1 PRESENTATION DE L'ANALYSE EN «CONSTITUANTS IMMEDIATS*1 1. DEFINITION: C'est Bloomfield qui a lance l'expression de "constituants immediats" {immediats constituents). Ayant observe que pour comprendre la "forme complexe" qu'est l'enonce: Poor John ran away «Le pauvre Jean s'est enfui» il ne suffisait pas de reconnaTtre ses "constituants fondamentaux" que sont, d'apres lui, les "cinq morphemes: poor, John, ran, a- (forme liee apparaissant egalement dans aground, ashore, aloft, around) et -way " (Bloomfield, 1970, 153), il a precise qu'il fallait aussi savoir "que les constituants immediats de Poor John ran away sont les deux formes Poor John et ran away, chacune d'elles constituant a son tour une forme complexe; que les constituants immediats de ran away sont ran, morpheme, et away, forme complexe dont les constituants sont les morphemes a-et -way; et que les constituants de Poor John sont les morphemes poor et John. Ce n'est que de cette facon, poursuit Bloomfield (1970, 153) qu'une analyse appropriee (c'est-a-dire une analyse qui tienne compte du sens) conduira aux morphemes fondamentalement constituants". Une telle observation correspond a une experience qu'a pu faire tout jeune latiniste ou germaniste, lorsqu'il s'est trouve devant une phrase un peu complexe: il avait beau connaitre le sens de tous les mots, il n'arrivait pourtant pas a comprendre et a traduire la phrase, parce qu'il ne voyait pas comment ces differents mots, pourtant connus, s'organisaient entre eux, parce qu'il n'etait pas capable, aurait dit Bloomfield, d'en faire l'analyse en constituants immediats. A partir de l'exemple fort simple propose par Bloomfield, on peut dire, en premiere approximation, que l'analyse en constituants immediats est une analyse syntaxique qui organisent et hierarchisent les uns par rapport aux autres tous les morphemes qui constituent une phrase, en precisant comment ces morphemes se combinent entre eux, comment ces combinaisons de morphemes se combinent a leur tour en combinaisons plus vastes, et comment ces combinaisons plus vastes forment des combinaisons de plus en plus vastes jusqu'a se reunir dans la combinaison ultime et la plus grande, la phrase, qui est done vraiment concue comme un tout organise et hierarchise. a. Trois concepts operatoires: Ce genre d'analyse, outre les notions prealables de morpheme, unite significative et syntaxique minimale, et de phrase, unite syntaxique maximale, met en ceuvre trois concepts fondamentaux, a savoir les notions de construction, constituant et constituant immediat. On appelle construction (ou syntagme) un groupe de morphemes qui, a un niveau quelconque, forme une unite syntaxique en se combinant entre eux. Ainsi dans la phrase 2 Ce tout petit garcon aimait les gateaux a la creme qui est formee des douze morphemes suivants: Ce, tout, petit, garcon, aim-, -ait, 1-, -es, gateaux, a, la creme Les deux morphemes tout petit ou la creme forment une construction, a savoir tout petit, qui est l'epithete du nom gargon, ou la creme, qui est le complement du nom gateaux. De meme les quatre morphemes Ce tout petit gargon ou les six morphemes l-es gateaux a la creme forment une construction, qui, la premiere est le sujet du verbe aimait, et, la seconde, le complement d'objet du meme verbe aimait. Par contre les quatre morphemes aim-ait l-es ou les trois morphemes gargon aim-ait ne forment pas une construction; car a aucun niveau, ils ne se combinent entre eux; l-es doit se combiner avec gateaux ou mieux avec gateaux a la creme; et c'est cette combinaison l-es gateaux a la creme qui se combine avec le verbe aimait. Et le morpheme gargon n'est pas non plus une construction, puisqu'il n'est pas un groupe de morphemes, mais un seul morpheme. On appelle constituant tout morpheme ou toute construction qui fait partie d'une construction (plus grande). Ainsi les constituants de la construction l-es gateaux a la creme sont d'une part tous les morphemes qui se trouvent dans cette construction, a savoir /-, -es, gateaux, a, la, creme, ainsi que la construction la creme, qui est un syntagme nominal, la construction un peu plus grande a la creme, qui est un syntagme prepositionnel, la construction encore plus grande gateaux a la creme, et enfin la construction l-es. Cette construction a done dix constituants. La construction aim-ait l-es gateaux a la creme aura les memes constituants, plus les deux morphemes aim- et -ait, et plus la construction aim-ait. Elle a done 10 + 3, soit treize constituants. On appelle enfin constituants immediats (en abrege C.I.) "un des deux (ou plus de deux) constituants qui forment directement une construction" (Gleason, 1969, 109), e'est-a-dire les plus grands de ces constituants qui forment cette construction rien qu'en se combinant entre eux, ou les plus grands de ces constituants qu'il suffit de combiner pour obtenir la dite construction. Ainsi on ne pourrait pas dire que la construction l-es gateaux a la creme a comme constituants immediats l-es gateaux et a la creme; car on n'a pas admis plus haut que l-es gateaux etait une construction ni done que cette pretendue construction etait un constituant de l-es gateaux a la creme. Cette construction s'obtient en combinant la construction l-es, qui est un des constituants de ladite construction, avec la construction gateaux a la creme, qui est aussi un des constituants de ladite construction. On dira done que les deux constructions l-es et gateaux a la creme sont les deux constituants immediats de la construction l-es gateaux a la creme. On peut 1 Cette presentation reprend certains developpements plus ou moins remarries de l'article Touratier, 1975-76 "Technique d'analyse de la phrase latine", publie dans Dossiers d'etude pour Venseignement du latin, 1975-76, n°4, CRDP Strasbourg, p. 1-38. 3 dire, dans ces conditions, que faire l'analyse syntaxique d'une phrase donnee comme Ce tout petit gargon aimait les gateaux ä la creme consiste ä chercher les deux C.I. de cette phrase, en l'occurrence Ce tout petit gargon et aimait les gateaux ä la creme, puis ä considerer chacun de ces deux C.I. comme des constructions dont on va aussi chercher les C.I., en l'occurrence pour la premiere construction les deux C.I. Ce et tout petit gargon, et pourla seconde les deux C.I. aimait et les gateaux ä la creme, et ä recommencer l'operation jusqu'ä ce que tous les C.I. obtenus soient indecomposables, c'est-a-dire ne correspondent pas ä une construction, mais ä un morpheme. b. Deux sortes de constructions: A vrai dire, aux trois concepts operatoires de construction, constituant, et constituant immediat, il faut en ajouter deux autres, qui ne concernent pas l'operation elle-meme d'analyse en constituants immediats, mais qui ont une tres grande importance pour la description et la theorie syntaxique. Ce sont les notions de construction endocentrique et de construction exocentrique, lesquelles ont aussi ete elaborees par Bloomfield. Une construction est certes toujours la combinaison de deux (ou plus de deux) constituants; mais au point de vue du fonctionnement linguistique, les deux (ou plus de deux) constituants d'une construction peuvent avoir entre eux deux types differents de relations syntaxiques et correspondre par consequent ä deux sortes de combinaisons differentes. "Chaque construction syntaxique nous presente deux formes libres (et quelquefois plus) combines en un syntagme, que l'on peut appeler syntagme resultant. Le syntagme resultant peut appartenir ä une classe formelle autre que celle d'un constituant quelconque. Par exemple, John ran n'est pas une expression nominale (comme John) ni une expression verbale conjuguee (comme ran). C'est pourquoi nous disons que la construction anglaise acteur-action est exocentrique: le syntagme resultant appartient ä la classe formelle de constituant non-immediat. Par ailleurs le syntagme resultant peut appartenir ä la meme classe formelle que l'un (ou davantage) de ses constituants. Par exemple, poor John est une expression de nom propre, de meme que le constituant John; les formes John et poor John ont, dans l'ensemble, les memes fonctions. Par consequent, nous dirons que la construction anglaise qualite-substance (comme dans poor John, fresh milk, ect.) est une construction endocentrique." (Bloomfield, 1970, 183). Les constructions exocentriques sont done des "constructions qui ne fonctionnent pas comme un des termes isoles" (Francois, 1974, 32) qui les constituent, ou encore des constructions qui ne peuvent pas commuter avec un de leurs constituants immediats. Par contre les constructions endocentriques sont des constructions "ou l'ensemble est grammaticalement identique ä un des termes" (Francois, 1974, 32) qui le constituent, ou encore des constructions qui commutent avec un de leurs constituants immediats. 