trnntmttMnnmtíttttíttmtttttttttttíttnítttmttmmttt VIII LE PROCES D E DANTON 13-16 germinal an II (2-5 avril 1794) PRßLIMINAIRES Vues sue Danton On a beaucoup ecrit sur Danton. Pas toujours des choses justes et necessaires. Trop souvent avec un manque d'objectivite flagrant. II eut apres sa mort et continue ä avoir des panegyristes fervents et des detracteurs haineux. he veritable promoteur du culte de Danton jut le docteur Robindt, un disciple d'Auguste Comte, qui avait consacre vingt-cinq ans de sa vie ä militer pour Danton r. // eut un emule de 1. Soll premier livre : Danton. Memoire sur sa vie privee, date de 1865, le dernier : Danton, komme d'Etat, de 1889. 404 ACTES DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE LE PROCES DE DANTOM 405 marque dans la personne de Vhistorien Aulard qui apporta dans l'accomplissement de sa táche des quálités ďérudition et de competence professionnelle qui manquaient ä Robinet. Depuis lors, pendant pres de vingt ans, Danton sera considéré comme le plus grand komme de la Revolution. II aura sa rue, sa statue, son nom sera évoqué dans toutes les ceremonies officielles. Une reaction brusque a lieu en 1912. On en est redevable a Mathiez, ancien collaborateur d'Aulard ä la revue La Revolution francaise, qui, s'etant séparé de son ainé, venait de fonder sa propre revue, destinée ä exalter Vosuvre de Robespierre, dont le nom était voué a 1'exécration par les dantonistes. Quelque vingt-cinq ans auparavant Aulard avait publié une étude sur la fortune de Danton1. Mathiez reprend le sujet dans une suite ďarticles véhéments, passionnés, qui tendent ä démontrer que Danton n'avait fait que se venďre ä tous ceux qui voulaient I'acheter. Ce qui était grave, c'est que toutes les accusations formulées par Mathiez étaient fondées sur des calculs rigoureusement et' minutieusement établis, qui les faisaient paraitre irréfutables et parfaitement convaincantes. Les historiens de tendance réaC' tionnaire ne manquereiit pag ďutiliser cette demonstration accablante et surent exploiter avantageusement les arguments que leur fournissait le travail de Mathiez. If « idole pomrie frappée a coups redoubles, paraissait s'effondrer définitivement. Louis Barthou, qui se passionnait pour Vhistoire de la Revolution francaise, et qui admirait profonděment Danton, a voulu, dans un livre ardent, qui compte parmi ses meilleurs 2 le lavkr de ces lachen. Sa plnidoiiie fut émouvante mais ne réussit p'.as á effacer le souvenir des coups de massue assenés par Mathiez á sa victime. II me parait inutile et vain de le combattre sur ce terrain. Je crois seulement que la portée du debat a ětě faussée děs le debut, et que Von s'est égaré dans des sentiers tortueux pour aboutir ä une impasse. Car, enfin, qu'est-ce Danton ? Que lui demandons-nous ? Que cherchons-nous en abordant son ombre posthume ? Est-ce de savoir combien ďargent il a gagné au cours de sa carriére politique, et comment ? Ou quels sont les services qu'il a rendus ä la Revolution ? Si Von entend le juger sous ce dernier rapport, ce n'est pas le bilan de sa fortune qu'il 1; Revolution francaise, 1888, t. XV, p. 289-311 et 1889, t. XVI, p. 51-54. 2. Danton, Paris, 1932, p. 447. y a lieu de dresser, mais celui de ses actes. Si celui~ci, en fin de compte, est en mesure cVetablir que Vactivite de Danton a contribue effectivement au triomphe de la Revolution, peu importe s'il a regu de la Coitr ou ailleurs, 30 000 livres, ou 300 000, ou meme 3 millions. Par contre, s'il avait ete demonlre qu'il n'eüt jamais touche un sol de personne, mais qu'il ne fut pas le sauveur de la France revolutionnaire ä Vepoque ou let Allemands et les emigres marchaierit sur Paris, on await Men le devoir de le proclamer « grand honnete homme », mais aussi celui de le rayer definitivement du nombre des grands revolutionnaires. danton VU pah gohiér, sok SUCCESSEUR AU MINISTERS'DE la JUSTICE 1 II y avait trois ans que j'entendais parley de Danton, et je ne Favais jamais vu, lorsque je fue nomine son successeur an ministěre de la justice. Condorcet me