It lecteur superfine/ : ce sont en verite des etendues de relation, mnervees de rapports invisibles, que le lecteur pent susciter et mime cre'er a sa guise, par sympathie. On peut jaire rexperience des deserts de I'dme a Quebec aussi bien qu'en Arable petre'e. Pierre Emmanuel EVEIL AU SEUIL D'UNE FONTAINE O ! spacieux loisir Fontaine intacte Devant moi deroulee A l'heure Oü quittant du sommeil La penetrante nuit Dense foret Des songes inattendus Je reprends mes yeux ouverts et lucides Mes actes coutumiers et sans surprises Premiers reflets en l'eau vierge du matin. La nuit a tout efface mes anciennes traces. Sur l'eau egal£. S'etend La surface plane Pure ä perte de vue D'une eau inconnue. ^5 Et jc sens dans mes doigts A la racine de mon poignet Dans tout le bras Jusqu'a l'attache de l'epaulc Sourdre un geste Qui se cree Et dont j 'ignore encore L'enchantement profond. Ah que la pluie dure ! Lente fraicheur SOUS LA PLUIE Sur le monde replié Passif et doux. Pluie pluie Lente lente pluie Sur celle qui dort Ramenant sur soi le sommeil transparent Tel un fréle abri fluide. Séjour á demi cache Sous la pluie Cour intérieure dérobée Oú les gestes de peine Ont l'air de reflets dans l'eau Tremblante et pure Toutes les gouttes du jour Versées sur celle qui dort. Nous n'apercevons son cceur Qu'a travers le jour qu'il fait LES GRANDES FONTAINES Le jour qu'elle ramene Sur sa peine Comme un voile d'eau. N'allons pas cn ccs bois protends A cause des grandes fontaines Qui dorment au fond. N'eveillons pas les grandes fontaines Un faux sommeil clot leurs paupieres salees Aucun reve n'y invente de floraisons Sous-marines ct blanches ct rarcs. Les jours alcntour Et les arbres longs ct chantants N'y plongent aucunc image. L'eau dc ces bois sombrcs Est si pure et si uniquemcnt fluidc Et consacree en cet ecoulement de source Vocation marine ou jc me mire. ' ang;isti!-y 2 f.,-f.r;'.::'^nxv Fiioic':! i.e iakuit■' Maiarykovy unive'i'ry BRNO, Aru No*S:.* i O larmes ä 1'intérieur de moi Au creux de cet espace grave Oü veillent les droits piliers De ma patience ancienne Pour vous garder Solitude éternelle solitude de 1'eau. LES PECHEURS D'EAU Les pécheurs ďeau Ont pris 1'oiseau Dans leurs filets mouillés. Toute 1'image renversée; II fait si calme Sur cette eau. L'arbre En ses feuilles Et dessin figé du vent Sur les feuilles Et couleurs ďété Sur les branches. Tout l'arbre droit, Et 1'oiseau, Cette espěce de roi Minuscule et naif. 18 19 Et puis, aussi, Cctte femme qui coud Au pied de l'arbre Sous le coup de midi. LES MAINS Cette femme assise Refait, point a point, L'humilite du monde, Rien qu'avec la douce patience De ses deux mains brulees. Elle est assise au bord des saisons Et fait miroiter ses mains comme des rayons. Elle est etrange Et regarde ses mains que colorent les jours. Les jours sur ses mains L'occupent et la captivent. Elle ne les refer me jamais. Et les tend toujours. Les signes du monde Sont graves a meme ses doigts. Tant de chiffres ptofonds L'accablent de bagues massives et travaillees. D'elle pour nous Nul lieu d'accueil et d'amour 20 21 Sans cette offrande impitoyable Des mains de douleurs parées PETIT DESESPOIR Ouvertes au soleil. La riviere a repris les iles que j'aimais Les clefs du silence sont perdues La rose trémiěre ďa pas tant d'odeur qu'on croyait L'eau autant de secrets qu'elle le chante Mon coeur est rompu L'instant ne le porte plus. 22 23 NUIT LA VOIX DE L'OISEAU La nuit Le silence de la nuit M'entoure Comme de grands courants sous-marins. Je repose au fond de l'eau muette et glauque. J'entends mon coeur Qui s'illumine et s'eteint Comme un phare. Rythme sourd Code secret Je ne déchifFre aucun mystěre. A chaque éclat de lumiěre Je ferme les yeux Pour la continuité de la nuit La perpétuité du silence Oú je sombre. J'entends la voix de l'oiscau mort Dans un bocage inconnu. L'oiseau chante