4 Hjelmslev estimait pour sa part qu'il y avait trois sortes possibles de relations syntaxiques, il parle de "trois sortes de dependances" (Hjelmslev, 1963, 42), qu'il appelle interdependances, determinations et constellations. "Les dependances reciproques, ou les deux termes se presupposent mutuellement, seront pour nous des interdependances. Les dependances unilaterales, oü Tun des termes seulement suppose l'autre, seront appelees determinations. Enfin les dependances plus laches, ou deux termes sont dans un rapport reciproque sans que l'un presuppose l'autre, seront appelees constellations." (Hjelmslev, 1963, 42). Cette classification, qui semble formuler en termes apparemment plus logiques que syntaxiques, rejoint la distinction faite par Bloomfield: l'interdependance correspond ä la relation qu'il peut y avoir entre les constituants d'une construction exocentrique, et la determination ä celle qu'il peut y avoir entre les constituants d'une construction endocentrique. Mais ä quoi peut bien correspondre la constellation de Hjelmslev? Ce pourrait etre ä ce que Bloomfield appelait une construction endocentrique serielle. II distinguait en effet deux sortes de constructions endocentriques, qu'il appelait respectivement "coordinatives (ou serielles) et subordinatives (ou qualificatives)" (Bloomfield, 1970, 184). "Dans le premier type, le syntagme resultant appartient ä la meme classe formelle que deux ou plus de ses constituants. Ainsi le syntagme boys and girls «garcons et filles» appartient ä la meme classe formelle que les constituants boys et girls; ces constituants sont les membres de cette coordination et l'autre constituant est le coordinateur. <...> Dans les constructions endocentriques subordonnees le syntagme resultant appartient ä la meme classe formelle que l'un de ses constituants, que nous appellerons mot principal: ainsi poor John appartient ä la meme classe formelle que John, que nous appellerons en consequence mot principal; l'autre membre de notre exempl e, poor, est qualifwatif" (Bloomfield, 1970, 184). C'est manifestement la construction endocentrique subordonnee qui correspond ä la determination de Hjelmslev, puisque formee d'un noyau et d'une expansion qui est facultative, eile appartient ä la meme classe syntaxique que le noyau. Son expansion suppose done le noyau, comme le qualificatif de la determination suppose le mot principal, sans que le noyau suppose l'expansion, ce qui correspond bien ä la dependance unilaterale de la determination. Par contre la construction endocentrique coordinative, qui appartient ä la meme classe syntaxique que plusieurs de ses constituants immediats, correspond effectivement ä une dependance plus lache, puisque aueun de ses termes, qui sont pourtant lies entre eux, ne presuppose l'autre. Mais Bloomfield a raison de voir neanmoins une certaine identite entre la constellation et la determination. II reconnaTt en effet qu'elles ont en commun d'avoir au moins un constituant 5 immediat qui appartient a la meme classe syntaxique que la construction, et leur attribue done a toutes les deux le nom de construction endocentrique. 2. METHODE: Les linguistes structuralistes qui ont invente l'analyse en constituants immediats se sont presque uniquement efforces d'elaborer des methodes qui permettaient de trouver la bonne analyse en constituants immediats. de n'importe quelle phrase. lis ont meme cherche des procedures d'analyse formelles ou plutot des procedures le plus formelles possible, e'est-a-dire qui ne s'interessent qu'aux signifiants des constituants et ne font appel a leurs significations que le plus tard possible. Leurs differentes tentatives semblent mettre en ceuvre deux types principaux de procedures, suivant le sens dans lequel elles operent. Si elles vont de l'enonce aux morphemes, elles pratiquent une procedure analytique, qui consiste a segmenter une construction en ses constituants immediats, puis a segmenter chacun de ces constituants immediats en leurs propres constituants immediats, et ainsi de suite jusqu'a ce que les constituants immediats finalement obtenus soient des constituants ultimes, e'est-a-dire des morphemes. Mais on peut aussi remonter des morphemes a l'enonce et utiliser alors une procedure synthetique, e'est-a-dire une procedure qui regroupe les morphemes en constructions, puis les constructions en constructions plus larges, et ainsi de suite jusqu'a ce que la construction finalement obtenue soit la construction ultime, e'est-a-dire la phrase a analyser. S'il y a ainsi deux sortes de procedures de base, il importe de bien voir que ces deux facons differentes de proceder utilisent differemment une seule et meme methode. Que Ton segmente les constructions ou que Ton regroupe les constituants, le critere decisif de l'operation est dans les deux cas la commutation. Dans la procedure synthetique, on montre en effet que plusieurs constituants forment une unite syntaxique en les faisant commuter avec un seul morpheme, lequel semble ainsi apparaitre dans les memes contextes que lesdits constituants et entretenir avec eux une equivalence paradigmatique. De la meme facon, on prouve, dans la procedure analytique, qu'une construction est segmentable en deux (ou plus de deux) constituants immediats en remplacant tous ses constituants par deux (ou plus de deux) morphemes et en supposant que les groupes de constituants de la construction qui appartiennent au meme paradigme que chacun de ces deux (ou plus de deux) morphemes sont les constituants immediats de ladite construction. Si ces deux procedures, synthetique et analytique, mettent en oeuvre le meme test operatoire de la commutation, elles ont egalement besoin des memes informations prealables. Dans les deux cas en effet, elles supposent d'une part que ce qui est a analyser est une phrase, et d'autre part que les constituants ultimes, e'est-a-dire les differents morphemes ou, a defaut, les differents mots, de cette phrase sont parfaitement identifies. Cela est evident dans le cas de la procedure synthetique, mais il en est de meme dans la procedure analytique, contrairement a ce 6 que pourrait laisser croire le fait de parler de segmentation. Celle-ci n'est pas une segmentation en morphemes, mais une segmentation en constituants immediats. II s'agit en effet de segmenter des constructions en leurs constituants immediats, et cette segmentation s'arrete des que les constituants obtenus comme constituants immediats sont des morphemes et non des constructions. On peut done vraiment dire que la procedure analytique et la procedure synthetique disposent des memes moyens: une construction maximale formee d'une suite d'elements ultimes minimaux, e'est-a-dire une phrase constitute d'une suite de morphemes, et un critere de decision, a savoir la commutation. Leur difference vient de ce l'une commence le travail la ou l'autre le finit. 3. Procedure analytique: Pour illustrer la procedure analytique, nous presenterons rapidement le celebre article de Rulon Wells, Immediat constituents, publie dans Language 23, 1947, 81-117, et traduit en francais dans la revue Langages 20, dec. 1970, 61-100. a. Quelques definitions: II importe de definir prealablement les concepts utilises par Rulon Wells. II admet d'abord que les differents morphemes des phrases a analyser sont ranges "en classes de morphemes en fonction de l'environnement dans lequel ils figurent" (Wells, 1970, 61). Ainsi dans la phrase Le roi d'Angleterre ouvrit le parlement qui est la traduction d'une des phrases sur lesquelles Rulon Wells a travaille, le morpheme le appartient a la classe des determinants, dont font partie egalement un, ce, mon, quelque, etc. qui, comme le, peuvent apparaTtre devant un nom dit commun comme roi. Une sequence particuliere de classes de morphemes forme ce qu'il appelle une classe de suites, toutes les expressions linguistiques d'une meme classe de suite contiennent par consequent le meme nombre de morphemes, comme on le voit par exemple dans le prefet de Paris, le camarade d'Andre, etc. qui appartiennt a la meme classe de suites que le roi d'Angleterre. On considerera que la classe de morphemes peut etre un cas particulier de classe de suites, e'est-a-dire la classe de suites formee d'une seule classe de morpheme, ce qui permettra de generaliser l'emploi du mot suite, sans avoir a preciser si la suite concernee est formee d'un seul morpheme ou de plusieurs morphemes. Partant ensuite de l'observation grammaticale capitale qu"'une suite appartenant a une classe de suites A est souvent substituable a une suite appartenant a une classe de suites B entierement differente" (Wells, 1970, 63), Rulon Wells appelle expansion toute suite qui est substituable a une autre suite de structure interne differente (e'est-a-dire appartenant a une classe de suites differente) et qui est au moins aussi longue que cette autre suite, cette autre suite etant alors appelee un modele. Autrement dit, toute suite qui, dans un environnement donne, peut etre remplacee par une suite plus courte sera consideree comme une expansion de cette suite plus 7 courte, et la suite plus courte sera consideree comme un modele de cette suite. Ainsi dans le contexte posterieur de ouvrit le parlement, la suite le roi d'Angleterre est une expansion de mon pere ou de Jean, qui, pouvant apparaitre dans ce meme contexte, appartiennent a des classes de suites plus courtes. Et les suites mon pere etJean sont des modeles de la suite le roi d'Angleterre, le suite Jean etant elle-meme un modele de la suite mon pere. II faut bien voir que le terme d'expansion est pris ici dans un sens different de celui qui lui a ete donne plus haut, ou il designait un constituant qui s'ajoute a un noyau syntaxique pour former une construction endocentrique, c'est-a-dire une construction qui appartient a la meme classe syntaxique que ledit noyau. On remarquera en outre que toutes les expansions d'un meme modele correspondent a ce qu'on a l'habitude d'appeler un paradigme, dont voici deux definitions classiques: "un paradigme d'elements est <...