conseilla de le voir comme an homme facile á atiacher aux bona principes, et qui pouvait lea servir ou leur noire beaucoup. L'esperance des gens_ qui obfleryaient et qui réfléchissaieiit, désignait Danton, á cette époque, comme rintermúdiaire par lequel le génie qui devait organiser la Bepublique, pouvait conxmuniquer avec les passions qui l'avaient enfamtée. La celebrité de Danton avait commence aux Cordeliers, qu'il avait rendua plus, célěbres. Les grandea places de la revolution étaient déjá prises dans le systéme de la liberie associée a un troae : Danton, qui voulait 1. Secretaire general du ministěre de la Instice děs octobre 1792, lorsque Gsrat vint y remplacer Danton, nortimé ä la Convention, ľavocat Louis-Jérôme Gohier, qui, aprěs avoir represents le departement dllle-et-Vilaine ä l'Assembléa legislative, n'avait pas été réelu ä la Convention, devint ministře lui-mém e en mai 1793 quand son patron passa ä ľlntérienr. Faisant preuve d'une souplesse et d'une endurance remarquablee, ce modéré réussit ä se maintenir ä son poste dur ant toute la Terreur, jusqu'a la suppression generale de touš les ministěres, II a trace dans ses Memoire» un « portrait j> trěs nuance de Danton qui a passé presque inapercu. Le voici. 406 ACTES DU TRIBUNAL KÉVOLUTIONNA1HE LE PROCES DE DANTON 407 une grande place encore, concut le premier le projet de faire de la France une Republique. II y a deux routes a prendre pour taut grand changement politique dans un Etat : ou on change |J'opinion| qui change enauite les pouvoira et les institutions, ou ori ebranle, on renverse les institutions et les pouvoirs, et(Topinion) change ensuite. La premiere route est longue, et on la parcourt avec lenteur ; la eeconde est moins une route qu'un precipice qu'il faut franchir : (cela n'exige qu'un saut et qu'un instant^ C'est eelle-ci qui convenait a l'audace, a la paresse, au caractere ardent et indolent de Danton. H commenca done par tout ^troubler, par tout .defaire ; et lorsque tout le monde etait anarchiste, javec dea vues_ plus grandest et qui excitaient plus toutea les passions du peuple, Danton iut plus anarchiste que tous les autres. Jamais il ne disputait de petits - aucees JL-personne, et cela etait cause que tout luiiservait d'aidejpour s@ faire de grands. H avait en lui je ne sais quoi, qui laisait qu'on s'arrangeait autour de lui, pour etre ses moyens, pour attendre l'ordre : il etait, s'il est permis de se servir de ce mot, un grand seigneur de la sans-culotterie. Au premier abord, sa figure et sa voix etaient terribles ; il le eavait, et en etait bien aise,G>our faire plus de peur en faisant mains de mal. • ~i Quand une fois Mirabeau fut bien„corrjompu\, les plus grands moyens de corruption de la cour se tournerent vers Danton : il est possible qu'il ait regu quelque chose ; il est certain que s'il y eut un marche, rien ne fut delivre de sa part, et qu'il resta fidele a ses complices les republicains. Apres le 20 juin, tout le monde faisait de petites tracasseries au Chateau, dont la puissance croissait k vue d'oeil : Danton arrangea le 10 aout, et JjejChatgau fut foudroye. C'est la la veritable motion et le veritable decret qui ont cree la Republique. Ces jours de gloire touchent aux 2 et 3 septembre, et Danton a ete accuse de participation a toutes-ces horreurs. J'ignore s'il a fermeQes yeux et ceux de la justicej quand on egorgeait : on m'a assure qu'il avait approuve comme ministre ce qu'il detestait surement comme homme ; mais je sais que, tandis que lies hommes de sang\auxquels il se trouvait aBsocie par la plus grande victoire de'la liberte, exterminaient des hommes presque tous innocents et paisibles, Danton, couvrant sa pitie sous des rugissements, dérobait ä droite et ä gauche autant de victimes qu'il lui était possible ä la hache, et que des actes de son humanitě, a cette époque, ont été relates comme des crimes envera la revolution, dans 1'acte ďaecusation qui l'a conduit ä la_mort.