'infinitif chanter de Il ne savait pas chanter. Mais il présente la particularité, dans la langue écrite, mais pas dans la langue parlée, d'entraîner l'apparition de la particule préverbale dite négative ne, particule qui n'est pas un morphème de négation, mais seulement un morceau du signifiant du morphème de signifié «rien». c. Tableau des commutations de toute la phrase: Si l'on fait maintenant le tableau des commutations d'une phrase apparemment un peu plus compliquée que l'exemple examiné jusqu'à présent, on obtiendra le tableau de commutations de la figure 8. 10 fig. 8: Tableau des commutations de la phrase Si l'on faisait les commutations sur la phrase primitive, qui présentait le sujet il au lieu de le petit prince, on serait sûrement tenté de proposer les mêmes commutations et donc de postuler que la phrase Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié a deux constituants immédiats, à savoir le morphème Il et le SV ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Mais une telle analyse ne correspondrait pas au fonctionnement syntaxique du pronom personnel il. Celui-ci n'a en effet aucune des propriétés syntaxiques du SN le petit prince. A la différence de ce dernier, il ne peut recevoir aucune apposition, que celle-ci soit un SN, comme dans *Il, ce personnage énigmatique, ne savait pas… Ou une relative comme dans *Il, qui m'exaspérait, ne savait pas…. A cette première différence de fonctionnement, Denis Creissels en ajoute au moins deux autres, qui montrent que le prétendu pronom personnel il n'est pas séparable du verbe, comme petit prince sav- ait*pas l- es le monde très simplifiéle garçon ne sait le rois, est grand pour lui Jean agit ici oui que, oui voit cela Paul dort Et bravo sav- ait*pas l- es le monde très simplifiéne sait le rois, est grand pour lui Jean agit ici oui que, oui voit cela Il dort 11 peut l'être le SN le petit prince. On ne peut pas intercaler un adverbe comme aussi entre ce pronom et le verbe, ce qu'il illustre notamment par: MICHEL aussi viendra Lui aussi (il) viendra *IL aussi viendra (Creissels, 1995, Eléments de syntaxe générale, 26). En outre, les morphèmes comme il, je ou tu ne se prêtent pas du tout à la coordination. Or, "si je et tu, écrit Denis Creissels, occupaient réellement la même position qu'un nom en fonction de sujet, on devrait s'attendre à pouvoir construire (36) et (37) (qui en français ne constituent pas des phrases acceptables) sur le même modèle que (35): (35) Michel et Jean viendront (36) *Michel et tu viendrez (37) *Tu et je viendrons" (Creissels, 1995, 27). La seule façon d'expliquer ces particularités de fonctionnement est d'admettre que le morphème il et le SN le petit prince n'appartiennent pas au même paradigme et que si le SN le petit prince se combine bien avec le SV ne savait pas que… est très simplifié, le morphème il doit se combiner avec le seul verbe savait, exactement comme en latin, où l'on aurait les deux phrases: Nesci-eba-t mund-um … simplic-em es-se Paru-us princep-s nesci-ebat ... simplic-em es-se et où la première phrase n'a pas de sujet, mais contient un morphème personnel de signifiant -t et de signifié «lui». Personne n'envisagerait l'idée de considérer que la désinence -t et le SN paruus princeps appartiennent au même paradigme. En français, les morphèmes il, je et tu sont comme les désinences du latin de simples constituants du verbe. Et la différence entre le français et le latin est purement morphologique: le latin place, dans la chaîne parlée, ses morphèmes de personne après le verbe, et le français avant le verbe. En latin, ce sont des suffixes, en français des préfixes. Mais ce sont des préfixes qui ont la particularité d'être syntagmatiquement ou linéairement séparables du verbe et de former un mot, ce qui est impossible aux suffixes du latin. Maurice Gross les appelait PPV, c'est-à-dire particules préverbales, et Denis Creissels les appelle "indices pronominaux" (1995, 24). La grammaire traditionnelle "pronoms personnels conjoints" ou "pronoms personnels non accentués (ou atones)" ou encore "pronoms clitiques". Comme la négation est aussi une particule préverbale, on considérera que il ne savait pas est une construction de 4 morphèmes, que l'on ne peut pas faire commuter avec un seul lexème verbal, car celui-ci sera forcément accompagné 12 d'un morphème personnel, comme dans il voit ou il dort. Mais il est possible de la faire commuter avec le seul lexème voilà, qui n'est pas un verbe, ou avec le lexème verbal impersonnel c'est, qui, lui, est un verbe, puisqu'il se conjugue. . 2. Représentation graphique: L'une des plus lisibles est ce qu'on appelle un "arbre": elle permet de bien voir d'une part la décomposition en constituants immédiats de toutes les constructions de la phrase, et d'autre part l'appartenance à une classe paradigmatique de chaque constituant de la phrase. il ne sav- ait*pas l- es rois, le monde très simplifié le est grand pour lui Jean agit ici oui que, oui voilà Pierre P:SV SP Sub P V VNég ImpfPers3 P SN SV Adv Adj Adj VDet N SPrép Prép SN N Det Det Plur Il ne sav - ait pas que, pour l - es rois le monde est très simplifié 13 3) Autour de la fonction de sujet : Les deux questions posées concernent de près ou de loin la fonction syntaxique de sujet. a. Le sujet: Il fallait d'abord dire ce qu'en termes de constituants, il y a de commun et de différent dans les deux sujets le petit prince et le monde. Tous les deux sont des SN qui sont d’une part des C.I. de P, et d’autre part des adjonctions de SV, c'est-à-dire qu'ils forment avec un SV une construction exocentrique. Ces deux constituants de la phrase peuvent ainsi être définis en termes de constituants immédiats comme des C.I. d’une construction P exocentrique. Ils présentent donc une même caractéristique constructionnelle ou syntaxique. Mais ils n'occupent pas la même position structurale dans cette phrase. La construction le petit prince est un C.I. de la phrase; c'est un C.I. d'un P qui n'est pas dominé et qui embrasse toute la phrase. Par contre le monde est un C.I. dans une proposition subordonnée. Très précisément, c'est un C.I. d'une P exocentrique, qui est, elle-même, un C.I. de la P endocentrique cette fois, pour les rois, le monde est très simplifié, laquelle est le constituant phrasoïde de la construction exocentrique que l'on appelle traditionnellement proposition subordonnée et que nous avons étiquetée SP. On voit ainsi l'intérêt de l'analyse en constituants immédiats, qui permet de définir facilement et de façon précise les différences de position syntaxique dans la phrase. Par ailleurs, les deux constituants qui remplissent la même fonction de sujet n'ont pas du tout la même structure interne: le syntagme le petit prince a une structure interne plus complexe que le syntagme le monde. Certes tous les deux sont une construction exocentrique formée d'un Déterminant et d'un N, mais le N de l'un est une construction endocentrique formée d'un Adjectif et d'un Nom (petit prince), alors que celui de l'autre est simplement un morphème lexical (monde). Si l'on s'intéresse maintenant au pronom il de la phrase Il ne savait pas … très simplifié, il est évident qu'il ne peut pas avoir la même fonction syntaxique que le petit prince, puisque nous avons vu plus haut qu'il n'était pas un C.I. de P, mais un C.I. de V. Ceci n'empêche pas qu'au point de vue du sens, il joue le même rôle que le SN le petit prince: comme lui il désigne l'individu qui est concerné par la propriété sémantique exprimée par la suite de morphèmes ne savait pas que … est très simplifié (suite qui dans un cas est une construction, mais dans l'autre ne l'est pas). Et l'on se trouve devant le dilemme ou de dire que il ne remplit pas la fonction syntaxique de sujet, ce qui est contraire à l'analyse traditionnelle qui parle alors de pronom sujet, ou de dire qu'il a bien la fonction de sujet, ce qui revient à définir une fonction syntaxique essentiellement en termes sémantiques, puisque c'est 14 seulement au point de vue sémantique que il et le petit prince jouent le même rôle, leur rôle structural étant différent. Le choix est simple: si on a une conception vraiment syntaxique de la syntaxe, c'est-à-dire une conception constructionnelle, on est obligé de reconnaître que syntaxiquement le morphème personnel il ne saurait être un sujet. On observera que la phrase Tous les hommes sont des sujets a deux constituants immédiats, à savoir le SN tous les hommes, et le SV sont des sujets, et que le SN, auquel on reconnaît traditionnellement la fonction de sujet, est bien un C.I. de P exocentrique. Par contre, sa structure interne pose un petit problème, suivant la position structurale que l'on reconnaît à tous. Traditionnellement, on y voit un prédéterminant, et donc un constituant du déterminant tous l-es et une expansion du déterminant proprement dit l-es. Mais il serait possible d'y voir plutôt un C.I. du SN tous les hommes, et par conséquent une expansion du SN les hommes. Cette seconde analyse est peut-être préférable, à cause de la relative indépendance syntaxique de tous dans des phrases comme Les hommes sont tous des sujets Tous sont des sujets b. L'extraposition: Il fallait dire ce qu'il y a de commun et de différent entre la fonction de sujet et la fonction du SPrép pour les rois. Un tel rapprochement peut paraître à première vue surprenant; car on ne voit pas ce qu'il peut y avoir de commun entre un sujet et ce qu'on appelle traditionnellement un complément circonstanciel, sauf si l'on a défini le sujet comme étant ce dont l'énoncé parle; car dans une phrase comme Pour les rois, le monde est très simplifié le prétendu complément circonstanciel indiquerait bien à propos de qui l'énoncé dit que le monde est très simplifié, ce qui le rapprocherait du sujet. En termes de constituants immédiats, il est facile de voir ce qu'il peut y avoir de commun entre pour les rois et le petit prince: dans les deux cas, on, a affaire à un C.I. de P. Mais il y a une grande différence syntaxique entre ces deux constituants. Le sujet le petit prince est, comme tout sujet, un C.I. de P exocentrique, alors que le syntagme pour les rois est un C.I. de P endocentrique. Ceci veut dire que le SPrép est une expansion de P, et non, comme le SN sujet, une adjonction de SV. On pourra appeler la fonction de ce SPrép une extraposition. 4. La traduction anglaise: He did not know how the world is simplified for kings. To them, all men are subjects. (trad. de Katherine Woods, p. 41). 15 Cette phrase présente un petit problème au point de vue de l'analyse en morphèmes. On peut découper He d-id not know en 4 morphèmes: le morphème personnel He «lui», le morphème -id de prétérit de do, le morphème à signifiant discontinu de négation d… not, et le lexème know «savoir». Au point de vue syntaxique, cette phrase ne pose que deux problèmes. D'abord, le morphème de personne He peut être tonique, comme en français lui, ou atone comme en français il. Tonique, il sera un C.I. de la phrase, atone, il sera un C.I. du verbe He did not know. Ensuite, le SPrép for kings. Ce peut être un C.I. de SV et en même temps une expansion de SV, auquel cas c'est un circonstant. Mais ce pourrait être un C.I. de P, si une rupture intonative le séparait du reste de l'énoncé, auquel cas ce serait une expansion de P placée en fin de phrase. a. Tableau des commutations: Le tableau suivant fait du ProSN He le sujet de la phrase, et du SPrép for kings un constituant du SV. d-id not know the world is simplified king- s does know for kingworks "travaille" to day "aujourd'hui" he speaks "parle" how often "souvent" knows it "cela" He dreams "rêve" b. L'arbre suivant représente graphiquement l'analyse syntaxique obtenue à l'aide de ces commutations: Ainsi on voit clairement que la phrase anglaise n'a pas la même structure syntaxique que la phrase française qu'elle traduit. 5. Les traductions italienne et espagnole par contre ont exactement la même organisation syntaxique que la phrase française. a. L'italien d'abord: Non sapeva che per i re il mondo è molto semplificato. Non sapeva-Ø che per i re il mondo è molto semplifica-to Pas savoir-Impf-il que pour le+Plur roi le monde être très simplifi-é (Nini Bompiani Bregoli, 48) 16 Les seuls petits problèmes de cette phrase italienne relèvent de l'analyse en morphèmes. Sapeva du verbe irrégulier sapere «savoir» contient 3 morphèmes sape-va- Ø et non pas sape-v-a ou sape-v-a, comme pourraient le donner à penser les commutations sap-eva ~ ripet-eva «il répétait» sapev-a ~ sapev-o «je savais» ~ sapev-i «tu savais» Car à toutes les conjugaisons, on observe un morphème d'imparfait tantôt en -va- tantôt en -v-, suivant qu'il est devant consonne ou devant voyelle: sapeva-mo «nous savions», sapeva-te «vous saviez», parlava-mo «nous parlions», parlava-te «vous parliez», etc. Le second problème est l'article pluriel i, qui est un amalgame du morphème de «définitude» et du morphème de «pluralité». Ces problèmes résolus, on peut proposer le tableau de commutations suivant: Non sape- -va- - Ø i il mundo molto simplificato lo re è grande «grand» per lo «lui» Dio «Dieu» agisci «agit» certo «certes» si che si «oui» sa-Ø «il sait» quello «cela» Ici, on considère que l'expression verbale formée de quatre morphèmes est une construction à quatre constituants immédiats, tous ses constituants étant au même niveau. On pourrait certes admettre que si seuls les morphèmes personnels et les morphèmes temporels se combinent le lexème verbal, la négation se combine avec cette construction à trois constituants immédiats. L'analyse syntaxique à laquelle correspond ce tableau des commutations peut être représentée graphiquement par l'"arbre" suivant: 17 b. L'espagnol soulève à peu près les mêmes problèmes morphologiques. No sabía que para los reyes el mundo está muy simplificado. No sab-ía-Ø que para lo-s rey-es el mundo está muy simplifica-do Pas savoir-Impf-il que pour le-Plur roi-Plur le monde être très simplifi-é (Bonifacio Del Carril, 45) Le morphème de Personne 3 a un signifiant zéro, et est homonyme du morphème à signifiant zéro de Personne 1, comme on le voit dans les commutations suivantes: sabía «je savais», sabía-s «tu savais», sabía «il savait», sabía-mos «nous savions», sabía-is «vous saviez», sabía-n «ils savaient». Quant à l'imparfait, il a un signifiant invariant -ía- que l'on trouve à toutes les conjugaisons, sauf à la première conjugaison et pour le verbe estar «être», où l'on a l'allomorphe -ba-: canta-ba «ja chantais» (cantar), bebía «je buvais» (beber), vivía «je vivais» (vivir) estaba «j'étais» (estar), había «j'avais» (haber). Le pluriel a, en espagnol, un signifiant discontinu. On connaît la règle: "Les noms terminés par une voyelle atone ajoutent s. <…> Les noms terminés par une consonne ou un y, considéré comme une consonne, ajoutent es." (Duviols & Villégier, 1958, Grammaire espagnole, Hatier, 38). D'ou el rey fait au pluriel lo-s rey-es, avec une variante lo- que l'on retrouve au neutre. SubImpf SPrép Prép SN N Det Det Plur Non sape –va - Ø che, per i re, il mundo è molto simplificato Pers3V P:SV SPV Nég P P SN SV Adv Adj Adj VDet N 18 6. La traduction allemande présente à peu près la même organisation syntaxique, si l'on ne tient pas compte de la position finale du verbe de la proposition subordonnée, qui n'a aucun rôle syntaxique et qui n'est qu'une