> une classe d'elements qui peuvent etre places a une meme place d'une chaine". (Hjelmslev, 1966, 56). "En linguistique moderne, un paradigme est constitue par l'ensemble des unites entretenant entre elles un rapport virtuel de substituabilite. <...> On dira <...> que les unites a, b, c, ...n appartiennent au meme paradigme si elles sont susceptibles de se substituer les unes aux autres dans le meme cadre typique (syntagme, phrase, morpheme). (Dubois, et alii, 354). Et Ton precisera enfin que "pour l'analyse en constituants immediats, il est utile de montrer que la suite a analyser est une expansion, mais seulement si c'est une expansion de la meme suite plus courte dans tous (ou presque tous) les environnements ou figure cette suite plus courte" (Wells, 1970, 64), ce qui correspond a une equivalence absolue (ou presque absolue) entre les deux suites concernees. b. Exemple: Mais pour obtenir une analyse en constituants immediats, il ne suffit pas de considerer une suite comme une expansion d'une suite plus courte, il faut aussi la decomposer en parties qui soient elles-memes des expansions de suites plus courtes. Par exemple, on considerera d'une part que l'enonce Le roi d'Angleterre ouvrit le parlement est une expansion de Le roi travailla ou, mieux encore, de Jean travaille, et d'autre part que Le roi d'Angleterre est une expansion de Le roi ou, mieux, de Jean, et que ouvrit le parlement est une expansion de travailla ou, mieux, de travaille. Et c'est l'ensemble de ces donnees qui permettra de considerer que Le roi d'Angleterre et ouvrit le parlement sont les deux constituants immediats de la construction Le roi d'Angleterre ouvrit le parlement. On passe ensuite aux deux constructions Le roi d'Angleterre et ouvrit le parlement. Le fait que Le roi d'Angleterre soit une expansion de Jean ne nous permet pas de decomposer cette construction; par contre le fait qu'elle soit une expansion de Le roi, et que roi d'Angleterre 8 puisse etre considere comme une expansion du nom roi permet de supposer que la construction Le roi d'Angleterre a comme constituants immediats d'une part le morpheme Le et d'autre part la construction roi d'Angleterre, laquelle etant une expansion de roi anglais, peut legitimement etre decompose en deux constituants immediats, a savoir le morpheme roi et la construction d'Angleterre, qui a forcement comme constituants immediats les deux morphemes d' et Angleterre dont elle est formee. Quant a la construction ouvrit le parlement, elle est une expansion de ouvre Londres, et ouvrit peut etre considere comme une expansion de ouvre, et le parlement comme une expansion de Londres, ce qui permet d'en identifier les deux constituants immediats ouvrit et le parlement, lesquels ont eux-memes comme constituants immediats les deux morphemes dont ils sont formes, a savoir respectivement ouvr- et -it, et le et parlement. On peut representer ainsi toutes ces dichotomies successives: Le roi d' Angleterre | ouvrit le parlement Le || roi d' Angleterre | ouvrit || le parlement Le || roi || | d'Angleterre | ouvr|| | it || le || | parlement Le || roi || | d'|| || Angleterre | ouvr|| | it || le || | parleconstituants immediatsment ou sur une seule ligne Le || roi || | d'|| || Angleterre | ouvr|| | it || le || | parlement Cette phrase qui a 8 morphemes a en fait 15 constituants, puisque en plus d'elle-meme elle contient 6 constructions. c. Elimination des autres decompositions: Pour etre sur que cette decomposition en constituants immediats est la bonne, il faut eliminer les autres decompositions possibles. Par exemple le syntagme nominal avec complement de nom Le roi d'Angleterre pourrait etre decompose en deux constituants immediats: Le roi et d'Angleterre; car Le roi est une expansion de Jean et d'Angleterre une expansion de l'adjectif anglais. Mais on constate qu'entre roi d'Angleterre et roi, envisages plus haut, il y a une equivalence absolue, ce qui n'est pas le cas entre Le roi et Jean; car le contexte posterieur — anglais differencie Jean de Le roi: puisque en face de Le roi anglais on ne trouve pas *Jean anglais, mais Jean I'anglais. On preferera done la segmentation de Le roi d'Angleterre en Le et roi d'Angleterre. Mais s'il s'averait par la suite que cette analyse doive etre rejetee, le fait que Le roi soit dans certains environnements une expansion de Jean permettrait de retenir la segmentation en Le roi et d'Angleterre. La situation est la meme en anglais; car l'environnement poor — differencie the king de John: on a en effet the poor king et non *poor the king en face de poor John. Mais une fois que Rulon Wells aura admis que dans certaines conditions precises une suite discontinue peut etre un constituant (cf. Wells, 1970, 86), il sera amene a dire que e'est le cas de the... king dans 9 the poor king, précisément á cause de poor John; et du coup la segmentation en the king et of England sera toute aussi possible que la segmentation en the et king of England. Cette possibilité plait beaucoup á Rulon Wells; car la segmentation the king \ of England lui "semble bien aprěs tout l'analyse du bon sens" (Wells, 1970, 89). c. Conclusion: La méthode ďanalyse en constituants immédiats de Rulon Wells n'est pas une panacée. Rulon Wells en a parfaitement conscience. II avoue que "sa procedure a seulement pour objet, étant donné deux ou plusieurs dichotomies possibles, de permettre de decider en faveur de l'une d'entre elles" (Wells, 1970, 65). Mais cette decision n'est pas toujours possible ou est á la discretion de l'analyste, comme le montre 1'égal mérite relativement á cette procedure des deux dichotomies the | king of England et the king | of England, entre lesquelles Rulon Wells ne tranche qu'en s'appuyant sur ce qu'il appelle le bon sens. Par ailleurs, le fait que cette procedure réussisse assez souvent sans difficulté á analyser une phrase donnée n'est pas une raison süffisante pour qu'elle soit considérée comme définitivement acquise. Une analyse ne sera définitivement acceptée que si eile s'harmonise avec l'analyse de tous les autres types de phrases de la langue décrite. Comme le dit expressément Rulon Wells, "Du fait de l'imbrication systématique de toute analyse en CI avec les autres analyses de la méme phrase et d'autres phrases de la langue, on ne peut pas démontrer de maniěre concluante sur quelques exemples choisis que, toutes choses égales d'ailleurs, telles ou telles analyses sontles meilleures" (Wells, 1970, 74). Bref, ce n'est pas "une procedure automatique au moyen de laquelle le linguiste, á partir des seules données du corpus de tous les énoncés de la langue et d'une connaissance des morphemes contenus dans chaque énoncés, peut découvrir le bon systéme de CI" (Wells, 1970, 74). Cette procedure ne dispense pas ďavoir á réfléchir; c'est seulement un moyen commode qui peut guider l'analyste. 4. Procedure synthétique: La procedure synthétique semble plus facile á utiliser que la procedure analytique, parce que 1'utilisation de la commutation parait plus evidente et permet ďarriver plus rapidement á la meilleure solution, et parce qu'elle pose moins de problěmes théoriques. Harris l'a fort bien remarqué, quand, aprěs avoir propose une procedure d'analyse syntaxique qui, selon le titre méme de l'article, va du morpheme á 1'énoncé, il signále que sa facon de procéder est "parallele á une série de substitutions qui commencerait par l'expression complete et serait descendante, au lieu de commencer de commencer par les morphemes isolés et de remonter" (Harris, 1968, 44). II justifie alors son choix d'une procedure ascendante en ces termes: 10 "H n'est pas evident qu'il existe une methode generate pour determiner successivement les constituants immediats, quand nous commencons par une expression entiere et que nous descendons vers les morphemes. De toute facon, il apparaitrait que la formation des clases de substitution presente moins de difficultes theoriques si nous commencons par les morphemes et remontons vers les expressions" (Harris, 1968, 45). Pour toutes ces raisons, nous insisterons davantage sur la procedure ascendante ou synthetique. II serait certes interessant d'examiner la procedure synthetique que Harris a formulee dans cet article. Mais comme elle est assez difficile a suivre, a cause de toutes les equivalences algebriques qu'elle met en ceuvre, nous nous contenterons de presenter la procedure synthetique, plus intuitive et bien moins technique, a laquelle Gleason a recouru dans son Introduction a la linguistique. Cette procedure utilise malheureusement comme unites minimales non pas les morphemes, mais les mots. Une telle approximation entraTnera evidemment un certain nombre d'inexactitude de detail, qui, il faut le reconnaitre, ne sont pas trop graves quand on s'occupe de phrases anglaises ou francaises. L'ensemble des grammaires anglaises ou francaises actuelles du reste ne connait malheureusement aussi que les mots, admettant, quand elles ont un chapitre sur le morpheme, que "le mot prototypique le mot simple" (Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 532) et que "les mots simples <...