---------------------__ ------ Pone presque dans le meme temps au minis tére et ä la Convention, Danton connaissait trop la revolution et les hommes pour ignorer que rester ministre n'etait qu'un moyen de se perdre, et il renonca ä un pouvoir exécutif qui mettait les infor-tuné8, qui en étaient membres, sous le pouvoir de qui voulait les éeraser. Quel vaste champ de pensées et de gloire, au contraire, présen-tait la Convention aux JL^sjateurs charges de xonstituer une nation de 25 millions d'hommes en Republique^ Danton n'avait fait aucune étude iumepde ces philosophes qui, depuis un siěcle ä peu pres, ont apercu dans la nature de l'hommelies principes de l'art sociaTj; il n'avait point cherehé dans ses propres meditations les vastes et simples combinaisons que l'organisation d'un vaste empire exige. Mais [sa capacité naturellem qui était trěs grande, et qui n'etait remplie de rien, se fermait naturellement aux notions vagues, compliquées et fausses, et s'ouvrait naturellement ä toutes les notions ďexpé-rience dont la vérité était signalée par les caractéres de 1'évidence. II avait cet instinct du grand qui fait le génie, et cettejeircons-^jjeítón-=Sjaen€ÍeuseAqui fait la raison. — Jamais Danton n'a éerit et n'a imprimé un discours. II disait : Je n'ecris point. C'est ce qui est arrive dans divers siěcles ä quelques hommes extraordinaires qui, en passant sur la terre, y ont laissé des paroles et des disciples, et n'y ont point laissé d'ouvrages : ils ont senti sans doute ce que devait étre un style pour etre digne d'eux, eLqne ce style ils ne„l'avaient point. Les grands modeles ddU'eloquence ancienne lui étaient presque aussi inconnuB que les vties de la philosophie moderně ; mais ces mots de Pantiquite étihappés du sein des grandes passions et des grands caractéres, ces mots qui, de siěcle en aiěcle, retentissent ä toutes les oreilles, s'etaient profondément graves dans sa memoire, et leurs formes, sans qu'il y songeat, étaient devenues les formes des saillies de eon caractere et de ses passions.( p Son imagination, et l'espece ďéloquence qu'elle lui donnait, singuliěrement appropriées ä sa figure, ä sa voix et ä sa stature, 408 actes du tribunal revolutionnaire le proces de danton 409 etaient celles d'un(demagogue|; son(|coup d'oeil) sur lea hommes et sur les choaes, subit, net, impartial et vrai, avail cette prudence solide et pratique que donne la seule experience. H ne savait presque rien, et il -n',avait 1'orgueil de rien deviner :( mais il regardait et il voyaitj A la tribune il prononcait quelques paroles qui retentissaient longtemps ; dans la conversation, il se taisait, ecoutait avec interet loraqu'on parlait pen, avec etonnement lorsqu'on parlait beaucoup. II faisait parler Gamille, et laissait parler Fabre d'Eglantine. Tel etait rhbmme pour qui sea amia avaient une espece de culte, ct pour qui ses ennemis auraient du avoir tons les(mena-gementSjJpuisqu'il etait necesaaire a la Republique. Mais ses ennemis, pour qui il etait 1'homme le plus redou-table, ont toujours cm qu'il etait pour la Republique l'bomme le plus dangereox. Toutes les fautea de son parti lui etaient attribuees, parce qu'il ne lea avail pas empechees ; on lui creait une puissance enorme pour |e diffamerj et le perdre. Marat n'etait qu'un furieux, Robespierre qu'un dictateur oratoire, et parce que Danton etait seul capable de realiaer un grand projet d'ambition, on le voyait toujours occupe de ce projet. Danton se voyait trop menace par la peur qu'il faisait potir ne pas s'occuper de sa defense. r Dans le temps meme que le cote droit avait la majorite, il demandait a hauts crisj un gouvernement, fremissant presque egalement et da mal que ses ennemis pouvaient faire a lui et a eon parti, et du mal que Bon parti et lui pouvaient faire a ses; ennemis : pourvu que sa surete et celle de ses amis fussent garanties, il lui paraissait egal que toutes les passions fussent etouffees sous la force publique, ou qu'elles fussent sacrifices par la prudence des chefs de parti. _______________— H se crut, il se vit, et il fut toujours menace, et pour ae sauver lui et les siens, il franchit toutes les barrieres, tous