particularité syntagmatique et donc morphologique de l'ordre des mots allemands. a. L'analyse en morphèmes est forcément plus délicate que dans les autres langues envisagées jusqu'à présent, parce que l'allemand est une langue à flexion casuelle. Ainsi la suite de quatre segments d-ie König-e est formée de trois morphèmes: le lexème König- «roi», le déterminant d- «le», et le signifiant discontinu -ie… -e du morphème de pluralité. En vérité, c'est une des variantes de ce morphème de pluralité; c'est la variante à l'accusatif. En effet la préposition für n'est pas le signifiant du morphème «pour», mais seulement un segment du signifiant de ce morphème, lequel a en fait un signifiant discontinu /für … Acc/. L'article de d-ie Welt contient le morphème de définitude d- «le» et la variante féminine du morphème fonctionnel de sujet, dont le signifiant est le nominatif. Einfach-es contient le morphème einfach- «simple» et le nominatif -es, qui est le signifiant de la fonction d'attribut, c'est-à-dire de complément d'un verbe d'état comme «être», en allemand sein. Le problème que posent tous ces morphèmes fonctionnels, c'est de savoir s'ils doivent être représentés dans l'arbre qui correspond à la structure syntaxique de la phrase. A mon avis, non; car si l'on a une conception vraiment syntaxique, c'est-à-dire constructionnelle des fonctions syntaxiques, celles-ci seront indiquées, dans les arbres, précisément par les embranchements qui correspondent à la décomposition en constituants immédiats. Par exemple, si l'on définit la fonction de sujet par le fait d'être à la fois un C.I. d'une P exocentrique et une expansion de SV, ce sont les embranchements mêmes spécifiant cette décomposition qui indiquent cette fonction syntaxique. Il n'est donc pas nécessaire de l'indiquer une seconde fois par un nœud spécial de l'arbre qui porterait l'étiquette de "Sujet". En fait les étiquettes appliquées aux nœuds de l'arbre ne doivent indiquer que des catégories. Les fonctions syntaxiques, qui ne sont pas des catégories, mais des relations entre catégories, ne sauraient par conséquent correspondre à un nœud d'arbre. La différence alors entre une langue à flexion casuelle comme l'allemand et une langue sans flexion casuelle comme le français vient de ce que l'allemand donne un signifiant segmental à ses morphèmes fonctionnels, alors que le français leur donne un signifiant positionnel. En français, ce n'est en effet généralement pas un cas qui indique la fonction syntaxique, mais la position relative des constituants dans la chaîne parlée. Mais il arrive que le français utilise parfois des signifiants segmentaux, comme la préposition de, qui est le morphème fonctionnel de complément de nom, ou les prépositions à et de qui sont le signifiant du morphème fonctionnel de 19 complément de verbe. Ces prépositions sont alors très exactement l'équivalent de cas comme le génitif ou l'accusatif de l'allemand, à cette différence toutefois près que les cas sont morphologiquement des suffixes, et les prépositions des préfixes linéairement séparables du nom qui est le noyau du syntagme dont ils indiquent la fonction syntaxique. Er wusste nicht, dass für die Könige die Welt etwas höchst Einfaches ist Er wuss-te nicht, dass für d-ie König-e d-ie Welt etwas höchst Einfach-es ist Lui(Nom.) savoir-Prét pas que pour le-Plur(Acc) roi-Plur le-Nom monde qq.chose très simple-Nom être b. Remarques grammaticales: etwas höchst Einfaches: «quelque chose d'extrêmement simple». D'abord "etwas, nichts: Ces deux pronoms sont indéclinables" (Bresson, 237). Ensuite "etwas, nichts, jemand + adjectif substantivé qui détermine le pronom" (Bresson, 237). Exemples: etwas anderes «quelque chose d'autre», nichts anderes «rien d'autre», etwas Neues «quelque chse de nouveau», nichts Neues «rien de nouveau», avec cette particulartité que "ander- est toujours écrit sans majuscule dans cet emploi. On écrit cependant: das Andere (l'autre, ce qui est autre)" (Bresson, 237). Que faut-il entendre par "adjectif substantivé? On peut dire que c'est un adjectif qui entre" dans le paradigme du SN, ou un adjectif qui fonctionne en tant que SN. En allemand, deux choses indiquent ce phénomène. D'abord la majuscule de Einfaches; car tous les substantifs reçoivent en allemand une majuscule. Et ensuite le nominatif neutre -es de Einfach-es. Car en allemand l'adjectif attribut est invariable: Es ist einfach «C'est simple», alors que le SN nominal attribut se met au nominatif. Ici, le nominatif neutre; car les adjectifs substantivés sont au neutre pour désigner une qualité (cf. das Schöne «le beau», etwas Schönes «quelque chose de beau»). c. Tableau des commutations: wuss- te nicht die König- e die Welt hochst Einfach- es weisst «sait» dies- «ceux-ci» etwas Einfach- für ihn «lui» einfach «simple» ist jenes «cela» kommt «vient»heute «aujourd'hui» ja «oui» dass ja weisst dieses «ceci» Er schläft «dort» 20 L'ensemble de ces commutations correspond à l'organisation syntaxique que représente l'arbre suivant: Plur Er wuss - te nicht dass für d-ie König- e d-ie Welt etwas hochst Einfach-es ist P Det N SN SN Det N:Adj Adv Adj SV V P SVProSN V Prét V Nég V SP Sub P SPrép "pour" SN Det N SN Plur 21 Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. (Saint-Exupéry, Le petit prince, III, p. 417) Dans cette phrase, il y a aussi autant de morphèmes que de mots, sauf ne… jamais, qui est un morphème à signifiant discontinu, posait et semblait, qui ajoutent à un lexème verbal le morphème -ait de « non actuel », et les, qui réunit linéairement le morphème de «définitude» l- et le morphème de «pluralité» -es. all. Der kleine Prinz, der viele Fragen an mich richtete, schien die meinen nie zu hören. (p. 13) angl. The little prince, who asked me so many questions, neer seemed to hear the one I asked him. (trad. de Katherine Woods, p. 11) it. Il picolo principe, che mi faceva una domanda dopo l’altra, pareva che non sentisse mai le mie. (trad. Nini Bompiani Bregoli, p. 17) esp. El principito, que me acosaba a preguntas, parecía nunca oír las mías. (trad. de Bonifacio Del Carril, p. 18) Questions: 1. Dites quelle fonction syntaxique les grammaires scolaires reconnaîtraient à 1) petit, 2) prince, 3) qui me posait beaucoup de questions et 4) beaucoup de questions et les miennes. 2. Expliquez et discutez comment elles définiraient ces fonctions et comment il serait possible de les définir en termes de constituants immédiats. 3. Faites l'arbre qui représenterait la structure syntaxique de cette phrase, en donnant les explications nécessaires. 4. Faire le même travail sur l’une de ses traductions. 2. Définitions traditionnelles et en termes de C.I. des fonctions syntaxiques: a. Epithète: Voici la définition du Lexique de Marouzeau: "Epithète [Attribut, Beifügung, Epitheton ¶ Adherent, Attribute ¶ Epiteto]. Adjectif étroitement accolé (gr. epi-thetos) au nom, au point de faire groupe avec lui, par exemple dans l'emploi qualificatif (une grande maison), par opposition à l'adjectif attributif ou prédicatif" (Marouzeau, 1969, Lexique de la terminologie linguistique, 88)? On trouverait à peu près la même définition dans une grammaitre scolaire: 22 "L'adjectif qualificatif est épithète quand, placé à côté d'un nom dont il indique une qualité, il forme corps avec lui" (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 44). De fait, dans la phrase de Saint-Exupéry, l'adjectif petit est bien à côté du nom prince. Mais si en français, d'une façon générale, l'adjectif épithète suit ou précède souvent un nom, il n'est pas toujours placé à côté de ce dernier. Dans le gentil petit garçon, pour dénouer avec mes dents les lacets de leurs terribles petites chaussures blanches (Didier Decoin, 1987, Autopsie d'une étoile, éd. du Seuil, 57), la graine d'une toute petite fleur fragile et bleue (Didier Decoin, 1987, Autopsie d'une étoile, éd. du Seuil, 55), les adjectifs gentil, terribles et bleue sont directement à côté d'un adjectif et non pas d'un nom, et on y verra pourtant des épithètes. La définition de la fonction d'épithète est donc insuffisante, puisque parfois fausse. En termes de constituants immédiats, il est assez facile de définir la fonction d'épithète. Sont épithètes les adjectifs qui se combinent avec un nom et forment avec lui une construction endocentrique. Tel est bien le cas du groupe de morphèmes petit prince. Cette construction est traditionnellement étiquetée MN (Membre Nominal) ou GN (Groupe Nominal). Elle ne doit surtout pas être étiquetée SN, comme le serait la combinaison le prince; car cette dernière combinaison est exocentrique, alors que la construction petit prince est endocentrique. On peut tout aussi bien étiquetée la construction petit prince N, en entendant par là qu'il s'agit d'un nom syntaxique, c'est-à-dire d'un groupe syntaxique qui a le même rôle syntaxique et sémantique qu'un nom. Cet étiquetage a l'avantage de signifier explicitement que cette construction est endocentrique, c'est-à-dire qu'elle peut commuter avec un de ses constituants immédiats, celui-ci appartenant au même paradigme et à la même classe catégorielle que la construction. Il a un second avantage: il montre bien que dans gentil petit garçon, l'adjectif gentil est épithète non de garçon, mais de petit garçon, et est par conséquent expansion d'un N (en l'occurrence le nom syntaxique petit garçon), exactement comme l'adjectif petit est expansion d'un N (qui est, lui, le N lexical garçon). b. Sujet: Scolairement, on doit dire que le nom commun prince est sujet du verbe semblait. Mais que faut-il entendre par "sujet"? 1) On nous dira en simplifiant beaucoup les choses, que le sujet, c'est «celui qui a fait l'action d'être allé»: "Dans la grammaire traditionnelle, écrit par exemple Mortéza Mahmoudian dans La linguistique, Guide alphabétique à l'article "Fonctions grammaticales", fonction est 23 d'un emploi très courant et sert à désigner le rôle qu'assume un mot dans la phrase, par exemple fonction sujet, fonction objet, etc., ceci par opposition à sa nature (son espèce) qui désigne la partie du discours à laquelle il appartient. La nature du mot est définie par approximation sémantique: le nom est un mot qui exprime une chose, une entité; l'adjectif «exprime 'une qualité', une manière' d'être d'un nom», le verbe est «l'expression de l'action ou de l'état». De même, la définition des fonctions est faite en termes sémantiques: «le sujet désigne l'être ou l'objet qui fait telle action»; l'objet est le terme qui désigne la personne ou la chose «sur qui passe l'action». (Martinet, [éd.], 1969, 111). Mais les grammaires peuvent présenter des définitions moins simplificatrices et par conséquent moins fausses, qui tiennent compte du fait que si bon nombre de verbe expriment une action, ce n'est pas le cas de tous. La petite Grammaire française de Larousse dit par exemple: "Un nom est sujet d'un verbe quzand il désigne la personne ou l'objet qui fait l'action ou qui est dans l'état indiqué par le verbe actif: Les arbres perdent leurs feuilles en automne. Arbres sujet de perdent. Le vent se lève. Vent sujet de se lève. L'enfant semblait perdu au milieu de cette foule. Enfant, sujet de semblait." (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 24), La Grammaire de l'Académie est encore plus précise: "Le nom, sujet réel d'un verbe, désigne soit l'être ou la chose qui fait ou subit l'action exprimée par le verbe, soit l'être ou la chose à qui on attribue tel ou tel état, telle ou telle qualité au moyen d'un verbe: Pierre lit, Paul est puni par son père. Mon frère est malade. Le temps devient mauvais." (Grammaire de l'Académie, 1932, 28). On voit tout de suite que la définition sujet est loin d'être unitaire, et que dans tous ces cas on définit la fonction de sujet par des considérations sémantiques, ou plus exactement en termes de désignation référentielle. C'est déjà curieux de ne définir ainsi une fonction syntaxique que par des caractéristiques sémantiques. Mais cela devrait amener à faire l'observation critique suivante: est-ce la désignation du seul nom prince, qui est considéré comme le sujet proprement dit, ou celle du syntagme le petit prince qui a fait l'action de sembler ou plus exactement de ne jamais sembler entendre mes questions? Les logiciens, eux, appelleraient de façon plus cohérente sujet dans la proposition Le petit prince ne semblait jamais entendre les miennes, le contenu ou plutôt la désignation de tout le syntagme le petit prince. Car, le sujet, a-t-il fait l'action de «sembler» ou celle de «ne jamais sembler entendre 24 mes questions»? Devant toutes ces difficultés, on pourrait chercher une autre définition du sujet. 2) On pense alors, en se situant toujours au niveau sémantique, au sens courant du mot sujet en français, que l'on a par exemple dans sujet de discussion, sujet d'une dissertation, sujet d'un roman et l'on propose de définir le sujet, à la façon des logiciens, comme présentant le thème de l'énoncé, c'est-à-dire désignant ce dont l'énoncé dit quelque chose. Telle était la définition du Bon usage de Grevisse: "Le sujet est le terme considéré comme le point de départ de l'énoncé; il désigne l'être ou l'objet dont on dit quelque chose en se servant d'un verbe: L'ÉLÈVE écrit. DIEU existe. L'HOMME est mortel ." (Grevisse, 19597, 131) Il est vrai que la phrase de Saint-Exupéry dit quelque chose à propos du petit prince. Elle dit qu'il ne semblait jamais entendre mes questions. Mais cela n'est pas tout le temps vrai. Si on prend par exemple une phrase comme Ce garçon, mon frère le connaît bien il est évident que cette phrase nous dit quelque chose à propos de l'individu désigné par ce garçon, alors que son sujet, c'est le SN mon frère. C'est la raison pour laquelle la dernière édition du Bon usage abandonne cette définition, et se contente de dire que dans une phrase de deux mots comme Jean rougit, "Nous appelons la fonction du premier (Jean) sujet et la fonction du second (rougit) prédicat" (Grevisse & Goosse, 199313 , 301). Elle s'efforce ensuite de préciser quatre caractéristiques du sujet, en reconnaissant qu'elles ne sont pas constantes. Il s'agit a) de l'ordre des mots, qui veut que le sujet précède le verbe, b) de l'appartenance à la classe des substantifs, c) de l'accord en personnes et en nombre qu'il impose au verbe dont il est le sujet, et enfin d) de son rôle, au point de vue du contenu, de thème dont l'énoncé dit quelque chose. Mais dans le mesure où ces différentes caractéristiques ne sont pas constantes, cela veut dire, comme le reconnaît honnêtement, André Goosse, que "par conséquent, il est impossible de donner du sujet et du prédicat des définitions qui satisfassent entièrement" (Grevisse & Goosse, 199313 , 301). Voilà qui est particulièrement génant et notoirement peu scientifique. Cela n'apporte qu'une apparente solidité verbale, si on dit qu'il s'agit là de qualutés prototypiques, c'est-à-dire de qualités qui ne sont vraies que des occurrences représentatives du sujet, mais que les instances plus ou moins marginales et éloignées de ces dernières peuvent ne pas présenter. Ceci revient à éliminer les occurrences qui tiennent en échec la définition, mais seilement par un tour 25 depasse-passe qui consiste à prétendre que les exceptions ne sont pas des exceptions, mais qui ne les explique pas de façon logique et cohérente. 