GASTON MIRON (1928-1996) Wé ä Sainte-Agathe-des-Monts, Gaston M iron a domine de sa personnalité la poésie québécoise contemporaine. Arrive ä Montreal en 1947. il fonde les Editions de ľHexagone en 1953 avec un groupe damis et y publie Dewc sangs. avec Olivier Marchand, II organise de nombreux recitals de poésie avec Jean-Guy Pilon et. en 1957. la premiére Rencontre des poétes, ancétre de la Rencontre des écrivaíns. Un séjour a Paris de 1959 ä 1961 lui permet d étudier les techniques de I edition et de rencontrer de nombreux écrivains francais. A son retour, il mílite au Rassemblement pour ľindépendance nationale et dans le Mouvemenl Québec frangais. tout en demeura nt actif sur Ja scene poétique et ä l'Hexagone. Ľhomme rapaillé, paru en 1970 aux Presses de l'Université de Montreal et rassemblant une ceuvre poétique en gestation depuis prés de vingt ans. est un livre ínégalé par son impact et sa diffusion dans toute la poésie québécoise. Couronné par de nombreuses distinctions au Québec, le livre recoit le prix Guillaume-Apollinaire peu aprés sa publication en France en 1981 chez Francois Maspero. II sera traduit en plusieurs langues. Tout en remaniant sans cesse son maltre-livre en vue ďune nouvelle edition québécoise (Typo. 1994), Miron fait de nombreux voyages ä ľétranger oú il ne cesse de presenter le Québec, sa lutte ďaffirmatíon nationale et sa littératLrre, Depuis sa mort, son ceuvre a fait ľobjet de plusieurs hommages et colloques. La parution des Poémes épars, dé ses écrits en prose (l/n long chemin) et de divers textes inédits, sous la direction de Marie-ňndrée Beaudet, éfargit les frontiéres de cette ceuvre de moins en moins limitée á un livre unique. moi qui ai des yeux ou ciel et mer s'influencent pour la reverberation de ta mort lointaine avec cette tache errante de chevreuil que tu as tu viendras tout ensoleillee d'existence la bouche envahie par la fraicheur des herbes le corps muri par les jardins oublies ou tes seins sont devenus des envoutements tu te leves, tu es 1' aube dans mes bras oil tu changes comme les saisons je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine a bout de miseres et a bout de deraesures je veux te faire aimer la vie notre vie t'aimer fou de racines a feuilles et grave de jour en jour a travers nuits et guess de moellons nos vertus silencieuses je finirai bien par te rencontrer quelque pan bon dieu! et contre tout ce qui me rend absent et douloureux par le mince regard qui me reste au fond du froid j'affirme 6 mon amour que tu existes je corrige notre vie LA MARCHE A UAMOUR Tu as les yeux pers des champs de ros&s tu as des yeux d'aventure et d'anne'es-lumiere la douceur du fond des brises au niois de mai dans les accompagnements de ma vie en friche avec cette chaleur d'oiseau a ton corps craintif moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches moi je fonce a vive allure et entere- d'avenir la tete en bas comme un bison dans son destin la blancheur des nenuphars s'eleve jusqu'a ton cou pour la conjuration de mes manitous malefiques nous n'irons plus mourir de langueur a des milles de distance dans nos reves bourrasques des filets de sang dans la soif craquelee de nos levres les epaules baignees de vols de mouettes non j'irai te chercher nous vivrons sur la terre la detresse n'est pas incurable qui fait de moi une epave de derision, un ballon d'indecence un pitre aux larmes d'etincelles et de lesions profonde frappe Pair et le feu de mes soifs coule-moi dans tes mains de ciel de soie la tete la premiere pour ne plus revenir si ce n'est pour remonter debout a ton flanc nouveau venu de 1'amour du mond£ constelle-moi de tun corps de voie lac tee meme si j'ai fait de ma vie dans un plongeon une sorte de marais, une espeee de rage noire si je fus cabotin, concasseur de desespoir j'ai quand meme ide'e farouche de t'aimer pour ta purete' de t1 aimer pour une tenures se que je n'ai pas connue dans les giboulees d'&oiles de mon ciel I'^cJair s'epanouit dans ma chair je passe les poings durs au vent j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle toi tu as la tete d'abime douce