Le roman á énigme
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I. Composantes structure lies
I.I Une structure duelle
On pourrait définir le roman á énigme třes simplement, comme A. Peyronie (« La double enquéte du roman policier», Modernités, n° 2, 1988, p. 129), de la facon suivante: « Dans le roman policier á énigme, on passe de 1'énigme á la solution par le moyen ďune enquéte. »
De fait, il existe un consensus pour définir ce type de roman par sa structure duelle et la nature de 1'enquéte menée.
La structure du roman á énigme suppose en effet deux histoires. La premiére est celle du crime et de ce qui y a mené; elle est terminée avant que ne commence la seconde et elle est en general absente du récit. II faut conséquemment passer par la seconde histoire, cellede 1'enquéte, pour la reconstituer. Dans la forme «pure», il y a <tuptúre_ entre ces deux histoires, 1'avancée dans le temps de 1'enquéte corres-pondant a une remontée dans le temps de la premiére histoire. Cest en ce sens que 1'on a pu parler de structure regressive. Jacques Dubois (1992, p. 77) synthétise cela ainsi:
Le roman policier articule l'une á 1'autre deux histoires, celle du crime et celle de 1'enquéte, et il a beau les superposer et les enchevétrer, elles n'en sont pas moins lá comme les deux parties clivées de la méme réalité textuelle. Une des manifestations de ce clivage est que la relation polémique qui oppose detective et coupable ne s'exprime pas dans un face-a-face. Chacun des deux póles du récit est enfermé dans sa propre sphere et séparé de 1'autre par toute la distance de 1'énigme. L'affaire est celle d'une rencontre constamment reportée et qui ne s'ac-complit qu'a la derniére extremitě narrative.
D'un point de vue historique, on pourrait dire que le roman á énigme, accentuant la seconde histoire, refoule celle des aventures et du crime qui était le propre du roman populaire. II insiste plutót sur le caractěre méthodique et sur la rationalité de 1'enquéte.
U   Le roman a enigme
Trois critiques nous amenent cependant ä relativiser ces theses. Les deux premieres portent sur l'enquete (voir notamment Peyronie, 1988) et constatent tres justement que, d'une part il n'y a pas de progres continu mais une confusion croissante - pour egarer le lecteur - avant la clarte finale et que, d'autre part, la rationalite de surface n'empeche pas de reperer de facon sous-jacente un discours plus archaique, celui de la chasse, des traces, de la piste, etc., qui renvoie en partie aux origines du genre (voir le roman de la prairie) ou ä l'inconscient qu'il met en jeu.
La troisieme critique est due ä Uri Eisenzweig (Le Recit impossible, 1986). Selon lui, le roman ä enigme repose sur une impossibilite narrative virtuelle. En effet, le recit du crime doit elre - simultanement -absent pour qu'il y ait mystere et present, ä travers des indices, pour pouvoir etre reconstitue. En d'autres termes, plus le mystere est reel et plus la solution est impossible ä trouver. Inversement, plus la solution est plausible, moins il y aura de mystere. Cette critique judicieuse est cependant d'une portee limitee car eile raisonne en termes de tout ou rien (les indices sont lä ou non) en oubliant toutes les strategies de dissimulation possibles.
Cela n'empeche pas de reconnaitre que le roman ä enigme met I'ac-cent sur le recit de 1'enquSte dont le but est de reconstituer comment le crime (perpetre des le debut et ellipse en tant que tel) a tie. commis, par qui et comment il a ete dissimule. Le present de l'enquete doit ainsi reconstituer le passe qui a men6 au crime pour le clore definitivement.
1.2 L'effet vise
Le roman á énigme repose sur un «jeu intellectuel» (postulé) entre auteur et lecteur, figure par l'affrontement intellectuel (et non physique) entre enquéteur et criminel. Cela explique les synonymes («roman de detection*, «roman-problěme», «roman jeu»...), certains thěmes privilégiés (les problěmes de chambre close) ou la forme méme de certaines publications. Ainsi, des ouvrages se présentaient sous forme de dossier ďenquěte (voir D. Wheatley, LAjjaire Prentice) que le lecteur-détective avait á résoudre; pendant plusieurs années, les derniers chapitres des ouvrages de la collection « LEmpreinte » étaient scellés par une bandě de papier; de nombreux magazines ont propose, sous forme de jeu, des énigmes policiěres dont la solution était séparée des données. On peut encore penser á la série télévisée Les Cinq Der-niěres Minutes, qui sollicitait la sagacité du téléspectateur.