> correspondent en fait a des morphemes" (Riegel, Pellat, Rioul, 1994, 540), ce qui permet de ne plus travailler que sur des mots, en faisant passer a la trappe le morpheme. a. Principe general: Gleason invite a noter, pour commencer, "les paires de mots" (ou plutot de morphemes) qui, dans une phrase donnee, nous paraissent entretenir la relation syntaxique la plus etroite, puis a "supposer que ces paires de mots <(ou plutot de morphemes)> fonctionnent dans l'enonce comme des unites" syntaxiques et forment par consequent une construction. b. Un exemple frangais relativement simple: C'est ainsi que dans la phrase formee de onze morphemes: Le vieil homme qui habite ici all-a a la mairie on reunira probablement sans hesitation l'epithete vieil et le nom homme qu'elle qualifie, comme le disent les grammaires scolaires, le verbe habite et son complement de lieu ici, le radical verbal all- et son morpheme de passe simple -a, l'article la et le nom mairie sur lequel il porte. Ces regroupements correspondent au schema suivant: Le vieil homme qui habite ici all-a a la mairie II est possible de justifier et d'objectiver l'intuition qui regroupe ainsi des morphemes par paires et les considere done comme les constituants d'une construction, en remplacant tous ces groupes de morphemes par un seul morpheme, qui, bien que de signification differente, 11 semble avoir le méme role syntaxique que les morphemes regroupés et entretenir avec le reste de 1'énoncé les mémes rapports qu'eux: Le vieil homme chasseur qui habite 1C1 radote all- court la mame Aix Les commutations que represente le tableau precedent nous donnent une nouvelle phrase: Le chasseur qui radote court Aix qui ne contient plus que sept morphemes, qui semble neanmoins avoir la meme structure que celle dont nous sommes partis, c'est-a-dire qui a l'air de s'organiser syntaxiquement comme elle: chasseur est en effet le sujet du verbe court, comme homme l'etait de alia, radote est le verbe intransitif de la subordonnee relative, comme l'etait le verbe transitif habite, court est le verbe principal comme l'etait alia, etAix est son complement de lieu, comme mairie l'etait de alia. II n'y a plus maintenant qu'a repeter la meme operation de regroupement soit sur les morphemes de la nouvelle phrase ainsi obtenue soit sur les morphemes encore isoles et les groupes de morphemes ainsi identifies de la phrase primitive, autant de fois que cela sera necessaire jusqu'a ce qu'on n'ait plus rien a regrouper, c'est-a-dire jusqu'a ce qu'on soit arrive a la construction maximale derniere qu'est la phrase elle-meme. Dans notre exemple, on reunira d'abord le relatif qui avec la construction verbale habite ici, et la preposition a avec la construction la mairie, puis la construction vieil homme avec la construction qu'est la subordonnee relative, et la construction alia avec la construction a la mairie, qui est son complement de lieu, et enfin l'article le avec la construction vieil homme qui habite ici. On arrive ainsi finalement a deux constructions, qui ne peuvent etre que les deux constituants immediats de la phrase. Ces regroupements correspondent au schema suivant: Le vieil homme qui habite ici all-a á la mairie n_/ n_y \_/ \_/ \_/ Chacun de ces regroupements peut evidemment etre confirme par une commutation, laquelle fera a chaque fois apparaitre un nouvel enonce, moins riche en morphemes certes, mais syntaxiquement comparable. L'ensemble de ces commutations peut etre illustre par le tableau de la figure 1, qu'on appelle un tableau de substitutions ou de commutations: 12 Le vieil homme qui habite ici all- a á la mairie chasseur radote court Aix essoufflé lá-bas coureur boite Paul fig. 1: tableau de commutations Un tel tableau de substitutions correspond a un emboitement de paradigmes, un paradigme etant defini comme l'ensemble des constituants qui peuvent apparaitre dans un meme environnement contextuel, a un point donne de la chaine parlee, et qui entretiennent done le meme type de relation syntagmatique avec les constituants de ce contexte. On voit en effet que les constructions qui habite ici et qui radote appartiennent au meme paradigme que l'adjectif essouffle, et que ce paradigme entre a l'interieur du paradigme plus large auquel appartiennent les quatre constructions vieil homme qui habite ici, chasseur qui habite ici, chasseur qui radote, chasseur essouffle, et dont le nom coureur est le modele. On peut en effet appeler modele d'un paradigme le constituant de ce paradigme qui, contenant le moins de morphemes, est le moins complexe. II suffit de lire le tableau des substitutions pour avoir l'analyse en constituants immediats de la phrase sur laquelle on a travaille. On voit en effet que cette phrase a deux constituants immediats, etant formee par la combinaison du paradigme qui a pour modele le nom propre Paul avec le paradigme qui a pour modele le verbe intransitif boite, paradigmes qui sont effectivement representee dans la phrase par respectivement la construction Le vieil homme qui habite ici, et la construction alia a la mairie. Ces deux constructions, qui sont done les deux constituants immediats de ladite phrase, ont elles-mernes chacune deux constituants immediats: la construction Le vieil homme qui habite ici combine en effet deux paradigmes, celui de l'article Le, et celui qui a pour modele le nom coureur, et qui est represents dans la phrase par la construction vieil homme qui habite ici, la construction alia a la mairie combinant, elle, le paradigme qui a pour modele le verbe intransitif court avec le paradigme qui a pour modele l'adverbe de lieu la-bas, et ayant done comme constituants immediats la construction verbale alia et le syntagme prepositionnel a la mairie. La construction alia combine les deux morphemes all-et -a, et la construction a la mairie, la preposition a et la construction nominate la mairie, qui est formee, elle, du morpheme la et du lexeme mairie. Quant au syntagme vieil homme qui habite ici, il est forme de deux constituants immediats, a savoir la construction vieil homme, qui a pour modele le nom chasseur et qui combine le morpheme adjectival vieil et le morpheme nominal homme, et la subordonnee relative qui habite ici, laquelle a deux constituants immediats, a savoir 13 le relatif qui et la construction verbale habite ici, elle-meme combinant le morpheme verbal habite et l'adverbe de lieu ici. c. Un procede commode pour le francais ou l'anglais: On commence par le dernier morpheme de la phrase, ce qui permet d'arriver plus vite et plus facilement au bon systeme de substitutions. On essaie pour cela de regrouper le dernier morpheme avec le morpheme qui precede. Si cela est possible, on voit si la construction ainsi obtenue forme elle-meme une construction avec le morpheme qui la precede. Si cette construction ou si le dernier morpheme ne forment pas une construction avec le constituant qui les precede, on les laisse en suspens, et Ton passe au morpheme qui precede, pour recommencer les memes operations, afin d'essayer de le regrouper avec le morpheme qui le precede lui-meme. Si un tel regroupement est possible, il faut, avant de chercher a savoir si la nouvelle construction obtenue forme une unite syntaxique avec le morpheme qui la precede, voir si elle ne se combinerait pas avec la construction ou le constituant qui ont ete precedemment laisses en suspens. Puis on recommence les memes operations en remontant a chaque fois d'un morpheme dans la chaine syntagmatique, jusqu'a ce qu'on arrive au premier morpheme de la phrase a analyser. Ce procede permet de trouver plus rapidement le bon systeme de constituants immediats, parce que, dans les langues ou l'ordre des constituants est plus ou moins fixe, comme le francais ou l'anglais, il n'y a, lorsqu'on est a la fin d'une phrase ou d'une construction, plus aucune possibilite d'expansions eventuelles a envisager, ce qui n'est pas le cas, quand on est au debut d'une phrase ou d'une construction. d. L'exemple anglais de Gleason: La figure 2 donne le tableau de commutations que Gleason propose pour faire l'analyse en constituants immediats de la phrase anglaise: The old man who lives there has gone to his son's house «Le vieil homme qui habite ici est alle dans la maison de son fils». The old man who lives there has gone to his son's house The graybeard who survives went to that house The graybeard surviving went to Boston The survivor went there He went fig. 2: tableau de commutations de Gleason • Deux critiques: On peut faire deux premieres critiques ä cette analyse. D'abord elle travaille sur les mots, qu'elle considere done implicitement comme les unites minimales de l'analyse syntaxique. Ensuite elle risque de donner l'impression qu'il faut chercher des 14 commutations qui sont plus ou moins des equivalents semantiques, alors qu'il est seulement