3) Pour éviter cette solution purement verbale, on pourrait penser à définir le sujet par des propriétés proprement grammaticales. C'est ce que fait notamment Joëlle GardesTamine, en recourant à deux critères hiérarchisés qui relèvent de la grammaire, à savoir l'accord et l'ordre des mots: "en premier lieu, le sujet impose un accord au verbe, qui marque clairement leur interdépendance. Cet accord se fait en genre et en nombre: L'enfant jouera. Les enfants joueront. Le garçon est grand. La fillette est grande. et en personne, selon le cas: Je jouerai. Tu joueras. <...> Par ailleurs, l'ordre des mots est également un critère permettant de repérer le sujet. Ainsi dans la phrase assertive, le sujet précède le verbe, ce qui permet en particulier de distinguer le sujet de l'objet, puisque notre langue ne possède plus de cas pour marquer la fonction: Pierre voit Paul. Paul voit Pierre. On définira donc le sujet comme l'élément qui impose ses marques d'accord au verbe avec lequel il entretient des contraintes d'ordre" (Gardes-Tamine, Joëlle, 1988, La Grammaire, 2, 103). "Ces deux critères, d'accord et d'ordre, sont donc manifestes et précis. Il faut néanmoins noter que ces critères morphosyntaxiques ne sont pas universels et peuvent varier d'une langue à l'autre" (Gardes-Tamine, Joëlle, 1983, "Introduction à la syntaxe (suite), Les fonctions nominales: sujet et attribut", in: I.G. 19, 46). De fait, dans notre exemple, le verbe semblait s'accorde avec prince, ou mieux avec le petit prince. Il est au singulier, parce que le nom prince est au singulier. Le mot prince n'a en effet pas de -s final, à l'écrit; il est donc au singulier. A l'oral, on dirait plutôt, il se combine avec l'article le, et non avec l'article les, auquel serait ajouté le morphème de pluriel -es. Cela fait que le verbe est lui aussi au singulier. Si on remplaçait le petit prince par les petits princes, alors le verbe devrait se mettre au pluriel: semblaient, qui n'est manifeste qu'à l'écrit. Mais on remarquera au moins deux choses. D'abord il est curieux de définir une fonction syntaxique comme la fonction de sujet est définie par une propriété morphologique. Ensuite cette définition ne sera pas valable pour les langues sans morphologie, qui, comme le chinois par exemple ont un verbe invariable. Mais même en français, cette définition n'est pas praticable, lorsque le verbe a une forme invariable comme un infinitif ou un participe présent: 26 Et Grenouilles de se plaindre, /Et Jupin de leur dire: «Eh quoi! Votre désir / A ses lois croit-il nous astreindre?» (La Fontaine, III, 4, "Les Grenouilles qui demandent un roi") Ma mère ayant achevé sa lecture, la conversation s'engagea (Mais: Les parts étant faites, on se mit à manger) (cf. Grevisse & Goosse, 199313 , 352). La définition morphologique est certes très utile pour le français, mais elle n'est pas satisfaisant, au point de vue théorique. c. Complément d'objet: Les définitions traditionnelles se situent plus ou moins au niveau sémantique pour rapprocher l'appellation complément d'objet d'un des sens du mot objet, celui de "but, ce vers quoi tend une action", comme dans l'objet de mes voeux, l'objet que je me propose, om a atteint son objet, etc. C'est le genre de définition que propose le Lexique de Marouzeau: "Par un emploi symétrique à celui de sujet, on appelle objet ou complément d'objet le terme énonçant la personne ou la chose qui est présenté comme le but de l'action, dit aussi régime ou complément" (Marouzeau, 1969, Lexique de la terminologie linguistique, 159). C'est aussi la définition du Bon usage de Grevisse: "Le complément d'objet énonce la personne ou la chose sur laquelle passe l'action du sujet: cette personne ou cette chose est donc l'objet de l'action: J'éteins le FEU. Le menteur nuit à son PROCHAIN " (Grevisse, 19597, 140) "Le complément d'objet est un complément essentiel, non adverbial. Selon qu'il est introduit ou non par une préposition, il est appelé direct ou indirect. On disait autrefois régime direct, régime indirect, termes qui peuvent être, à l'occasion, fort commodes à employer parce qu'ils se réfèrent à la forme grammaticale, et non au sens. En effet, selon la définition traditionnelle, le complément d'objet énonce la personne ou la chose sur lesquelles passe l'action du sujet; cette personne ou cette chose sont présentées comme supportant l'action, comme étant l'objet de l'action, comme marquant l'aboutissement, l'achèvement du procès. On ne peut nier que cette définition ne convienne à des exemples comme J'éteins LE FEU. Le menteur nuit À SA RÉPUTATION. — Mais elle s'applique assez mal à d'autres cas: J'ai reçu une GIFLE. Berthe a LA ROUGEOLE. " (Goosse-Grevisse, 199313, 381-382). Pour remédier à cette difficulté, on peut s'appuyer sur des propriétés plus grammaticales comme l'ordre des mots ou les alternances possibles. 27 "La définition sémantique souvent avancée pour le complément d'objet direct (le COD est ce sur quoi s'exerce l'action exprimée par le verbe) n'est guère plus satisfaisante que la définition sémantique du sujet, et la relation du verbe et du COD est tout aussi diverse que celle du verbe et de son sujet: objet sur lequel s'exerce le procès: Je déguste une glace. résultat du procès: Je creuse un trou. lieu du procès: Je descends la pente. cause du procès: Je clame ma colère, etc. Mais il est beaucoup plus difficile que pour le sujet d'en proposer une définition formelle, car il n'existe pas de critère unique et spécifique. On définira donc le COD de la façon suivante: il se trouve après le verbe et n'est pas déplaçable, il peut être pronominalisé par le, la, les, en particulier dans le détachement: Ma peau supporte très bien le soleil. Le soleil, ma peau le supporte très bien" (GardesTamine, Joëlle, 1988, La Grammaire, 2, 105) Si on fait l'analyse en constituants immédiats d'un certain nombre de phrases différentes, comme nous l'avons fait, il devient assez facile de distinguer, au point de vue structural ou constructionnel, le sujet et l'objet. Les constituants qui remplissent ces fonctions ne se trouvent pas au même niveau structural: l'un se combine avec un SV, l'autre avec un V; l'un est un constituant immédiat de P, l'autre de SV. D'où l'idée de Noam Chomsky d'opposer un groupement SN∩ SV à un groupement V∩ SN, ce qui correspond véritablement à des définitions relationnelles ou constructionnelles, et par conséquent exclusivement syntaxiques. "La notion de «Sujet», par opposition à la notion «SN», désigne une fonction grammaticale et non une catégorie grammaticale. Il s'agit, en d'autres termes, d'une notion intrinsèquement relationnelle. Il de rendre explicite le caractère relationnel de ces notions en définissant «Sujet-de» pour l'anglais comme la relation existant entre le SN d'une phrase de la forme SN∩ Aux∩ SV et la phrase tout entière, «Objet-de» comme la relation entre le SN d'un SV de la forme V∩ SN et le SV tout entier, etc. Plus généralement, nous pouvons considérer qu'une règle de réécriture définit de cette manière un ensemble de fonctions grammaticales, dont quelques-unes seulement ont été traditionnellement munies d'une dénominations explicites" (Chomsky, 1971, Aspects de la théorie syntaxique, trad. par Jean-Claude Milner, (original: 1965), 100-101). 28 Noam Chomsky parlait d'une construction SN∩ Aux∩ SV, parce qu'il admettait comme règles de formation les règles suivantes: P → SN∩ Aux∩ SV SV → V∩ SN SN → Dét∩ N (cf. Chomsky, 1971, 99). Nos analyses en constituants immédiats correspondraient bien aux deux dernières règles, mais remplaceraient la première par P → SN∩ SV la phrase ayant deux constituants immédiats, un SN et un SV, mais non pas trois, comme semble le postuler la règle de réécriture de Noam Chomsky. On remarquera, à propos d'une phrase comme Le soleil, ma peau le supporte très bien se pose le même problème qu'à propos du prétendu sujet il. Certes on pourrait dire que c'est un constituant immédiat de SV, comme dans le schéma suivant: Mais ce serait faux; car le prétendu pronom personnel le n'est nullement un ProSN. Tout comme il, il n'appartient pas au paradigme du SN, ne fonctionnant pas syntaxiquement de la même façon. Il ne peut pas notamment être séparé du verbe par une apposition: *Ma peau ne le, ce fléau, supporte pas. Le pronom conjoint le, est comme le pronom il, une "particule pré-verbale", un constituant immédiat de V. d. Complément de l'antécédent: La grammaire traditionnelle distingue, à la suite de La Logique de Port-Royal, deux sortes de subordonnées relatives: "Les propositions relatives, dont le rôle essentiel est de compléter l'antécédent, peuvent ajouter à cet antécédent un élément plus ou moins important quant au sens de la phrase. 1° Les relatives déterminatives précisent ou restreignent l'antécédent en y ajoutant un élément indispensable au sens: on ne peut les supprimer sans détruire l'économie de la phrase: La foi QUI N'AGIT POINT, est-ce une foi sincère? (RAC., Ath., I, 1) <...> SV VProSN le supporte 29 2° Les relatives explicatives ne servent jamais à restreindre l'antécédent; elles ajoutent à celui-ci quelque détail, quelque explication non indispensable: on pourrait les supprimer sans nuire essentiellement au sens de la phrase: O Mentor, votre sagese, QUI N'A BESOIN DE RIEN, ne me laisse rien à désirer pour vous (FÉN., Tél., t. I, p. 237)" (Grevisse, 19597, 1004-1005) Ces définitions de Grevisse rappellent la fonction que les grammaires scolaires reconnaissent aux relatives. Leur "rôle essentiel est de compléter l'antécédent"; les grammaires scolaires disent que ce sont par conséquent des compléments de leur antécédent. Dans l'exemple de Saint-Exupéry, la relative explicative qui me posait beaucoup de questions est le complément de l'antécédent Le petit prince. En termes de constituants immédiats, on peut être plus précis et dire que cette relative est, à l'intérieur d'un SN (en l'occurrence le SN Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions), une expansion de SN (en l'occurrence le SN Le petit prince), ou que cette relative est un constituant immédiat d'un SN endocentrique. Si on faisait l'analyse en constituants immédiats de la phrase La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère?, on s'apercevrait que la relative déterminative La foi qui n'agit point, n'est pas une expansion de SN, mais une expansion du seul N foi. La relative déterminative remplit donc la même fonction syntaxique d'épithète que l'adjectif qualificatif. 3. Faites l'arbre qui représenterait la structure syntaxique de cette phrase, en donnant les explications nécessaires. Commençons par quelques remarques concernant l'analyse en morphèmes de cette phrase. D'abord on pourrait penser que de questions est un complément de nom de beaucoup, comme dans un grand nombre de questions, un très grand nombre de questions, une foule de questions, une quantité de questions. S'il en est ainsi, il faut considérer que beaucoup est un amalgame d'un Déterminant et d'un N, et que c'est de ce N que de questions serait un complément. Une autre analyse est proposée par les grammaires. Elles considèrent que "la plupart des adverbes de degré suivis de de équivalent à des déterminants indéfinis" (Grevisse & Goosse, 199313 , 927). La Grammaire méthodique du français parle alors de "déterminants complexes" (Riegel, Pellat et Rioul, 1994, 153). Ceci veut dire que les deux segments morphologiques beaucoup et de sont, à eux deux, le signifiant d'un seul morphème qui signifie le grand nombre. Ce qui justifie cette seconde analyse, c'est le caractère figée de beaucoup de, ce qui n'est pas le cas de nombre de, puisqu'on peut avoir un grand nombre de, un très grand nombre de. les miennes: la grammaire scolaire dirait qu'il s'agit d'un pronom possessif, à distinguer du prétendu adjectif possessif mon, lequel n'est, en fait, pas un adjectif, mais un 30 déterminant, commutant avec l'article le ou le démonstratif ce. Mais quand on sait qu'il existe en français soutenu un véritable adjectif possessif qui est épithète dans un mien cousin, et attribut dans cette terre est mienne (cf. Riegel, Pellat et Rioul, 1994, 160), il devient évident que le prétendu pronom personnel n'est que la combinaison de l'article défini le avec l'adjectif possessif substantivé mien. Mais que faut-il entendre par "adjectif substantivé"? Tout simplement un adjectif qui, au lieu d'être constituant immédiat de N et donc épithète, est entré dans le paradigme du N, c'est-à-dire a un fonctionnement de nom. ne sembl-ait pas entendre: est ce que les grammaires scolaires appellent une locution verbale, c'est-à-dire une unité qui, tout en étant complexe, fonctionne comme un simple verbe. En termes de morphèmes, cela veut dire que semblait entendre est une forme du verbe entendre, qui contient trois morphèmes, à savoir le morphème de «non actuel» -ait, le lexème verbal entend-, et l'auxiliaire à signifiant discontinu sembl-… -re. Faut-il établir une hiérarchie entre ces trois morphèmes? Les commutations inviteraient à réunir sembl- et -ait. Mais si l'on admet pas a priori, comme le font certains linguistes, que le regroupement en mots est pertinent pour l'analyse en morphèmes, on ne voit pas quelle raison syntaxique obligerait à rattacher l'imparfait à la partie d'auxiliaire qu'est sembl-, d'autant que c'est alors le verbe entendre qui est mis à l'imparfait. Mais quelle différence y a-t-il entre l'auxiliaire sembler et le verbe vouloir de Il ne voulait pas entendre les miennes La suite de morphèmes entendre les miennes de Il ne semblait pas entendre les miennes (qui n'est pas une construction) n'est pas du tout une subordonnée infinitive comme peut l'être la construction entendre les miennes de Il ne voulait pas entendre les miennes. Car on ne peut pas dire: *Le petit prince ne semblait que tu entendes les miennes *Le petit prince ne semblait que j'entende les miennes *Le petit prince ne semblait qu'il entende les miennes alors qu'il est tout à fait possible de dire: Le petit prince ne voulait que tu entendes les miennes Le petit prince ne voulait que j'entende les miennes mais impossible de dire: *Le petit prince ne voulait qu'il entende les miennes On voit qu'après le verbe vouloir le SV à l'infinitif commute avec d'authentiques propositions subordonnées complétives, et que la seule complétive impossible est celle où le premier actant 31 du verbe subordonné serait la même personne que celui du verbe principal vouloir. Il y a une distribution complémentaire entre ce SV à l'infinitif et les suborbonnées complétives: Il voulait entendre / *Il voulait qu'il entende; Tu voulais entendre / *Tu voulais que tu entendes; Je voulais entendre /* Je voulais que j'entende. Il n'y a donc auncune raison de ne pas considérer ce SV à l'infinitif comme une proposition subordonnée. La situation est totalement différente après sembler: Le petit prince semblait entendre / *Il semblait qu'il entende *Le petit prince semblait que tu entendes *Le petit prince semblait que j'entende La forme apparemment verbale sembler n'est donc pas un verbe, mais simplement un auxiliaire de verbe. S'il en est ainsi, entendre les miennes ne peut pas être considérer comme le complément (d'objet) de semblait. C'est le SN les miennes qui est complément d'objet du verbe entendre, ou plutôt du verbe ne semblait jamais entendre. 