n'est-ce pas la nuit de saule dans tes cheveux un visage enneige' de hasards et de fruits un regard entretenu de sources cachees et mille chants d'insectes dans tes veines et mille pluies de pdtales dans tes caresses tu es mon amour ma clameur mon bramement tu es mon amour ma ceimure fle'chee d'univers ma danse carree des quatre coins d'horizon le rouet des echeveaux de mon espoir (u es ma reconciliation batailleuse mon murmure de jours a mes cils d'abeille mon eau bleue de fenetre dans les hauts vols de buildings mon amour de fontaines de haies de ronds-points de fleurs tu es ma chance ouverte et mon encerclement a cause de toi mon courage est un sapin toujours vert et j'ai du chiendent d'achigan plein i'Sme tu es belle de tout l'avenir epargne d'une frele beauts soleilleuse contre 1'ombre ouvre-moi tes bras que j'entre au port et mon corps d'amoureux viendra rouler sur les talus du mont Royal orignal, quand tu brames orignal coule-moi dans ta palinte os sense fais-moi passer tout cabre" f out empanache" dans con appel et ta determination Montreal est grand comme un desordre universel tu es assise quelque part avec 1'ombre et ton coeur ton regard vient luire sur le sommeil des colombes fille dont le visage est ma route aux reverberes quand je plonge dans les nuits de sources si jamais je te rencontre fille apres ley Femmes Je la soif glacee je pleurerai te consolerai de tes jours sans pluies el sans quenouilles des circonstances de 1'amour denoue* j'allumerai chez toi les phares de la douceur nous nous reposerons dans la lumiere de toutes les mers en fleurs de manne puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang tu seras heureuse fille heureuse d'etre la fenune que tu es dans mes bras le monde entier sera change en toi et moi la marche a 1'amour s'£bruite en un vollier de pas voletant par les lacs de portage mes absolus poings ah violence de delices et d'aval j'aime que j'aime quetu t'avances ma ravie 260 frileuse aux pieds nus sur les frimas de l'aube par ce temps profus d'epi lobes en beaute sur ces greves ou l'e"te pleuvent en longues flarnmeches les cris des pluviers harmonica du monde lorsque tu passes et cedes ton corps tiede de pruche a mes bras pagayeurs lorsque nous gisons fleurant la lumiere incendiee et qu' en tangage de moisson ourlee de brises je me deploie sur ta fraiche chaleur de cigale je roule en toi tous les saguenays d'eau noire de ma vie je fais naftre en toi les fre*nesies de frayeres an fond du coeur d'outaouais puis le cri de I'engouievent vient s'abattre dans ta gorge terre meuble de 1'amour ton corps se souleve en tiges pele-mele je suis an centre du monde tel qu'il gronde en moi avec la rumeur de mon arne dans tous les coins je vais jusqu'au bout des cometes de mon sang haletant harcele* de ne~ant et dynamite de petites apocalypses les deux mains dans les furies dans les feeries 6 mains 6 poings comme des cogneurs de folks tendresses mais que tu m'aimes et si tu m'aimes s'exhalera I e froid natal de mes poumons le sang tournera 6 grand cirque je sais que tout amour sera retourne comme un jardin détruit qu1 importe je serai toujours si je suis seul cet homme de lisiěre ä bramer ton nom éperdument malheureux parmi les pluies de Irenes 262 mon amour 6 ma plainte de merle-chat dans !a nuit buissonneuse 6 fou feu froid de la neige beau sexe leger ö ma neige mon amour d'eclairs lapidee motte dans le froid des plus lointaines flammes puis les annees m'emportent sens dessus dessous je m'en vais en delabre au bout de mon rouleau des voix murmurent les rechs de ton domain e a part moi je me parte que vais-je devenir dans ma Force fracassee ma force noire du bout de mes montagnes pour te voir a jamais je depone mon regard je me dens aux ecoutes des sirenes dans la longue nuit effilee du clocher de Saint-Jacques et parmi ces bouts de temps qui haletent me voici de nouveau campe dans ta legende tes grands yeux qui voient beaucoup de corteges les chevayx de bois de tes tires tes yeux de paille et d'or serortt toujours au fond de mon cceur et ils traverseront les siecles je marche a toi, je titube a toi, je