Le Roman québécois contemporain Bibliographie Allard, Jacques: Le Roman du Québec. Histoire. Perspectives. Lectures, Montréal, Québec Amérique, 2000 Beaudoin Réjean, Le Roman québécois, Louiseville, Boréal 1998 Dione, René: Le Québécois et sa littérature, Sherbrook, Naaman 1984 Europe, n^o 731, mars 1990, Littérature nouvelle du Québec Hamel, Reginal - Hare, John - Wyczynski, Paul: Dictionnaire pratique des auteurs québécois, Montréal, Fides 1976 Imbert, Patrick: Roman québécois contemporain et clichés, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa 1983 Kwaterko, Józef: Le Roman québécois de 1960 à 1975. Idéologie et représentation littéraire, Éditions du Préambule 1989 Kyloušek, Petr: Dějiny francouzsko-kanadské a quebecké literatury, Brno, Host 2005 Le Grand Eva, Lévesque Gaëtan: Hledání Ameriky. Antologie současného quebeckého románu (1980-2000), Brno, Host 2003 Lemire, Maurice et coll.: Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec III-VII, Montréal, Fides 1987 Le Roman contemporain au Québec (1960-1985), Archves des lettres canadiennes, tome VIII, Montréal, Fides 1992 Litteraria Pragensia, vol. 8, n^o 16, 1998 Mailhot, Laurent: La Littérature québécoise, Montréal, Typo 1997 Marcotte, Gilles: Une littérature qui se fait, Montréal, Hurtubise 1962 (Bibliothèque québécoise 1994) Pět kanadských novel, Praha, Odeon 1978 Pont-Humbert, Catherine: Littérature du Québec, Paris, Nathan 1998 Robidoux, Réjean et Renaud, André: Le Roman canadien français du vingtième siècle, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa 1966 Rovná, Jindra - Jindra, Miroslav: D�jiny Kanady, Praha, Lidové noviny 2000 Slovník francouzsky píšících spisovatelů, Praha, Libri 2002 Smart, Patricia: Écrire dans la maison du père. L’émergence du féminin dans la tradition littéraire du Québec, Montréal, Éditions Québec/Amérique 1988 Sorfleet, John Robert: Les Romanciers québécois et leurs oeuvres, Guelph (ontario) - Montréal, The Journal of Candian Fiction 1979 Tougas, Gérard: Destin littéraire du Québec, Montréal, Éditions Québec/Amérique 1982 Weinmann, Heinz - Chamberland, Roger (sous la direction de): Littérature québécoise. Des origines nos jours. Textes et méthode. Ville LaSalle, Hurtubise 1996 Zkouška: exposé – présentation des oeuvres + épreuve orale portant sur le programme du semestre Roman cannadien-français et québécois A: questions générales 1. Problématique culturelle: surconscience linguistique, identité, périphérie et centralité culturelles, spécificité du roman canadien-français. 2. Roman historique. 3. Roman du terroir. 4. Roman politique. 5. Thématique urbaine. 6. La Révolution tranquille et son influence sur le roman. 7. Le roman après 1980. 8. Thématique féministe. 9. Image de l’Autre et la littérature migrante. B: Auteurs et oeuvres Huber Aquin, Noël Audet, Victor-Lévy Beaulieu, Gérard Bessette, Marie-Claire Blais, Nicole Brossard, Christyne Brouillet, Roch Carrier, Laure Conan, Réjean Ducharme, Jacques Ferron, Jacques Godbout, Germaine Guèvremont, Louis Hamelin, Jean-Charles Harvey, Anne Hébert, Luis Hémon, Ying Chen, Claude Jasmin, Naïm Kattan, Sergio Kokis, Dany Laferrière, André Langevin, Monique LaRue, Antonine Maillet, André Major, Christian Mistral, Jacques Poulin, Jacques Renaud, Ringuet, Gabrielle Roy, Félix-Antoine Savard, Yves Thériault, Michel Tremblay, Élisabeth Vonarburg L’examen portera - sur une des questions de la liste A - sur les auteurs et euvres de la liste B (au choix de l’examinateur) - sur les oeuvres présentées dans les exposés Programme du cours 1. Introduction générale dans la problématique de la culture canadienne française et québécoise 2. Le roman canadien-français au 19^e siècle: roman historique, roman du terroir, roman politique. 3. Les tendances de la période 1900-1930: transformation du roman du terroir, roman de la contestation. 4. Les romanciers de la génération de La Relève et le modernisme (1940-1960). 5. La Révolution tranquille et le roman (1960-1980). 6. La postmodernité (1980-2000). 1. Introduction générale dans la problématique de la culture canadienne française et québécoise Pour cerner la problématique de la littérature canadienne francophone, il convient de l’insérer dans plusieurs contextes. a) Francophonie Bien que le terme de „francophonie“ soit un terme avant tout politique destiné à donner une apparence d’unité à l’ensemble de 59 États, aussi différents les uns des autres que la Belgique ou le Canada d’une part et le Sénégal ou le Vietnam d’autre part, il recouvre néanmoins une réalité linguistique commune: le français ne s’y trouve pas dans la même situation que dans la France métropolitaine. Par conséquent la langue et la culture que celle-ci véhicule n’a pas le même statut, les deux s’insérant dans un contexte axiologique différent. Le français n’y est en effet qu’une des langues parlées du territoire national respectif. Une situation de bilinguisme, trilinguisme ou polylinguisme y est courante, avec une hiérarchisation des valeurs spécifique de pays en pays. De plus, dans les deux tiers des pays francophones, en dehors de l’Europe, cette situation est le résultat de l’aventure coloniale de la France. C’est aussi le cas du Canada, même si son cas doit être distingué de celui des pays africains ou asiatiques. La différence de la situation linguistique entre la France et les pays francophones se manifeste notamment dans la problématique identitaire. Alors que le français en France est l’instrument „naturel“ de la vie nationale, dans les pays francophones - et au Canada - il habille une autre langue ou bien il est habillé ou entouré d’une autre langue. Le résultat en est l’attention particulière dont la question linguistique est souvent investie. On parle de la „surconscience linguistique“ (Lise Gauvin, Langagement, André Major). Le terme, qui est québécois, traduit bien les efforts qui, dans le combat contre la suprématie anglophone, ont abouti à la loi 101 (1977) sur le statut du français au Québec. b) Problématique identitaire La langue, on le sait structure aussi bien l’individu (Jacques Lacan) que la collectivité (Edward Sapir). Les implications du bilinguisme peuvent être multiples. À défaut d’autres structures identitaires (étatique, politique, etc.) ou à cause de leur caractère incomplet, la langue peut devenir l’élément identitaire majeur d’une minorité, suppléant aux carences dans les autres domaines. D’autre part, on sait que le dynamisme des rapports au sein d’une situation de bilinguisme ou de polylinguisme varie de la diglossie (où la stratification sociale ou autre intervient dans la hiérarchie des langues) au bilinguisme classique. La confrontation des langues peut alors s’avérer inhibitoire, destructrice pour l’une d’elle ou bien elle peut au contraire constituer un enrichissement réciproque. Les enjeux linguistiques touchent alors de façon positive ou négative les valeurs aussi bien les valeurs individuelles (horizon mental, culturel) que celles de la communauté. La vie de Canadiens français est vivement concernée par cette problématique tout au long de leur histoire, notamment depuis 1760, histoire qui apparaît comme une trajectoire conduisant à l’émancipation progressive. c) Problématique culturelle Sur le plan culturel, la problématique linguistique identitaire se combine avec celle de la structuration de l’espace culturel, en particulier avec la question du centre et de la périphérie culturelle. En effet, la littérature canadienne française est par ses origines liée à la France (Paris), d’où elle tirait pendant longtemps ses modèles et dont elle reconnaissait la suprématie. Mais en même temps elle se trouvait confrontée à la culture et à la littérature anglophones du Canada et des États-Unis et à l’attirance forte des centre culturels américains - New York, Montréal anglophone, Toronto, Hollywood. La culture canadienne française reste pendant longtemps plusieurs fois périphérique: par rapport à la France, par rapport à la culture canadienne anglophone, par rapport à la culture américaine anglophone. Elle porte les caractéristiques de la périphérie: subordination à la hiérarchie axiologique émanant des centres qui sont la source des valeurs majeures; retard culturel; discontinuité de la dynamique culturelle interne; instabilité et glissement tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre des centres; mais aussi situation d’un lieu de passage et d’échanges de valeurs. Il ne devrait pas être surprenant de voir les Canadiens francophones considérer leur propre histoire, en s’identifiant à la rhétorique politique de la décolonisation des années 1960 (Parti pris, Liberté), comme celle d’un pays triplement colonisé: Canada - colonie française, Canada - colonie anglaise, Canada - colonie des États-Unis. Les aspirations sont en effet semblables à celle des jeunes pays africains, asiatiques ou sud-américains, notamment en ce qui concerne les liens entre l’émancipation linguistique, identitaire et culturelle. Ce n’est qu’au cours des années 1960 et 1970, suite à la „Révolution tranquille“ qui est une transformation et une émancipation complexe de la société québécoise, que la culture canadienne francophone trouve sa centralité propre en devenant un des foyers mondiaux de la culture moderne et postmoderne. Plusieurs phases peuvent être identifiées dans ce processus d’émancipation linguistique, identitaire et culturelle: - phase „prémoderne“: retard culturel sous l’emprise des modèles importés; recherche du „national“ comme spécificité exclusive d’un milieu renfermé sur lui-même („roman du terroir“; traditionalisme, conservatisme); - phase „moderne“: modernité en tant que contestation du conservatisme et dénonciation de la situation de subordination (sociale, culturelle, etc.); statut de la langue reste préservé (Gabrielle Roy, Anne Hébert, Saint-Denys Garneau); - phase de la „modernité expérimentale“, mais qui n’a pas tout à fait le même rôle que l’expérimentation esthétique dans les cultures émancipées: c’est une dénonciation qui s’étend du domaine social politique et culturel à la langue même; écriture expérimentale „contre la langue“ et contre l’institution littéraire (cf. Hubert Aquin; Marie-Claire