16. XVIe SIĚCLE / RONSARD Ode a Michel de UHospital C'est le chef-d'ceuvre de /'ode ' pindarique»de Ronsard. Le poete veut remerder le chancelier de Madame Marguerite, sceur du rot. Celui-d la soutenu dans la faveur royaie. Au banquet des Dieux, ies Muses, filles de Jupiter, chantent le grand combat des Dieux et des Geants ; pour les remerder, Jupiter leur confie ia charge d'inspirer les homines et de vaincre J'lgnorance. Jupiter donne aux Muses un allie, petrl de ses mains et anirue de son souffle, Michel de L 'Hospital en personne. 73 30 Jupiter s 'adresse a ses fl/les, les Muses. Strophe 13 Comme 1'Aimant1 sa force inspire Au fer qui le touche de pres, Puts soudain ce fer tire, tire Un autre qui en tire apres : 5 Ainsi du bon fils de Latone* Je ravirai I'esprit a moi, Lui. du pouvoir que je lui donne Ravira les votres a sol3 : Vous, par ia force Apollinee io Ravirez les Poetes saints, Eux, de voire puissance atteints Raviront la tourbe etonnee4. Antibtrophh Afin (6 Destins) qu'il n'advienne Que le monde appris faussement5, is Pense que votre metier vienne D'art, et non de ravissement : Cet art penible, et miserable S'eioignera de toutes parts De votre metier honorable, 20 Demembre6 en divers parts, En Prophetie, en Poesies, En Mysteres, et en Amour, Quatre fureurs7, qui tour a tour Chatouilieront vos fantasies6. Epode Le trait qui fuit de ma main Si tot9 par I'air ne chemine, Comrne la fureur divine Vole dans un ceeur humatn ; Pourvu qu'il soit prepare, Pur de vice, et repare10 De la vertu precieuse, "Jamais les Dieux saints et bons »Me repandent leurs saints dons •Dans une ame vicieuse. Strophe 14 35 Lors que la mienne ravissante" Vous viendra troubler vivement, D'une poitrine obeissante Tremblez dessous son mouvement, Et endurez qu'ell' vous secoue Le corps et I'esprit agite, Afin que Dame elle se joue13 Au temple de sa Deite : Elle de toutes vertus pleine, 4S 50 55 60 65 De mes secrets vous remplira, Et en vous les accomplira Sans art, sans sueur, ne sans peine. Antistrophe Mais par sus tout14, prenez bien garde, Gardez vous bien de n'employer Mes presents dans un cceur qui garde Son peche sans le nettoyer : Ains devant que de lui repandre15, Purgez-le de votre douce eau, Afin que net il puisse prendre tin beau don dans un beau vaisseau16. Et lui purge, a I'heure a I'heure" Divinement il chantera, tin beau vers qui conterttera Sa parente posterieure18. Epode Celui qui sans mon ardeur Voudra chanter quelque chose, II voira'9 ce qu'il compose Veuf de grace, et de grandeur : Ses vers naitront inutils, Ainsi qu'enfants abortifs20 Qui ont force leur naissance, Pour montrer en chacun lieu »Que les vers viennent de Dieu, »Mon de I'humaine puissance21. Ronsard, Odes, Ode a Michel de L'Hospital, vers 409-476 (1552) 1, L'Aimant. — 2. Apotlon. ~ 3. A lui. — 4. La fouie frappée de stupeur. — 5. Mai informs. — 6. Divisé. — 7. La théorie des quatre fureurs (voir p. 313) vient du PhĚdre, de Platon; elle a été reprise par Marsile Ficin ; quant au contenu de la strophe precedents, il vient eHon, du měme Platon ; cetíe irrjage de la 'cnafne • de /'inspiration est d'une grande importance. — 8. Ejiciterqnt vos imaginations. — S. 'Si tót... comme' : aussi vité que. — 10. Orné. — //. A la fois' qui ravlt • et > en ravissant •. — 12. Mai-tresse (latin domina/ — 13. Elle se dépioie sans contrainte (dans le corps et I'esprit devenus son ' temple •). — 14. Par-dessus tout. — 15. Mais avant de répandre en lui mes presents. — 16. Vese, recipient. — 17. Aussitór, — 13. Sa descendance. — 19. Větra. — 20. Rime masculine entre • tils • et • tifs' (prononcer ■ lij. — 21. Les guilfemets (voir v. 32-34) signalent 1'énoncé ďune vérité generále (vers ' gnomiques ', a vaíeur de sentence). DEBAT Quelle est la valeur de cette «theologie * poétlque, alors méme que, dans cent autres textes (voir Defense, p. 332), Ronsard et ses amis soutignent la necessity du travail, de «I'art *, de la peine ? Y a-t-il contradiction ou assimilation profbnde entre ces deux theories ? 