sa plainte A la droite De ma nuit. J'entends le bruissement des peupliers Qui font un chant liquide Tout autour de moi, He noire Sur soi enroulee. Captivite. De moi ä l'oiseau De moi ä cette plainte De l'oiseau mort Nul passage Nul secours 24 25 1. I I I Tu marches Tu remues; Chacun de tes gestes Pare d'effroi la mort enclose. Je recois ton tremblement Comme un don. Et parfois En ta poitrine, nxee, J'entrouvre Mes prunelles liquides Et bougent Comme une eau verte Des songes bizarres et enfantins. EN GUISE DE FETE Le soleil luit Le soleil luit Le monde est complet Et rond le jardin. J'ai allume Deux chandelles Deux feux de cire Comme deux fleurs jaunes. Le jour pourrit Les feux de nuit, Deux fleurs fanees, Aux blanches tiges d'eglise; Le monde est en ordre Les morts dessous Les vivants dessus. 34 35 Les morts me visitent Le monde est en ordre Les morts dessous Les vivants dessus. Les morts m'ennuient Les vivants me tuent. J'ai allume Deux fleurs tremblantes, J'ai pris mes yeux Dans mes mains Comme des pierres d'eau Et j'ai danse Les gestes des fous Autour de mes larmes En guise de fete. i UN MUR A PEINE Un mur ä peine Un signe de mur Pose en couronne Autour de moi. Je pourrais bouger Sauter la haie de rosiers, L'enlever comme une bague Pressant mon coeur Gagner l'univers Qui fuit Sans un cri. Seule ma fidelite me lie. O liens durs Que j'ai noues En je ne sais quelle nuit secrete Avec la mort ! 36 37 1 Petit espace Et mesure exacte Des gestes futurs. Au centre de l'enclos La source du sang Plantee droit Cet arbre crispe Et vous feuillages Des veines Et des membres soumis. Par les jours calcaires et blancs, Forme d'arbre en la duree Bouleau clair Aux sombres epanchements figes Les doigts sans aucun desir Etendus; Mon coeur sera bu comme un fruit. LA CHAMBRE FERMEE Qui done m'a conduite ici ? II y a certainement quelqu'un Qui a souffle sur mes pas. Quand est-ce que cela s'est fait ? Avec la complicity de quel ami tranquille ? Le consentement profond de quelle nuit longue ? Qui done a dessine la chambre ? Dans quel instant calme A-t-on imagine le plafond bas La petite table veite et le couteau minuscule Le lit de bois noir Et toute la rose du feu En ses jupes pourpres gonflees Autour de son cceur possede et garde Sous les flammes oranges et bleues ? Qui done a pris la juste mesure De la croix tremblante de mes bras etendus ? 3» 39 DE PLUS EN PLUS ÉTROIT RETOURNE SUR TES PAS Cettc femme á sa fenetre La place des coudes sur 1'appui La fureur vermeille jointe á cóté Bel arbre de capucines dans un grěs bleu. Elle regarde passer des equipages amers Et ne bouge De tout le jour De peur de heurter la paroi du silence derriěre elle Souffle glacé sur sa nuque Lieu sourd oú cet homme de sel N'a que juste l'espace Entre cette femme de dos et le mur Pour maudire ses veines figées á mesure qu'il respire Sa leňte froide respiration immobile. Retourne sur tes pas ó ma vie Tu vois bien que la We est fermée. Vois la barricade face aux quatre saisons Touche du doigt la fine maconnerie de nuit dressée sur 1'horizon Rentre vite chez toi Découvre la plus étanche maison La plus creuse la plus profonde. Habite done cc caillou Songe au lent cheminement de ton áme future Lui ressemblant á mesure. Tu as bien le temps ďici la grande téněbre : Visitě ton cceur souterrain Voyage sur les lignes de tes mains Cela vaut bien les chemins du monde Et la granďplace dc la mer en tourment 44 45 Imagine ä loisir un bei amour lointain Ses mains legeres en route vers toi Retiens ton souffle Qu'aucun vent n'agite Fair Qu'il fasse calme lisse et doux A travers les murailles Le desir rode vole et poudre Recueille-toi et delivre tes larmes O ma vie tetue sous la pierre ! UNE PETITE MORTE Une petite morte s'est couchée en travers de la porte. Nous l'avons trouvée au matin, abattue sur notre seuil Comme un arbre de fougěre plein de gel. Nous n'osons plus sortir depuis qu'elle est la C'est une enfant blanche dans ses jupes mousseuses D'ou rayonne une etrange nuit laiteuse. Nous nous effor^ons de vivre a l'interieur Sans faire de bruit Balayer la chambre Et ranger l'ennui Laisser les gestes se balancer tout seuls Au bout d'un fil invisible A meme nos veines ouvertes. 