Blais, Tremblay); recherche d’un nouveau discours identitaire (collectif); recherche des racines; - phase „post-moderne“: échec de la modernité en tant que voie vers l’affirmation identitaire de la collectivité et l’aboutissement de l’émancipation nationale; blocage de la collectivité; littérature-identité remplacée par une littérature ipséité/altérité; identité racine remplacée par une identité rhizome; langue composite, métissée, „bilangue“ (Godbout, Poulin). d) Problématique terminologique Elle est le point d’intersection et le résumé des aspects évoqués ci-dessus: linguistique, identitaire, culturel. En effet, plusieurs termes sont utilisés pour désigner la littérature qui, sur le territoire canadien s’écrit en français: - littérature française du Canada: le terme reflète la suprématie de la centralité européenne et ne peut guère être utilisé qu’à propos de la toute première phase du développement culturel du Canada; - littérature canadienne française: le terme est souvent appliqué à la situation littéraire jusqu’à la Révolution tranquille en 1960; il est refusé actuellement parce que trop grevé de connotations politiques évoquant le concept d’un Canada uni, réunissant deux cultures majeures - anglophone et francophone; - littérature québécoise: le terme est appliqué à la littérature du Québec devenu au cours des années 1960 et 1970 un véritable centre culturel autonome (Parti pris 1965); c’est l’expression de l’émancipation à la fois linguistique, territoriale (politique) et culturelle et de la suprématie culturelle du Québec dans le domaine francophone; désavantage: exclusion des littératures francophones hors du Québec, réduction de la dimension canadienne et américaine au seul territoire québécois et à la littérature francophone de ce territoire (à côté de l’anglophone, italienne, etc.); cette réduction touche, en les excluant, des auteurs comme Gabrielle Roy ou Antonine Maillet; - littératures acadienne, ontarienne, manitobaine: dénominations recouvrant les auteurs francophones du Canada après 1965 suivant leur appartenance régionale. Périodisation La périodisation que nous allons présenter ici tâche de respecter les données majeures de l’histoire politique et culturelle (linguistique et identitaire). I. Période française: 1534-1760 II. Rupture politique et culturelle: 1760-1837 III. Réveil culturel et littéraire: 1837-1930 IV. Sur la voie de la modernité: 1930-1960 V. Révolution tranquille: de la modernité à la pluralité postmoderne: 1960 à nos jours VI. Période postmoderne: 1980-2000 Genre romanesque La spécificité du genre romanesque en général consiste dans son origine et la place qu’il occupe dans l’histoire de la culture européenne. Que l’on place son origine dans l’antiquité (cf. Jaroslav Ludvíkovský, Řecký román dobrodružný. Studie o jeho podstatě a vzniku, Praha, František Řivnáč 1925) ou au moyen âge, il est toujours resté placé en dehors de la poétique normative, celle que la Renaissance a constituée à partir de la rhétorique antique. C’est un genre qui se constitue et qui évolue en dehors ou bien en marge de la normativité. La conséquence de cette situation poétique est l’ouverture du genre aux innovations tant morphologiques que thématiques. Témoin la diversité qui caractérise le roman français depuis Rabelais aux romanciers baroques et ceux de l’âge des Lumières. La littérature canadienne française se sépare de la sphère française après 1760. Il est intéressant de noter que c’est le roman qui se constitue comme le premier grand genre autonome de la nouvelle littérature. En effet, si la poésie ni la prose journalistique ou historique ne sont absentes, elles n’ont abouti à aucun ouvrage fondamental ni fondateur. La plupart des textes sont restés éparpillés dans les journaux et les revues de la période. Le premier recueil de poésies de Michel Bibaud Épîtres, satires, chansons, épigrammes et autres pièces en vers (1830) rassemble les morceaux publiées auparavant dans les journaux. Il ne s’agit pas de recueil au sens moderne du terme. La grande poésie canadienne française ne s’impose qu’avec Louis-Honoré Fréchette, mais surtout avec l’École de Montréal et Émile Nelligan. Le cas du roman est différent. La prose semble se trouver au diapason de la nouvelle culture nord-américaine tout en s’imprégnant des nouvelles tendances esthétiques de la période. Pierre-Georges Prévost Boucher de Boucherville (21.10. 1814 Québec - 6.9. 1894 Île d’Orléans) introduit dans la prose canadienne française l’exotisme préromantique à la manière de Chateaubriand dans le récit Louise Chawinikisique (1835; histoire d’amour entre Louise, une Iroquoise baptisée, et le jeune chef indien Saguima, tous les deux poursuivis par le chef iroquois Canatagayona; les deux amoureux meurent de la petite vérole, après la conversion de Saguima et le mariage). Le goût romantique imprègne le récit La Tour de Tragfalgar (1835): la terreur du roman noir et le fantastique s’y conjuguent avec la sensibilité pour la nature qui – telle une dramatis persona – accompagne le drame passionnel des personnages. La fin des années 1840 apporte deux romans qui situent d’emblée la littérature canadienne française au diapason du contexte international. Il s’agit de L’Influence d’un livre, (1837) de Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé fils (8.2. 1814 Québec - 7.3. 1841 Halifax) et des Révélations du crime ou Cambray et ses complices (1837) de François-Réal Angers (20.11. 1812 Pointe-aux-Trembles – 23.3. 1860 Québec). Il faut sans doute se demander la raison de l’avance esthétique de la prose. La réponse exigerait une analyse complexe tant du côté de la poésie que de la prose. En simplifiant, on pourrait conclure à l’influence de la rhétorique classique qui pèse sur la poésie, alors que la prose jouit justement d’une liberté et d’une ouverture qui s’accordent à la faible normativité et la faible structuration du champ littéraire. La problématique de la faible normativité et de la structuration du champ littéraire semble un des facteurs fondamentaux de la situation littéraire canadienne et peut-être américaine. En effet, dans une situation où la tradition littéraire n’est pas constituée, toute oeuvre créée entre dans un espace littéraire non saturé, donc non hiérarchisée. Par conséquent la confrontation nécessaire à la décantation des valeurs esthétiques fait défaut. La tendance à la sélection et à la décantation des valeurs est moins forte que la tendance à l’intégration. Autrement dit tout peut entrer dans une oeuvre et toute oeuvre qui entre est susceptible d’être acceptée ne se heurtant, au sein d’un champ à demi-vide, à aucune concurrence. Cette situation convient au genre ouvert qu’est le roman, mais indispose la poésie. En effet, devant un champ littéraire peu saturé et donc peu coercitif et normativisé, la poésie doit s’accrocher d’autant plus à une norme sous peine de perdre sa nature caractéristique. La poésie recourt ainsi à la tradition rhétorique et à la régularité comme à un point d’ancrage. Il en est tout autrement pour la prose, notamment pour le roman, genre ouvert et naturellement intégrateur qui peut accepter les conditions du champ littéraire sans se renier comme genre. Deux indices indirects peuvent confirmer notre constatation concernant l’influence de la faible structuration du champ littéraire. Le premier concerne le métier d’écrivain lui-même qui mettra longtemps à se constituer comme activité autonome. La majorité des auteurs de la période ne se déclarent pas exclusivement comme „poètes“, „romanciers“, etc. Ils sont journalistes, médecins, notaires, etc. La tendance à l’indifférenciation traverse l’ensemble de la vie culturelle, au contraire de la situation dans les cultures saturées et fortement hiérarchisées, telle la française. L’autre indice se réfère à la littérature américaine qui traverse une phase analogue. Les romans de Herman Melville frappent par leur nature composite, autrement dit intégratrice. C’est une prose ouverte où le récit côtoie l’essai, le réalisme decriptif s’intègre à la fiction. 2. Le roman canadien-français au 19^e siècle: roman historique, roman du terroir, roman politique. Une première constatation s’impose, celle du caractère composite du roman canadien français. Cela tient en partie aux facteurs mentionnés ci-dessus: la non saturation du champ littéraire, la non-hiérarchisation axiologique et partant la non-différentiation des valeurs. Cela empêche la formation d’un canon normatif de référence, comme il en a été en France avec les romans de Balzac et ailleurs avec d’autres romanciers. On n’est pas tenté de formuler un roman au romanesque „pur“. Évidemment, tout peut, en principe, entrer dans un roman. Mais la littérature canadienne française aime particulièrement mélanger les éléments. Exemple: le roman d’aventure qu’est Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville se transforme dans la seconde partie en roman politique. Il en est de même avec la plupart des romans historiques, romans du terroir, etc. La tonalité polémique sous-tend également les romans qui se veulent anti-ruralistes ou de critique sociale. Bref, il est difficile de trouver au Canada français un roman exempt d’idéologie ou d’intention polémique, éducative ou autre. Pourtant, le développement du roman se trouve freiné au 19^e siècle par le préjugé défavorable porté sur le „genre diabolique“ par les intellectuels de l’Église catholique. La force de cette institution s’est beaucoup renforcée au lendemain de la révolte des Patriotes en 1837, pour plusieurs raisons. L’Église catholique affermit aussi sa position dans le système éducatif et social. Elle impose ses vues sur la culture et sur la littérature en particulier. Depuis 1840, et surtout depuis l’ascension au trône impérial de Napoléon III, qui est un anglophile, les relations entre la France et le Canada s’améliorent. En 1855, un premier navire de guerre français (La Capricieuse) en visite officielle, mouille dans la rade de Québec, après un siècle d’absence. En 1859, un consulat de France est établi à Québec. Les contacts entre les Canadiens français et la France sont plus fréquents grâce aussi aux voyages en France de ces derniers. L’influence