362 **" La Franciade Parti ďÉpire (od il a été élevé en secret par sa mere Andrornaque et son onde, le devin Hélénín), Francus est jeté par la tempéte sur la cote crétoise. La Crete est ■ I'ancienne mere ' des Troyens, la terre ďorigine de Teucer, premier roi de Troade. Francus y est accueilli par le rol Dicée, dont il délivre le fils en combattant I'affreux Phověre. Clymene et Hyante, ies deux filles de Dicée, sontfrappées par le dieu Amour. Hyante a le don de prophétie, et Francus, qui a refuse sa main en * s'excusant sur !e destin >, la courtisera pour apprendre son aveniret ceiui de sa race (c'est la prediction du quatriěme... et dernier livre). Entre-temps Clyméne, livrée par Cyběle á la jalousie, s'est jetée á la mer; les dieux en ont fait une déesse marine, « Seulement les vagues... » Void la príěre que Francus, sur le rivage crétois, at a vaincu Phověre ; Clyméne et Hyante s'inquietent Tandis1 Francus que le soucy resveille S'estoit levé devant2I'Aube vermeille : De la grand'peau d'un Ours il s'habiila CJn javelot en sa dextre esbranla3 5 Au large fer (Vandois4, d'oii vint la race Des Vandosmois, le suivoit á !a trace). Luy se laissant en larmes consommer S'alla planter sur le bord de la mer : Jettant ses yeux sur les eaux Tethiennes5 10 Seul regardoit si les barques Troyennes6 Venoient ä bord : et voyant le Vaisseau Qui le portoit, ä demy dessous I'eau Presque couvert de falaize7 et de bourbe : Les yeux au ciel sur le rivage courbe 15 Poussant du cceur meints sanglots en avant Parlott ainsi aux ondes et au vent. « Heureux trois Fois ceux que la bonne Terre Loing de la vie en long repos enserre : Si comme nous ne voyent le soleil, 20 He hument I'air, us n'ont aussi pareit A nous le soing8, qui pressant nous martyre9, D'autant facheux que toujours il desire'0. Ce mechant soing qui compagnon me suit Me fait chercher la Gaule qui me fuit, 25 Terre estrangere, et qui ne veut m'attendre, Que du seul nom51 j'ay prise, sans la prendre. Je suis (je croy) la maudisson12 des Cieux Qui sans demeure13 erre de lieux en lieux, De flot en flot, de naufrage en naufrage 30 Ayant le vent et la mer en partage Comme un plongeon14, qui en toute saison A seulement les vagues pour maison : Des dots salez il prend sa nourriture, Puis un sablon luy sert de sepulture. 35 Ainsi la mer me porte sans effait15 Et mon voyage est tousjours imparfait. Bonté des Dieux, et toy, Destin qui meines A ton plaisir toutes choses humaines, Auray-je poinct en repos, le moyen 40 De rebastir un mur Dardanien16 ? Voirray-je point une Troyenne plaine, Voirray-je point ceste gauioise Seine Qui m'est promise en lieu des larges tours De Simo't's et Xanthe17, dont les cours 45 Arouzoient Troye, et ďune onde poussée Rompoient le sein de la mer renversée ? ;se ä Apollon. Nous sommes au debut du livre III. Francus leur passion croissante. Allegorie de la. tetnpete, par Braegd le Vieux, 1565. Paris, B.N. Donne, Apollon, maistresse Deite18 De ceux qui vont bastir une cite, CJn bon augure, afin que tu m'ottroyes 50 Des murs certains apres si longues voyes. Si je ne puis Ies Gaules conquerir, Sans plus errer puisse-je icy mourir D'un trait de feu vestu d'une tempeste : Aux Dieux marins victime soit ma teste 55 Pour sacrifice agreable ä la mort, D'un peu de sable entombe39 sur ce bord. • Ronsard, La Franciade, III, vers 185-240 (1572) /. Pendent ce temps. — 2. Avant. — 3. Agita. brandit. — 4. Compagnon de Francus; Ronsard lui donne un nom qui permet d'en faire l'ancitre des Vendömois... — 5. De Thätis, t'une des Nereides (dMnitis marines), mere d'Achille. — 6. Les autres navires de la flotte troyenne, perdus dans la tempete. — 7. Sable. — 8. La douleur. — 9. Nous torture (du verbe ■ martyrer •). — 10. D'autantpius cruel... Le • soin • consists en un desirperpeiuel; il est arrive ä Ronsard d'ecrire ; 'Le desir n 'est rien que martyre :.. — IL Seulement en paroles. —- 12. La malediction. — 13. Sans 3/ref. — 14. Oiseau de mer. — 15. Sans effel, sans but. — 16. De Dardanus, l'un des ancetres fondateurs. — 17. Fleuves qui se jetaient ä la mer tout pres de Troie. — 18. Dieu patron. — 19. Enterte; c'est le destin que Didon souharte ä £nee... POÜR LE COMMEMTAIRE _ 1 ■ Le theme de rerrance. Degagez-en les composan-tes, les images essentielles, et montrez en quoi un te! destin est cruel au heros epique. 2. Les revcs et [es souhaits de Francus. Quelle conception Francus a-t-il de sa mission ? 3. D'un texte ä 1'autre. Homere, Virgile, Apollonios : l'univers epique est-il uniforme? 384