2. LA TRADUCTION ET LA THEORIE DE L'AGIR Nous commencerons par étudier quelques exemples de communication actionnelle. A. Une famille est assise á table en train de prendre le petit déjeuner. Le jeune Alexandre, 2 ans, trěs agité s'exclame, en montrant du doigt son pere qui est en train de mächer son pain grille : « Papa, inmmmm, ZZZZzzzzzz ! ». Le pere demande alors á sa femme : « Qu'est-ce qu'il dit ? » et la mere de répondre : « Tu viens d'avaler une mouche ! » B. Une jeune Portugaise cherche du travail en Allcmagnc. I {11c demande á M. T, traducteur professional, de traduire en allemand ses bulletins de notes á Tintention d'un cmployeur potentiel. M. T traduit de maniěre littérale, rendant« 14 volares » par «14 Werte », avec une note de traducteur pour expliquer que, dans le systéme devaluation portugais, la note maximale est 20 et qu'une note de 10 équivaut á un échec (exemplc adapté de Vermeer 1989 a : 43). C. Lors de la session de cloture d'une conference, le president s'exprime ainsi, en francais : « Nous vous remercions. M. Dubois, pour votre communication et pour votre invitation á Grenoble. Maintenant, M. Kao, vous avez la parole ». L'interprete allemand, en simultanée, traduit cette intervention comme suit: « Vielen Dank, Herr Dubois, för diese Erklärung und för die Einladung nach Grenoble. Als nächstes zu Wort gemeldet ist: Herr Professor Kao ». Ä noter que le representant dune association d* entrepreneurs francais est designe par « Herr Dubois », tandis que M. Kao, de P universito de Toronto, se voit appeler « Herr Professor Kao » (exemple adapté de Pöchhacker 1995 : 42 sqq.). D. Mile Dupont est traduetrice professionnelle et habite en Espagne. Sa langue maternelle est le francais, mais avant de s'etablir en Espagne eile avait vécu de nombreuses années au Maroc. Un jour, un certain seňor Fulano lui demande conseil. II doit écrire une lettre d'affaires á une société marocaine, mais il ne parle pas le francais. II a rédigé sa lettre en espagnol. II demande alors á Mile Dupont de la lui traduire en francais. Celle-ci note le nom et l'adresse du seňor Fulano et de Fentreprise marocaine. Elle demande au seňor Fulano du papier á lettres á en-téte. Iis s'accordent quant á la date limite, le montant á payer, etc. (exemple adapté de Vermeer 1989 a : 38). E. Un touriste allemand á Paris, cherchant son ehemin dans la nie, demande á une dame: « Entschuldigen Sie bitte, können Sie mir sagen, wo der Eiffelturm ist?» Ne comprenant pas 1"allemand, la dame hausse les épaules. Un autre passant qui, lui, comprend Fallcmand, vient á son secours : « Le monsieur vous demande comment se rendre á la tour Eiffel. Je vais lui expliquer le ehemin ». Se retournant vers le touriste, le passant lui explique en allemand quel bus prendre et oú descendre. L'Allemand remercie le passant, disant « danke » á celui-ci et« merci » á la dame, avant de sen aller dans la bonne direction. Chacun de ces exemples illustre une situation dans laquelle des personnes n'arrivent pas á communiquer pour des raisons linguistiques. La communication est rendue possible grace á un intermédiaire. Dans tous les exemples, sauf dans A, les participants appartiennent á des cultures ou communautés linguistiques différentes ; aussi appellerons-nous cet intermédiaire un «traducteur» ou un «interprete ». Dans les exemples B, C et D, les intermédiaires sont des professionnels; dans 1'exemple E, 1'intermédiaire est un interprete sans formation professionnelle, un traducteur « naturel ». Nous examinerons ei-apres les formes de communication interlinguistique et interculturelle, ainsi que les acteurs qui y prennent part et les situations dans lesquelles cette communication interculturelle intervient. La traduction comme interaction traductionnelle L es situations de communication sont effectivement le theatre d' interactions entre personnes. La communication est done une interaction interpersonnelle et, en tant que telle, n'est autre qu'un type ď action. Voilá pourquoi la théorie de l'agir est susceptible ďapporter une explication de certains aspects de Facte traductionnel (cf. Holz-Mänttari 1984, Vermeer 1986 a, Nord 1988 a, Ammann 1989 c). Agir, e'est réaliser une action, soit « le fait de causer, ou d'empecher, de maniére intentionnelle, un changement dans le monde reel (dans la nature) » (von Wright 1968 : 38). L'action peut par consequent etre définie