les rubicons de la morale sociale : il chercha son asile et SB's defenseurs dans dee mesurea deteatables, parce que c'etaient les seules, par la nature des cboses, que lui presentait son parti ; chef de l'insurrection de la democratic, il en provoqua tous les excess, il en alluma les passions {effreneesj et le delire. Par lui furent demandes le tribunal revolutionnaire, l'armje revolutionnaire, les comitea revolutionnairea, lea quaranteJoolffl _payea aux\sccliormaire^ ; il frappa de tous lea cotes avec ison. (trident,} et toutes lea tempetes furent eoulevees. Un instant il parut au Comite de salut public ; le 31 mai et le 2 juin ecla-terent : il a ete ^auteur de cea deux journees ; plusieurs les voulaient, seul il a pu les faire, tous ont pu les souffrir. A peine il vit ses ennemis ecartes, iljie depouilla de la puissance, et s'occupa des moyens de sauver ceux qui, malheureu-sement, etaient deja perdus : ils etaient livres a Robespierre et a Billaud ; Billaud et Robespierre accoururent -au gouvernement lorsqu'il n'y avait plus de(^combatg a. livrery) mais dea echafauda a dresser, "....... . " Observez depuis ce moment la marche de Danton dans la Convention nationale ; vous le verrea occupe a ae tracer une route oblique, dans laquelle il put trouver en meme temps son salut et celui des ennemis sur lesquels il venait de remporter un triomphe qui faisait bien plus sa douleur que sa joie. H jette des cris de vengeance qui ebranlent les voutes du sanctuaire des lois, et il insinue des mesures par lesquellea toutes les vengeances peuvent etre avortees : aes transports, aes fureurs demagogiques ne aont plus qu'une hypocriaie ; le besoin et 1'amour de 1'ordre, de la justice et de I'humanite sont les veritables sentiments de son cceur : il se montrait barbare pour garder toute sa popularite, et il voulait garder toute sa popularite pour ramener avec adresse le peuple au respect du sang et des lois. r -j Qnand le sort reserve anx 'vyingt-deuxJ parut inevitable, Danton entendit deja, pour ainsi dire, son arret de mort dans le leur; toutes les forces de cet athlete triomphant de la democratic succomberent sons le sentiment des crimes de la democratic et de ses desordres ;!»il ne pouvait plus parler quo de la campagne % il etouffait; il avait besoin de fuir les hoinmes pour respirer. A Arcis-sur-Aube la presence de la nature ne put calmer son ame qu'en la remplissant de resolutions generenses et magna-nimes : alors il revint portamt dans son cceur la conspiration qu'il avait formee reellement dans le silence dea champs et de la retraite. Tous ses amis y entrerent. Je n'etais pas son ami, et j'etaia trop surveilie pour ne pas rendre trop suspects ceux que je verraie souvent; mais tous savaient bien que je serais 1'ami d'ime pareille conspiration, et que je lui preterais tous les Ibona secows dont on me laisscrait capable. C'est a cette epoque que j'eixs avec Danton plusieurs entretiena, dans lesquels j'appris a prendre eonfianee dans tous les bona 410 ACTES DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIÍtE LE PHOCĚS DE DANTON 411 sentiments de son ame que j'avais souvent soupconnes. C'est alors qu'il me parla souvent avec desespoir et avec candeur des querelles de la Convention, des fautes de tous et des siennes, et des catastrophes qu'elles avaient amenees. « Vingt fois, me disait-il un jour, je leur ai offert la paix ; ils ne l'ont pas voulue : ils refusaient de me croire, pour conserver le droit de me perdre ; ce sont eux qui nous ont forces de nous jeter dans le sans-culottisme qui les a devores, qui nous devorera tous, qui se devorera lui-meme. » __________________ Ee~1mt et le p!iiT^e"la~conspirW6n^e^IHnton, quoiqu'on prit assez de soin de les cacher, etaient tres clairs tous les deux. J^e Jmt_eiaitJe^amener_Je_j^^^ ^pjDur_tous, celui de la elemence pour les ennemisVde rappeler dans le sein de la Convention tous ceux de ses membres qui en avaient ete ecartes, en leur accordant et en leur demandant amnistie ; de^soumettre aux exajnens les plus approfondis des representants_jj