GILLES HENAULT (1920-1996) Ne a Saint-Majorique. pres de Drurnmondville, Henault passe son en fa nee a Montreal dans un milieu ouvrier. Ne pouvant poursurvre ses etudes a cause de probl ernes financiers, it travaille comme journal iste et se fait connaftre com me critique d 'art surtout par son appui aux peintres automatistes. Cofondateur des Cahiers de la file indienne en 1946. il se preoccupe en meme temps de questions syndicales, De 1966 a 1971, il sera directeur du Musee d'art contempo-rain. Des Theatre en plein Qir 0946). Henault saffirme comme un des principals initiateurs de la poesie quebecoise moderne avec Totems (1953) et surtout Semaphore suivi de Voyage au pays de memotre (1962). Une premiere retrospective, Signaux pour ies voyanls, pa rait en 1972, suivie des recueils A t'inconnue nue{\ 984) et/) i'ecoutede tecoumene (i 991). Touteson oeuvre aete rassembfee par les. Editions Semaphore en 2006 dans Poemes. 1937!993 avec de nombreux inedits. Giles Henault a recu le prix David en 1993. LE VOYAGEUR II court, il court, il n'airivera jamais, Le train 6tmt parti, le bateau coule, J'avion n'etait qu'une ombre en croix sur les champs de ble. 11 marche, il marche, lundi, mardi, mercredi et toute la semaine. Ah 1 Pauberge peut-£tre s'envolera. Mais il y a cette horloge immobile e'temeltement, qui regarde le temps d'un ceil meeanique. II court, il court, vers Thorloge phosphorescente de la gare. Mais il y a cette rue qui se termine stupidement en plein ciel. Tout 1'espace s'ouvre, l'ceil toume et lit sans jamais s'arreter; gare, le train va partir,.. gare, le train va partir, gare+.. Assez! assez! Les saisons tournent, les annees passent, les fleuves coulent, la terre es£ trop petite, le jour et la null occupent le meme espace par on ne sail quel sortilege quand on apercoit tout a coup la lampe surgie de ce cauchemar. 211 Sa lueur seule éclaire ľ&endue pendant que le jour et la nuit se partagent les pôles. Ľ court, il court, il n'arrivera jamais. Laterre tourne en sens inverse. II est un chien dans une roue de foíre. I] est un clown sur une boule au milieu du bazar, pendant que la bagarre déferle sur la ville. Non, ce n'est pas si grave, il marche seulement. On a cru qu'il courait parce qu'il est vieux et qu'il tremble. Exténué, ce n'est pas le mot, écrabouillé sous le talón ďi archange: voilä la vérité. Pendant que ľaube se léve enŕin, et que les mares fument atti-sées par le vent du sud, il s'anéte, plein de la nausée du vol des vautours voraces, en équilibre sur le bout du monde et trempant un orteil dans la merde. Ľ est arrive, mais il ne sait pas oú- Bien súr, c'est un cimetiére ďéléphants et pour la premiére fois le soleil se léve ä l'Ouest. 11 n'a qu'un mot plat pour décrire ce spectacle - zut alors, dit-il, alors, ca serait-y que le soleil serait gaucher! Theatre en plein air éclatés tout ä coup en paraboles de fusées La haine et ľ amour vomis ďun seul vomissement Tout ľinexprimable poing levé vers la menace en porte-ä-faux sur la tete de la foule Et ľhomme international surgi du miroir ardent d'un prolétaire soudé ä la terre, au marteau, ä la míne aux galeries débouchant sur le sel gemme. Peuple de la semaine des trois jeudis maigres et des vendredis-saints Peuple moutonnant Peuple adorateur de chasubles Peuple somnolent sous les chaires d'immondices Peuple de la patrie des 25 % le"gendaires Et des loups-garous sur les routes qui remontent vers notre Maitre le Passe' Voici la croisee des chemins qui departage le mouton de la haine le loup de Tagneau, le pasteur du troupeau le farceur du tre"teau, Pouvrier du bourreau et le roi du manteau qui couvrait l'epouvantai] a moineaux, ies balais en croix, sa carcasse et son fetiche et la crosse abbatiale et tous les ornements sacerdotaux, Signaux pour les voyants BORDEAUX- S UR-B AGNE 1 Les mots comme des caillots de sang dans la gorge Les mots jetés á pleine figure Les mots crachats Les cris qui sourdent des rochers du silence ces mutismes de silex 212 213 JE TE SALUE 1 Peaux-Rouges Peuplades dispames dans la conflagration de I'eau-de-feo ctdes tuberculoses Traquees par la paleur de la mort et des Visages-Pales Emportant vos reves de manes et de manitou Vos reves eclates au feu des arquebuses Vous nous avez Je'gue' vos espoirs totemiques Et notre ciel a maintenant la couleur des fumees de vos calumets de paix. Nous sommes sans limites Et Pabondance est notre mere. Pays ceinture d'acier Aux grands yeux de lacs A la bruissante barbe resineuse Je te salue et je salue ton rire de chutes. Pays casque de glaces polaires Aureole" d'aurores boreales Et tendant aux generations futures L'etincelante gerbe de tes feux d'uranium. Nous lancons contre ceux qui te pilJent et t'epuisent Centre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus et de Les imprecations foudroyantes Qui naissent aux gorges des orages. neige J'entends deja le chant de ceux qui chantent: Je te salue la vie pleine de graces le semeur est avec toi tu es beme par routes les femmes et 1'enfant fou de sa trouvaille te tient dans sa main comme le caillou multicolore de la reality. Belle vie, mere de nos yeux vetue de pluie et de beau temps que ton regne arrive sur les routes et sur les champs Belle vie Vive Pamour et le printemps. Totems SEMAPHORE Les signes vont au silence Les signes vont au sable du songe et s'y perdent Les signes s'insinuent au ciel renversé de la pupille Les signes crepitant, radiations d'une essence délétere, chimie de formes cinéíiques, filigranes d'aurores boreales. El tout se tisse de souvenirs feuillus, de gestes palmés éventant l'aire des Hsses liesses. Les signes sont raetnes, riges éployées, frondaisons de signaux dans le vent qui feuillette son grimoire. Cest Thiver et le pays revet sa robe sans couture dans un grand envoi de feuilles et de plumes, dans un geste de sorcier saluartt les demiers spasmes de la flamme. Sous la voussure du ciel S'allume une bourrasque de sei Signe d'un silence qui sourd du songe et de Pennui 214 215