32 III. Quelques fonctions syntaxiques de la phrase dite simple: Introduction Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 18 Si après avoir analysé en C.I. quelques phrases particulières, on essaie de généraliser les résultats obtenus, on va constater que l’analyse en C.I. permet de donner une définition précise aux différentes fonctions syntaxiques, définition qui sera expressément relationnel, et par conséquent vraiment syntaxique, dans la mesure où ces fonctions syntaxiques recevront alors une formulation en termes de position dans l’organisation structurale de la phrase, c’est-à-dire une formulations en termes proprement structuraux ou, comme j’aime à le dire, en termes constructionnels. Chaque fonction syntaxique va en effet pouvoir être définie comme une sous-configuration donnée de ‘arbre qui correspond à l’analyse en C.I. de la phrase où elle est réalisée. Mais pour cela, il faut préalablement disposer de l’inventaire des catégories syntaxiques auxquelles peuvent appartenir les différents constituants de ladite phrase. Dans la mesure où, pour commencer, nous travaillons principalement sur des phrases dites simples — notion qu’il faudrait définir (cf. Touratier, 1994, 503-506), on se contentera de supposer définies et identifiées les principales catégories suivantes : P, SN, Det, N, Adj, SV, V, Adv, SPrép (ou SAdv), Prép, etc. 1. Sujet et prédicat a) Définition: Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 18-21 On pourrait, à partir des exemples analysés, "définir la fonction de sujet comme le fait d’être un constituant immédiat de P et une adjonction de SV » (Touratier, 1977, 38), c’està-dire le constituant immédiat d’une construction exocentrique qui fonctionne comme une phrase et dont le second constituant immédiat est un SV, lequel remplirait alors la fonction de prédicat. Cette définition pourrait être opératoire en français, en allemand ou en anglais, comme le montrent les différentes phrases que nous avons analysées en C.I. Car dans ces trois langues c’est normalement un constituant verbal qui fonctionne comme prédicat en se combinant avec un sujet. Ceci permettrait d’attribuer la fonction de sujet à tout constituant entrant dans la configuration suivante : P SV 33 Mais une telle définition ne pourrait pas être généralisée, car il existe des langues où la fonction de prédicat n’est pas remplie par un constituant verbal, mais par un constituant dit par abus de langage nominal. C’est le cas par exemple dans lat. omnia praeclara rara (Cic., Lael. 79) « tout ce qui a de l’éclat est rare » (cf. Benveniste, 1966, 158) rus. Dom nov « la maison (est) neuve » indon. Wanita itu guru-ku « cette femme (est) mon professeur ». On pourrait tenir compte de ce fait en reformulant la définition du sujet, et en disant par exemple que « la fonction de sujet —est remplie par un constituant qui, dans une phrase exocentrique, est l’adjonction d’un SV ou de tout syntagme susceptible de commuter avec un syntagme verbal personnel » (Touratier, 1994, 335). Mais une telle reformulation aurait l’inconvénient de reconnaître une priorité du syntagme verbal sur le SN qui impliquerait en quelque sorte que le SV est lié à la fonction de prédicat. Or il lui est parfaitement possible de remplir la fonction de sujet comme dans : Faire des voyages est le rêve préféré des jeunes Mourir n’est pas mourir, c’est changer de forme. Il est par conséquent préférable de proposer une définition qui ne semble pas totalement syntaxique, mais qui se fonde néanmoins sur la syntaxe. On définira le sujet et le prédicat par deux caractéristiques simultanées, mais de niveau différent. La première caractéristique est proprement structurale et syntaxique, et est commune et au sujet et au prédicat : elle définit le sujet et le prédicat comme les deux constituants immédiats d’une construction exocentrique étiquetée P. La seconde caractéristique est sémantique, et distingue entre eux les deux constituants immédiats de la P exocentrique : elle identifie comme prédicat celui de ces deux constituants immédiats de P dont le contenu se rapporte ou s’applique à ce qui est désigné par l’autre constituant immédiat de P, et par conséquent comme sujet cet autre constituant immédiat de P au référent duquel est attribuée la propriété sémantique signifiée par l’autre constituant immédiat. b) Faut-il parler de sujet à propos du pronom personnel il ? • il dit pronom sujet : Les grammaires scolaires parlent de pronom sujet à propos des pronoms inaccentués que l’on a par exemple dans les phrases : Je comprends son émotion. Tu ne m’as rien dit. Il n’a pas entendu. Elle n’est pas venue. Ils sont partis (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 50). Mais de tels morphèmes ne peuvent pas plus être considérés comme des sujets que les désinences personnelles –o « je » ou –e « il » des exemples italiens comme 34 Capisc-o « je comprends », non sent-e « il n’entend pas ». Ce ne sont pas en effet des constituants immédiats de phrase, mais des constituants immédiats de verbe, comme le montre bien le fait qu’on ne puisse pas les séparer du verbe en ajoutant par exemple des appositions : *Je, son ami de toujours, comprends son émotion ou en intercalant des syntagmes prépositionnels ou propositionnels : *Tu, ce matin-là, comme je le craignais, ne m’as rien dit. Il existe par conséquent au moins deux types différents de verbale : des phrases à sujet et des phrases sans sujet. Mais tous les pronoms personnels du français ne forment pas forcément des phrases sans sujet. A la 3ème personne du singulier, en effet, à côté de la phrase sans sujet, mais à pronom inaccentué ou clitique : Il n’a pas vu ce pays Il existe une authentique phrase à sujet, avec le pronom dit accentué lui : Lui a vu ce pays où le pronom personnel n’est pas un constituant immédiat de V comme on le voit dans Lui, ce grand voyageur, a vu ce pays. On remarquera qu’au niveau sémantique le pronom clitique il joue le même rôle que le sujet lui : il désigne l’individu qui est concerné par le reste de l’énoncé, et correspond au premier actant du verbe utilisé. Et c’est parce qu’elles avaient une définition avant tout sémantique du sujet que les grammaires traditionnelles considéraient que il était comme lui le sujet du verbe, et parlaient donc de pronom sujet. Au niveau sémantique, il et lui jouent le même rôle, mais au niveau syntaxique, ils ne remplissent pas la même fonction, ce que montre très clairement une description en termes de constituants immédiats. (cf. Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 21). • et il dit sujet apparent? Les grammaires parlent de sujet apparent pour le même pronom il, dépourvu pourtant de signification et de référence, que l’on a dans des phrases sans sujet comme : Il lui est arrivé une aventure étonnante Il court des bruits fâcheux. C’est un sujet apparent, parce qu’il semble avoir la position d’un sujet, mais ne pas avoir de sens. Les grammaires considèrent alors comme un sujet, qu’elles appellent le sujet réel ou encore, ce qui est particulièrement révélateur, le sujet logique, le SN qui suit le verbe ainsi employé impersonnellement, lequel SN ne peut avoir que la position et la fonction de 35 complément de verbe. Mais sa particularité vient de qu’il représente effectivement le premier actant du verbe utilisé, alors que normalement un complément de verbe correspond au 2ème actant du verbe. Quant à il, il n’a aucune valeur anaphorique ou déictique, exactement comme dans il pleut. C’est un segment morphologique nécessaire, sans lequel le lexème verbal ne peut pas apparaître dans la chaîne parlée. (cf. Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 21) c) Faut-il parler de prédicat à propos de phrases • comme Bobo ! Il pleut ou Voilà le facteur ? C’est ce que l’on admet traditionnellement, en disant que la phrase est alors réduite au seul prédicat. Cela est plus ou moins impliqué dans la définition que Marouzeau donnait du prédicat : « le mot désigne, dans une proposition composée essentiellement de deux termes, celui des deux qui est affirmé de l’autre (gr. kat-êgorêma, lat. praedicatum), qui exprime une attribution à l’autre (d’où aussi le nom d’attribut, parfois employé dans le même sens) : le jour (sujet) paraît (prédicat) » (Marouzeau, 19693.3 , 184). Mais si, comme dans notre définition, il n’y a pas de prédicat sans sujet, ni de sujet sans prédicat, on ne qualifiera pas de prédicat le seul constituant verbal (ou nominal) d’un énoncé. Ceci n’empêchera pas de dire, comme dans la langue courante qu’il y a prédication, quand l’énoncé se réduit à un seul constituant exprimant une propriété sémantique qui est attribuée à celui qui parle, comme dans Bobo !, à la situation dans la laquelle se trouve celui qui parle, comme dans Il pleut ou Voilà le facteur, ou même à un individu donné que rappelle le morphème personnel du verbe, comme dans Il écoute la radio. • comme Pas mal, la nana ou Pas folle, la guêpe ? On peut envisager deux analyses différentes pour ces énoncés. On peut dire qu’il s’agit de phrases à deux constituants immédiats dont le premier est le prédicat, et le second le sujet, l’inversion pouvant être considérée comme la marque formelle permettant d’identifier le constituant nominal qui remplit la fonction de sujet. C’est par exemple le point de vue de Mario Rossi : « L’intonation terminale, dans l’une de ses trois modalités (représentation, appel, expression), accompagne toujours le prédicat — quelle que soit sa place dans la phrase — du moins en français. Ainsi dans la phrase nominale Pas folle, la guêpe, l’intonation terminale se réalise sur le prédicat (Pas folle) ; sur le syntagme sujet (la guêpe) se réalise l’intonation de type parenthétique » (Rossi, 1977, « L’intonation et la troisième articulation », in : BSL 72.1, 61). Et à ce propos Mario Rossi parle alors de « la fonction prédicative de l’intonation » (Rossi, 1977, 62). 36 L’autre analyse consiste à voir dans ces phrases une variante familière de Elle n’est pas mal, la nana type de phrase qui semble recevoir exactement la même intonation. Et le SN postposé ne peut plus être interprété comme un sujet, au sens syntaxique du terme, puisque la nana est un constituant immédiat de P endocentrique, et non exocentrique. Bref, tout le problème est de savoir si la phrase Pas mal, la nana est une construction exocentrique ou endocentrique. Il me semble que la seconde analyse est préférable pour au moins deux raisons. D’abord parce que les prétendus prédicats nominaux peuvent fort bien fonctionner à eux seuls comme des énoncés Pas mal ou Pas folle lesquels peuvent suivant les cas concerner l’interlocuteur, la situation désignée par le message du locuteur ou la personne dont parle le locuteur. Ceci invite à voir dans la phrase Pas mal, la nana une construction endocentrique. D’autre part, ces constructions nominales semblent pouvoir mettre aussi en première position leur prétendu sujet, comme dans : « Le fond est sec. Sec aussi, le jardin qui l’entoure, où la famille royale pique-niquait au milieu de la foule. Piétinées, les plates-bandes. Les arbres, abattus. Il reste, sur les rebords de la piscine, quelques peintures de lotus et de nénuphars qui semblaient, jadis, émerger de l’eau » (Andrée Chedid, 1974, nefertiti et le rêve d’akhnaton, 34). Une telle mobilité du SN rappelle celle pour un constituant auquel on reconnaîtra la fonction d’extraposition, celui-ci pouvant être aussi bien au début qu’à la fin de l’énoncé : La nana, elle est pas mal. Ou Elle est pas mal, la nana. (Cf . Cours DEA 1983-84: "Les différentes fonctions syntaxiques", p. 18-19). d) Marques formelles du sujet et prédicat : La marque formelle du sujet est son antéposition par rapport au verbe. Comme le disent les grammaires scolaires, « le nom sujet est, en général, placé avant le verbe : Le jardinier gardait ses fleurs. Le chat dort près du feu » (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 26). Mais il importe de préciser que le sujet peut cependant être placé après le verbe. Cette postposition est du reste obligatoire dans au moins quatre cas de figure. « a) Dans les propositions interrogatives directes qui commencent par le pronom interrogatif que, complément d’objet ou attribut, et par l’adjectif quel : Que veut ce malheureux ? Que devient votre fils ? Quel est votre avis ? b) Dans les propositions incises ou intercalées : 37 Je pourrai, répondit Pierre, venir demain à votre rendez-vous. c) Dans les propositions indiquant un souhait ou une hypothèse, ou commençant par les expressions peu importe, qu’importe ? Puisse votre père guérir vite ! Soit le cercle de centre O. Peu importe mon plaisir personnel ! d) Dans les propositions commençant par un adjectif attribut : Tel est mon conseil. Il plut ce jour-là ; grande fut ma déception » (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 26) (cf. Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 19-20). Par contre la postposition du sujet est facultative dans au moins cinq cas : « a) Dans les propositions relatives commençant par un relatif complément d’objet, attribut ou complément circonstanciel : Le crayon qu’a trouvé Paul, ou Le crayon que Paul a trouvé Le mal dont votre mère souffre, ou Le mal dont souffre votre mère. b) Dans les propositions infinitives J’ai entendu chanter le coq, ou j’ai entendu le coq chanter. c) Dans les propositions interrogatives indirectes commençant par un mot interrogatif quel, quand, comment, etc. Je me demande quel livre m’a prêté Jacques, ou quel livre Jacques m’a prêté. d) Dans les propositions qui commencent par un adverbe ou un complément circonstanciel de lieu ou de temps : Ici habitent mes parents, ou ici mes parents habitent. Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe. e) Dans certaines subordonnées conjonctives : Comme le croient les enfants, ou Comme les enfants le croient » (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 26-27). La marque formelle pour le prédicat est son accord avec le sujet, du moins quand le verbe n’est pas invariable. e) Signification du sujet et du prédicat : Le sujet n’est pas celui qui fait l’action exprimé par le verbe ; car cela n’est vrai que lorsque le prédicat contient un verbe d’action, mais non dans des exemples comme Jean reçoit un cadeau où le sujet correspond au bénéficiaire, 38 Jean souffre beaucoup du froid où le sujet correspond au patient, Le magasin ouvre à 9 heures où le sujet désigne le lieu d’une action. Le sujet n’est pas non plus, comme le suggérerait sa propre dénomination traditionnelle, ce dont on parle, ni le prédicat ce qu’on en dit, comme on le voit dans Mon frère, ce garçon le connaît bien où le thème (ou topique) dont on parle est l’individu désigné par le SN Mon frère, et où la signification du sujet, en l’occurrence ce garçon, fait partie du rhème (ou du commentaire), c’est-à-dire de ce qui est dit du sujet dont on parle. Ce n’est que dans une phrase minimale, c’est-à-dire exocentrique, et en l’absence de toute rhématisation intonative que le sujet syntaxique désigne ce dont parle le locuteur. Par lui-même, le sujet ne désigne rien de plus que ce qui est concerné par le prédicat, et le prédicat rien de plus que la propriété sémantique que le locuteur attribue à ce que désigne le sujet. La valeur éventuelle de thème ou d’agent que lui reconnaissent facilement les grammaires n’est qu’un effet de sens dû à des conditions particulières d’emploi, c’est-à-dire à des contextes sémantiques, structuraux ou intonatifs particuliers. Pour clarifier les choses, on ne désignera donc par les termes de sujet et de prédicat que des fonctions proprement syntaxiques, c’est-à-dire constructionnelles, et on réservera les termes de thème et rhème, ou topique et commentaire, ou encore support (informatif) et apport (informatif) uniquement pour les faits du niveau informatif. Mais si on cantonne expressément à la syntaxe le nom prédicat, et peut-être l’adjectif prédicatif, rien n’empêche de continuer à appeler prédication la rôle sémantique du prédicat, c’est-à-dire le fait d’attribuer une propriété sémantique à un individu ou à un objet, et de parler de prédication quand l’énoncé n’a qu’un seul constituant de base, c’est-à-dire, selon nous, ne contient pas un prédicat, au seul sens syntaxique que nous donnons à ce terme. (cf. Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 20) 2. L'extraposition: a) Définition constructionnelle: Il convient de postuler une fonction syntaxique partiellement comparable à celle de sujet, dont les grammaires traditionnelles n'ont pas bien vu la spécificité syntaxique, parce que probablement elle leur semblait à tort relever plutôt de 39 l'oral un peu familier que de l'écrit digne de ce nom. Il s'agit de la fonction du SN Ce garçon dans des phrases comme Ce garçon, mon frère le connaît bien Ce garçon, il est vraiment sympathique Ce garçon, je lui dois beaucoup phrases que l'on appelle parfois phrases disloquées (cf. Dauzat, A, 1950, Phonétique et grammaire historiques de la langue française, p. 267, 289) ou segmentées (cf. Chevalier et alii, Grammaire Larousse du français contemporain, p. 100). Comme au point de vue sémantique, ces phrases présentent, à une mise en relief près, la même signification, ou plus exactement la même désignation, que les phrases non disloquées Mon frère connaît bien ce garçon Ce garçon est vraiment sympathique Je dois beaucoup à ce garçon. et comme on conçoit traditionnellement les fonctions syntaxiques sur des bases plutôt sémantiques, on est tenté d'attribuer au syntagme Ce garçon des phrases disloquées la même fonction syntaxique que dans les phrases non disloquées. Et l'on dit que c'est un complément d'objet (ou un sujet ou un complément d'objet indirect) détaché ou, comme le dit expressément la petite Grammaire française Larousse de J. Dubois, G. Jouannon et R. Lagane, "placé en tête afin d'être mis en valeur" (1961, p. 30). Mais si on tient compte des propriétés combinatoires de ce SN, et si l'on ne définit pas les fonctions syntaxiques en termes plutôt sémantiques, il est clair que la phrase disloquée ne correspond pas au même réseau de commutations ni par conséquent à la même structure en constituants immédiats que la phrase non segmentée. De fait, si le premier constituant de la phrase disloquée a un rôle comparable à celui respectivement du complément d'objet direct, du sujet ou du complément d'objet indirect, c'est au pronom clitique le, il ou lui que la grammaire scolaire reconnaît — d'ailleurs à tort — la fonction respectivement de complément d'objet direct, de sujet ou de complément d'objet indirect. Et c'est à cause de la relation sémantique d'anaphore entre le SN initial et ce pronom clitique que l'on peut avoir l'impression que le SN joue dans la construction du sens de ces phrases le même rôle sémantique qu'un complément d'objet direct, un sujet ou un complément d'objet indirect. Dans les phrases disloquées, le syntagme placé en tête de phrase est, au niveau syntaxique, à chaque fois un constituant immédiat de P comme le sujet; mais il se distingue du sujet par le fait qu'il se combine avec une construction qui pourrait fort bien fonctionner seule comme un énoncé. Il forme donc avec cet autre constituant immédiat une construction 40 endocentrique, en l'occurrence une P qui contient une autre P, une P endocentrique, ce qui correspond à l'organisation du schéma de la figure 2. Le sujet, lui par contre, appartient à une construction P exocentrique. On peut appeler extraposition cette fonction d'expansion de P, en reprenant une dénomination utilisée par la "grammaire générative", mais sans supposer que cette fonction corres- P P Fig. 2: extraposition pond à une règle dite transformationnelle qui aurait fait sortir d'une phrase normale le constituant disloqué. Cette dénomination reprend partiellement et corrige le nom d'apposition ou d'apposition détachée que certaines grammaires scolaires (Grevisse, Goosse, 199313 , 520 sqq.) donnent à cette fonction. Cette appellation risque de gêner les anglicistes qui, sous l'influence de la "grammaire générative", ont pris l'habitude de parler d'extraposition quand on place en fin de phrase un sujet propositionnel comme dans Il est évident que Pierre est malade, qui serait dérivé par extraposition à partir de Que Pierre est malade est évident : "En grammaire générative, la transformation d'extraposition déplace en fin de phrase le syntagme nominal sujet si ce dernier est issu d'une phrase enchâssée; l'extraposition est accompagnée de la formation du pronom neutre il. Soit la phrase Que Pierre est malade est évident, où la phrase enchâssée Que Pierre est malade est le sujet de est évident; la transformation d'extraposition déplace ce syntagme nominal en fin de phrase avec formation de il: Il est évident que Pierre est malade." (Dubois et alii, 1973, 204). Pour ma part, je préfère utiliser ce mot extraposition comme le faisait Jespersen, qui dans La syntaxe analytique écrivait: "L'extraposition est un phénomène analogue à l'apposition dont nous avons donné des exemples au chapitre 4: un mot ou un groupe de mots se trouve placé en quelque sorte hors de la phrase, comme s'il n'y appartenait pas. Lorsqu'on parle, l'extraposition se manifeste souvent par une pause, représentée dans l'écriture par une virgule ou un tiret, et parfois par un point ou un point virgule. Angl. Zionism - what is that to me? «Le sionisme — qu'est-ce que cela peut me faire?», The rain it raineth every day, «La pluie elle tombe tous les jours», <…> 41 Fr. La dame qui vient d'entrer, la connais-tu? All. Die Sterne, die begehrt man nicht, «Les étoiles, on ne les désire pas», Das Pergament, ist das der heil'ge Brunnen? «Le parchemin, est-ce là la source sacrée?», (Jespersen, Otto, 1969, La syntaxe analytique, trad. par Anne-Marie Léonard, (original: 1937), Paris, Éditions de Minuit, 71). N'importe quel type de syntagme peut être extraposé: adjectif, N, Sprép, Adv et même V. Il est alors normalement repris, en français, par un pronom anaphorique, sauf si, en l'absence de la dislocation, il avait assumé la fonction syntaxique de circonstant: Ami sincère, il l'avait toujours été (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 31) Courageux, il l'a toujours été Attentifs, les élèves buvaient les paroles du maître A Paris, il y va tous les mois Le mardi matin, à huit heures, il prit le train de Lyon (Dubois, Jouannon, Lagane, 1961, 36) Remplir son devoir, il l'a toujours fait Fort courtoisement, il les introduisit dans le salon. Dans les langues à flexion casuelle, il est fréquent qu'il n'y ait pas du tout de pronom de rappel; car alors le constituant extraposé prend le cas du pronom de rappel, lequel soit présente une variante à signifiant zéro soit plutôt est purement et simplement supprimé. C'est le cas par exemple en finnois, où il n'y a pas plus de pronom de rappel lorsque un génitif, cas du complément de verbe, est extraposé: Omenaa-n Kalle sö-i «La pomme, Kalle l'a mangée» que lorsqu'un adessif, cas du circonstant de lieu ou de temps, est extraposé Kesä-llä juo-da-an olut-ta «En été, on boit de la bière». En latin, la situation est comparable: Ill-os qui da-nt, e-os deride-s; qui delud-unt, deperi-s (Plaut., Asin. 527) «ceux qui paient, tu te moques d'eux; de ceux qui se jouent de nous, tu es folle» (P. Grimal). Mais on pourrait aussi avoir ce qu'on appelle un nominativus pendens, comme dans Femin-ae qu-ae non habe-nt uir-os, licet e-is nube-re (Aug., serm. 260) «Les femmes qui n'ont pas de mari, il leur est possible de se marier». En allemand, seul le premier cas est possible: Dies-en Knabe-n kenn-t mein Bruder gut «Ce garçon, mon frère le connaît bien». Et comme le constituant extraposé est à l'accusatif, cas du complément de verbe, les grammaires sont tentées de dire qu'il s'agit d'un véritable complément d'objet mis en tête de 42 phrase. Elles voient dans cette antéposition un simple phénomène d'ordre des mots, sans tenir compte du fait que le rupture intonative et la pause éventuelle après ce constituant antéposé implique une organisation constructionnelle qui n'est pas celle du complément de verbe à l'intérieur d'un SV. ( cf. Cours Turku 1985: "III Les principales fonctions de la phrase dite simple", p. 22-24 b) valeur sémantique: Au point de vue sémantique, l'extraposition fait du contenu du syntagme concerné le thème, ou mieux le support informatif par rapport auquel le reste de l'énoncé est un rhème, ou mieux un apport informatif. Quand le locuteur dit Ce garçon, mon frère le connaît bien C'est à propos de ce garçon que le locuteur communique quelque chose. Il dit en effet à propos de ce garçon que son frère le connaît bien. L'extraposition est donc une fonction syntaxique où la structure syntaxique et la structure informative de l'énoncé sont en contact, puisqu'elle donne une information relevant de la structure informative. Quand une phrase contient plusieurs constituants extraposés non coordonnés, ses différentes extrapositions ne doivent pas être situés au même niveau. Par exemple dans Pierre, son vélo, on l'a volé (ou: on le lui a volé) le constituant Pierre est le support informatif qui reçoit comme apport informatif la proposition son vélo, on l'a volé. Et cette proposition est à son tour décomposable en un support informatif apporté par le SN son vélo, et un apport informatif qui est le contenu de la proposition on l'a volé. On aurait la même chose, mais avec trois niveaux différents avec la phrase: Moi, mon fils, sa femme, elle est malade Cascades de constituants extraposés que l'on rencontre bien sûr surtout dans la langue parlée. Cours DEA 1983-84: "Les différentes fonctions syntaxiques", p. 5 c) Faut-il distinguer Il est venu, Pierre de Pierre, il est venu ? Au niveau syntaxique, le nom propre Pierre est dans les deux cas une expansion de phrase, et par conséquent un constituant extraposé. Il n'y a aucune raison de ne pas voir dans les deux cas la même fonction d'extraposition. Mais qu'en est-il au point de vue informatif? Certains, comme Mario Rossi, sont tentés de penser qu'il s'agit simplement d'un thème postposé. Il voit en effet dans le premier constituant immédiat de l'énoncé Pierre l'a acheté /CC/ le château du marquis /IN/ 43 qui est marqué par une intonation conclusive majeure (/CC/) le rhème, et dans le second constituant immédiat, qui est affecté d'une intonation incidente thématique (/IN/) le thème (cf. Rossi, 1981, "Intonation, énonciation, syntaxe", in: Rossi, Mario, Di Cristo, Albert, Hirst, Daniel, et alii, L'intonation. De l'acoustique à la sémantique, Klincksieck, 217). Par la suite, Mario Rossi parlera de thématisation externe à propos de Tu l'aimes le chocolat? J'en mange énormément du chocolat (cf. Rossi, 1999, L'intonation: le système du français: description et modélisation, Ophrys, 88) par opposition à la thématisation interne, qu'il définit comme "une extraposition à droite ou à gauche, marquée par une dislocation syntaxique et intonative" (Rossi, 1999, 97): Il est capable, cette course, de la gagner en jours deux (Rossi, 1999, 97) Votre fils ses devoirs il ne les a pas faits (Rossi, 1999, 101). Mary-Annick Morel fait une distinction partiellement comparable, en appelant postrhème ce que Mario Rossi appelle thématisation externe. Elle ajoute justement que l'hypothèse qui parle de thème à propos de l'extraposition postposée "néglige le fait que le postrhème est totalement plat, contrairement au thème qui est, lui, soumis à une variation de F0 à la finale" (Morel, Mary-Annick, Danon-Boileau, Laurent, 1998, Grammaire de l'intonation, Ophrys, 29). En ce qui concerne la valeur, voici comment Mario Rossi définit la thématiqation externe: "Quel est le rôle du thème externe? Il rappelle le contexte de l'énonciation que le locuteur suppose connu de l'allocutaire; il ne le pose pas à la manière du topique comme l'objet de l'assertion que l'on montre ou dont on vérifie le degré de vérité, il ne le rappelle pas pour lui-même mais pour assurer la plausibilité de l'assertion" (Rossi, 1999, 92). Pour ce qui est du postrhème, Mary-Annick Morel suppose que "le postrhème apparaît chaque fois que l'énonciateur ou bien est surpris par un fait qui avait échappé à son attention, ou bien pense mettre en jeu un élément de connaissance que le coénonciateur ignore, mais qui vient à l'appui d'une considération sur laquelle il anticipe un désaccord" (Morel, Danon-Boileau, 1998, 30). Pour notre part, en reprenant la trilogie informative de Jean Perrot, nous dirions que l'extraposition antéposée apporte un thème, ou mieux un support informatif, et l'extraposition postposée un report informatif, c'est-à-dire une information de second ordre qui n'est pas l'information pour laquelle l'énoncé est asserté, mais néanmoins une information à laquelle le locuteur tient, soit parce qu'elle précise bien et de façon insistante les choses (par exemple en rappelant le thème de l'énoncé) soit parce qu'elle ajoute une information 44 supplémentaire qui est en quelque sorte un in cauda venenum, c'est-à-dire une rosserie de la fin. La fonction syntaxique est donc la même pour les deux sortes d'extraposition, mais leur contribution à l'information que véhicule le message n'est pas du tout la même, s'il est vrai que dans les deux cas elle n'a rien à voir avec le rhème ou apport informatif. Cours DEA 1983-84: "Les différentes fonctions syntaxiques", p. 5-6 d) Toute antéposition n'est pas une extraposition: Il convient de ne pas confondre l'extraposition antéposée, qui pose un support informatif, avec le constituant antéposé qui fournit un apport informatif et que Daniel Bresson qualifie d'"attaque rhématique" (Bresson, "La fonction de la prosodie dans la démarcation et la structuration du texte en allemand oral, in: Travaux du CLAIX, 13, 1995, 148), ce qu'il illustre notamment par also Erfahrung muss man sammeln signifiant «bref c'est de l'expérience qu'il faut acquérir», et non «bref l'expérience, on doit l'acquérir». Une telle antéposition a plusieurs particularités. "D'abord l'impossibilité de séparer intonativement le constituant antéposé du reste de l'énoncé, quand il correspond à une attaque rhématique, alors qu'une telle séparation est toujours possible, quand il est un support informatif. Ensuite le fait que la même mise en relief informative puisse se faire en laissant le complément de verbe à sa place ordinaire après le verbe, mais en lui donnant la même intonation descendante que dans l'attaque rhématique. cela voudrait dire que la rhématisation de ce que Daniel Bresson appelle une «attaque rhématique» ne serait qu'une rhématisation intonative, à laquelle s'ajouterait, en quelque sorte facultativement, une modification de l'ordre des mots, mais qu'elle n'aurait aucune incidence proprement syntaxique. Tel semble bien du reste