necessaire d'une part d'obtenir une phrase acceptable en anglais en remplacant plusieurs constituants de la phrase ä analyser par un seul morpheme, et d'autre part de proceder ä un remplacement qui, au nombre de morphemes pres, ne semble pas modifier le reseau de relations syntaxiques dans lequel entrent le morpheme unique et les constituants qu'il remplace, et qui fasse commuter avec ces constituants un morpheme appartenant apparemment au meme paradigme qu'eux. II est necessaire et süffisant qu'il y ait equivalence paradigmatique et done fonctionnelle entre les constituants remplacables, dans une phrase acceptable, par un seul morpheme et ce morpheme qui semble commuter avec eux. II n'est nullement necessaire qu'il y ait equivalence paraphrastique entre ces constituants substituables et le morpheme qu'on y substitue. S'il se trouve qu'on peut legitimement considerer que la phrase anglaise de Gleason met en oeuvre presque autant de morphemes que de mots, il importe au moins de preciser d'une part que le segment -s de lives n'est qu'un accord morphologique impose par le fait que ce verbe a un sujet qui n'est pas au pluriel, et d'autre part que s'il y a bien deux morphemes dans les deux mots has gone, le segment -s de has est lui aussi un accord purement morphologique, son segment ha- formant avec la marque -ne de participe passe de gone le signifiant discontinu d'un morpheme de perfect. Mais il faut bien reconnaitre que Gleason a tort de traiter son's comme une unite minimale. II le fait probablement parce que les grammaires scolaires disent que e'est le mot son au "genitif saxon" (ou au "cas genitif tout simplement, ou encore au "cas possessif'), ce qui implique que e'est une forme particuliere de ce mot et par consequent un mot. Or ce mot particulier contient manifestement deux unites significatives minimales: le lexeme son et le morpheme grammatical de possession 's. II y a done en fait un morpheme de plus que le nombre de mots de cette phrase. Cela admis, on peut proposer les regroupements de morphemes qui correspondent au tableau de commutations de la figure 3. The old man who live-s there ha-s go-ne to his son' s house singer survive-s goe-s John famous that star Boston He tl lere run-s fig. 3: tableau de commutations corrige 15 • Regroupements des morphemes: De fait, le morpheme house ne pouvant pas etre regroupe avec le morpheme's, il faut laisser ce lexeme house en suspens, et passer au morpheme 's. On pourrait alors envisager de regrouper ce morpheme 's avec le morpheme precedent son. Mais ce serait une erreur, car il faudrait prealablement regrouper le lexeme son avec le possessif his, ces deux morphemes commutant avec le nom propre John. Et c'est ce nom propre (ainsi du reste que la construction equivalente his son) qui forme une construction avec le dernier morpheme laisse en suspens's, construction qui pourrait, comme l'a propose Gleason, commuter avec le determinant that. Et avant de voir si that, c'est-a-dire le modele des constructions John's et his son's, doit etre regroupe avec ce qui precede, on constate qu'il forme une construction avec le nom house qui a ete laisse en suspens, et que cette construction commute effectivement avec le nom propre Boston. Ce nom propre, qui est le modele de la construction formee par l'ensemble des morphemes analyses jusqu'a present, forme une construction avec le morpheme prepositionnel to qui precede, ainsi que le montre la commutation avec l'adverbe de lieu there. Cet adverbe ne se combine pas avec le morpheme go- qui precede, et doit done etre laisse en suspens. Par contre le morpheme go- se combine avec le morpheme a signifiant discontinu de perfect, comme le montre la commutation de ha-s go-ne avec le present goe-s, ou Ton retrouve bien sur le segment morphologique -s d'accord avec un sujet non pluriel. Et c'est ce morpheme goe-s qui se combine avec l'adverbe de lieu there, laisse en suspens, comme le montre leur commutation avec le seul verbe intransitif run-s. II faut maintenant laisser en suspens le paradigme de run-s et passer au morpheme precedent there, lequel forme une construction avec le morpheme verbal lives qui precede, ainsi que le prouve la commutation des deux morphemes lives et there avec le morpheme survives. Le relatif who qui precede se combine a son tour avec ce morpheme survives, la construction ainsi formee pouvant commuter avec un adjectif comme famous, a une difference d'ordre des mots pres, puisque la relative doit suivre son antecedent old man, alors que l'adjectif famous precederait la combinaison que forme l'adjectif old et le nom man. Car le nom man ne se combine pas avec la relative avant d'avoir forme une construction avec son adjectif epithete old, qui precede, comme le montre la commutation de old et man avec le seul nom singer. Et c'est ce nom singer et l'adjectif famous qui forment une construction, que Ton peut confirm er par la commutation de ce nom et de cet adjectif avec le nouveau nom star. Ce dernier nom ne se combine pas avec le representant du paradigme de run-s laisse en suspens, avant de s'etre regroupe avec le morpheme d'article qui le precede, regroupement que met en evidence la commutation de the et star avec le seul pronom he. La phrase a analyser s'est ainsi reduite, du fait des commutations, aux deux morphemes he et run-s, qui sont done les modeles des deux constituants immediats de cette phrase, a savoir la construction nominale The old man who lives 16 there et la construction verbale has gone to his son's house, lesquelles ont elles-memes deux constituants immediats, a savoir, pour la premiere, le morpheme The et la construction avec relative old man who lives there, et pour la seconde, la forme verbale has gone et son complement de lieu to his son's house, etc. • Le "genitif saxon": Ces differentes commutations sont parfaitement acceptables, dans la mesure ou chacune d'entre elles nous donne a chaque fois une phrase qui semble acceptable en anglais. Mais elles suggerent une analyse du syntagme his son's house, qui peut paraitre contestable. Elles impliquent en effet que ce qu'on appelle le genitif saxon de his son's appartient au raerae paradigme que le determinant that (ou the ou my) et forme done avec le nom house une construction exocentrique. Cette analyse systematise d'ailleurs la theorie que developpent les grammaires anglaises. C'est ainsi que par exemple la grammaire de Roggero, comparant The sister of John «la soeur de John» et John's sister «la soeur de John» The portrait of mu uncle «la portrait de mon oncle» et My uncle's portrait «le portrait de mon oncle» dit expressement: "On voit que dans tous les cas le complement genitif a pris la place de l'article the (Roggero, 1979, 179). Gleason va plus loin: sa commutation implique que le complement au genitif non seulement occupe la place, mais joue le role de l'article. Or ce n'est pas de cette facon qu'on analyserait le complement de nom avec la preposition of, qui, a l'ordre syntagmatique pres, semble remplir la meme fonction syntaxique que le syntagme au genitif saxon. Si en effet on analyse en constituants immediats le syntagme ... to the large house of God «dans la grande maison de Dieu» on peut proposer les commutations de la figure 4, qui font du complement de nom of God une to the large house of IGod public farm town Boston there fig. 4: complement de nom expansion du nom house, appartenant au meme paradigme que l'adjectif epithete public par exemple, ce qui correspond done a une construction endocentrique, et non au paradigme du determinant, ce qui correspondrait a une construction exocentrique. II est evident que pour que cette commutation soit acceptable, il faut permuter syntagmati quern ent l'adjectif public avec le 17 nom house, un adjectif epithete etant toujours, en anglais, antepose au nom, et un complement de nom prepositionnel toujours postpose au nom. Pour obtenir un resultat comparable avec le syntagme to his son's house, il faudrait proposer le tableau de commutations de la figure 5, ou le fait de faire commuter un syntagme au genitif saxon avec un adjectif oblige a faire apparaitre un article, la particularite du syntagme au genitif saxon etant precisement, d'apres les grammaires scolaires, qu'il ne doit pas etre precede d'un article. Ces commutations donnent certes la meme decomposition en constituants immediats que celles qui ont ete reprises de Gleason, a savoir: to I his llll son' HI s || house to his son' s house John' (the) public country Boston there fig. 5: complement de nom au genitif saxon mais elles ne correspondent pas aux memes paradigmes. Si Ton donne en effet le nom de Det (Determinant) au modele du paradigme auquel appartiennent notamment l'article the et le demonstratif that, et le nom d'Adj(Adjectif) au modele de l'adjectif epithete et du complement de nom, on voit que les commutations de Gleason font du syntagme au genitif saxon un determinant nominal, alors que celles qui viennent d'etre proposees en font —plus justement— une epithete complexe du nom. II est interessant de signaler a ce propos que Noam Chomsky considerera egalement, a tort, que la relative epithete fait partie de la determination du nom. Et la