des Français augmente au sein même de l’Église catholique grâce à l’arrivée des congrégations françaises qui s’installent au Canada pour soutenir, justement, le système éducatif mis en place. Quant au roman, ces contacts renouvelés avec la France produisent un effet contradictoire, à la fois stimulant et inhibitoire. Stimulant par l’exemple du développement que la littérature française présente, inhibitoire parce que considéré par une partie des élites comme le modèle même de la dépravation de la société moderne, laïque, irréligieuse. Un journaliste de L’Opinion publique résume, en 1879, la situation: „Les peuples honnêtes n’ont pas de romans“. Abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904), grand animateur des lettres canadiennes-françaises, définit, dans Le Mouvement littéraire en Canada (1866) la mission de la littérature qui doit être „essentiellement croyante et religieuse“. Le discours déterminant de la période n’est pas romanesque, mais celui qui a été lancé par les historiens qui définissent le rôle et la place de la „race canadienne“ dans la nouvelle Confédération (1867). Deux conceptions se dessinent. L’une libérale, celle de François-Xavier Garneau (1809-1866) auteur de L’Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (1845-1852, 4 tomes), l’autre conservatrice, définie par Jean-Baptiste-Antoine Ferland (1805-1865) dont le Cours d’histoire du Canada (1861-1865, 2 tomes) représente le pôle catholique, non laïque, de l’historiographie canadienne française. C’est sur ce discours fondamental que s’aligne l’effort national. On pourrait même caractériser les deux domaines thématiques dominants par rapport à la perspective offerte par le discours historique. Le premier domaine serait celui des romans historiques, l’autre celui des romans d’actualité centrés soit sur l’analyse du présent en fonction d’un héritage du passé, soit sur la problématique prospective. Cette dichotomie s’inscrit déjà dans les deux premiers romans canadiens français: L’Influence d’un livre, (1837) de Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé fils, roman qui se déclare historique, et des Révélations du crime ou Cambray et ses complices (1837) de François-Réal Angers qui s’attache à narrativiser l’enquête judiciaire presque contemporaine. La fortune du roman historique s’ouvre réellement avec Joseph Doutre (11.3. 1825 Beauharnois – 27.2. 1886 Montréal), avocat libéral d’origine modeste et adversaire de l’évêque de Montréal Mons. Ignace Bourget. À 18 ans Doutre rédige Les Fiancés de 1812. Essai de littérature canadienne (1844), roman d’aventures à l’intrigue amoureuse campée au milieu des aléas de la guerre contre les États-Unis. Le roman est précédé d’une importante préface qui se prononce pour l’indépendance de la littérature canadienne et pour la modernité et l’utilité de l’art romanesque, à l’exemple des Mystères de Paris d’Eugène Sue. La référence montre qu’il ne s’agit pas de roman historique „pur“ du moins non „pur“ dans la tradition de Walter Scott, de Victor Hugo ou Alexandre Dumas père. Le roman historique canadien a trouvé un premier classique dans Philippe-Joseph Aubert de Gaspé père (30.10. 1786 Québec – 29.1. 1871 Québec), cinquième et dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, auteur des Anciens Canadiens (1863) qui se situent autour de 1760, à la période précédant et suivant la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais. Le public appréciait sans doute la formule patriotique de l’intrigue sentimentale: l’amitié de Jules d’Haberville, un Français canadien, et de l’Écossais Archibald Cameron de Locheill que l’histoire oppose au champ de bataille, mais qui se retrouvent après la guerre propriétaires des domaines voisins. Alors que Jules épouse la soeur d’Archibald, celui-ci se heurte au refus patriotique de Blanche d’Haberville, digne descendante des héroïnes cornéliennes. Le débat identitaire ne constitue pas le seul intérêt du livre. L’auteur, excellent conteur, décrit les moeurs et les habitudes de la campagne, reproduit le folklore canadien, reprend la veine narratrice des conteurs populaires, ménage une place au récit des aventures vécues par l’homme au sein de la nature canadienne. Par ce côté, le roman échappe lui aussi au schéma „classique“ du roman historique. Comme beaucoup de romans de la période, il est aussi une subtile polémique que l’auteur mène avec le présent de son époque (cf. Georges Boucher de Boucherville, Une de perdue, deux de trouvées). Toutefois, le ton et la thématique du roman historique est lancé. Aubert de Gaspé père aura des continuateurs. Napoléon Bourassa (21.10. 1827 Acadie – 27.8. 1916 Montréal), peintre par sa formation, retrace dans son roman historique Jacques et Marie. Souvenirs d’un peuple dispersé (1866) le „grand dérangement“ de 1755 dont avait été frappée son Acadie natale. Joseph-Étienne-Eugène Marmette (25.10 1844 Montmagny – 7.5. 1895 Ottawa) combine la verve d’Alexandre Dumas et le goût de l’aventure de Fenimore Cooper: Charles et Eva (1866-67), François de Bienville, scènes de la vie canadienne du XVII^e siècle (1870), L’Intendant Bigot (1871), Le Chevalier de Mornac (1873), Le Tomahawk et l’épée (1877). Se fixe ainsi l’image la grande aventure historique des Français en Amérique, aventure de la découverte du contient, de la colonisation et de la christianisation. Suivant la perspective idéologique, les auteurs accentuent soit le côté laïque, soit la mission civilisatrice chrétienne et les valeurs de sacrifice et d’abnégation, comme le fera une romancière remarquable Laure Conan (de son nom Marie-Louise-Félicité Angers, (9.1. 1845 La Malbaie – 6.6. 1924 Québec) après la critique de son roman psychologique Angéline de Montbrun (1881-1882), un roman en partie épistolaire, en partie rédigé sous forme de journal intime, et qui est l’histoire d’un drame personnel (avec un fonds autobiographique). Par la suite Laure Conan produira avant tout des romans historiques exaltant la colonisation française du Canada: À l’oeuvre et à l’épreuve (1891) et L’Oublié (1900), où l’on trouve encore dans la relation Charles Garnier et de Gisèle Méliand et dans les sentiments de Lambert Closse l’écho du drame d’Angéline, ensuite Jeanne le Ber, l’adoratrice de Jésus-Hostie (1910), Louis Hébert, premier colon du Canada (1912), Philippe Gaultier de Comporté, premier seigneur de la Malbaie (1917). Au début du 20^e siècle, deux grands auteurs de romans historiques s’imposent. Joseph-Robert-Hertel Laroque de Roquebrune (29.7. 1889 Assomption – 4.7. 1978 Cowansville), descendant de la noblessse gasconne et canadienne, semble avoir été prédestiné aux études historiques et au travail d’archiviste. Après ses études il entre aux Archives publiques du Canada et s’établit à Paris où il séjourne jusqu’en 1939. Il est parmi les fondateurs de la revue progressiste Le Nigog. Il publie Les Habits rouges. Roman canadien (1923) qui retrace l’histoire du soulèvement des Patriotes en 1937. D’un océan à l’autre (1924), situé à la période de la colonisation des prairies, oppose la lutte de Louis Riel, des métis et Indiens au rêve technique et industriel de la construction du chemin de fer transcanadieen. La Seigneuresse (1960) semble presque une réécriture des Anciens Canadiens: sur les Plaines d’Abraham, le marquis se Fortison fait face à son ancien rival en amour - lord Gordon qui s’il n’avait pas obtenu la main de la marquise, finit par épouser, néanmoins, sa fille. Laroque de Roquebrune est aussi l’auteur d’un essai historique Les Canadiens d’autrefois (1962), d’un roman policier La Banque en détresse (1926) et du roman d’analyse psychologie et sociale Les Dames Le Marchand (1927) où les ambitions de la grand-mère et de la mère se heurtent à la vocation de leur fils et petit-fils Michel Le Marchand de Ligneris, dernier descendant d’une lignée aristocratique. Léo-Paul Desrosiers (11.4. 1896 Berthier-en-Haut – 20.4. 1967 Saint-Sauveur-des-Monts) pourrait être rangé plutôt dans le registre de la thématique du terroir. Il s’agit notamment des nouvelles réunies dans Âmes et paysages (1922). C’est le cas aussi du roman Nord-Sud (1931) qui analyse le problème de la surpopulation rurale et de l’émigration aux États-Unis. Les nouvelles rassemblées dans le recueil Le livre des mystères (1936) sont les études psychologiques centrées sur la vie intime des protagonistes. Le plus célèbre est cependant le roman historique racontant la vie aventureuse des coureurs de bois et commerçants des compagnies pelletières au 19^e siècle Les Engagés du grand portage (1939). La veine historique a donné lieu aux essais intitulés Commencements (1939). Après 1900, comme le montrent les romans de Desrosiers, la charge idéologique du roman historique s’estompe pour céder à l’évocation, voire la démystification du passé. Il en est ainsi, également dans Né à Québec (1933) où le poète Alain Grandbois (25.5. 1900 Saint-Casimir-de-Portneuf - 18.3. 1975 Québec) décrit les aventures de l’explorateur canadien Louis Jolliet. À côté du roman historique, une autre veine narrative, inspirée par la situation actuelle, celle des problèmes sociaux, politiques, économiques, culturels et linguistiques, affirme de plus en plus sa présence. Un des premiers à aborder cette thématique a été Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (30.5. 1820 Québec – 4.4. 1890 Québec). Après de remarquables études, il devient avocat, puis homme politique qui tout au long de sa vie n’a cessé de cumuler diverses fonctions et charges publiques: député, ministre, président du Sénat. Lecteur passionné de Balzac, il veut donner à la littérature canadienne française une oeuvre qui soit une description scentifique de la société. Le roman Charles Guérin (1846-47) apporte une analyse pertinente de la situation de crise que la société québécoise a traversé de 1830 à 1832. L’éducation sentimentale du protagoniste est accompagnée du dilemme lié au choix d’une carrière. Le constat est triste: les jeunes élites francophones n’ont que quatre voies possibles: avocature, notariat, médecine ou prêtrise. Que faire, comment échapper à la cage de cet horizon bouché? Le seul salut possible est l’engagement la campagne. Le roman, pessimiste, cerne la problématique en partant des positions libérales de l’auteur. La même solution figure également sous forme d’un projet social „clérical“, formulé par le roman du terroir. Un des premiers représentants de cette tendance est Joseph-Patrice-Truillier Lacombe (20.2. 