meurs de toi lentement je m'afifale de tout mon long dans Tame je marche a toi, je titube a toi, je bois a la gourde vide du sens de la vie a ces pas semes dans les rues sans nord ni sud a ces taloches de vent sans queue et sans t6te je n'ai plus de visage pour I'amour je n'ai plus de visage pour rien de rien parfois je m'assois par pi tie de moi j'ouvre mes bras a la croix des somraeils 263 mon corps est ud dernier re"seau de tics amoureux avec & mes doigts les ficelles des souvenirs perdus je n'attends pas a demain je t'attends je n'attends pas la fin du moride je t1 attends degage de la fausse aureole de ma vie L'homme rapailli POEME DE SEPARATION 1 Comme aujourd'hui quand me quitte cette fille chaque fois j'ai saigne dur a n'en pas tarir par les sources et les nceuds qui m'enchevetrent je ne suis plus qu'un homme descendu a sa boue chagrins et pluies couronnent ma tgte hagarde et tandis que J'oiseau s'emiette dans la pietre les fleurs avancees du monde agonisent de froid et le fleuve remonte seul debout dans ses vents je me creusais un sillon aux larges epaules au bout son visage montait comme Thorizon maintenant je suis pioche' d'un mal d'epieu christ pareil a tons les christs de par le monde couches dans les rafales lucides de leur amour qui seul amour change la face de rhomme qui seul amour prend hauteur d'e'ternite' sur la mort blanche des destins bien en cible je t'aime et je n'ai plus que les levres pour it le dire dans mon ram as de tenebres le reste est mon corps igne ma douleur cymbale nuit basalte de mon sang et mon coeur derrick je cahote dans mes veines de carcasse et de boucane la souffrance a les yeux vides du fer-blanc elle ravage en dessous feu de terre noire la souffrance la pas belle et qui déforme est dans Tame un essaim de la mort de Tame Ma Rose Stellaire Rose Bouée Rose Ma Rose Eternite" ma caille de tendresse mon all ant ďespérance mon premier amour aux seins de pommiers en fleurs dans la chaleur de midi violente HERITAGE DE LA TRISTESSE II est triste et péle-méíe dans les etoiies tombees livide, muet, nulle part et effaré, vaste fantome il est ce pays seul avec lui-méme et neiges et rocs un pays que jamais ne rejoiiU le soleil natal en lui beau corps s'enfouit un sommeil désaltérant pareil á Teau dans la soif vacante des graviers je le vois a la bride des hasards, des lendemains il affleure dans les songes des homme s de peine quand il respire en vagues dc sous-bois et de Fougeres quand il brule en longs peupliers ďannées et d'oubii Tinutile chlorophylls dc son amour sans destin quand gil á son cceur de misaine un de'sir d'etre il attend, prostře, il ne sait plus quelle redemption parmí les paysages qui marchent en son ímmobilité parmi ses hailtons de silence aux iris de mourant il a toujours ce sourire échoué du pauvre avenir avili i I est toujours á sabret avec les pagaies de 1'ombre 1'horizon devant lui recule en avalanches de promesses 264 demuni, il ne connalt qu'un espoir de terrain vague qu'un froid dejonc pariant avec le froid de ses os le malaise de la rouille, l'a-vif, les nerfs, le no dans son large dos pale les coups de couteaux cuits il vous regarde, exploite, du fond de ses carrieres et par a travers les tunnels de son absence, un jour n'en pouvant plus y perd a jamais la memoire d'homme les vents qui changez les sorts de place la nuit vents de rendez-vous, vents aux pmneJles solaires vents telluriques, vents de l'ame, vents universels vents ameutez-le, et de vos bras de fleuve ensemble enserrez SOn visage de peupie abtme, redonnez-lui la chaleur et la profuse lumiere des sillages d'hirondelles L 'homme mpitille LA BRAISE ET L'HUMUS Rien rt'est change de mon destin ma mere mes camarades le chagrin luit toujours d'une mouche a feu a F autre je suis tactic de mon amour comme on est tache de sang mon amour mon errance mes murs a perpetuite" un gout d'armees d'humus aborde a mes levres je suis maiheureux plein ma carrure, je saceage la rage que je suis, Famertume que je suis avec ce bceuf de douleurs qui souffle dans mes c6tes c'est moi main tenant mes yeux gris dans la braise c'est mon cceur obus