comme un acte intentionnel qui provoque « un changement ou une transition ďun état á un autre » (voir von Wright 1963 : 28). Si cette theorie de Fagir est generalisee pour incline les situations comprenanl deux acteurs ou plus, elle peut devenir une theorie de 1 'interaction. L'interaction humaine peut etre decrite comme le changement intcntionnel d'une situation impliquant deux personnes ou acteurs, ou plus. Une interaction est normalement qualifiee de communicationnelle quand elle a lieu au moyen de signes produits intentionnellement par un acteur qui sera generalement decrit comme « l'emetteur », et adresses a 1'intention d'un destinataire ou d'un recepteur (nous distinguerons ces deux termes plus loin). Les interactions coinmunicationnelles interviennent dans des situations determinees dans le temps et dans Fespace. Cela implique que toute situation est dotee de dimensions tant historiques que culturelles qui conditionnent le comportement verbal et non-verbal des acteurs, leurs connaissances prealables, leurs attentes a Fegard Tun de Fautre, leur capacite d'evaluer une situation et le point de vue de ehacun non seulement sur Tautre. mais aussi sur le monde reel. Au sein dune communaute culturelle donnee, les situations de l'emetteur et du destinataire se ressemblent suffisamment pour pennettre une communication (sauf dans certains cas particuliers comme celui de 1'exempleA ci-dessus). Quand l'emetteur et le destinataire appartiennent a deux cultures diflferentes, les situations risquent de devenir tellement disparates qu'il faille un intermediaire pour leur pennettre de communiquer dans le temps et dans Fespace. Les traducteurs facilitent la communication entre les membres de communautes culturelles differentes. lis comblent ainsi le fosse entre les situations ou les differences dans le comportement veibal et non-verbal, les attentes, les connaissances prealables et les visions du monde sont telles qu'il n'existe pas assez de points en commun pour pennettre a l'emetteur et au destinataire de communiquer elTectivement entre eux sans aide. Comme nous venons de le constater dans Fexemple E, oil le passant est venu en aide au touriste allemand. le role mediateur du traducteur n'implique pas toujours Facte de traduire proprement dit. En eiTet, les traducteurs font beaucoup plus que la simple traduction des textes, et ceci tres regulierement. Dans Texemple D, Mile Dupont aurait pu conseiller au senor Fulano de faire traduire sa lettre en arabe par son collegue, M, Abdullah, qui habite tout pres. Grace a son sejour au Maroc, elle a compris que, dans les petites entreprises comme cclle que veut contacter senor Fulano. on ne parle pas toujours un tres bon fran9ais. Elle lui conseille alors d'adapter son annonce. Par un tel conseil, elle agit en tant que traductrice meme si elle ne traduit aucun texte. Pour tenir compte de cette difference, nous faisons une distinction entre Faction traductionnelle (toutes les activites realisees par les traducteurs) el la traduction (ce qu'ils font lorsqu'ils traduisent des textes). LA TRADUCTION : UNE ACTIVITE CIBLI 1 La traduction au sens etroit du tcnnc implique toujours un texte source quelconque, tandis que Tactiontraductionnelle peut coniprendre le fait de dormer des conseils, et peut-etre meme des avertissements contre les consequences de Facte communicationnel tel qu'il est prevu. L'action traductionnelle peut etre entreprise par un conseiller culturel (Ammann 1990, Lowe 1989 : 105 sqq.); elle pourrait egalement comprendre le travail interculturel d'un redacteur technique (Ammann, Vermeer 1990 : 27) comme dans la situation suivante : Exemple : un traducteur recoit un mode d'emploi en anglais, tiuffe de fautes et d' impropriates. On lui demandc de lc traduire en francais. Au lieu de traduire le texte defectueux, le traducteur demande a un ingenieur de lui expliquer comment fonctionne Tappareil. II redige par la suite le mode d'emploi en francais (cf. Nord [1988] 1991 : 27). Le tableau 1 reunit toutes ces considerations empiriques pour demontrer les liens entre les concepts de Tagir, de Tinteraction, de Taction traductionnelle et de la traduction. Ce reseau conceptuel devrait servir a expliquer les aspects les plus importants de la traduction en tant qu?interaction. LA TRADUCTION ET LA THEORIE DE L'AGIR 31 comportement non-intentionnel intentionnel (= action) bi-directionnel (= interaction) unidirectionncl personne -personne personne - objet cominunicatif non-communicatif intraculturel interculturcl avec mediateur sans mediateur action traductionnelle texte source avec texte source consultation interculturelle redaction technique interculturelle traduction orale (- interpretation) ecrite Tableau 1. La traduction en tant que forme de communication interculturelle realisee par un mediateur 32 LA TRADUCTION : IJNE ACTIVITE CIBLEE II est clair que cette approche implique denvisager la traduction comme interaction intentionnelle, interpersonnelle et interculturelle, en partie verbale, fondee sur un textc source (Vermeer 1989 b : 173). Examinons maintenant chacune de ces caracteristiques. La traduction comme interaction intentionnelle Par Fintentionnalitc d'une action, nous entendons Texistence d'un choix, la possibility d'agir de telle ou telle maniere, d'eviter d'agir d'une fa9on particuliere ou bien de ne pas agir du tout (voir Vermeer 1986 a : 220). Vermeer definit ainsi le concept de Taction : « Pour qu'un acte soit qualifie d'action, la personne qui entreprend l'acte doit (au moins potentiellement) pouvoir expliquer la raison pour laquellc elle se comporte de la sorte, bien qu'elle ait pu agir autre me nt » (1989 b : 176). Vermeer souligne le fait que meme le choix de ne pas agir peut representer en lui-meme une forme d'action si ce choix est fait dans une situation ou une action visible aurait pu etre un choix possible. Sur ce point, Vermeer est presque entierement d'accord avec Watzlawick au sujet du comportement de l'individu : Si Ton admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d'un message, e'est-a-dire qu'il est une communication, il sensuit qifon ne peut pas ne pas communiquer. qu'on le veuille ou non. Activite ou inactivity, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres ; et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas reagir a ees communications, et, de ce fait, eux-memes communiquer (Watzlawick et al. 1972, Seuil). Quand nous disons que la traduction est une interaction intentionnelle, nous entendons par la qu'il s'agit d'une action visant un changement de la situation actuelle (au minimum, T incapacity de certains de communiquer entre eux), II peut egalement exister dautres intentions de nature plus precisement communicative, comme celle d'infonner les destinataires d'un element que remetteur du texte veut leur faire comprendre. L'intentionnalite peut etre associee au traducteur, ou plus souvent, a la persoime qui est « Tinitiateur » du processus de traduction. L'intention traductionnellc peut ou non ressembler a celle qui a motive remetteur, ou le redacteur du texte d'origine, a produire le texte source. Vermeer souligne a plusieurs reprises que« rintentionnalite nc fait pas reference au fait qu'une action soit entreprise de maniere intentionnelle, seulement au fait que celle-ci soit percue ou interpretee par les participants ou par les observateurs comme etant intentionnelle » (1986 a: 220, 1990 : 51 sqq.). II va sans dire, comme le remarque Ammann (1989 c : 31), que de LA TRADUCTION KT LA THEORIE DE L'AGIR 33 Celles interpretations peuvent en effet etre tout ä fait autres que Celles voulues et prevues par la personne qui avait entrepris Taction. La traduction comme interaction interpersonnelle Les personnes ou les acteurs impliques dans rinteraction doivent remplir certaines fonetioas ou certains roles. Ceux-ci sont lies par im reseau complexe de relations reeiproques. Afin de comprendre ce reseau fonctionnel, il nous faut analyser ces roles en detail. Nous allons commencer par une representation schematique du processus de la traduction. Dans la pratique professionnelle de la communication interculturelle. il est rare que le tradueteur commence ä travaillcr de sa propre initiative. II arrive plus souvent qu'un client fasse appel au tradueteur. Dans ce contexte, nous pouvons qualifier le client d« initiatcur » qui a besoin d'un texte dans un but determine et pour un destinataire determine dans la culture cible. Le client demande au tradueteur la traduction d'un texte ou d'autres materiels que le client considere comme source dinibrmation utile. Ce materiel source aura ete produit par un redacteur de texte et/ou transmis par unömetteur ä Tintention d'un recepteur, dans les conditions courantes de la culture source. Le processus de la traduction (au sens strict) comprend ainsi, commeprincipauxacteurs. 