1807 Oka, Lac-des-Deux-Montagnes – 6.7. 1863 Montréal) dont le roman La Terre paternelle (1846) apporte un schéma typologique qui fera fortune: le père accroché à sa terre, la mère fidèle à son devoir social et religieux, un des fils aventurier, l’autre attaché à la tradition familiale, une fille qui se sacrifie pour ses parents, le problème de la transmission de l’héritage aux enfants, le malheur de la vie urbaine opposé au seul salut possible qu’est une vie ordonnée à la campagne. Sinon, la déchéance guette. Cette thématique a été enrichie par Antoine Gérin-Lajoie (1824 Yamachiche - 7.8. 1882 Ottawa) par le projet de colonisation des territoires vierges. Le héros romanesque de Gérin-Lajoie - Jean Rivard lui aussi se retrouve devant le dilemme du choix d’une carrière. Conseillé par le prêtre de son village il embrasse la mission de défricheur dans le canton de Bristol. Autour de sa ferme, une église, puis un village surgissent, il se marie, devient maire, plus tard député. La population québécoise s’accroît en évitant la misère et la perdition des villes. Les deux romans Jean Rivard, le défricheur canadien (1862) et Jean Rivard économiste (1864) joignent la méfiance envers la vie urbaine, anglaise, étrangère, à l’idéal de la fidélité aux racines nationales-paysannes, à la foi catholique et à la mission de l’aventure civilisatrice. Le projet romanesque de Gérin-Lajoie est aussi bien une étude sociale et économique que l’expression du rêve américain - la réussite du „self-made man“ et la construction du nouveau monde. Parmi les lectures de Jean Rivard, il y a L’imitation de Jésus-Christ, Don Quichotte, Robinson Crusoe et L’Histoire populaire de Napoléon. Le patriotisme de Gérin-Lajoie découle de ses origines familiales remontant aux premiers colons de Trois-Rivières (1646) et à son grand-père surnommé Lajoie, soldat de l’armée royale française. Ce patriotisme trouve son expression romantique dans la chanson devenue vite célèbre „Un canadien errant“ et sa forme cornélienne dans la première tragédie canadienne française Le Jeune Latour (1844). Honoré Beaugrand (24.3. 1848 Lanoraie – 7.10. 1907 Westmount) a connu une carrière riche de militaire (corps expéditionnaire français au Mexique), journaliste, maire de Montréal, écrivain. D’origine modeste, il est l’exemple de la réussite américaine. Il a connu aussi bien l’Europe que les villes américaines où il a travaillé dans les journaux français et autres (Saint-Louis, Boston). Jeanne la Fileuse (1875) illustre sur l’arrière-fond historique (la rébellion des Patriotes) et dans une intrigue amoureuse la problématique de la réussite paysanne, conditionnée par l’apport du capital que l’héroïne Jeanne gagne en travaillant aux États-Unis, et par l’instruction et la modernisation incarnée par son fiancé Pierre. Louis Hémon (1880-1913) est né à Brest, dans une famille d’intellectuels qu’il fuiera après de brillantes études (droit, licence de langues orientales vivantes). De 1902 à 1911, il s’installe à Londres qui lui inspirera plusieurs romans et récits où la problématique sociale ou politique se fondent avec la thématique sportive ou psychologique: Battling Malone, pugiliste (1925), Monsieur Ripois et la Némésis (1950), Colin Maillard (1924), Nouvelles londoniennes (1991). De Londres, il passe au Canada où il vit de plusieurs métiers dont celui d’ouvier agricole dans la région du Lac Saint-Jean. Avant de périr dans un accident de train, il rédige l’oeuvre classique de la littérature canadienne française - le roman Maria Chapdelaine. Au delà de la typologie des protagonistes - prétendants de la belle Maria Chapdelaine (coureur de bois, ouvrier émigré aux États-Unis, paysan-défricheur sédentaire), le roman frappe par la grandeur épique des destinées humaines et la vision poétisante de l’austère campagne canadienne, sublimé dans le caractère de Maria. Les traits typologiques deviennent symboles dans lesquels les Canadiens francophones se sont reconnus. Le chef-d’oeuvre de Louis Hémon a transformé le roman du terroir en lui imprimant une nouvelle direction, tout en assurant la survie de la thématique rurale jusqu’aux années 1940. C’est en 1909 que l’École littéraire de Montréal fonde la revue Le Terroir. Le roman du terroir se rattache pour la plupart à l’idéologie conservatrice, appuyée par l’Église catholique, qui s’érige en gardienne des valeurs traditionnelles - la foi, la langue, la terre, la morale. Cette représentation de la réalité québécoise et canadienne française tend à l’idéalisation qui soulève la critique de la pensée libérale. Parallèlement au roman du terroir, la tendance contraire se précise, celle du roman anti-terroir. Elle est représentée par Rodolphe Girard (24.4. 1879 Trois-Rivières – 29.3. 1956 Ottawa). Fils d’épicier et de douanier, il voit la possibilité de sa promotion sociale dans l’instruction. Sorti du Collège de Montréal, il devient journaliste à La Patrie, puis à La Presse. Son deuxième roman Marie Calumet (1904) attire la colère de l’archévêque de Montréal Mgr. Louis-Joseph-Paul-Napoléon Bruchési. Libéral convaincu, Girard cherche refuge à Ottawa, dans la rédaction du Temps, avant de devenir traducteur au Secrétariat d’État. Marie Calumet offre une image carnavalesque et désopilante de la réalité paysannne. L’action tourne autour de la servante du curé de village, une forte femme qui sait se faire obéir. L’humour désagrège l’image idyllique de la campagne et de la vie de presbytère. Le roman a été réédité en 1946 seulement, puis en 1969. Les autres romans de Girard – Florence (1900) – situé l’époque de la révolte des Patriotes en 1837, Rédemption (1910) – de veine sentimentale, et L’Algonquine (1912) – roman historique campé au milieu du 17^e siècle - n’atteignent pas l’originalité de Marie Calumet. Albert Laberge (8.2. 1871 Beauharnois - 4.4. 1960 Montréal) fut l’ami et collègue de Rodolphe Girard. D’origine paysanne modeste, Albert Laberge fait des études au collège de Sainte-Marie à Montréal d’où il se fait renvoyer. Il travaille chez les avovats Maréchal et Mackay avant d’entrer dans la rédaction du journal La Presse comme rédacteur sportif. Il participe à la fondation de l’École littéraire de Montréal où il fera en 1909 la lecture d’un des chapitres de son roman La Scouine (1918). Des extraits du roman seront publiés dans des revues en provoquant, lui aussi, la condamnation de l’archévêque de Montréal Mgr. Louis-Joseph-Paul-Napoléon Bruchési. L’odeur de scandale sert en même de publicité et d’ordre de prudence. Le roman est publié en une soixantaine d’exemplaires seulement. Mais il exerce une influence certaine par son regard critique porté sur la réalité paysanne de la seconde moitié du 19^e siècle. Laberge sera mis à l’honneur par la critique littéraire des années 1960, La Scouine sera rééditée en 1968. La construction atectonique du roman rassemble 34 chapitres – scènes de la vie de la famille paysanne d’Urgèle Deschamps, situées entre 1853 et 1896 dans la région de Châteauguay. Le narrateur s’astreint à une decription objective, sans parti pris apparent. Le réalisme pessimiste met en évidence le manque de culture, l’illétrisme, la bêtise, l’âpreté au gain comme mobile principal, la méchanceté dans les rapports humains. La protagoniste Paulina, surnommée La Scouine à cause de l’odeur d’urine qu’elle dégage, est un être borné mais rusé et vindcatif. Le ton sombre est souligné par le leitmotiv récurrent: „le pain sur et amer marqué d’une croix“. Le roman apparaît comme la négation de l’image idéalisante de la campagne comme milieu de transmission des valeurs nationales: terre, famille patriarcale unie, foi, langue. La Scouine annonce l’aboutissement critique du roman du terroir chez Germaine Guèvremenont, Ringuet et Claude-Henri Grignon. La motivation politique ou polémique qui sous-tend la majorité de la production romanesque de la période peut devenir dominante. On pourrait alors parler du roman politique avec deux représentants insignes – Jules-Paul Tardivel (2.9. 1851 Covington, Kentucky – 24.4. 1905 Québec) et l’abbé Lionel Groulx (13.1. 1878 Vaudreuil – 23.5. 1867 Montréal). Jules-Paul Tardivel est le fils d’un immigré auvergnat et d’une américaine d’origine canadienne. Élevé par son oncle maternel l’abbé Julius Brent et par sa tante, il passe son enfance en Ohio et dans l’État de New York avant de terminer sa formation au Petit Séminaire de Saint-Hyacinthe. C’est là qu’il apprend en fait le français. Il devient journaliste à La Minerve, puis au Canadien, à la fois comme courriériste parlementaire d’Ottawa (1878) et critique littéraire. Ses convictions catholiques et nationalistes le portent à quitter le Canadien dès qu’il a assez d’économies pour fonder son propre journal La Vérité (1881) qu’il dirige jusqu’à sa mort. À part les écrits à résonnance politique – La Vie du pape Pie IX, ses oeuvres et douleurs (1878), et nationaliste – L’anglicisme, voilà l’ennemi (1880), il publie un roman politique d’anticipation Pour la patrie (1895) dont l’action se situe en 1945. Avec une perspicacité étonnante le narrateur prévoit l’affaiblissement de l’Europe, le déclin des empires coloniaux, la montée de la civilisation américaine où le Canada français représente le tout dernier rempart catholique contre la montée de la franc-maçonnerie déguisée en libéralisme protestant. La conjuration mondiale du diable et de la franc-maçonnerie tente de liquider l’ilôt linguistique français et catholique par le projet de la réforme constitutionnelle qui sous les apparences d’une confédération liquiderait en réalité à la fois la francité et la catholicité en subordonnant à brève échéance le Canada aux États-Unis. La bonne connaissance des milieux parlementaires et journalistiques, des mécanismes de corruption et de stratégies politiques permet à Tardivel de construire un „thriller“ politique autour du docteur Joseph Lamirande, humaniste et fervent croyant, qui