être le point de vue de Daniel Bresson, qui parle en effet d'«attaque rhématique de l'énoncé, sans restructuration, simplement en faisant passer en première position l'élément rhématique mis en valeur» (Bresson, 1995, 148)" (Touratier, "Extraposition et structure informative", in BSL 93.1, 1998, 65-66). Une telle construction existe aussi en français. Claire Blanche-Benveniste relève en effet en français parlé des sortes de "compléments antéposés" qui occupent une position centrale de "noyau" d'énoncé — c'est-à-dire d'"unité qui, dans un énoncé, est dotée d'une autonomie intonative et sémantique peut faire un énoncé à soi seul" (BlancheBenveniste, 1997, 113) — et dont le constituant verbal auquel il se rattache est ainsi rejeté " position finale et sous une accentuation secondaire" (Blanche-Benveniste, 1997, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, 114). Elle illustre ce phénomène par les exemples: 45 plus de Blédine - toute la rangée ils nous ont piqué (Ghioldi 69,3) à la caisse ils se pèsent (Sabio 1995, "Micro-syntaxe et macro-syntaxe: L'exemple des «compléments antéposés» en français", in: Recherches sur le français parlé, 13, 119 et 117) dont elle précise le contour intonatif en ces termes: "Ce type de complément antéposé, toute la rangée occupant une position de noyau a, en ce cas, une mélodie caractéristique de fin d'énoncé, la partie verbale, en position postfinale, étant fournie comme «après-coup»" (Blanche-Benveniste, 1997, 114). Elle signale même que les dernières versions du Grevisse ont justement observé que cette antéposition de complément sans pronom de rappel apparaissait dans la langue écrite, "moins rarement que ne le disent certains grammairiens" (Grevisse-Goosse, 199313, 455). Le Bon usage de Grevisse-Goosse donne comme exemples notamment: Un joli attrapage vous allez voir! (Zola, Nana, I.) Une seule chose il voyait: la divine bonté de son sourire compatissant (R. Rolland, Jean-Chr., L.P., t. III, p. 148). Treize ans, elle avait (Giono, Que ma joie demeure, Pl., p. 454). Il ne s'agit pas alors d'une extraposition syntaxique, mais d'un simple phénomène d'ordre des mots accompagné d'une particularité intonative. Tout en étant antéposé, le constituant concerné reste, au point de vue syntaxique, un complément de verbe ou un circonstant suivant les cas. Bref il s'agit non pas d'une particularité syntaxique comme dans l'extraposition, mais seulement d'une particularité syntagmatique. III. Compléments de verbe et Circonstants: (cf. Cours DEA 95-96) 1. Théorie de la valence (verbale): (cf. Livre, chap 5: "La notion de valence", p. 1-3; ou cf. Syntaxe latine, 367-368) "La valence est un concept linguistique inventé par Tesnière, qui l'a en fait emprunté aux chimistes. Pour ces derniers, la valence d'un atome donné correspond au nombre d'atomes avec lesquels celui-ci doit se combiner à l'intérieur d'une molécule: l'hydrogène ayant par exemple une valence 1 et l'oxygène une valence 2, un atome d'oxygène se combinera avec deux atomes d'hydrogène pour former une molécule d'eau. C'est ce qu'indique la formule de l'eau, qui est H2O. Tesnière a donc imaginé que le verbe était "une sorte d'atome crochu" (Tesnière, 19662, 238) susceptible de se combiner pour former une phrase avec un certain nombre d'éléments qu'il dénommait "actants" et qui correspondaient, 46 pour lui, aux "acteurs" du "petit drame" exprimé par le verbe (cf. Tesnière, 19662, 102) ou plus prosaïquement aux "personnes ou choses qui participent à un degré quelconque au procès" (Tesnière, 19662, 105) qu'exprime le verbe. Il a dans ces conditions appelé "valence du verbe" "le nombre de crochets que présente un verbe et par conséquent le nombre d'actants qu'il est susceptible de régir" (Tesnière, 1966, 239), c'est-à-dire apparemment le nombre d'unités linguistiques qui forment ce que les dictionnaires appelleraient sa construction. Cette métaphore est très intéressante et très féconde, comme l'a montré le développement, notamment en Allemagne, de ce qu'on a appelé la "grammaire dépendancielle" ou la "grammaire de dépendance" (DependenzGrammatik). Mais elle pose le problème de savoir avec précision quel est exactement son niveau de pertinence. a. Son niveau de pertinence? La syntaxe de Tesnière est ambiguë, parce qu'elle se fonde sur "des rapports de dépendance" entre un "terme supérieur" ou "régissant" et un "terme inférieur" ou "subordonné" (Tesnière, 19662, 13), et se ramène donc à la conception sémantico-syntaxique de la grammaire traditionnelle. Sa grande différence d'avec la grammaire traditionnelle est d'avoir remplacé la division (considérée comme logicienne) de la phrase en sujet et prédicat par une conception verbocentrique de la phrase, et par conséquent les notions traditionnelles de sujet, complément d'objet et complément d'attribution par celles respectivement de "prime actant" (Tesnière, 19662, 108), "second actant" (Tesnière, 19662, 108) et "tiers actant" (Tesnière, 19662, 109). Or cette d'avec la grammaire traditionnelle rapproche beaucoup de la logique moderne la conception prétendument plus linguistique que Tesnière propose de la syntaxe, rapprochement qui invite à penser que loin d'être syntaxique, comme on le prétend généralement, et comme le prétendrait sûrement Tesnière lui-même, la notion de valence est fondamentalement sémantico-logique. b. Comparaison avec le "logique des prédicats» ou «logique mathématique»: La relation entre verbe et actants qui d'après Tesnière est constitutive de la phrase est, en effet, vraiment parallèle à ce que les logiciens appellent aujourd'hui la logique des prédicats ou la logique du premier ordre, le verbe de Tesnière correspondant au prédicat des logiciens, et les actants de Tesnière correspondant aux arguments des logiciens. Depuis Frege et Russel en effet, les logiciens empruntent aux mathématiciens la notion de fonction pour analyser les propositions et décomposent un énoncé comme Pierre est mortel en "un élément stable mais incomplet" (Blanché, R., 1970, La logique et son histoire 47 (d'Aristote à Russel), Paris, Colin, 314), à savoir «... est mortel», qu'ils appellent "prédicat" ou "fonction propositionnelle", "et un élément variable qui vient saturer le premier et former avec lui une proposition" (Blanché, 1970, 314), qu'ils appellent "argument" ou "variable", en l'occurrence «Pierre». La fonction propositionnelle qu'est le "prédicat" peut, comme toute fonction mathématique, avoir un ou plusieurs arguments. Les logiciens sont donc conduits à penser que chaque prédicat est caractérisé par le nombre d'arguments qui doivent être individualisés ou remplis pour que soit constituée une proposition. Ils appellent ainsi "prédicats nullaires" ou "prédicats à zéro place" les prédicats qui n'ont pas besoin d'argument pour former une proposition, comme dans: il pleut, il neige "prédicats unaires" ou "prédicats à une place" ceux qui n'ont besoin que d'un seul argument pour former une proposition, comme dans: Pierre gesticule, court, dort, dîne, pleure "prédicats binaires" ou "à deux places" ceux pour lesquels il faut saturer deux arguments afin de constituer une proposition, comme dans: J'ai vu les portes Scées. Il entendit le tonnerre. Il a accepté un cadeau. Il admire la France. On recherche le coupable. J'ai ressenti une vive douleur. Il veut un fruit. Il veut partir. "prédicats ternaires" ou "à trois places" ceux auxquels il faut remplir trois places pour obtenir une proposition, comme dans: Le jury a attribué le premier prix à M. X. Il donne un ordre à son employé. Il ordonne à tout le monde de se taire. Il demande son chemin à un passant. Le prédicat étant conçu comme une fonction propositionnelle, les logiciens le notent comme toutes les fonctions mathématiques, c'est-à-dire en mettant les arguments entre parenthèses après le nom de la fonction propositionnelle et en séparant les différents arguments par une virgule, par exemple: gesticuler (quelqu'un) voir (quelqu'un, quelque chose) attribuer (quelqu'un, quelque chose, à quelqu'un). Les linguistes organisent implicitement de la même façon la signification de l'énoncé, quand ils adoptent la théorie tesniérienne de la valence, à cette différence terminologique près qu'ils appellent alors verbe ce que les logiciens nomment prédicat (logique), et actants ce que les logiciens qualifient d'arguments. C'est ainsi qu'ils appellent 48 "verbes avalents" "les verbes sans actants <...> qui <...> sont connus dans la grammaire traditionnelle sous le nom de verbes impersonnels" (Tesnière, 19662, 239) et qui correspondent aux prédicats nullaires des logiciens. Ils appellent ensuite "verbes monovalents" les verbes à un actant qui "sont connus dans la grammaire traditionnelle <...> sous le nom <...> de verbes intransitifs" (Tesnière, 19662, 240) et qui correspondent, eux, aux prédicats unaires des logiciens. Ils appellent encore "verbes bivalents" les verbes à deux actants que les grammaires appellent traditionnellement verbes transitifs et qui correspondent très exactement aux prédicats binaires des logiciens. Ils appellent enfin "verbes trivalents" les verbes à trois actants que "la grammaire traditionnelle ne <...> distingue pas des verbes à deux actants, avec lesquels elle les confond sous le titre global de verbes transitifs" (Tesnière, 19662, 255) et qui correspondent aux prédicats ternaires des logiciens. c. Spécificités linguistiques de la théorie de la valence: S'il y a analogie entre l'approche de la théorie de la valence et celle de la logique mathématique, il ne faut pas pour autant ramener la valence, concept fondamentalement sémantique, à une simple notion logique. Car la situation n'est pas la même en linguistique et en logique. Omission possible des actants et non des arguments: En logique en effet, un prédicat est défini par le nombre de ses arguments; et ceux-ci sont toujours individualisés dans les différentes propositions qu'il est susceptible de constituer, si bien qu'un prédicat logique ne saurait, par définition, changer de nombre d'arguments, tout changement de nombre d'arguments correspondant à un changement de prédicat. Dans les langues naturelles par contre, il est fréquent qu'un ou même plusieurs actants exigés par le sémantisme du verbe n'apparaissent pas dans tel ou tel énoncé particulier, et cela sans que le verbe change pour autant de valence. Si un argument est obligatoirement saturé dans une proposition logique alors qu'un actant peut ne pas être expressément représenté dans un énoncé, il est préférable de ne pas identifier complètement ces deux notions. On dira donc que l'actant et l'argument, qui ont un rôle sémantique ou logique comparable, n'ont pas exactement le même comportement. L'actant sera dans ces conditions un concept sémantique, et l'argument un concept logique. Mais cette différence de fonctionnement ne change en rien la nature logicosémantique des phénomènes désignés par ces deux termes; car on peut montrer que lorsqu'un actant n'est pas syntagmatiquement exprimé, il n'en est pas moins sémantiquement présent, la signification du verbe se construisant alors malgré tout sur la même base actancielle que lorsque l'actant est explicité. Opposition actants ~ circonstants: Une autre différence importante distingue la 49 théorie linguistique de la valence de la logique des prédicats. Tesnière oppose en effet aux actants ce qu'il a appelé les circonstants, qui, eux, n'ont aucun équivalent dans la logique des prédicats, où ils seraient simplement considérés comme des arguments de plus. Alors que les actants désignent les acteurs du procès, les circonstants, d'après la définition un peu vague qu'en donne Tesnière, expriment "les circonstances de temps, lieu, manière, etc.... dans lesquelles se déroule le procès" (Tesnière, 19662, 102). A côté des actants, qui sont exigés par la valence verbale, Tesnière distinguait des éléments qui ne sont pas exigés par la valence verbale, qu'il appelait des circonstants. Si la notion d'actant est, comme nous l'avons admis, une notion sémantique, la notion de circonstant, qui est son contraire, ne peut être elle aussi que sémantique. C'est d'ailleurs en termes sémantiques que, comme nous venons de le voir, Tesnière la définissait. Nous en ferons pour notre part une fonction syntaxique, en l'opposant à la fonction de complément de verbe, comme l'ont fait les linguistes allemands qui, en s'appuyant sur Tesnière, ont fondé ce qu'ils ont appelé la "grammaire dépendancielle (Dependenzgrammatik)". Ils opposent en effet ce qu'ils appellent respectivement Verberganzungen («compléments de verbe») et freie Angabe («données libres»). (cf. Syntaxe latine, 368, et Turku 1985, Analyse syntaxique, 25-30) 2. Complément de verbe et circonstant: Si la valence est bien une propriété sémantique du verbe, il semble néanmoins qu'elle puisse avoir une certaine incidence syntaxique, en permettant de distinguer parmi les constituants non verbaux du syntagme verbal deux fonctions syntaxiques différentes. a. Base sémantique de l'opposition: Les grammairiens ont souvent remarqué que parmi les syntagmes qui font partie du syntagme verbal, certains ont des rapports moins étroits avec le verbe que d'autres. Il y a des compléments manifestement périphériques, qui peuvent s'ajouter à n'importe quel verbe et dont le verbe peut toujours se passer sans que la grammaticalité de l'énoncé en souffre. A côté de cela, il y a des constituants véritablement centraux, qui semblent propres à chaque verbe et appartiennent ordinairement à ce que les dictionnaires appellent la construction du verbe, ou les grammaires la rection du verbe. La Grammaire de Wagner et Pinchon a même proposé une terminologie suggestive pour exprimer cette différence; elle parle de «compléments essentiels» dans ce second cas, et de «compléments circonstanciels» dans le premier (cf. Wagner & Pinchon, 1962, 72 et 75-76). Il nous semble possible de fonder une telle distinction sur la théorie de la valence, en appelant les premiers circonstants et les seconds compléments de verbe, et en reconnaissant comme compléments de verbe tous les constituants nominaux du syntagme verbal qui appartiennent à la valence du verbe, et comme circonstants tous ceux qui n'appartiennent pas à la valence du 50 verbe. Une telle façon de voir n'est pas étrangère à la théorie de Tesnière, tout en la modifiant quand même assez sérieusement. On sait en effet que Tesnière postulait un troisième type de constituants de la phrase verbale, en plus du verbe et de ses actants, qu'il appelait précisément les circonstants. Il en a proposé une définition comparable à celle que la grammaire traditionnelle donne des «compléments circonstanciels», à savoir "les circonstants expriment les circonstances dans lesquelles se déroule le procès" (Tesnière, 19662, 125). Il nous semblerait préférable de les définir négativement, en disant seulement qu'ils correspondent aux constituants —Tesnière aurait dit: de la phrase, nous dirons pour notre part: du seul syntagme verbal— qui n'appartiennent pas à la valence du verbe. Mais nous ne ferons pas pour autant du terme circonstant l'antonyme du terme actant; car cela reviendrait à y voir un concept sémantique. Nous l'utiliserons plutôt pour désigner la position structurale périphérique et donc la fonction syntaxique particulière qu'occupent dans le syntagme verbal les constituants qui ne relèvent