grammaire traditionnelle francaise a, elle aussi, parfois ete tentee de ranger implicitement dans ce meme paradigme tout complement de nom, quand elle a voulu lui donner le nom de «complement determinatif». D'ailleurs, si on regarde les choses de facon plus complete et plus systematique, in doit dire que ce n'est pas la presence d'un syntagme au genitif qui empeche l'apparition de l'article the, mais la presence dans ce syntagme d'un constituant (nom propre ou SN) de sens defini. Car le syntagme au genitif saxon n'empeche nullement la presence d'un article (l'article indefini a(n)) dans le les grammaires appellent alors le "genitif generique" et que Roggero illustre par a butcher's knife «un couteau de boucher» 18 en precisant fort justement que ce tour doit etre "analyse comme a (butcher's knife): c'est-a-dire que l'article a est celui du noyau knife done celui de tout SN" (Roggero, 1979, 180). Dans ces conditions, puisque the et a appartiennent a la meme classe syntaxique des determinants, il ne serait pas logique de dire que le syntagme au genitif saxon est une expansion de N, quand il y a un article a, mais le determinant du N, quand il n'y a pas d'article. II est plus satisfaisant de dire que dans les deux cas le syntagme au genitif saxon est une expansion de N et forme done avec ce N une construction endocentrique, qu'on peut appeler un groupe nominal (GN) ou un N syntaxique. Mais ensuite ce GN soit se combine avec un Det pour former la construction exocentrique que Tin appelle un SN, soit entre seul dans le paradigme du SN. Roggero signale d'ailleurs un cas interessant d'ambiguite: his (capitain's uniform): generique «son uniforme de capitaine» his capitain's (uniform): specifique «l'uniforme de son capitaine» ou ce sont deux constituants differents, a savoir capitain's et his capitain's, qui remplissent la meme fonction syntaxique d'expansion du N uniform, d'ou, bien sur, la difference de sens. Et du coup, la difference entre une complement de nom au genitif saxon et un complement de nom prepositionnel n'est pas dans la position syntaxique des complements (ils sont tous les deux des expansions de N), mais dans la place syntagmatique desdits complements: le complement de nom au genitif saxon est obligatoirement antepose au N dont il est le complement, alors que le complement de nom prepositionnel lui est obligatoirement postpose. En conclusion, on dira plutot que la presence d'un syntagme complement de nom semantiquement defini au genitif saxon exclut la presence d'un determinant du SN, phenomene qu'on rapprochera par exemple du fait qu'un complement de nom au genitif n'est pas compatible, en arabe, avec l'article defini, ou qu'un complement de nom designant un objet particulier impose necessairement en francais Tempioi de l'article defini: la branche de l'arbre, la branche d'un arbre, *une branche de l'arbre, *une branche d'un arbre en face de la branche d'arbre, une branche d'arbre. e. Un exemple latin: Analysons en constituants immediats la phrase suivante de Ciceron (Cic, Lael. 6): Sci-mus Luci-um Acili-um apud patr-es nostr-os appella-tum esse sapient-em savoir-nous Lucius-Acc. Acilius-Acc. chez pere-AccPlur.notre-AccPlur appeler-PP etre-Inf. sage-Acc. «Nous savons que Lucius Acilius, du temps de nos ancetres, fut appele sage» (L. Laurand). Si Ton prend les mots pour unites, les commutations semblent assez faciles a faire: 19 Scimus Lucium Acilium apud patres nostras appellatum esse sapientern ilium «lui» Romanos «Romains» appellari «etre appele» hie «ici» uiuere «vivre» esse «exister» aliquid «quelque chose» L'analyse est apparemment plus compliquee avec les morphemes comme unites minimales, etant donne que les deux accusatifs de Luci-um etAcili-um sont le signifiant discontinu du morpheme fonctionnel de sujet, que la preposition apud et les deux accusatifs de patr-es et nostr-os sont les trois elements du signifiant discontinu d'un morpheme de signifies "chez", que les deux segments -t- es- de appella-tum esse sont le signifiant amalgame des morphemes de «passif» et d'«accompli», que l'infinitif de esse est le signifiant du morpheme de subordination, et que les accusatifs de appella-t-um et de sapient-em sont des accords morphologiques. Le syntagme verbal de la subordonnee pourra donner lieu aux commutations suivantes: chez [apud oeie-NoPl notre-NoPl patres nostras] Appeler appell jappelTz Passif-Per '■ t-t-up es- Roman-psi -/■--' Passif ri hie uiue- es- ■se Inf re se sage-Ace sapient-em: Pour les comprendre, il faut savoir que -i de oppella-ri «etre appele» est un amalgame du morpheme de passif et du morpheme de subordination, que -re de l'infinitif uiue-re et -se de l'infinitif esse sont deux realisations phonetiques d'un seul et meme signifiant /se/ et que les deux morphemes appella- «appeler» et sapientem «sage» forment une construction qui commute avec le seul lexeme verbal uiue- «vivre». Si maintenant on place les modeles es- et -se de ce SV dans le reste de la phrase, on ne peut que trouver les commutations suivantes: savoir-nous Sci-mus Lucius-^4cc Lucl^tm Acilius-. Acili- Icc lurri etre ■ es ■ Inf ■ se "sei ■ Dm es- 1 aliqu-id 20 ce qui semble suggerer que la phrase a quatre constituants immediats, alors que les commutations faites sur les mots n'en donnent que deux. Mais dans la mesure ou le morpheme personnel -mus se combine syntagmatiquement avec le seul lexeme verbal sci-, et le morpheme fonctionnel d'accusatif -d avec le ProSN aliqui-, dont il indique du reste la fonction syntaxique, on admettra, meme en l'absence de toute confirmation par des commutations, que ces deux combinaisons sont les deux constituants immediats de cette phrase, qui n'aurait bien par consequent que deux, et non pas quatre, constituants immediats, et que le second constituant a lui-meme deux constituants immediats, a savoir une proposition et un subordonnant. savoir-nous Sci-mus un chez tbxQ-NoPl aotre-NoPl japuS patr-^s nostr-^] Romanes: hie aliqu-id Appe le x-Passif-Pe rklnf appella iappella -un/ es Passif n uiue- es- sage -A cc se :apient-e^i W .............. sapient-em: re se: 5. Representations graphiques: On peut constater qu'il n'est pas facile de rester clair ou meme de se faire comprendre, lorsqu'on decrit avec des mots l'organisation en constituants immediats d'une phrase, meme relativement simple. Quand par exemple on dit que le relatif qui est la construction habite id sont les deux constituants immediats de la construction qui habite ici, laquelle est le second constituant immediat du second constituant immediat du premier constituant immediat de la phrase Le vieil homme qui habite ici alia a la mairie, il faut bien reconnaitre qu'on ne parvient pas a realiser a quoi correspond exactement cette cascade de complements de nom. Pour remedier a cette difficulte, et aussi pour pouvoir plus facilement comparer entre elles les differentes analyses obtenues, les linguistes qui ont pratique l'analyse en constituants immediats ont utilise des systemes de representations graphiques, qui permettaient de visualiser ce qu'il est difficile d'apprehender, lorsque ce n'est presente que verbalement. a. Systeme de Nida: Un premier systeme de notation consiste a reunir par un trait les constituants qui forment une construction, exactement comme nous l'avons fait plus haut, a la suite de Gleason, dans la presentation de la procedure synthetique. Et Eugen Nida a propose d'aj outer sur les traits qui vont d'un constituant a l'autre (ou aux autres) d'une meme construction des symboles qui indique la nature endocentrique ou exocentrique de la construction. Une fleche tournee vers le noyau du syntagme affectera la construction endocentrique. Deux fleches face a face (ou, si Ton veut, un x) affectera la construction exocentrique. Et un signe d'egalite marquera les relations endocentriques de coordination (cf. figure 10). 