finit par l’emporter en concluant avec le chef protestant Lawrence Hougton l’alliance pour un Canada futur – une union douanière et postale de deux États, l’un français et catholique, l’autre anglophone et protestant. Les complots des franc-maçons révélés, le diable d’origine française - Montarval - se suicide, le journaliste corrompu - Saint-Simon - meurt fou, le docteur Lamirande qui avait sacrifié à sa patrie sa fille unique, se retire comme moine à la Grande Chartreuse en France. L’abbé Lionel Groulx est un des insignes représentants du nationalisme intellectuel et politique du Canada français tout au long de sa longue vie. Fils d’un simple cultivateur, il étudie au Grand Séminaire de Montréal. Ordonné prêtre, il enseigne la rhétorique et la littérature au Collège de Valleyfield (1906-1915). Il interromp l’enseignement pour prologer ses études l’Université la Minerve à Rome (1906-1909, doctorat de philosophie et de théologie) et l’Université de Fribourg (1908-1909). Dès 1915 il enseigne à l’Université Laval à Québec où il occupe la chaire d’histoire jusqu’en 1949. En 1931 il est délégué par l’Université de Montréal pour donner des cours en France (la Sorbonne, Institut catholique de Paris, Lyon, Lille). En 1917, il fonde l’Action française qu’il dirigera jusqu’en 1928. En 1948, il est l’instigateur de l’Institut d’histoire de l’Amérique française dont il dirigera l’organe officiel, la Revue d’histoire de l’Amérique française jusqu’à sa mort. Il a milité au sein de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française, des Jeune-Canada, des Jeunesses laurentiennes. Historien, il est l’auteur d’importants travaux: Nos luttes constitutionnelles (conférences, 1915-1916), La Confédération canadienne, ses origines (conférences, 1918), La Naissance d’une race (conférences, 1919), Chez nos ancêtres (1920), Lendemains de la conquête (1920), La France d’outre-mer (1922), L’Enseignement français au Canada (1931), etc. Parmi ses oeuvres prosaïques, il faut citer ses récits et nouvelles rassemblées dans le recueil Rapaillages (1916) et ses deux romans L’Appel de la race (1922) et Au cap Blomidon (1932). Le premier des romans est avant tout une réaction devant l’attitude des élites canadiennes-francaises qui, associées et intégrées aux élites anglophones, s’anglicisent, cessent de représenter l’élément conducteur de la vie nationale. Jules de Lantagnac, descendant de l’ancienne noblesse canadienne tombée en roture, mais brillant avocat, marié à une Anglaise et installé à Ottawa, traverse une crise d’identité. Son confesseur le père Fabien le conduit renouer avec ses racines catholiques et françaises et à s’engager dans le combat politique de la survivance des écoles françaises en Ontario. Cet engagement franco-ontarien introduit une rupture dans la vie familiale de Jules: le départ de sa femme Maud, née Fletcher, l’hostilité de son fils William et de sa fille Nellie. Par contre son exemple incite à l’engagement français son deuxième fils Wolfred qui désormais ne veut s’appeler qu’André et sa deuxième fille Virginia qui entre au couvent pour devenir enseignante. Ce roman à thèse, brillamment écrit, a soulevé bien des polémiques. Groulx a repris la thématique nationaliste avec le roman Au cap Blomidon, situé en Acadie. Il y pose la question de la direction politique et intellectuelle de la population francophone dont la forte natalité dégageait un surplus démographique qui se dirigeait vers les États-Unis. Lionel Groulx montre la voie de la colonisation intérieure, canadienne, et qui serait une reconquête des anciennes terres françaises perdues. Tel est le but de Jean Bérubé, descendant des Acadiens réfugiés dans les Laurentides, qui s’installe en Nouvelle Écosse et finit par acheter, au propriétaire écossais, la terre qui avait appartenu à ses ancêtres. Comme le roman du terroir, le roman politique nationaliste a trouvé son contre-poids dans le roman à thèse d’inspiration libérale, représenté notamment par Arsène Bessette (20.12. 1875 Saint-Hilaire de Rouville – 21.6. 1921 Montréal) et par Jean-Charles Harvey (10.11. 1891 La Malbaie – 3.1. 1967 Montréal). Fils d’un maire ruiné par la politique, Arsène Bessette ne peut s’inscrire l’Université faute de moyens. Il devient journaliste, d’abord à La Patrie (1898), puis au Canada français dirigé par son ami Gabriel Lemarchand. Il écrit aussi dans les périodiques satiriques L’Étincelle et Le Taon. Il a comme ami le peintre Ozias Leduc. C’est son expérience journalistique que Bessette inscrit dans le parcours biographique de Paul Mirot, protagoniste du roman Le Débutant. Roman de moeurs du journalisme politique dans la province de Québec (1914). Son triple apprentissage – journalisme, amour, littérature – se heurte à la résistance du milieu étriqué de la société canadienne française opposée aux idées progressistes. La force des conservateurs, en politique, art et journalisme, appuyés par les intrigues de l’Église catholique a raison des tentatives du jeune journaliste qui ne voit à la fin d’autre possibilité que de „refaire sa vie sur une terre étrangère“. La fin du roman annonce la suite de la vie du romancier Bessette. Le roman est condamné par l’archévêque de Montréal Mgr. Louis-Joseph-Paul-Napoléon Bruchési. Visé comme rédacteur en chef d’un journal jugé libéral et franc-maçon, Bessette doit faire face à une campagne concertée durant laquelle il ne trouve défenseur que dans Albert Laberge. Pour sauver le journal le Canada français il est obligé de quitter la rédaction. Il déménage à Montréal. Il doit accepter un petit emploi à La Presse, puis le poste d’inspecteur à la Compagnie des Traways de Montréal. Jean-Charles Harvey, d’origine modeste, connaît, avec sa famille, une période d’émigration aux États-Unis (Massachussetts) avant de revenir au Canada. Après ses études au Séminaire de Chicoutimi il entre au noviciat des jésuites et prononce ses voeux en 1910. Il quitte l’ordre an 1915 et s’inscrit à la Faculté de droit de l’Université Laval à Montréal. Il devient journaliste à La Presse (1916) au Soleil (1922). La condamnation de son roman Les Demi-civilisés (1934) par le cardinal Jean-Marie-Rodrigue Vileneuve, archévêque de Québec, l’oblige à s’orienter vers la fonction publique de directeur du Bureau de statistique du gouvernement du Québec (1934-1937) où il ne pourra rester que jusqu’à la prise du pouvoir par les conservateurs. Ayant perdu son emploi, il fonde le Jour, il travaille aussi pour le Radio-Canada. Son premier roman Marcel Faure (1922) reflète l’expérience de Harvey à qui on a fait appel pour fonder un journal ouvrier dans la région de Montmagny, journal qui devait accompagner l’effort d’industrialisation de la région par le capital québécois. L’industrialisation se heurtant au manque de la main d’oeuvre qualifiée, Harvey reprend l’analyse d’Antoine Gérin-Lajoie et de son roman Jean Rivard. L’aventure Marcel Faure sera donc celle de l’épopée économique et sociale, cette fois non plus agricole, mais industrielle: en l’espace de trois ans, un village du bas Saint-Laurent – Valmont - est transformé en un centre industriel capable de tenir tête à la concurrence américaine. L’industrie apporte le progrès social, scolaire et culturel. Les Demi-civilisés reprennent, en plus radical, la problématique du Débutant d’Arsène Bessette. Max Hubert, jeune journaliste et écrivain épris de liberté, tombe amoureux de Dorothée Meunier qui l’encourage et l’aide à fonder une revue d’avant-garde Le Vingtième siècle. Dénonçant les élites canadiennes françaises – les demi-civilisés, c’est-à-dire ceux qui ont perdu la civilisation paysanne sans pour autant accéder à la civilisation moderne des anglophones – Max critique les connivences existant entre le pouvoir politique, économique et religieux. L’échec de la revue est toutefois contrebalancé par la réussite personnelle des jeunes amants que les événements publics n’arrivent pas à séparer. L’ouverture critique, libérale et moderniste de Harvey se reflète aussi dans ses nouvelles – L’homme qui va. Contes et nouvelles (1929), Sébastien Pierre (1935), et essais – Jeunesse (1935), Les grenouilles demandent un roi (1943). 3. Le roman canadien-français de 1950 à 1960: de la prémodernité à la modernité - transformation du roman du terroir, entrée de la thématique urbaine Avant de passer au domaine littéraire, il convient de rappeler les facteurs externes qui ont contribué à la dynamique culturelle. L’évolution sociale du Canada est étroitement liée son essor économique. Le Canada n’a pas connu l’intensité du développement orageux des années 1920 - les années folles, comme son voisin les États-Unis. La continuité domine, l’espace canadien, trop vaste et moins peuplé, offre toujours encore des possibilités de développement extensif. En effet, la fin du 19^e siècle et le début du 20^e siècle sont caractérisés, à l’ouest, par l’effort de la mise en valeur des prairies et, à l’est, par l’industrialisation qui touche davantage l’Ontario. Au Québec, ce n’est que Montréal qui connaît un véritable développement à l’américaine, l’essentiel de la société québécoise francophone restant toujours encore rattaché à son horizon rural. La véritable rupture ne survient qu’avec la grande crise économique de 1929, aux conséquences catastrophiques. La crise signale la faillite des modèles traditionnels, fait surgir de fortes tensions idéologiques. D’autre part, elle accélère la modernisation de l’industrie et de l’agriculture. Sur le plan social, elle décompose l’ancienne société rurale, elle intensifie l’urbanisation. Sur le plan politique, elle force le gouvernement à adopter de nouvelles approches: participation de l’État et son intervention dans l’économie (new deal) et le domaine social (lois l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, retraites, soins médicaux, scolarité). Au Québec, la décomposition du monde rural et l’industrialisation accélérée renforce, dans un premier temps, jusqu’en 1960, la domination de l’élément anglophone. Pour les masses paysannes, c’est le passage du monde rural - autonome, replié sur ses habitudes et son univers francophone - au monde de la ville où les ouvriers salariés se retrouvent dans une