pas de la valence verbale. b. Définition syntaxique: Tout en reposant sur le critère sémantique de la valence, la distinction entre compléments de verbe et circonstants est en même temps une distinction véritablement syntaxique, puisqu'il est tout à fait possible d'en donner une formulation strictement structurale. Le Complément de verbe peut en effet se définir comme un constituant immédiat de syntagme verbal qui est une adjonction de verbe et le Circonstant comme un constituant immédiat de SV qui est aussi une expansion de SV, ce qui veut dire que le Complément de verbe appartient à un SV exocentrique, alors que le Circonstant appartient à un SV endocentrique. Si l'on illustre cette opposition à l'aide de l'exemple Pierre raconta ses ennuis à son ami avec le sourire on obtient la représentation graphique de la figure 1, qui montre bien que les deux constituants prépositionnels ne sont pas au même niveau structural: l'un fait partie des constituants immédiats d'un SV exocentrique. C'est le complément de verbe à son ami, que les grammaires scolaires qualifient de complément d'attribution ou de complément d'objet indirect ou second. L'autre est un circonstant. S'il est aussi constituant immédiat de SV, il l'est d'un SV endocentrique, qu'il forme en se combinant avec un autre SV, qui, lui, est exocentrique et donc minimal. La différence est donc bien une différence de position dans l'organisation syntaxique de la phrase. Et si d'aventure le complément de verbe était omis, cela ne changerait rien à la position structurale du circonstant, qui resterait évidemment une expansion de SV. 51 P Npr SV SV V V Passé Plur SN Det Det N N SNSN NDet Det Prép SPrép PrépSPrép Pierre racont - a s - es ennuis à son ami avec le sourire fig. 1 Compléments de verbe et Circonstant La seule différence serait que, dans Pierre raconta avec le sourire le verbe raconter serait alors employé intransitivement, c'est-à-dire remplirait à lui seul le paradigme du SV. Et le syntagme prépositionnel avec le sourire serait par conséquent encore une expansion de SV, et donc un circonstant (cf. figure 2). P Npr SV SV : V Det SN N SPrép PrépV Passé Pierre racont - a avec le sourire fig. 2: Circonstant d'un verbe intransitivé On rendrait compte de la même façon de la différence syntaxique entre les deux énoncés: Le boulanger travaille la pâte Le boulanger travaille la nuit. 52 Le SN la pâte est un complément de verbe et par conséquent une adjonction de V dans un SV exocentrique. Mais le SN la nuit est non pas l'expansion d'un V, puisque le verbe travailler intransitivé se trouve dans le paradigme du SV, mais l'expansion d'un SV. On sait en effet qu'un verbe intransitif n'appartient pas au même paradigme qu'un verbe transitif, mais au paradigme de la construction formée par un verbe transitif et ses compléments de verbe, c'està-dire au paradigme du SV. Il en est de même du verbe bivalent ou trivalent employé intransitivement: il entre occasionnellement dans le paradigme du SV, dont il est normalement un des constituants immédiats. Inversement, si le circonstant de Pierre raconta ses ennuis à son ami avec le sourire était supprimé, le complément de verbe resterait une adjonction de V, c'est-à-dire un constituant immédiat de SV exocentrique. Et la permanence de cette différence entre SV endocentrique et SV exocentrique a l'intérêt de ne plus lier la distinction entre circonstant et complément de verbe au seul critère de l'omissibilité, comme ce fut le cas aux débuts de la "grammaire dépendancielle", et de ne plus poser le problème théorique de la frontière qu'il peut y avoir entre les actants facultatifs et donc parfois supprimables, et les circonstants théoriquement toujours supprimables (cf. Helbig, 1971, 34-35). c. Mise en œuvre de la distinction: Il faut cependant reconnaître que la netteté théorique de cette distinction syntaxique ne résout pas les problèmes empiriques que l'on peut avoir à décider devant des cas particuliers si l'on a affaire à un circonstant ou à un complément de verbe. Aussi certains linguistes conseillent-ils "d'accepter l'idée que rien n'assure qu'il soit possible de valider, dans une description syntaxique rigoureuse, un classement des arguments autres que le sujet et l'objet (direct) en «compléments d'objet indirect», «compléments circonstanciels», «attributs du sujet» et «attributs de l'objet»" (Creissels, 1995, 246). Mais quand on a reconnu que la valence était une notion fondamentalement sémantique, il devient possible de se fonder sur une description sémantique complète des verbes en question pour savoir quelle valence peut leur être raisonnablement attribuée et quels constituants du SV ne sauraient par conséquent être sémantiquement appelés par cette valence. Par exemple il y a tout lieu de croire que le verbe vivre, qui signifie quelque chose comme «être en vie, exister» (Le Nouveau Petit Robert, 1993, 2403), est un verbe monovalent. On considérera donc comme des circonstants la plupart des constituants prépositionnels qui se combinent avec ce verbe pour former un SV, par exemple: vivre d'expédients, vivre en esthète, vivre pendant cinquante ans (Caput, 1969, 446). 53 Nous disons la plupart des syntagmes prépositionnels, car dans le tour vivre à Strasbourg par exemple, à Strasbourg nous paraît être un complément de verbe, comme dans habiter à Strabourg, et non un circonstant. Par une figure syntaxique que l'on peut appeler une transitivation, le verbe sémantiquement monovalent a reçu un complément de verbe, ce qui ajoute à son signifié propre la signification du verbe dont il a pris la construction syntaxique et développe un effet de sens bivalent du type «habiter, en vivant, à», que les dictionnaires enregistrent sous la forme de «passer sa vie, une partie de sa vie en résidant habituellement" (Le Nouveau Petit Robert) ou même simplement de «habiter» (Lexis). Et si l'on distingue la transitivté de la valence, il est parfaitement possible d'admettre que, tout en étant construit avec un complément de verbe, le verbe vivre n'en est pas moins monovalent. Par contre, le verbe sortir, qui signifie «aller hors de», est un verbe bivalent, dont le régime en de des exemples suivants: sortir de prison, sortir de table, sortir de ses gonds, sortir du peuple ne peut être analysé que comme un complément de verbe. Mais si l'on veut faire une description complète de ce verbe, il faut se encore demander comment décrire les SV sortir en ville, sortir au théâtre? Ils présentent, à notre avis, un complément de verbe, qui s'explique d'abord par une intransitivation du verbe sortir, laquelle fait prendre au verbe le sens de «aller hors de chez soi» (Dubois, DFC, 1966, 1085), ensuite par une (re)transitivation de cet emploi intransitif qui donne au verbe la construction transitive du verbe aller, et qui, ce faisant, ajoute à sa signification l'archisémème de la classe de verbes dont il a pris la construction, d'où l'effet de sens de «quitter chez soi pour aller en (ville)». Un dernier exemple: quelle valence faut-il postuler pour le verbe parler? Parmi toutes les constructions qui sont relevées dans les dictionnaires, il ne fait guère de doute que les constituants qui s'ajoutent au verbe dans les SV suivants: parler comme un délégué du personnel, parler en maître, parler en tant que chef de parti; parler pour l'accusé, parler avec autorité (Caput, 1969, 309) sont des circonstants, dans la mesure où ils ne sont nullement appelés par le sémantisme même du verbe. Mais quel est précisément ce sémantisme? Si, avec les dictionnaires, on donne à ce verbe le sens premier, c'est-à-dire le sens de base, de «articuler des paroles» 54 (Dubois, DFC, 822), «articuler les sons d'une langue naturelle» (Le Nouveau Petit Robert, 1591), on doit admettre qu'il s'agit d'un verbe monovalent. Mais il devient alors difficile d'expliquer les constructions comme: parler à ses amis, parler avec ses voisins (Caput, 1969, 309). Il semble donc préférable que postuler que ce prétendu sens premier est en réalité un effet de sens dû à l'intransitivation d'un verbe bivalent qui signifierait quelque chose comme «adresser la parole à». Mais il y a aussi une construction parler de ses affaires, parler d'amour (Caput, 1969, 309) où l'on aurait pu voir un circonstant, si on avait admis que le verbe était monovalent. Mais comme ce verbe met déjà en jeu au moins deux actants, et comme il signifie non pas seulement «articuler des sons», mais «articuler des sons qui signifient quelque chose», on est tenté d'y voir finalement un verbe trivalent, ce qui expliquerait les constructions comme: Il parle de ses ennuis à son ami Il parle de littérature avec ses camarades Il parle sur ce thème à ses étudiants où les deux SPrép seraient donc des compléments de verbe. d. Circonstant et sémantisme du verbe: Il importe toutefois de ne pas croire que tous constituants du SV qui semblent avoir un rapport plus ou moins privilégié avec le sémantisme du verbe introducteur doivent être rattachés à la valence de ce verbe. S'il est certain que la différence de sens entre donner et prêter est un sème du type «limité dans le temps», il ne faut pas en conclure, comme le fait par exemple Jean David, que la spécification temporelle de all.: Er hat mir das Buch bis zum 20. November geliehen «Il m'a prêté le livre jusqu'au 20 novembre» qui est manifestement en rapport avec ce sème du verbe «prêter», est "tout bonnement un fait de valence dans le sens le plus général du terme" (David, 1976, 200), et que le verbe prêter doit avoir un actant de plus le verbe trivalent donner. Certes la notion de limitation dans le temps fait partie du sémème du verbe leihen «prêter», et la signification du constituant temporel est en rapport avec ce sème, puisqu'elle en spécifie la portée. Mais le verbe n'a nullement besoin de cette précision pour pouvoir constituer un énoncé interprétable. Il suffit qu'il contienne le sème de «limité dans le temps» pour s'opposer au verbe geben «donner». Le constituant temporel n'est donc qu'une particularisation non indispensable d'un trait sémique 55 que le verbe contient par lui-même. Nous devons par conséquent y voir un circonstant, et non un complément de verbe. 3. Valeur sémantique des compléments de verbe et des circonstants: a. Le complément de verbe spécifie un actant, le plus souvent le deuxième, de la fonction propositionnelle signifiée par le verbe; il particularise la fonction propositionnelle à laquelle correspond le verbe et forme avec ce dernier une propriété sémantique susceptible d'être affirmée à propos du premier actant du verbe, du moins dans les langues dites à construction objective. Dans les langues dites ergatives, il en est de même avec la différence que c'est le premier actant qui remplit la fonction de complément de verbe, et que la propriété sémantique qu'il forme avec le verbe est attribuée au deuxième actant. (Cf. transparent) b. Le circonstant en tant que prédication: Il est certain que chaque circonstant a une signification propre qui dépend du signifié de son morphème relationnel et du contexte énonciatif. Mais il n'est pas moins vrai que tous les circonstants semblent présenter une certaine valeur sémantique commune. Les linguistes qui adoptent le cadre théorique de la grammaire dépendancielle estiment généralement que le circonstant est une sorte de "prédication sur le reste de la phrase", comme le dit Jean David (1976, 197) en rappelant l'enseignement de linguistes allemands comme Hans-Jürgen Heringer et Gerhard Helbig. Ce dernier a notamment écrit: "Les circonstants sont des phrases réduites (des prédications autonomes au sens logique) et peuvent être rapportées à des phrases complètes; les actants obligatoires et facultatifs au contraire occupent les places vides (arguments du prédicat) et ne peuvent être rapportées à des phrases" (Helbig-Buscha, 1975, 549 traduit dans David, 1976, 198), ce qu'il illustre par l'équivalence entre: Er arbeitete in Dresde "Il travailla à Dresde" Er arbeitete, als er in Dresde war "Il travailla, quand il était à Dresde" en face de l'impossibilité d'équivalence entre: Er legt das Buch auf dem Tisch "Il pose le livre sur la table" *Er legt das Buch, als er auf dem Tisch war "Il pose le livre, quand il était sur la table". Une telle présentation n'est après tout que la théorisation des tests mis au point pour distinguer les compléments de verbe des circonstants; et comme ces tests se sont avérés peu fiables, il est probable que cette définition théorique est également fragile. De toute façon, telle quelle, elle n'est pas acceptable pour au moins deux raisons: d'abord il n'est pas vrai qu'il y ait deux propositions logiques, c'est-à-dire deux assertions dans Il travailla à Dresde, ni même dans Il travailla, quand il était à Dresde. Il n'y en a qu'une seule. Tout au plus y a-t-il le contenu 56 sémantique de deux propositions logiques; mais ce qui est asserté, c'est l'ensemble. Et cette assertion complexe n'est pas la somme de deux assertions minimales. D'autre part, l'énoncé "Il travailla à Dresde" n'est pas plus l'équivalent sémantique de "Il travailla, quand il était à Dresde" qu'il n'est l'équivalent de "Il travailla et il était à Dresde" ou "Il était à Dresde et il travailla". En fait cet énoncé ne dit pas quand, mais où le premier actant a travaillé, ce qui est différent. Une telle définition de la valeur sémantique des circonstants conviendrait plutôt à ce que nous appelons extraposition. Elle s'appliquerait en effet assez bien aux énoncés français avec extraposition antéposée ou postposée du type: A Dresde, il travailla ou Il travailla, à Dresde. On pourrait dire de ces constituants extraposés ce que Georges van Hout dit de l'adverbe heureusement dans heureusement, Bourbaki réussit son examen de mathématique: "heureusement est prédicat de l'événement exprimé par tout l'énoncé; (on trouve heureux que Bourbaki ait réussi son examen)" (van Hout, 1973, II, 185). c. Le circonstant en tant que sous-ensemble de la fonction propositionnelle actualisée: Georges van Hout oppose cet heureusement, placé en tête de phrase et donc extraposé, à celui de l'énoncé Bourbaki réussit heureusement son examen de mathématique, où "réussir heureusement est un sous-ensemble de réussir" (van Hout, 1973, II, 185). Il serait plus significatif d'employer un autre adverbe et de dire par exemple Bourbaki réussit brillamment son examen de mathématique. Dans ce second emploi de heureusement (ou dans celui de brillamment) nous reconnaissons un circonstant. Et nous sommes tenté de dire du circonstant ce que Georges van Hout dit de ce second type d'emploi (où pour sa part, malheureusement! il ne voit pas un circonstant): au point de vue sémantique il "forme un sous-ensemble de l'extension de la relation verbale" (van Hout, 1973, II, 185). C'est-à-dire que réussir heureusement est plus limité que réussir, comme l'issue heureuse désigne théoriquement une sous-classe d'issue. De la même façon, on peut dire que travailler à Dresde a une extension moindre que travailler. d. Le circonstant en tant que caractérisation de la fonction propositionnelle actualisée: Mais il faudrait, à notre avis, corriger cette approche purement logique de la contribution au sens du circonstant, laquelle n'est en réalité qu'une conséquence logique de la signification proprement linguistique du circonstant. La contribution au sens du circonstant, comme du reste celle de l'épithète ou de la relative dite restrictive, n'est pas, à dire vrai, une contribution qu'il faut mesurer en termes extensionnels, mais plutôt un apport intensionnel. Le 57 circonstant n'a pas pour but de restreindre l'extension, mais d'enrichir la compréhension, c'està-dire le contenu notionnel de la propriété sémantique que signifie le syntagme verbal minimal dont il est une expansion. Or on sait qu'en logique l'extension est inversement proportionnelle à la compréhension. Il est donc normal qu'un enrichissement de compréhension corresponde logiquement à une réduction d'extension. Mais ce n'est pas cette réduction d'extension que signifie proprement le circonstant; il signifie l'augmentation de compréhension. Quand on dit: Er arbeitete in Dresde «Il travailla à Dresde» on ne veut pas dire que la personne concernée a la propriété sémantique de la sous-classe qui se trouve à Dresde de l'ensemble que forment tous les travailleurs, mais qu'elle a la propriété sémantique qui pourrait définir une classe d'individus, à savoir la classe de ceux qui travaillent à Dresde. Certes, logiquement cette classe est bien une sous-classe de travailleurs; mais ce n'est pas ce que le locuteur entend dire expressément. Le contenu du SV est donc pure compréhension; c'est un apport de signification, dont le noyau sémantique est donné par tous les constituants du syntagme verbal minimal, à savoir le verbe et ses éventuels compléments, et dont les éventuels circonstants enrichissent en compréhension le noyau sémantique. Et lorsqu'il y a plusieurs circonstants de suite non coordonnés, on peut dire que chaque circonstant particularise le contenu du SV dont il est l'expansion, et, ce faisant, caractérise, au fur et à mesure qu'ils apparaissent, de façon de plus en plus précise et de plus en plus spécifique le contenu même du SV, le circonstant qui suit étant toujours plus caractérisant que celui qui précède, et le circonstant le plus important pour le sens étant dans ces conditions toujours le dernier, sauf en cas de mise en relief intonative. 