21 Et e vieil homme qui habite ici all - a á la mairie fig. 10: systéme deNida Si les constituants á réunir dans une méme construction sont séparés par un ou plusieurs autres constituants, les traits horizontaux croiseront des traits verticaux; mais cela n'empechera pas du tout la lisibilité de la representation graphique. C'est un avantage de ce systéme de representation que ne présentent pas les autres systěmes de representation graphique, qui supposent que la contiguité des constituants d'une construction syntaxique n'est pas interrompue par l'ordre des mots. b. Dichotomies: Un autre systéme, assez simple, est celui qu'a utilise par exemple Rulon Wells. II consiste á indiquer par une barre la premiére dichotomie de la phrase en constituants immédiats, puis par deux barres toute deuxiěme dichotomie á 1'intérieur des premiers constituants immédiats de la phrase, puis par trois barres toute troisiěme dichotomie á 1'intérieur des constituants immédiats des premiers constituants immédiats de la phrase, puis par une barre supplémentaire pour toute dichotomie supplémentaire á 1'intérieur des constituants immédiats précédemment identifies, et ainsi de suite jusqu'a ce que tous les constituants immédiats ne soient plus que des morphemes. Dans le cas de la phrase francaise analysée selon la procedure ascendante de Gleason, cela donnerait: Le l2l vieil Ulil homme /3// qui Ulil habite l5llll ici l\ all-/3//-a l2l á I3II la/ 4/// mairie oú nous avons ajouté des chiffres pour indiquer l'ordre des dichotomies successives: Le vieil homme qui habite ici l\ all-a á la mairie Le li vieil homme qui habite ici A all-a li á la mairie Le li vieil homme /3 qui habite ici l\ all- /3 a /2 á /3 la mairie Le li vieil U homme I3 qui U habite ici A all-13 a li a I3 la U mairie Le l2 vieil U homme /3 qui U habite l5 ici l\ all- /3 a /2 á /3 la U mairie c. Parenthésage (en anglais bracketing): II est possible de sophistiquer ce systéme de representation en remplacant les barres de separation par une parenthěse ouvrante au debut de 22 chaque constituant immediat et une parenthese fermante a la fin du meme constituant immediat. Pour faciliter l'identification des differents constituants immediats, on peut aj outer un numero d'ordre a chaque couple de parentheses ouvrante et fermante, comme on l'a fait plus haut pour les barres de dichotomie, en allant de gauche a droite et des constituants immediats les plus larges aux constituants immediats les moins larges: (i(2((4Le)4 (5(8(i4vieil)i4 (i5homme)i5)8 (9(i6qui)i6 (iv(2ohabite)2o (21101)21)17)9)5)2 6(6(ioall)io- (na)n)6 (7(12^)12 (i3(i8la)i8 (i9mairie)i9)i3)7)3)i Au lieu de ces chiffres, on peut mettre "une denomination {labelling) qui est l'etiquette d'une classe syntaxique" (Ruwet, 1968, 110): (p(sN(DetLe)Det (MN(]V[N(vieil homme)MN (subRei(Reiqui)Rei (sv(vhabite)v (Advici)Adv)sv)subRel)MN)sN (sv(v(vall)v-(pasa)pas)v (sPrep(prep un ensemble de chemins divergents" (Claude Flament, p. 38). Cette precision n'empeche pas de parier d'arbre á propos d'une figure comme la figure 13, puisque l'arborescence est un cas particulier d'arbre. 6. Limites de la méthode: II ne faudrait pas accorder trop de confiance aux différentes procedures d'analyse en C.I. qui ont pu étre mises au point, méme si elles ont semblé donner de bons résultats, voire la seule analyse acceptable, dans le cas des phrases relativement simples auxquelles nous les avons appliquées. Chaque procedure a des inconvénients et des limites qui lui sont propres; mais toutes les procedures ont au moins en commun des limites qui sont inhérentes á la méthode elle-méme. 26 a. POSSIBILITE DE PLUSIEURS SERIES DIFFERENTES DE COMMUTATIONS: D'abord il n'est pas rare qu'une meme phrase puisse donner lieu a plusieurs series differentes de commutations, chaque serie correspondant forcement alors a une analyse syntaxique differente. Une telle situation rend necessaire de faire un choix, qui ne saurait etre dicte uniquement des commutations. a. Ainsi, pour le SN de dans la maison de son fits, il existe au moins trois analyses differentes, que Ton peut toutes defendre a l'aide de commutations. dans la maison celle de son fils Paul On s'arretera la si Ton se conforme aux usages puristes qui ne jugent pas correct de construire le pronom celui avec un adjectif ou un participe comme dans: Les personnes ignorantes, et surtout celles etrangeres a la philosophic Les raisons donnees par autrui nous persuadent moins que celles trouvees par nous-memes constructions qu"'il faudrait corriger en employant le relatif: ... celles qui sont etrangeres ... ; ... celles qui ont ete trouvees ou en reprenant le nom" (Grevisse, 1959, 439-440). On obtient alors trois C.I., ce qui correspond a l'analyse qu'admet Bernard Pottier, quand il dit que "Dans <...> the King of England <...> se trouve un element de relation, of, qui pourrait suggerer une coupure en trois parties" (Pottier, 1962, 47), l'element de relation etant en effet le constituant qui relie deux groupes syntagmatiques, selon le schema: Groupe syntagmatique A + Element de relation + Groupe syntagmatique B" (Pottier, 1962, 43) note aussi: "GS - R - GS - R - GS" (Pottier, 1962, 43). Si on recuse la condamnation des puristes, on peut alors faire commuter, apres le pronom celui, la preposition de et le nom avec un adjectif, ce qui conduit a admettre que dans la maison de son fils celle Paul voisine Aix 27 le SN a deux C.I. C'est tres exactement l'analyse a laquelle Rulon Wells se rallie finalement: apres avoir observe qu'il etait preferable d'analyser le SN anglais the English king en un adjectif English et un constituant discontinu the... king, il admet qu'il doit en etre de meme pour le syntagme nominal avec complement de nom, qu'il decoupera done en deux C.I. the king / of England, ce qui, dit-il, "semble bien apres tout l'analyse du bon sens" (Wells, 1970, 89). Cette analyse de Rulon Wells et celle de Bernard Pottier ont en commun de rejoindre sur un point le discours des grammaires scolaires, qui disent que l'article determine le nom, e'est-a-dire en fait le nom seul. Un troisieme reseau de commutations est possible, qui est celui que proposent des tenants de l'analyse en C.I. comme H. A. Gleason, pour qui le SN a six constituants: the old man who lives there commute avec le SN a trois constituants: the graybeard surviving qui ont tous les deux comme modele le SN a deux C.I.: the survivor (cf. Gleason, 1969, 106), ou comme Hockett, qui reunit l'adjectif et le nom du SN a trois constituants the old man avant de reunir cette construction avec l'article, selon la representation graphique suivante: the old man old man the old man (cf. Hockett, 1969, 14eme ed., 158). Appliquee a notre exemple, cette analyse repose sur les commutations suivantes: dans la maison de son fils Paul voisine ville Aix 28 Quelle description retenir? Remarquons d'abord que les systemes de commutations qui correspondent a ces differentes analyses n'ont pas du tout le meme interet. La premiere serie de commutations est certes originale, mais elle souffre de certaines limites. Le pronom celui en effet ne commute pas dans tous les contextes avec un article et un nom, mais seulement quand il s'agit d'eviter la reprise d'un nom, par exemple: .... dans la maison de Jean, puis dans celle de Paul et lorsque d'autre part ce nom evite serait suivi d'une determination. Ainsi la construction: .... *dans la maison de Jean, puis dans celle est inacceptale, en face de: .... dans la maison de Jean, puis dans celle-ci qui est parfaitement possible. Un telle restriction d'emploi suggere peut-etre que le morpheme maison ne se combine avec l'article qu'apres avoir forme une unite syntaxique avec la determination de Jean, ce qui invaliderait completement la premiere serie de commutations proposee, ainsi du reste que la deuxieme, et par contre irait dans le meme sens que la troisieme serie de commutation. Cette derniere serie de commutations a d'autres merites. D'abord elle ne connait aucune restriction: elle a en effet une portee generate, pouvant etre appliquee a n'importe quel SN contenant un SPrep, c'est-a-dire aussi bien au SPrep avec preposition dite vide qu'a ceux qui presentent une preposition dont le signifies n'est pas purement grammatical, comme: l'arrivee a Rome, l'expulsion hors de la ville, la guerre contre les Gaulois, etc. En outre, elle permet de dire que l'article determine non pas le seul nom de ce SN mais tout le reste du SN, ce qui correspond au sentiment que Ton peut nettement avoir lorsque le determinant est par exemple un demonstratif ou un possessif. De fait dans: mon voyage en Egypte, ce voyage en Egypte ce n'est pas seulement le voyage, mais le voyage en Egypte qui est rattache a l'individu designe par le morpheme mon ou ce . De meme, dans le SN la maison isolee ou une maison isolee, il semble bien que ce ne soit pas seulement la maison, mais la maison particuliere qu'est une maison isolee qui est presentee comme definie ou indefinie par l'article la ou une . Cela est d'autant plus vrai dans le SN la maison de son fils que c'est precisement parce qu'il y a la determination apportee par le complement de nom de son fils que l'article du SN peut etre l'article defini la, meme si Ton n'a pas deja parle de ladite maison. Si Ton admet que c'est le meilleur reseau de commutations, on remarquera que le procede qui consiste a commencer les commutations par la fin et a remonter ensuite pas a pas 29 vers le premier morpheme de 1'énoncé permet d'arriver tout de suite et sans difficulté á l'analyse en C.I. considérée comme devant étre retenue. B. LE SN AVEC SUBORDONNÉE RELATIVE présente un autre cas de figure: deux series de commutations sont possibles; mais il semble que les deux analyses soient également acceptables. De fait, á cóté de la série de commutations que nous avons précédemment admise, il est possible d'en proposer une autre, ou, cette fois-ci, la relative, qui commute Le vieil homme qui habite ici chasseur radote Paul essoufflé Paul toujours avec un adjectif, se combine avec une construction formée par les trois morphemes le vieil homme, et non plus seulement avec la construction á deux morphemes que formaient le nom homme et son adjectif épithěte vieil. Comment choisir entre ces deux analyses? II semble bien que les deux soient possibles; mais alors la relative n'a pas le méme sens, ce qui rejoint la distinction traditionnelle dans les grammaires entre relatives dites explicatives et relatives dites determinatives. On sait que ces deux sortes de relatives n'ont pas