position de subordination face à une classe d’entrepreneurs, en majorité anglo-saxons. La conflictualité sociale est doublée ainsi d’une stratification et d’une hiérachisation socio-linguistiques. Face à cette situation, le gouvernement conservateur du premier ministre québécois Maurice Duplessis (1936-1939; 1944-1959) adopte une attitude de duplicité. Sur le plan économique, il favorise la modernisation accélérée en se comportant en vrai patron autoritaire. Dans les autres domaines, le même autoritarisme joue en faveur de la fermeture sociale et idéologique et de la conservation des valeurs jugées traditionnelles: famille, religion, patrie. La tension crée, à la longue, dans les élites aussi bien dans la population, un climat qui sera caractérisé comme la „grande noirceur“. Comme il a été indiqué plus haut, le cadre idéologique de la culture canadienne française a été longtemps dominé par le modèle défini par l’abbé Henri-Raymond Casgrain (Mouvement littéraire en Canada, 1866) qui veut que la littérature canadienne soit „grave, méditative, spiritualiste, religieuse, évangélisatrice comme nos missionnaires, généreuse comme nos martyrs, énergique et persévérante comme nos pionniers“. C’est la conjonction de la voie religieuse et nationaliste. La voie de la littérature, selon Casgrain, „est tracé d’avance: elle sera le miroir fidèle de notre petit peuple“. Ce modèle a été indirectement mis en question par l’École littéraire de Montréal. Cependant le poids, à la fois de responsabilité, de fermeture et d’horizon bouché, continuera à peser sur les générations suivantes d’autant plus que les transformations économiques, sociales et culturelles mettront en évidence la caducité de ce cadre idéologique emprisonnant l’individu au sein d’une société étriquée, autoritaire et bornée - celle que Duplessis entendait de perpétuer. Le sociologue Fernand Dumont, dans La Vigile de Québec (HMH, Montréal 1970), caractérise la situation de 1930: „Avec une terrible angoisse, la génération de Saint-Denys Garneau a pris conscience qu’elle appartenait à un peuple confronté depuis toujours à son obscurité et incapable de la nommer.“ Revues La modernité trouve sa voix dans les nouvelles revues littéraires, dont la plus importante est La Relève, fondée en 1934 et devenue La Nouvelle Relève en 1941-1948. La rédaction est animée par le prosateur, romancier et essayiste Robert Charbonneau (3.2. 1911 Montréal - 26.6. 1967 Saint-Jovite). La revue s’inspire du néo-thomisme de Jacques Maritain et du personnalisme d’Emmanuel Mounier qui collaborent à la rédaction. Ce contact direct avec la modernité française se reflète dans la qualité des polémiques, des articles de critique littéraire et de réflexion politique, confiés à de jeunes auteurs commes Anne Hébert (1.8.1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22.1. 2000 Montréal), Roger Lemelin (7. 4. 1919 Québec - 16. 3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures), Yves Thériaut (28.11. 1915 Québec - 20.10. 1983 Joliette). La Relève servira de tremplin à la nouvelle génération qui veut briser le carcan idéologique nationaliste et clérical en visant, comme critère dominant, la qualité esthétique. Elle sera aussi le point focal autour duquel cristallisera l’idée d’une littérature canadienne autonome que Robert Charbonneau défendra, dans les poémiques qui dureront de 1946 à 1948, contre les auteurs et critiques français comme Georges Duhamel, Jean Cassou, Stanislas Fumet, convaincus que la littérature canadienne francophone n’est qu’une annexe de la littérature française. Robert Charbonneau influencera, par ses oeuvres, surtout le domaine de la prose, mais c’est la poésie qui, au cours des années 1930 et 1940 fait le premier pas décisif vers la modernité. Les années 1930 et 1940 apportent un grand tournant, à la fois thématique et idéologique, dans l’évolution de la prose. D’un côté, c’est le moment culminant du roman du terroir, de l’autre côté l’apparition de la thématique urbaine. Roman du terroir Si les grand romans du terroir de la période - ceux de Claude-Henri Grignon, Félix-Antoine Savard, Ringuet ou de Germaine Guèvremont se situent dans le prolongement de la tradition lancée au 19^e siècle par Lacombe et Chauveau et portée au sommet par Louis Hémon, ils constituent en même temps un dépassement et une transformation du genre et qui peut aller jusqu’ une mise en question de l’idéologie „famille, religion, patrie“. Félix-Antoine Savard (31.8. 1896 Québec - 24.8. 1982 Saint-Joseph-de-la-Rive) est de la trempe des prêtres patriotes, représentants insignes et défenseurs du peuple québécois. À la suite des études au Grand Séminaire de Québec il est ordonné prêtre (1922). Professeur de rhétorique au Séminaire, il décide de se lancer dans la prêtrise active: en 1931 il fonde une nouvelle paroisse - de colonisation - celle de Saint-Philippe-de- Clermont où il travaille jusqu’en 1945. C’est au contact de la nature et des paysans qu’il trouve l’inspiration de son oeuvre qui le rend célèbre dès la parution, en 1937, de Menaud, maître-draveur. En 1945, il est nommé professeur de littérature à l’Université Laval où il assume, de 1950 à 1957, la fonction de doyen de la Faculté des Lettres. Parallèlement à son travail d’enseignant il entreprend des enquêtes ethnologiques et folkloriques en Gaspésie et en Acadie. Oeuvre Menaud, maître-draveur (1937): évocation lyrique et exaltation de la campagne et nature québécoises (le Saguenay), héroïsation des habitants, défenseur de la terre paternelle - ici, l’auteur a pris comme modèle un draveur authentique Joseph Boies, rencontré à La Malbaie; mais aussi étude psychologique d’une folie, celle du personnage principal; le rappel, sous forme de citations, de Maria Chapdelaine de Hémon sert d’encadrement poétique. L’Abatis (1943) - roman, évocation de la vie des colons dans une forêt Le Barachois (1959, Písečná kosa) - roman inspiré par l’Acadie et la Gaspésie La Folle (1960), La Dalle-des-Morts (1966, Peřej mrtvých) - drames lyriques Claude-Henri Grignon (8.8. 1894 Sainte-Adèle - 3.4. 1976 Sainte-Adèle) est un esprit indépendant qui a trouvé sa voie dans le journalisme et les activités littéraires. Son catholicisme courageux le pousse à se lancer dans des polémiques à la manière de Léon Bloy et Georges Bernanos (la publication, de 1936-1943, de la revue Les Pamphlets de Valombre). Dès 1920, il est membre de l’École littéraire de Montréal. Oeuvre Un homme et son péché (1933) - est une analyse impitoyable de l’avarice paysanne, un récit qui détruit l’image idyllique de la campagne; le roman a été adapté pour la radio (1939) et pour la télévision (années 1950 et 1960) L’Enfant du mystère (1928), Le Déserteur (1934) - récits Le Secret de Lindbergh (1928) - biographie romancée Les Vivants et les autres (1922), Ombres et clameurs (1933) - eseje Germaine Guèvremont, née Grignon (16.4. 1893 Saint-Jérôme - 21.8. 1968 Montréal), cousine éloignée de Claude-Henri Grignon, journaliste à Sorel, puis à Montréal. Le succès de son oeuvre lui vaut l’entrée à la Société Royale du Canada (1949) et le doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa. Oeuvre En pleine terre. Paysanneries, trois contes (1942) Le Survenant (1945), Marie-Didace (1947), Du plomb dans l’aile (1959) - la saga de la famille des Beauchemin; regard critique, mais sympathisant, qui suit la décomposition des valeurs traditionnelles de la campagne Ringuet, pseudonyme de Philippe Panneton (30.4. 1895 Trois-Rivières - 28.12. 1960 Lisabon). Sa carrière professionnelle est d’abord celle d’un médecin: études de médecine à Québec et à Montréal (1920), voyage en Europe et spécialisation en oto-rhino-laryngologie (1920-1922), pratique à l’hôpital (1923-1940). Parallèlement, il enseigne comme professeur, l’histoire de la médecine à l’Université de Montréal (1935-1950). La littérature et sa carrière univesitaire lui ouvrent la carrière diplomatique: mission au Brésil (1946), délégué à Paris (1952), enfin poste d’ambassadeur à Lisbonne (1956-1960). Oeuvre Trente arpents (1938) - désacralisation du mileu paysan, assujetti par le travail; c’est la terre qui subjugue ses occupants; mais l’issue en est une autre servitude, celle de la ville Fausse Monnaie (1947), Le Poids du jour (1949) - romans L’Héritage et autres contes (1946) Un monde était leur empire (1943) - essai sur les civilisations amérindiennes, prise de position contre l’europocentrisme L’Amiral et le facteur ou Comment l’Amérique ne fut pas découverte (1954) - essai, comparaison entre Christophe Colomb et Amerigo Vespucci sur la question de la véritable découverte de l’Amérique que Ringuet attribue au dernier Thématique urbaine La ville - non plus comme une opposition à la campagne ou un repoussoir, mais comme un sujet autonome et représentant la réalité moderne - entre en littérature au cours des années 1940. C’est un regard critique, désabusé et souvent individualiste de la société canadienne. Gabrielle Roy (22.3. 1909 Saint-Boniface - 13.7. 1983 Québec) est une Manitobaine, descendante des colons québécois installés dans les prairies au début du 20^e siècle. Après des études, elle travaille comme institutrice avant de partir en Europe - Angleterre, France (1937-1939) - où elle étudie l’art dramatique. Au retour, au Québec, elle décide de se consacrer au journalisme et à l’écriture. Ses origines, aninsi que ses expériences européennes lui permettent de jeter un regard neuf sur la réalité québécoise. Son premier roman Bonheur d’occasion (1945) lui apporte la gloire qui ne se démentira plus. La réalité, la fiction se mêlent aux éléments autobiographiques et aux réflexions dans un style maîtrisé. Romans La Petite Poule d’eau (1950) Alexandre Chenevert (1954) Rue Deschambault (1955) La Montagne secrète (1961) Route d’Altamont (1966) La Rivière sans repos (1970) Récits et nouvelles Cet été qui chantait (1972) Ces enfants de ma vie (1977) De quoi t’ennuies-tu, Éveline? (1982) Roger Lemelin (7.4. 