4. Propriétés syntaxiques du circonstant: a. Déplaçabilité? Si l'on définit le circonstant comme un constituant immédiat de SV endocentrique, il importe de ne pas lui attribuer la propriété syntagmatique ou linéaire d'être déplaçable, que les grammaires scolaires se plaisent à reconnaître à leurs compléments dits circonstanciels. Après avoir mentionné que "dans un grand nombre de phrases, le complément circonstanciel se place après le verbe et le complément d'objet: Les alouettes font leur nid Dans les blés, Quand ils sont en herbes (La Fontaine, Fables, IV, 22)" (Grevisse, 19597, 146-147) elles signalent ordinairement que "la mobilité est la propriété caractéristique du complément circonstanciel" (Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 140). 58 Mais il faut remarquer que dans des exemples de compléments circonstanciels comme Au milieu du romantisme, Baudelaire fait songer à quelque classique (d'après Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 140) Le matin, elle fleurissait; avec quelles grâces, vous le savez (Bossuet, Duch. d'Orléans ) (d'après Grevisse, 19597, 147) Demain, il va à Paris (d'après Wagner et Pinchon, 1962, 76) La nuit, il dort (d'après Chevalier, Arrivé, Blanche-Benveniste, Peytard, 1964, 75) on n'a pas du tout une organisation structurale de circonstant, puisque les constituants en position initiale ne sont nullement des constituants de SV. Il s'agit en fait d'une autre fonction syntaxique que celle de circonstant ou de complément de verbe. On peut l'appeler extraposition, en la définissant d'une façon proprement syntaxique, c'est-à-dire d'une façon constructionnelle, comme un constituant immédiat de P qui est en même temps expansion de P. De fait la contribution au sens de l'énoncé qu'apportent ces extrapositions n'a rien à voir avec celle des circonstants. b. Circonstant et extraposition postposée: Il conviendrait, nous semble-t-il, également de distinguer la fonction de circonstant de celle des extrapositions postposées, comme dans: Tout est gris, à Paris (d'après Chevalier, Arrivé, Blanche-Benveniste, Peytard, 1964, 75) ou des constituants interposés, comme dans: Le carillon des cloches, au milieu de nos fêtes, semblaient augmenter l'allégresse publique (Chateaubraind, Génie du christianisme, IV, I, 1) (d'après Grevisse, 19597, 147) Baudelaire, au milieu du romantisme, fait songer à quelque classique (P. Valéry) (d'après Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 140) qui ont, chacun, une position structurale différente de celle des circonstants, et dont la contribution au sens de l'énoncé n'a rien à voir ni avec celle des circonstants ni même avec celle des extrapositions antéposées. c. Récursivité: Si le circonstant correspond à une position structurale bien précise, à savoir celle d'une expansion de SV, il a par contre la particularité syntaxique d'appartenir à une structure récursive —techniquement on préciserait: récursive à gauche—, c'est-à-dire qu'il peut apparaître plusieurs fois de suite dans un SV, en étant chaque fois l'expansion d'un SV différent. Citons d'abord des exemples avec deux circonstants: 59 Mon père espéra le sauver, mais il mourut, tout maigre et tout sec, en même temps que Bayssan (Marie Rouanet, 1994, La marche lente des glaciers, 19) L'hiver que j'appelle celui du grand froid, celui où les flamants roses périrent par centaines sur les étendues des étangs prises de glaces bleues où on voyait marcher en titubant avant de mourir les longs oiseaux roses, <...> les oiseaux vinrent en foule (Marie Rouanet, 1994, 169-170) fig. 3: deux circonstants ou avec trois circonstants: Je tenais ce mot de mon père et me le répétais depuis l'enfance, pour le plaisir, avec un étonnement qui ne faiblissait pas (Marie Rouanet, 1994, 20) Delfosse a tellement peur que, sans réfléchir, il frappe de toutes ses forces, dans l'ombre, avec sa canne, avec la canne à pomme d'or de son père qu'il a emportée ce soirlà, comme cela lui arrive souvent... (Georges Simenon, 1991, La danseuse du GaiMoulin, 17, 94). Ce dernier exemple ne contient, à notre avis, que trois circonstants. Son dernier SPrép semble à part. A l'oral, on l'intonerait comme s'il s'agissait d'un nouveau départ, d'une sorte de rebondissement. Nous y voyons un constituant immédiat de l'énoncé et donc une extraposition postposée, qui est reportée à la fin de la phrase, parce qu'elle apporte une information supplémentaire, mais secondaire par rapport au contenu informatif du reste de l'énoncé. P:SV P Coord SV SAdv SV:V Adj Adj Adj AdjCoord SN:N"tps" mais il mourut, tout maigre et tout sec, en même temps que Bayssan 60 Marie Rouanet, 1994, 20: "Je tenais ce mot de mon père et me le répétais depuis l'enfance, pour le plaisir, avec un étonnement qui ne faiblissait pas" (cf. arbre dans document: circonstants). Quand ils ne sont pas coordonnés, comme c'est manifestement le cas dans les exemples cités, les circonstants ne se trouvent pas au même niveau syntaxique et semblent s'organiser autour d'un SV minimal en strates de plus en plus périphériques, ainsi qu'on peut le voir dans la figure 3. Dans le dernier exemple cité en effet, le verbe frapper employé intransitivement est le SV minimal et central de l'énoncé. Il forme avec le premier circonstant, à P Npr SV SV Det SN N SPrép Prép SN NDet Prép SPrépSV : V SV SN NDet Prép SPrép PréDet Det Delfosse frappe de toutes ses forces, dans l' ombre, avec sa canne fig. 4: trois circonstants savoir de toutes ses forces, un nouveau SV, qui, cette fois, est endocentrique. Et c'est par rapport à ce SV de niveau supérieur que le deuxième circonstant, à savoir dans l'ombre, est une expansion et entre par conséquent dans un troisième SV, également endocentrique mais de niveau encore supérieur, puisqu'il englobe tout le SV déjà endocentrique frappe de toutes ses forces . Quant au dernier circonstant, il est une expansion de ce SV englobant, avec lequel il forme un SV, également endocentrique, d'un niveau encore supérieur. On voit ainsi que chaque circonstant est bien un constituant immédiat de SV endocentrique, conformément à notre définition du circonstant. Mais ils entrent chacun dans la constitution d'un SV endocentrique différent. 61 Rôle sémantique des circonstants successifs? Il semble que les circonstants caractérisent (ou particularisent) de plus en plus le procès au fur et à mesure qu'ils s'ajoutent au SV minimal, le circonstant qui suit étant toujours plus caractérisant (déterminant?) que celui qui précède, et le circonstant le plus important pour le sens étant toujours le dernier. Le circonstant apporte un élément particulièrement informatif du contenu du SV parce que plus caractérisant; et le dernier circonstant est ce qui est le plus informatif dans le SV endocentrique, car le plus caractérisant. d. Différence avec le constituant extraposé postposé? Dans la phrase "Delfosse a tellement peur que, sans réfléchir, il frappe de toutes ses forces, dans l'ombre, avec sa canne, avec la canne à pomme d'or de son père qu'il a emportée ce soir-là, comme cela lui arrive souvent..." (Georges Simenon, 1991, 17, 94 Le dernier SPrép semble à part et n'a pas l'air d'apporter une caractérisation de plus au contenu du SV. D'ailleurs au niveau intonatif, il est à part, comme s'il s'agissait d'un nouveau départ, d'une sorte de rebondissement. Il est tentant d'y voir à cause de cela un C.I. de P, et non un C.I. de SV, donc autre chose qu'un Circonstant. Il s'agirait plutôt d'une extraposition. Mais c'est une extraposition postposée. Elle n'a pas une valeur sémantique de support informatif, comme c'est le cas des extrapositions antéposées. Elle semble plutôt ajouter une sorte d'information secondaire, que l'on pourrait appeler un report informatif, parce qu'elle est reportée à la fin de l'énoncé, une fois que l'essentiel du message a été communiqué.. (cf. arbre dans document: circonstants). e. Différence avec l'interposition? Que faire du constituant qui vient entre le Verbe et son Complément de verbe: •Patrick Modiano, 1993, Chien de printemps, 30: Mes parents louaient, l'été, un minuscule bungalow à Deauville, près de l'avenue de la République. Est-ce la même chose que si l'on avait: louaient un minuscule bungalow, l'été, à Deauville? Est-ce un troisième circonstant, qui serait syntagmatiquement déplacé? On a plutôt l'impression qu'il s'agit d'une information superflue et en quelque sorte parenthétique. •Georges Simenon, 1991, La danseuse du Gai-Moulin, 42: Il but à nouveau et l'eau tombait, trop lourde, trop fade, sur son estomac Ici le verbe est transitivé, et l'attribut du sujet placé entre le V et son Complément semble apporter une information supplémentaire, qui n'est pas l'essentiel du message. Que faire du constituant qui s'intercale dans l'ordre linéaire entre le sujet et le prédicat: 62 •Patrick Modiano, 1993, Chien de printemps, 110: Celui-ci, quand le consulat avait fait libérer Jansen du camp, lui avait demandé d'aller à cette adresse pour donner de ses nouvelles à des parents et à une amie La temporelle semble bien apporter une information supplémentaire, qui n'est pas centrale pour le message. •Patrick Modiano, 1993, Chien de printemps, 116: Une femme, derrière moi, bavardait avec une amie et leurs paroles me berçaient Ne faut-il pas postuler une construction qui a trois C.I., alors que normalement elle devrait n'en avoir que deux? ce qui pourrait être la définition de l'interposition, considérée comme une fonction syntaxique particulière différente et du circonstant et du constituant extraposé. ================================== Autres cas à examiner et à discuter : Le constituant de la personne concernée: •Didier Decoin, 1987, Autopsie d'une étoile, 82: Notre terreur des séismes est pour les Chiliens un sujet de plaisanterie Ce tour ressemble à ce qu'on appelle un double datif en latin: est alicui irrisui, curae. On a donc envie d'y voir un circonstant de la personne concernée, qui s'ajoute à un attribut, c'est-àdire à un complément de verbe d'état. Mais alors ce serait un circonstant syntagmatiquement enclavé dans le SV dont il devrait être une expansion. Ceci est gênant; car il y aurait des cas où le déplacement linéaire serait l'indication d'une fonction syntaxique propre, et d'autres où il n'aurait aucune pertinence syntaxique. N'y aurait-il par un minimum d'intonation parenthétique, à la différence de ce qui se passe dans: Notre terreur des séismes est un sujet de plaisanterie pour les Chiliens où l'on pourrait dire que l'on a un véritable circonstant? Si oui, cela permettrait de dire qu'il s'agit quand même d'un constituant interposé. •Marie Rouannet, 1994, La marche lente des glaciers, 22: Couper les roseaux pour les haricots grimpants ou les tomates était une occasion pour lui d'aller au bord de quelque vigne connue pour en couper un fagot. Est-ce le même tour que le précédent? Mais alors pourquoi la construction pour lui n'est-elle pas entre le verbe était et l'attribut une occasion d'aller? Ne serait-ce pas plutôt une interposition à l'intérieur du SN attribut? Mais quel est exactement son rôle sémantique? Estce une information supplémentaire par rapport au SN attribut ou par rapport au SV avec attribut? 63 Que faire des pronoms de reprise: •Georges Simenon, 1991, La danseuse du Gai-Moulin, 78: Très bien! je le transporte, moi, dans une malle d'osier, au jardin d'Acclimatation, avec la complicité d'un chauffeur de taxi qui, entre nous, a accepté de se taire moyennant cent francs, ce qui n'est vraiment pas cher... •Marie Rouannet, 1994, La marche lente des glaciers, 219: J'avais cherché un bouquet qui puisse dire tout le bonheur que j'avais à les voir, lui et sa femme, le soir, à l'orée d'un jardin intérieur en pleine ville, que fréquentaient l'hypolaïs polyglotte et un couple de rossignols des murailles. Autres cas: •Marie Rouannet, 1994, La marche lente des glaciers, 223: Ce sont d'étranges bonheurs que ceux venus de souvenirs de bonheur. Je les écoute en moi murmurer. •Georges Simenon, 1991, La danseuse du Gai-Moulin, 10: Ils voyaient Adèle, presque en face d'eux, assise à la table du client inconnu qui avait commandé du champagne. La construction participiale semble être ce qu'on appelle un attribut du complément d'objet. la phrase a une signification proche de celle de Ils voyaient qu'Adèle était assise à la table du client Que faire alors du SAdv presque en face d'eux ? Un constituant interposé. •Pagnol, La femme du boulanger, 77: Ah, les femmes sont compliquées... —Oh là! là! Pire qu'une montre! Mais elle, moi, je la connais et je dois vous dire qu'avant de l'épouser, j'ai bien réfléchi pour la comprendre. Suivant l'intonation, n'y aurait-il pas une phrase avec deux extrapositions successives ou une phrase avec un constituant extraposé suivi d'un constituant interposé? Propositions interposées: •Rouannet, 1994, 182: Et ces sortes d'aboiements, on ne l'imaginerait pas, ce sont des grenouilles. cf. les propositions dites incises ou intercalées (Grevisse, 125) Allons, faites donner la garde, cria-t-il (Hugo, Châtiments) Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence (Lamartine, Méditations, Le Lac) Vous devez, je le répète, apprendre à bien vous connaître Celles-ci sont soit extraposées (comme dans l'exemple de Hugo) soit interposées.