1 'initiatcuret le tradueteur. L'emetteur du texte source ne participe qu'indirectement ä ce processus, n'etant responsable que des caracteristiques du texte source. Les recepteurs du texte source comme du texte cible, dans le role de destinataires, auront une pertinence dans la definition des finalites respectives de ces deux textes. D'autres roles pourraient etre inclus dans ce modele. A titre d'exemple, Holz-Mänttäri (1984 : 109 sqq.), y ajoute le role du donneur d'ouvrage et de / 'utilisateurfinal du texte cible. Nous allons considerer tous ces roles en detail. Les roles de Vinitiateur et du donneur d'ouvrage L'initiateur (personne, groupe, institution) est celui qui declenche le processus de traduction et qui en determine le deroulement par sa definition de la finalite du texte cible (cf. Nord [1988] 1991 : 8). Exemple : un etudiant portugais veut etudier dans une university en Allemagne. La loi de ce pays exige que les bulletins de notes soient presentes en allemand. Le pouvoir legislatif allemand est ainsi l'initiateur institute>unci du processus de traduction (exemple adapte de Vermeer 1986 a : 274). Holz-Mänttäri (1984 : \09 sqq.) etablit une distinction entre l'initiateur (Initiator ou Bedarfsträger) qui a besoin du texte cible et le donneur d'ouvrage {Besteller, Auftraggeber) qui demande au tradueteur de produire un texte cible pour une linalite et un destinataire determines (voir aussi sur ce point, Vermeer 1986 a : 274). Le donneur d'ouvrage peut iniluencer la production me me du texte cible, par exemple en exigeant une mise en page ou une terminologie donnees. LA TRADUCTION : UNE ACTI VITÉ CIBLKK Le role de Tinitiateur peut étre assume par n'importe lequel des acteurs de 1'interaction traductionnelle. Le rédactcur du texte source, le recepteur potentiel du texte ciblc ou bicn le donneur d'ouvrage peuvent tous vouloir faire traduire le texte source pour des raisons et pour des finalités differentes. Le role du traducteur Le role du traducteur est dune importance capitale dans le processus de traduction. Le traducteur est évidemment Texpert de Taction traductionnelle qui devrait étre responsable de T execution dc la táche commandée et de la qualité du résultat du processus de traduction, méme lorsquc certains aspects tels que la mise en page et le formatage sont confiés á d'autres acteurs (Vermeer 1989 b : 174). Au cours du processus de traduction, le traducteur agit d'abord en tant que recepteur de la consigne de traduction (les instructions du donneur d'ouvrage) et du texte source. Aprés s'etre mis ďaccord avec le donneur d'ouvrage quant aux conditions de travail, lc traducteur produit un tcxte eible qui sera considéré comme fonctionnel dans la mesure oil celui-ci correspondra aux exigences de la consigne de traduction (cf. Vermeer 1989 a : 64). Selon Vermeer, le traducteur doit: évaluer Tacceptability et la validitě de la consigne de traduction en termes juridiques, économiques ou idéologiques, verifier sil y a vraiment besoin de faire traduire ce texte. determiner les activités requises pour exécuter la consigne, mettre en oeuvre une action traductionnelle dont le résultat peut étre un texte cible ou un breť résumé du texte source, ou méme, dans des cas spéciaux, la recommandation au client de ne pas faire traduire le texte source parce qu'une traduction ne permettrait pas ďatteindre la finalité recherchée (voir Venneer 1986 a : 276 ainsi que Holz-Manttari 1984 : 109 sqq.). Le role du rédacteur du texte source Le rédacteur du texte source aura produit le texte qui doit servir comme point de depart d'une action traductionnelle. La production du texte source pourra avoir été motivée par le besoin ďun texte dans un processus de traduction determine, aussi bicn que par des facteurs n'ayant aucun lien avec l'acte traductionncl. Dans ce dernier cas, le rédacteur du texte source n'est pas un acteur immédiat de Taction traductionnelle. Dans le domaine de la communication éerite, Nord ([1988] 1991 : 42 sqq.) fait une distinction entre Témetteur du texte et le rédacteur. L'cmetteur du texte (individu, groupc, institution) est celui qui utilise le texte afin de transmettre un LA TRADUCTION ET LA THÉORIE DE L'AGIR message donné ; en revanche, le rédacteur du texte est celui qui est responsable de tous les choix linguistiques