dans les champs de tourmente c'est ma langue dans les etapes des nuits de ruche c'est moi cet homme au galop d'ame et de poitrine 266 je vais mourii comme je n'ai pas voulu finir mourir seul comme les eaux mortes au loin dans les letes flambees de ma tete, a la bouche les mots corbeaux de poemes qui croassent je vais mourir vivant dans notre empois de mort L'homme rapailti COMPAGNON DES AMERIQUES Compagnon des Amenques Quebec ma terre amere ma terre amande ma patrie d'haleine dans la touffe des vents j'ai de toi la difficile et poignante presence avec une large blessure d'espace au front dans une vivante agonie de roseaux au visage je parle avec les mots noueux de nos endurances nous avons soif de toutes les eaux du monde nous avons faim de toutes les terres du monde dans la liberte criee de debris d'embacle nos feux de position s'allument vers le large Taieule priere a nos doigts defaillante lapauvret^ luisant comme des fers a nos chevilles mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi et marche au rompt le cceur de tes ecorces tendres marche a Yarete de tes dures plaies d'erosion marche a tes pas reveille's des sommeils d'ornieres et marche a ta force epissure des bras a ton sol mais chante plus haut 1' amour en moi, chante je me ferai passion de ta face je me ferai porteur de ton esperance veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avenement un homme de ton requisitoire un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse 267 uq homme de ta commiseration infinie rhomme arteriel de tes gigues dans le poitrail effervescent de tes poudreries dans la grande artillerie de tes couleurs d'automne dans tes hanches de montagnes dans 1 'accord comele de tes plaines dans Tarte'sienne vigueur de tes villes devant toutes les litanies de chats-huants qui huent dans la lune devant toutes les compromissions en peaux de vison devant les heros de la bonne conscience les emancipes malingres les insectes des belles manieres devant tous les commandeurs de ton exploitation de ta chair a pave^ de ta sueur a gages mais donne la main a toutes les rencontres, pays toi qui apparais par tons les chemins defences de ton histoire aux hommes debout dans 1' horizon de la justice qui te saluent salut a toi territoire de ma poe'sie salut les hommes et les femmes des peres et meres de Faventure L'homme rapaillG MONOLOGUES DE L'ALIENATION DELI RANTE Le plus sou vent ne sachant oil je suis ni pourquoi je me parle a voix basse voyageuse et d'autres fois en phrases de"tachees (ainsi que se meut chacune de nos vies) puis je deparle a voix haute dans ies haut-parleurs crevant les cauchemars, et d'autres fois encore déambulant dans im orbe calfeutré, les larmes poussent comme de l'herbe dans mes yeux j'entends de loin: de Fenfance, ou du futur les eaux vives de la peine lente dans les Hlas je suis ici a rétrécir dans tneš épaules je suis la immobile el ride dc venl le plus souvent ne sachant ou je suis ni comment je voudrais m'etendre avec tous et comme eux corps farouche abattu avec des centaines d'autres me morfondre pour un sort mcillcur en marmonnanL en trompant l'attente héréditaire et miserable je voudrais m'enfoncer dans la nord nuit de metal en tin me perdre evanescent, me perdre dans la fascination de Thébétude multiple pour oublier la lampe docile des insommes á 1'horizon intermittent de l'existence d'ici or je suis dans la ville opulente la grande St. Catherine Street galope et claque dans les Mille et une tiuits des neons moi je gis, mure dans la boite cranienne dépoétisé dans ma langue et mon appartenance déphasé et décentré dans ma coincidence ravageur je fouille ma mémoire et mes chairs jusqu'en les maladies de la tourbe et de 1'étre pour trouver la trace de mes signes arrachés emporté pour reconnaítre mon cri dans l'opacite du reel or je descends vers les quartiers minables bas et respirant dans leur remugle je derive dans des bouts de rues décousus voici ma vraie vie - dressée comme un hangar - débarras de 1'Histoire - je la revendique je refuse un salut personnel et transfuge je m'identifie depuis ma condition d'humilie 268 269