1919 Québec - 16.3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures) est l’exemple type d’un „self made man“. Issu des des quartiers pauvres de Québec, ouvrier autodidacte, il deviendra journaliste de renom et plus tard propriétaire d’un empire journalistique et éditorial. Il doit sa renommée à la peinture mi humoristique, mi sentimental des milieux populaires qu’il a connus. Romans Au pied de la pente douce (1944) Les Plouffe (1948) Pierre le Magnifique (1952) Le Crime d’Ovide Plouffe (1982) André Langevin (11.7. 1927 Montréal) a projeté dans son oeuvre le sentiment de solitude et de désolation provoqué par son enfance d’orphelin. Il connaît des débuts difficile, mais finit par s’imposer, d’abord comme journaliste, plus tard comme romancier et dramaturge. Ses proses portent une empreinte existentialiste, celle de l’époque culturelle de l’après-guerre. Cependant, cet existentialisme est aussi celui de l’ambiance et du sentiment du vide de l’homo qubeciensis. C’est une critique métaphysique de la situation canadienne. trilogie thématique: trois échecs - de l’idividu et de sa révolte; de l’amour et du mariage; de la vocation sacerdotale. Évadé de la nuit (1951) Poussière sur la ville (1953) Le Temps des hommes (1956) autres romans L’Élan d’Amérique (1972) Une chaîne dans le parc (1974) Yves Thériault (28. 11. 1915 Québec - 20. 10. 1983 Joliette), romancier conteur, dramaturge. Il quitte l’école à 14 ans pour exercer divers métiers (trappeur, conducteur de camions, vendeur) avant de devenir annonceur à la radio (1935-1942). Il travaille aussi à l’Office Nationale du Film (1942-1945) puis au Radio-Canada comme publicitaire et scripteur (1945-1950). Ses origines partiellement indiennes lui valent un poste officiel, celui de directeur des Affaires Indiennes à Ottawa. Il est l’auteur d’une quarantaine d’oeuvres prosaïques, de 1200 pièces radiophoniques, de 200 scénarios télévisés. Ses riches expériences professionnelles, mais aussi ses origines ethniques contribuent sans doute à sa sensibilité pour les liens secrets ou inavoués avec la part cachée du moi, celle qui met l’homme au contact des forces de la nature, avec le sang de sa tribu, de son ethnie, avec le fond secret de sa culture. Il est le premier des écrivains canadiens français et québécois à s’intéresser en profondeur à la problématique des différentes éthnies - indienne, inuite, juive, etc. Romans Contes pour un homme seul (1944) La Fille laide (1950) Le Dompteur d’ours (1951) Le Vendeur du temple (1951) Aaron (1954) Agaguk (1958), Tayaut, fils d’Agaguk (1969), Agoak, l’héritage d’Agaguk (1975) Ashini (1960) N’Tsuk (1968) Kesten (1968) Moi, Pierre Huneau (1976) Anne Hébert (1. 8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22. 1. 2000 Montréal) vient d’une famille cultivée, ancrée dans l’histoire culturelle du Canada. Le poète Hector de Saint-Denys Garneau est son cousin, son père Maurice Hébert, qui a eu sur elle une grande influence, est un éminent critique littéraire. Ses débuts, liés à la revue La Relève, sont influencés par le néothomisme de Jacques Maritain, mais aussi par la découverte de la poésie française moderne: Claudel, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Poétesse d’abord, elle s’affirmera plus tard comme dramaturge et romancière. La touche féminine de sa sensibilité profonde se libérera progressivement dans des images et scènes traduisant la violence profonde, cachée, des situations où nous jettent l’amour, la solitude, la mort. C’est une prospection jungienne des ombres de l’âme humaine. La personnalité d’Anne Hébert dépasse l’horizon canadien. Après une brève collaboration avec la radio et le film, elle obtient une bourse d’études en France (1954-1957) où elle s’installe pour de longues années (1967-1997). Proses Le Torrent (1950, nouvelles) Les Chambres de bois (1958) Kamouraska (1970) Les Enfants du sabbat (1975) Héloïse (1980) Les Fous de Bassan (1982) L’Enfant chargé de songes (1992) Un habit de lumière (1999) Jacques Ferron (20. 1. 1921 Louiseville - 22. 4. 1985 Longueil) a marqué la prose et le théâtre québécois de la manière analogue à la trace de Gaston Miron en poésie. Médecin de formation et de métier, il est proche par ses liens familiaux et par ses activités des milieux non-conformistes: sa soeur est un peintre d’avant-garde, lui-même fonde, en 1963, le Parti Rhinocéros. Sa veine nationaliste, de gauche, tente de lancer un pont entre le passé canadien français et l’émancipation nationale des années 1950 et 1960 à laquelle il confère une nouvelle dimension historique. Proses Cotnoir (1962) Contes anglais et autres (1964) La Nuit (1965) Contes (1968) Le Ciel de Québec (1969) L’Amélanchier (1970) Le Salut de l’Irlande (1970) Les Roses sauvages (1971) La Chaise du Marréchal-Ferrant (1972) Les Confitures de coings (1972) Le Saint-Élias (1972) 4. Révolution tranquille - de la modernité expérimentale à la pluralité postmoderne et de la littérature canadienne-française à la littérature québécoise: 1960-1980 Les transformations de la société canadienne française initiées en 1960 par la gauche libérale du premier ministre Jean Lesage concernaient moins le système politique, économique et social que l’horizon mental des Canadiens francophones. Après plus d’un siècle de nationalisme „défensif“, centré sur la reconnaissance juridique des droits nationaux, le Québec renoue avec le nationalisme „offensif“ qui avait culminé au 19^e siècle par la révolte des Patriotes en 1837. Au moment où le Canada s’apprête à célébrer, l’Exposition Universelle à l’appui, le centenaire de la Confédération (1967), les patriotes québécois transforment l’anniversaire en commémoration du cent-trentenaire des événements de 1837. Le nouveau gouvernement québécois assume le rôle de l’État laïque moderne, notamment en réformant le système de l’éducation (1967-1968), en instaurant une politique sociale et culturelle moderne. On investit dans le système scolaire, on crée de nouvelles universités, on prend soin de la sphère culturelle. La francisation s’étend de l’enseignement au domaine économique où les nouvelles élites francophones s’imposent. Les intellectuels francophones de qualité occupent d’ailleurs des postes importants soit à l’échelle fédérale, soit provinciale: Pierre-Eliott Trudeau, René Lévesque. Le patriotisme et le nationalisme assument plusieurs visages. Les libéraux qui restent partisans de la fédération s’efforcent d’imposer un bilinguisme effectif à l’ensemble du territoire national. La gauche, par contre, va jusqu’à identifier la cause nationale avec l’anticolonialisme, l’émancipation du tiers monde et la révolution mondiale de Che Guevarra ou de Mao (cf. Pierre Vallières: Nègres blancs d’Amérique). Le radicalisme révolutionnaire du Front de Libération du Québec) qui débouche sur les attentats et l’état de siège d’octobre 1970 est bientôt relayé par un nationalisme de droite, incarné par le Parti Québécois de René Lévesque qui, une fois installé au pouvoir, règle la question linguistique en instaurant le français comme la langue officielle du Québec (1977; loi 101). Désormais, l’anglais n’est - sur le territoire de la province - que la langue de la minorité anglophone. Quels que soient les avatars de la vie politique, toujours est-il que l’émancipation nationale aboutit à une transformation en profondeur de l’échelle des valeurs, y compris la langue et la culture. Le Canada francophone cesse de se considérer comme une colonie éloignée de la mère-patrie, une périphérie de la France. Le Québec s’assume désormais comme la source de sa propre centralité. Sa prépondérance, accentuée par sa prise de conscience, se traduisent dans la terminologie littéraire. Désormais on ne parle plus de la littérature canadienne française, mais de la littérature québécoise. Dans le domaine linguistique, le bon usage européen cesse d’être érigé référence majeure. Ainsi, l’usage canadien n’est plus pris pour une couleur locale, exotique, mais pour une langue autonome dans le plein sens du terme. La Défense et illustration de la langue québécoise (1979) de Michèle Lalonde affirme haut ce que la Société du parler français du Canada, fondée en 1902, n’avait fait qu’esquisser et ce que le critique Camille Roy n’avait exprimé que comme un souhait sous forme du programme de la „nationalisation de la littérature canadienne“ (1904). La sensibilité de l’époque, liant l’émancipation nationale à l’émancipation sociale, joue en faveur de l’instauration, comme langue littéraire, du joual montréalais et des dialectes (acadien). Le joual devient langue des intellectuels engagés des revues d’avant-garde, il entre en prose avec Jacques Renaud et son roman Le Cassé (1964). L’effervescence intellectuelle s’exprime dans plusieurs revues importantes de l’époque: Cité libre, de tendance libérale, Parti pris et Liberté (fondée par Jacques Godbout) favorables à la gauche radicale. C’est la revue Parti pris qui se fait promotrice, au milieu des années 1960, du changement du label culturel: abandon de l’apellation „littérature canadienne française“ et son remplacement par celle de „littérature québécoise“ (Parti Pris, 1965). Les années 1960 sont particulèrement marquées par l’essor de la prose romanesque et du théâtre. En prose, on peut distinguer grosso modo deux filières. La première est celle de la modernité affirmée, désormais perchée au sommet de la dynamique littéraire mondiale dont elle embrasse le goût de l’expérimentation. L’autre tendance, „nationale“, innove le genre par le biais des particularités linguistiques („joual“, acadien) et thématiques (thématique montréalaise, acadienne) qu’elle impose comme partie intégrante de l’héritage culturel universel. Au nombre des représentants de la première filière se rangent tous ceux qui absorbent l’expérience du nouveau roman: Gérard Bessette, Marie-Claire Blais, Jacques Godbout, Réjean Ducharme, Hubert Aquin, Claude Jasmin, Roch Carrier, etc. Gérard Bessette (25. 2. 1920 - Sainte-Anne-de-Sabrevois) est avant tout un critique littéraire, docteur ès lettres (1950) et professeur de français aux universités de Saskatchewan (1946-1949), de Pittsburgh (1952-1958), au Collège militaire royal de Kinsgton (1958-1960), à l’Université Queen’s de Kingston (après 1960). Influencé par la psychanalyse et la psychocritique de Charles Mauron il analyse l’oeuvre de Nelligan (thèse de doctorat), Anne Hébert, Yves Thériault, etc. Poète à ses débuts (Le Coureur et autres poèmes, 1947; Poèmes temporels, 1954), il s’affirme comme romancier qui, tout en expériementant les techniques narratives, porte un regard critique, voire caustique, sur la société. Romans La Bagarre (1958) Le Libraire (1960) Les Pédagogues (1961) L’Incubation (1965) Le Cycle (1971) La Commensale (1975) Essais Une littérature en ébullition (1968) Histoire de la littérature canadienne-française par les textes (1968) Jacques Godbout (27. 