ou stylistiques presents dans le texte qui expriment les intentions coinmunicatives de l'emetteur. Bien qu'il arrive souvent qu'une méme personne joue les deux roles (comme pour les ouvrages littéraires, les manuels ou les commentaires journalistiques), cette distinction pourra s'averer pertinente dans les cas oú Tintention de l'emetteur n'est pas cxprimée de maniěre adequate dans le texte. On peut établir une comparaison entre le traducteur et le rédacteur ďun texte dans une culture cible qui exprime les intentions communicatives dun émetteur d'une culture source. Le role du récepteur du texte cible Le récepteur vise ďun texte cible est lc destinataire dc la traduction ; il joue done un role détenninant dans la production du texte cible (voir Holz-Manttari 1984 : 111). La definition du récepteur du texte cible devrait, par consequent, faire partie intégrante de la consigne, comme nous allons Fexpliquer. Nous pouvons faire une distinction entre le destinataire et le récepteur. Le premier est le récepteur potentiel, du point de vue du rédacteur; le récepteur est la personne, le groupe ou rinstitution qui lit on écoute le tcxtc une fois produit Comme le soulignent Reiss et Vermeer (1984 : 101), toute information relative au destinataire du texte cible (son contexte socioculturel, ses attentes, sa sensibilité ou sa vision du monde) sera d'une importance fondamentale pour le traducteur, qui doit exiger du donneur d'ouvrage qu'il lui fournisse autant de precisions que possible (sur ce mé me point, voir Nord [ 1988] 1991 : 9). Le role de Vutilisateur du texte cible Holz-Mánttari (1984 : 111) décrit l'utilisateur du texte cible (Applikator) comme celui qui en est le veritable usager, que ce soit comme materiel de formation, comme source ďinformation ou comme moyen publicitaire (sur ce méme point, voir Vermeer, 1986 a : 278). II est important de noter que les différents róles peuvent étre joués par une seule personne, comme le démontrent les exemples suivants : Exemple : un traducteur a traduit un roman éerit par un auteur étranger. II demande á une maison ďedition ď incline son texte dans la liste des publications futures. Dans ce eas. le traducteur est en méme temps et á lui seul Linitiateur. le donneur d'ouvrage et le traducteur (exemple tiré de Vermeer 1986 a : 279). Exemple : un professeur de médeeine ďune universitě allemande doit presenter une communication lors d'une conference Internationale ou la langue offieielle est Tanglais. Le professeur rédige un brouillon de sa communication en allemand; un traducteur lc traduit cn anglais ; v-> w a ivy a i . uni^ rvcii Vlir. UlULlill le prolesseur le lit á la conference. Dans ce cas, le professeur est le rédacteur du texte source, Pinitiateur et Tutilisatcur du texte cible (exemplc tiré de Nord [1988] 1991 : 6). La traduction comme action communicative La communication au sens ou nous Pentendons se fait au moyen de signes représentatiís dun comportement, verbal ou non-verbal, associé á un concept ou á un sens par le rédacteur. le récepteur ou par tous les deux. Le sens associé au signe ne doit pas forcément étre le méme pour le rédacteur et pour le récepteur (voir Vermeer 1986 a : 102 sqq.). On peut attribuer á toute forme de comportement (méme un sourire ou un silence bref) Pintention de Pémetteur de signifier X ; ce méme comportement peut étre interprete par le récepteur comme ayant le sens Y. Méme les conditions fortuites d'une situation peuvent étre interprétées comme un signe doté de sens, tout comme le signe qui doit transmettre un sens peut ne pas étre percu par le destinataire. L'utilisation des signes est téléologique dans le sens ou elle vise un but particulier. Pour que soit atteint le but recherche, il doit exister entre le rédacteur et le récepteur un certain consensus quant au sens du signe. Les signes sont de nature conventionnelle, pourtant ils sont spécifiques á une seule culture. Exemple : les Allemands trouvent souvent surprenant que le mot grec pour « oui » soit nai9 qui se prononce de la méme maniére que la forme courante nee (prononcé « né ») du mot allemand nein (non). Pour ne rien arranger, les Grecs semblent, par leur lacon de hocher la téte, signaler Paffirmatif quand en fait ils disent « non ». Pourtant, si on examine de plus pres ce signe, on constate que le hochement de téte des Grecs ne ressemble pas tout á fait á celui des