46 47 Nous menons une vie si minuscule et tranquille Que pas un de nos mouvements lents NOS MAINS AU JARDIN Ne depassc l'envers dc ce miroir limpide Ou cettc sceur que nous avons Se baigne bleue sous la lunc Tandis que croit son odeur capiteuse. Nous avons eu cette idee De planter nos mains au jardin Branches des dix doigts Petits arbres d'ossements Chere plate-bande. Tout le jour Nous avons attendu l'oiseau roux Et les feuilles fraiches A nos ongles polis. Nul oiseau Nul printemps Ne se sont pris au piege de nos mains coupees. Pour une seule fleur Une seule minuscule ctoilc de couleur 48 49 Un seul vol d'aile calme Pour une seule note pure Repetee trois fois. II faudra la saison prochaine Et nos mains fondues comme l'eau II y a certainement quelqu'un Qui m'a tuee Puis s'en est alle Sur la pointe des picds Sans rompre sa danse parfaite. A oublie de me coucher M'a laissee debout Toutc liec Sur le chemin Le cceur dans son coffret ancien Les prunelles pareilles A leur plus pure image d'eau A oublie d'effaccr la bcaute du monde Autour de moi A oublie de fermer mes yeux avides Et permis leur passion perdue IL Y A CERTAINEMENT QUELQU'UN 50 En cette dense foret de la chaleur deployee. Lente traversee. LE TOMBEAU DES ROIS Aveugle je reconnais sous mon ongle la pure colonne de ton coeur dresse Sa douceur que j'invente pour dormir Je l'imagine si juste que je defaille. Mes mains ecartent le jour comme un rideau L'ombre d'un seul arbre etale la nuit ä nos pieds Et decouvre cette calme immobile distance Entre tes doigts de sable et mes paumes toutes fleuries J'ai mon coeur au poing. Comme un faucon aveugle. Le tacitume oiseau pris a mes doigts Lampe gonflee de vin et de sang, Je descends Vers les tombeaux des rois Etonnee A peine nee. Quel fil d'Ariane me mene Au long des dedales sourds ? L'echo des pas s'y mange a mesure. (En quel songe Cette enfant fut-elle liee par la cheville Pareille a une esclave fascinee ?) L'auteur du songe Presse le fil, Et viennent les pas nus 58 59 Un ä un Comme les premieres gouttes dc pluic Au fond du puits. Deja. l'odeur bouge en des orages gonfles Suinte sous le pas des portes Aux chambres secretes et rondes, La ou sont dresses les lits clos. L'immobile desk des gisants me tire. Je regarde avec etonnement A meme les noirs ossements Luire les pierres bleues incrustees. Quelques tragedies patiemment travaillees, Sur la poitrine des rois, couchees, En guise de bijoux Me sont offertes Sans larmes ni regrets. Sur une seule ligne ranges : La fumee d'encens, le gäteau de riz seche Et ma chair qui tremble : Offrande rituelle et soumise. Le masque d'or sur ma face absente Des fleurs violettes en guise de prunelles, L'ombre de l'amour me maquille ä petits traits precis; Et cet oiseau que j'ai Respire Et sc plaint etrangement. Un frisson long Semblable au vent qui prend, d'arbre en arbrc, Agite sept grands pharaons d'ebene En leurs etuis solennels ct pares. Ce n'est que la profondeur de la mort qui persistc, Simulant le dernier tourment Cherchant son apaisement Et son eternite En un cliquetis leger de bracelets Cercles vains jeux d'ailleurs Autour de la chair sacrifice. Avides de la source fraternelle du mal en moi lis me couchent et me boivent; Sept fois, je connais l'etau des os Et la main seche qui cherche le cceur pour le romprc. Livide et repue de songe horrible Les membres denoues Et les morts hors de moi, assassines, Quel reflet d'aube s'egare ici ? D'ou vient done que cet oiseau fremit Et tourne vers le matin Ses prunelles crevces ? 60