3. 1933 Montréal) est poète, romancier, cinéaste, peintre. Après ses études à l’Université de Montréal (1954) il embrasse une carrière d’enseignant de français à l’étranger: Éthiopie, Grèce, Égypte, Antilles. Rentré à Montréal, en 1957, il est engagé à l’Office National du Film comme scénariste et réalisateur. Il a fondé et dirigé la revue Liberté qui a un impact important au cours des années 1960. S’il aime recourir, dans ses proses, aux procédés expérimentaux, il le fait avec beaucoup d’humour et une (auto)dérision parfois décapante. Romans L’Aquarium (1962) Le Couteau sur la table (1965) Salut Galarneau (1967) D’Amour P.Q. (1972) Le Temps des Galarneau (1993) Marie-Claire Blais (5. 10. 1939 Québec) est porteuse d’une écriture féminine provocatrice. Issue d’un milieu plus que modeste, elle doit interrompre ses études à seize ans pour travailler dans une usine. Encouragée et soutenue par le Père Georges-Henri Lévesque, professeur de l’Université Laval, elle publie, en 1959, La Belle Bête, suivie, en moins de cinq ans, de deux autres proses - Tête blanche (1960), Le Jour est noir (1962) - et de deux recueils de poésie - Pays voilés (1963) et Existence (1964). La critique est étonnée par la maturité technique de son écriture qui allie le réalisme et la poésie tout en variant les registres narratifs et le ton, tantôt sublime et pathétique, tantôt celui de la dérision. Les figures dominantes de Marie-Claire Blais sont celles de la solitude, du malheur, de la déchéance, de la marginalité. Le mal dans lequel elles sont plongées ou dans lequel on les plonge les porte souvent à la révolte qui leur permet de préserver un espace de pureté et de lumière, l’autre source de la liberté étant l’écriture. Les subventions de la Fondation Guggenheim et plus tard les succès littéraires lui permettent de s’exiler aux États-Unis (Cap Cod dans le Massachussetts) et en France. Autres romans Une Saison dans la vie d’Emmanuel (1965) L’Insoumise (1966) David Sterne (1967) trilogie Les Manuscrits de Pauline Archange (1968), Vivre! Vivre! (1969), Les Apparences (1970) Le Loup (1972) Un Joualonais, sa Joualonie (1973) Une Liaison parisienne (1975) Les Nuits de l’Underground (1978) Le Sourd dans la ville (1979) Visions d’Anna ou le vertige (1982) L’Ange de la solitude (1989) Hubert Aquin (24. 10. 1929 Montréal - 15. 3. 1977 Montréal) est un intellectuel de gauche, formé à l’Université de Montréal, où il obtient une licence de philosophie, et à l’Institut d’études politiques à Paris. De retour au Canada il devient animateur à Radio-Canada, puis travaille comme scénariste et réalisateur à l’Office National du Film. Nommé directeur de la revue Liberté, il se tourne ensuite vers l’enseignement universitaire et le théâtre. Son engagement dans le mouvement d’émancipation nationale se fond avec le désir d’une libération personnelle et la volonté d’échapper à l’aliénation collective et individuelle. L’impasse où il s’est retrouvé l’a conduit au suicide. Ses romans, notamment, reflètent le mal existentiel par leur poétique labyrinthique et ambiguë - au niveau de la langue, du narrateur, de l’intrigue - où la réalité se confond avec le rêve, la fiction avec la mystique kabbalistique. Romans Prochain épisode (1965) Trou de mémoire (1968) L’Antiphonaire (1969) Neige noire (1974) Réjean Ducharme (12. 8. 1941 Saint-Félix-de-Valois) est arrivé à l’écriture après une jeunesse errante: ayant abandonné l’École polytechnique de Montréal en première année, il passe quelques mois dans l’aviation, travaille comme vendeur et commis de bureau, voyage trois années travers le Canada, les États-Unis, le Mexique. Dès son premier roman - L’Avalée des Avalées (1966) - il s’impose grâce à sa langue novatrice qui mêle différents registres, surprend par ses jeux de mots et néologismes. La créativité langagière et le jeu sont en syntonie avec le caractère juvénile des héros - enfants et adolescents qui se révoltent contre la grisaille du monde des adultes en tentant déséspérément de conserver la pureté et la liberté de leur monde à eux. Romans L’Avalée des Avalées (1966) Le Nez qui voque (1967) L’Océantume (1968) La Fille de Christophe Colomb (1969) Les Enfantômes (1976) Dévadé (1990) Va savoir (1994) L’Hiver de force (1973) - récit Claude Jasmin (10. 11. 1930 Montréal) - romancier, dramaturge et essayiste - a commencé sa carrière comme décorateur à Radio-Canada avec un diplôme de l’École des arts appliqués de Montréal. Après plusieurs pièce télévisées, il se consacre à la critique d’art dans La Presse et au journalisme. Son oeuvre offre un double visage: d’un côté elle reste près de l’actualité politique qu’elle reflète, d’autre part elle est chargée de la nostalgie de l’enfance, du paradis perdu que certains personnages de Jasmin cherchent à retrouver. Romans La Corde au cou (1960) Délivrez-nous du mal (1961) Ethel et le terroriste (1964) Et puis tout est silence (1965) Pleure pas, Germaine (1965) Rimbaud, mon beau salaud! (1969) La Petite Patrie (1972) Le Loup de Brunswick City (1979) La Sablière (1979) Pâques à Miami (1996) Roch Carrier (13. 5. 1937 Sainte-Justine) - après ses études universitaires conclues par une thèse de doctorat sur André Breton à Montréal et une thèse sur Cendrars à la Sorbonne, il a enseigné au collège militaire de Saint-Jean, puis à l’Université de Montréal. Excellent conteur, qui renoue avec la tradition du conte populaire, il s’impose en littérature par ses récits Jolis Deuils (1964), puis par sa trilogie romanesque qui confronte la société québécoise à la marche inexorable de l’histoire: La Guerre, yes sir (1968; l’adaptation théâtrale est de 1970), Floralie, où es-tu? (1969), Il est par là le soleil (1970). Autres romans Le Jardin des délices (1975) Un chameau en Jordanie (1984) Petit homme Tornade (1996) Une chaise (1999) Antonine Maillet (10.5. 1929 Bouctouche), représente le renouveau de la culture acadienne. Originaire du Nouveau-Brunswick, elle fait ses études à Moncton, à l’Université de Montréal (1962). De 1962 à 1964, elle séjourne comme boursière à Paris. En 1970 elle obtient le grade de docteur ès lettres à l’Université Laval à Québec. À la fois religieuse et enseignante universitaire, elle travaille à Radio-Canada de Moncton. Elle doit sa notoriété à ses pièces de théâtre et à ses proses, dont les personnages - gens du peuple - parlent l’acadien. Comme Jacques Ferron pour le Québec, Maillet a su relier l’histoire de son peuple acadien au présent. Romans Pointe-aux-Coques (1958) On a mangé la dune (1962) Don l’Orignal (1972) Mariaagélas (1973) Les Cordes-de-bois (1977) Pélagie-la-Charette (1979) L’Oursiade (1990) Chronique d’une sorcière de vent (1996) Par derrière chez mon père (1972) - contes Michel Tremblay (25. 6. 1942 Montréal) est l’un des représentant majeur de la tendance „joualisante“ de la littérature québécoise, tendance qui, au théâtre a connu son apogée dans les années 1960 et 1970. Son rapport au „joual“, qui à l’origine a été un argot montréalais, se nourrit de son enfance passée dans les quartiers populaires de l’Est montréalais. Il a quitté le métier de linotypiste et le travail dans une imprimerie pour se lancer dans divers métiers - vendeur, costumeur - avant de réussir en littérature. Sa première prose - Contes pour buveurs attardés (1966) - traduit pleinement l’ampleur de l’art de Tremblay: dosage savant de la littérarité et de la langue parlé, de la tradition (Poe, romantiques allemands) et de la parole spontannée, de la banalité quotidienne avec le fantastique. Le premier prix au Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada qu’il a remporté par sa pièce radiophonique Le Train (1964) lui donne, à titre de boursier, la possibilité de passer deux mois au Mexique où il rédige un roman fantastique La Cité dans l’oeuf (1969). Le vrai triomphe vient avec sa pièce Les Belles-Soeurs (1968), une tragi-comédie qui consacre la place privilégiée du Ajoual@ dans la mesure où la langue populaire cesse d’être un simple véhicule de la couleur locale ou un effet de réel pour porter l’univers de la marginalité à la hauteur de la grandeur dramatique, grâce aux procédés, notamment, de la tragédie antique (choeurs) ou du drame religieux médiéval et baroque. Il en fait de même pour toutes les couches marginalisée de Montréal - les homosexuels, les lesbiennes, les travestis, les prostituées: A toi pour toujours, ta Marie-Lou (1971), Hosanna (1973), Sainte Carmen de la Main (1976), Damnée Manon, Sacrée Sandra (1977). Les proses de Tremblay retracent en partie l’histoire des quartiers populaires de Montréal et la sienne propre. C’est le cycle Les Chroniques du Plateau de Mont-Royal (1978-1987): La Grosse Femme d’à côté est enceinte, Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges, La Duchesse et le roturier, Des Nouvelles d’Édouard, Le Premier Quartier de la lune, Un objet de beauté. Les autres proses sont centrées sur la problématique de la marginalité sociale (p. ex. homosexuels, prostituées): C’t’à ton tour, Laura Cadieux (1973), Le Coeur découvert. Roman d’amours (1986), Le Coeur éclaté (1989), La Nuit des princes charmants (1995). Jacques Poulin (23. 9. 1937 Saint-Gédéon-de-Beauce) a étudié la psychologie à l’Université Laval de Québec avant de gagner sa vie comme traducteur commercial et conseiller pédagogique en orientation. Dès le succès de son deuxième roman, il se consacre entièrement à la littérature. Il est représentatif de la nouvelle tendance de la littérature québécoise qui se détache de sa québécité exclusive pour s’ouvrir à l’américanité symbolisée par le voyage du roman Volkswagen blues (1984). Romans Mon cheval pour un royaume (1967) Jimmy (1969) Le Coeur de la baleine bleue (1970) Faites de beaux rêves (1974) Chat sauvage (1990)