Allemands. Pour exprimer Paccord, la téte d'un Allemand se penche vers le bas á partir d'une position centrále imaginaire, tandis que le hochement grec pour communiquer la réponse negative est signále par un relévement brusque de la téte. Cet exemple démontre que nous avons tous tendance á interpreter les signes selon nos propres normes de comportement. Dans le eontexte de la traduction, le traducteur produit des signes pour les destinataires. Pour étre compris. le sens de cliaque signe doit étre connu. Si le traducteur utilise des signes tires d'un repertoire de signes de la culture source qui pourraient préter á une interpretation erronée dans la culture cible, il lui faudra indiquer cette utilisation dans la traduction (voir le chapitre 4 au sujet des strategies de la traduction documentaire). La traduction comme action interculturelle Ces exemples témoignent du fait que la traduction se realise dans des situations réelles et faciles á cerner, dans lesquelles interviennent des représentants de cultures diilerentes. La langue fait partie intégrante de la 1 A TRADUCTION ET LA THEORIE DE L'AGIR 37 culture, surtout si cette culture est definic comme : « la totalitě du savoir, des aptitudes et des perceptions » (Snell-Hornby 1988 : 40). Ce sens large du mot culture a été precise par Fethnologue américain Ward 11. Goodenough : Á mon sens, la culture dune société consiste en tout ce qu'il faut savoir ou croire afin d'agir de fa9on acceptable pour tous les membres de cette société et ce, quel que soit le role accepté par n* importe lequel d'entre eux. La culture étanl ce que les gens doivcnt apprendre de different de leur heritage biologique. elle doit etre le produit final de Tapprentissage, c'est-a-dire le savoir, dans le sens le plus general, bien que relatif, du mot. Selon cette definition, il nous taut remarquer que la culture n'est aueunement un phénoméne materiel; elle ne consiste pas en des objets, des personnes, des comportements ni des emotions. Kile reside plutót dans Torganisation de ces choses. Ce sont les formes des choses que les gens ont en téte, leurs modeles pour la perception, la mise en relation et 1' interpretation de ces choses (1964 : 36). Cette definition a servi de point de depart general pour les approches fonctionnalistes de la traduction (Vermeer 1986 a : 178 : Ammann 1989 c : 39 ; Nord 1993 : 22). Gohring (1978 : 10) a été le premier á Tintroduire dans Fétude scientifique de la communication interculturelle et l'a quelque pcu modifiée pour traiter des questions de traduction. Góhring souligne le fait que, dans les rencontres interculturelles, l'individu est libře de se conformer aux moděles de comportement acceptés dans Pautrc culture ou bien d assumer les consequences d'un comportement qui va á l'encontre des attentes culturelles. De ce point de vue. la culture est un systéme complexe qui peut étre divisé en : paraculture (les nornies, les regies et les conventions valables pour toute une société), diaculture (les normes, les regies et les conventions valables pour un groupe specifique á Tintérieur de cette société, tels un club, une entreprise, une entité régionale) et eníin, idioculture (la culture d'un individu pris isolenient, par contraste avec les autres individus) (Ammann 1989 c : 39 sqq.). II est cependant bien connu que les limites entre systěmes ou sous-systémes culturels sont trěs difíiciles á définir. On ne peut pas tout simplement associer une culture á une region linguistique. Prenons á titre d'exemple lc comportement linguistique des Francais et des Québécois, ou des Écossais et des Anglais, qui sera different dans certaines situations et trés semblable dans d'autres. Ou encore, les Hollandais et les A Demands originaires des regions frontaliéres parlent assurément une langue différente, mais partagent des systěmes de valeurs similaires. Dans les sociétés multiculturelles contemporaines, nous ne pouvons pas dire qu'une ville, ni méme une rue, posséde une seule culture homogéne. En puisant dans les écrits de Michael Agar, anthropologue nord-américain qui a travaillé comme « expert interculturel » au Mexique, nous avons propose une approche plus souple (Nord 1993 : 20 sqq.). Apres avoir fait un bilan critique des definitions traditionnelles de la culture en anthropologic (telles que celles presentees par Kroeber and Kluckhohn 1966 ou Hofstede 1980), qui voyaient dans la