la méme extension, la relative explicative disant quelque chose de toute l'extension de son antecedent, et la relative determinative ne concernant qu'une partie de l'extension de son antecedent. Quand en effet, pour reprendre des exemples de La logique dite de Port-Royal, on dit avec une relative explicative les hommes, qui sont mortels, le contenu de la relative est vrai de tous les hommes, et l'on peut dire de tout 1'antécédent du relatif: les hommes sont mortels Mais á partir d'une relative determinative comme: les hommes qui sont pieux sont charitables on ne peut pas dire de tout 1'antécédent: les hommes sont charitables car la relative qui sont pieux n'est vraie que d'une partie des hommes. II serait plus linguistique de dire que la relative explicative est une apposition de son antecedent, qui est tout un SN, comme dans le réseau de commutations qui vient d'etre propose, tandis que la relative determinative n'est 30 qu'une épithěte de son antecedent, qui est constitué non plus de tout le SN le vieil homme (ou les hommes), mais du seul nom complexe (vieil homme) ou simple (hommes). Ceci veut dire que dans le cas d'une relative explicative, la subordonnée qui habite id se combine avec le SN le viel homme, comme dans les derniěres commutations, alors que dans le cas d'une relative determinative, eile se combine avec le seul syntagme vieil homme, comme dans les commutations proposées antérieurement. Les deux réseaux de commutations sont done théoriquement acceptables. Mais bien entendu, ces deux analyses s'appliquent á deux énoncés différents: elles ne sont pas possibles á propos du méme énoncé. b. IMPOSSIBILITÉ DE TROUVER UNE COMMUTATION: A coté de la possibilité de trouver plusieurs réseaux de commutations différents, il existe une autre limite de la commutation, plus grave peut-étre, e'est 1'impossibilité de proposer la moindre commutation. Cela est notamment le cas avec les morphemes fonctionnels, c'est-á-dire les morphemes dont le signifié est purement grammatical et n'indique rien d'autre que la fonction syntaxique que remplit un constituant donné. Les langues á flexion casuelle sont particuliěrement riches en tels morphemes. Quand par exemple un morpheme qui a pour signifiant un nominatif indique que le lexeme avec lequel il se combine remplit la fonction de sujet, ou quand un morpheme dont le signifiant est un accusatif explicite que le constituant auquel il se rattache est un complement de verbe, il est impossible de ne faire commuter que ces cas, car il faudrait aussi pouvoir faire changer de fonction le constituant dont ces cas indiquent la fonction, ce qui n'est pas possible. Ainsi dans: mai-ior-es cad-unt <...> umbr-ae ou cad-unt nub-es si l'on peut faire commuter le morpheme de pluralitě avec l'absence de nombre que les grammaires scolaires ont l'habitude d'appeler le singulier en remplacant le segment -ae avec le segment -a ou le segment -es avec le segment -is, ce qui donne: mai-ior cadi-t <...> umbr-a «l'ombre croissante tombe» cadi-t nub-is «le nuage tombe» (le singulier nub-és, homonyme du pluriel nub-ěs, étant toutefois une variante plus usuelle que nubis ), il est impossible de remplacer le nominatif par un autre cas, á moins d'introduire d'autres changements et d'aj outer un mot dont umbra pourrait étre par exemple le complement de nom, comme dans: mai-ior cadi-t umbr-ae obscurita-s «l'obscurite croissante de l'ombre tombe». 31 Mais alors on n'a plus affaire á une paire minimale. De méme dans: Poet-a amic-um uid-i-t «Le poete vit un ami» on pourrait remplacer le nominatif par un génitif Poet-ae amic-um uid-i-t «11 vit un ami du poete» ou par un accusatif: Poet-am amic-us uid-i-t «L'ami vit le poete» Certes dans les deux cas, le lexeme poeta n'est plus au nominatif. Mais dans le premier cas, il faut aussi donner á la desinence -t non plus le simple role d'accord morphologique mais la valeur d'un morpheme de troisiěme personne; et dans le second cas, il faut en méme temps remplacer l'accusatif par un nominatif. Dans les deux cas, il ne saurait done s'agir de paire minimale. Mais cette absence de veritable commutation n'empeche pas de reconnaitre qu'a chaque fois le cas est un morpheme qui doit former une construction avec le nom ou le syntagme dont il precise justement la fonction syntaxique. II est surtout impossible de faire commuter le nom et le cas qui indique sa fonction avec un seul morpheme. Car tout ce que Ton mettra á la place du dit nom occupera la fonction de sujet ou ďobjet suivant les cas et recevra un morpheme casuel pour exprimer cette fonction syntaxique. On ne peut done pas prouver que le nom et le morpheme forme une construction. Mais dans la mesure ou le morpheme fonctionnel indique la fonction de ce seul nom, il n'y a pas de raison de penser qu'il pourrait former une construction avec un autre constituant. Les langues sans déclinaisons présentent aussi le méme genre de difficulté. Certes, en francais, le morpheme fonctionnel de, qui marque la fonction de complement de nom dans des syntagmes comme: la maison de son fils, la maison de Paul n'a posé aucun probléme, puisque le syntagme de Paul pouvait commuter avec un adjectif épithěte comme isolée, ou la fonction n'est marquee par aucun morpheme, mais seulement par la position de l'adjectif á cóté du nom. Par contre un énoncé comme: il parte de ses vacances á ses amis est moins favorable. Car s'il est possible de proposer les commutations suivantes: il parte de ses vacances á son ami 7 9a Paul po itique 32 on ne peut pas faire commuter les deux morphemes il parle avec un seul morpheme verbal; et pourtant il est clair que le pronom dit personnel il ne commute nullement avec un nom propre comme Pierre, puisqu'il n'a pas les memes proprietes combinatoires que lui. Ce n'est done pas un sujet, e'est-a-dire un C.I. de P. De plus la preposition ä, qui introduit le complement de verbe son ami, ne peut pas commuter: comme un cas, eile indique en effet que le SN son ami est un complement de verbe, et non un circonstant. 7. Probleme de la non contiguite lineaire: Les exemples latins risquent de poser quelques problemes, dans la mesure ou souvent les constituants d'une meme construction syntaxique peuvent ne pas etre contigus dans la chaine syntagmatique. Or e'est exclusivement des constituants contigus que jusqu'ä present nous avons cherche ä faire commuter avec un seul morpheme, pour tester leur eventuelle relation syntaxique etroite. a. Solution de l'analyse configurationnelle de Kulagina: ] b. Solution pour la procedure synthetique de Gleason: II est possible d'ajouter deux conventions particulieres ä la procedure synthetique de Gleason pour lui permettre de ne pas etre bloquee par l'eventuelle non contiguite des constituants d'une meme construction, comme dans la phrase latine (Verg., eel. 1, 83): m#a-i#or-#es-que cad-unt alt-#is de mont-ibus umbr-ae grand-plus-NoPl -et tomber-P6 haut-AbPl de mont-AbPl ombre-NoPl "Et les ombres plus grandes tombent du haut des montagnes" oü Ton considere generalement que maiores et altis sont, malgre la separation minime pour le second, mais tres consequente pour le premier, epithetes de respectivement umbrae et montibus . D'abord, on pourrait encadrer de traits discontinus les deux constituants altis et montibus qui, bien que separes dans la chaine syntagmatique altis de montibus, n'en forment pas moins une construction syntaxique: J kit -1 s J de J mont - lb'us | et mettre sous le seul second (ou le seul premier) de ces constituants le morpheme qui commute avec la construction discontinue ä laquelle ils appartiennent, en tirant un trait sous les deux constituants, mais en ne prolongeant verticalement que l'un des deux traits qui separaient le constituant intercale, ce qui manifestement agrandit la case de ce constituant intercale: alt - is de mont - ibus; cael - 0 33 Une telle convention montre clairement d'une part que le morpheme caelo commute avec les deux constituants non contigus de la construction altis... montibus, et d'autre part qu'apres cette commutation, il ne reste plus du syntagme a trois constituants altis de montibus qu'un syntagme a deux constituants de caelo . A cela il faut aj outer la seconde convention qui est de commencer par faire commuter avec un seul morpheme les constructions dont les constituants sont contigus; car en procedant de la sorte, on constatera que les constituants apparemment les moins contigus ne sont pas si eloignes l'un de l'autre qu'on pouvait le croire a premiere vue. En se conformant a ces deux conventions, la procedure synthetique a la facon de Gleason donnerait, pour le vers de Virgile, le taleau de commutations suivant: grand-plus-NaP/ ma - ior -1 magn-ae- «grand» |"magn-^ě- -et que que et tomber-f<5 cad-unt haat-AbP, de del mont-AbPl mb'nt-pjiis cael-o «ciel» ill-inc «de lá» ueni-unt «venir» íta «oui» ombre umbr umbitae nub «nuage! NoPl es Harris, Zellig S., 1946, "From Morpheme to Itterance", in: Language 22, 161-183. — 1968, "Du morpheme á l'expression" (original: 1946), in: Langages 9, 23-50. Hjelmslev, Louis, 1966, Le langage, trad, par Michel Olsen, (original: 1963), Paris, Editions de Minuit, 203p. 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