culture un objet d'etude aux limites precises et isole dans Fespace, Agar nous propose une vision de la culture bien differente : La culture est une chose creee par 1*expert interculturel, une histoire qu'il ou elle raconte et qui souligne et explique les differences pouvant mener a des crises. La culture n'est pas une chose que Ton possede, mais bien quelque chose qui remplit les espaces entre les personnes. La culture n'est pas une description exhaustive de quoi que ce soit; elle se eoneentre sur les differences, eel les qui peuvent varier d'une taehe a une autre, d'un groupe a un autre (1992 : 11). Afin de souligner Finterdependanee de la langue et de la culture, Agar parle d'une languacalttire [en France, on parte de « langue-culture », terme frequemment utilise dans les ecrits traductologiques depuis qu'il a ete cree par Henri Meschonnic dans les annees 1970] comme d'une entite autonome. Selon Agar, la limite de la culture est marquee par des « points riches » qui sont en fait des lieux de differences dans le comportement qui provoquent des conflits culturels ou des crises de la communication entre deux communautes en contact: Quand on rencontre une nouvelle langue, certaines choses sont faciles a apprendre. On ne fait qif ajouter de nouveaux signes lexicaux avec des formes syntaxiques, puis on continue a ecouter et a parler. D'autres aspects peuvent poser d'autres difficultes, mais avec un peu d'eflbrt il est possible de combler Fecart entre une langue et une autre. II arrive pourtant que certains aspects soient plus frappants a cause de la difficulty la complexity, Fincapacite de ceux-ci a s'adapter aux ressources dont on se sert pour donner un sens au monde. Ces aspects - qui vont des signes lexicaux aux actes langagiers jusqu'aux concepts fondamentaux du fonctionnement du monde - sont autant de points riches (Agar 1991 : 168). Par consequent, le traducteur doit toujours rester conscient des points riches pertinents pour une tache traduetionnelle donnee, entre les groupes ou sous-groupes de chaque cote de la barriere que dressent les deux langues-cultures en question. La traduction comme action de transformation d'un texte Nousavons vuque la traductionest definie en tant qu'actiontraduetionnelle basee sur un texte quelconque. Le fait de dire « un texte quelconque » est le signe d'une conception assez large, qui comprend des elements tant veibaux que non-verbaux, des indices situationnels et des informations cachees ou LATRADUCTI< >N KT LA THEORIE DE L ACi IK 39 supposees connues. La proportion d'elements verbaux par rapport aux non-verbaux dans une certaine situation est consideree comme un fait culturel. Ainsi, alors que les membres d'une culture peuvent avoir tendance a verbaliser une partie de texte (par exemple, en disant « Merci»), les membres d'une autre culture peuvent preferer utiliser le geste (comme le font les Hindous en rapprochant les deux paumes), ou bien n'exprimer aucun remerciement (sans pour cela se faire reprocher un manque de politesse). Dans les approches fonetionnalistes de la traduction, le texte source joue un role completement different de celui que lui attribuent les theories linguistiques ou celles fondees sur 1'equivalence. Ce role est correctement depeint par Tidee du « detronement» (Entthronung) du texte source telle quelle est proposee par Vermeer. Le texte source ne constitue plus le critere le plus important dans la prise de decisions par le traducteur; il n'est qu'une des sources d'informations dont se sert le traducteur. Comme tout autre texte, le texte qui sert de point de depart a une action traductionnclle peut etre considere comme une « offre d'information » (Reiss et Vermeer 1984 : 72 sqq.). * Devant cette offre, les reeepteurs (y compris le traducteur) choisissent les elements qui leur semblent interessants, utiles ou adequats aux finalites voulues. Dans une situation de traduction, les elements traductionnels selectionnes sont alors transferee vers la culture cible sous la forme que le traducteur a jugee adequate a la finalite voulue. Pour Vermeer, une traduction devient ainsi une nouvelle offre d'information dans la culture cible, a propos d'une certaine information offerte dans la culture et la langue sources (Reiss et Vermeer 1984 : 76). Nous traiterons dans les chapitres qui suivent certains aspects specifiques du role et de la portee des textes sources.