Deux mille six cent soixante-sept kilometres de Montreal a La Nouvelle-Orleans. Je ne sais plus ouj'en suis. Un torticolis terrible d'une nuit sans sommeil. Mais maintenant, avec la lumiere, je vois le printemps d'ici. Incroyable! Fini l'hiver de chez nous. Je degele, et Montreal est loin derriere, etje continue, le volant bien cale sur le genou, je vais tout vous raconter jusqu'au bout. J'y ai pense, en voyant la pancarte annoncant Winchester ;je me suis demande sije devais m'arreter de taper comme un con. Mais a present que l'hiver a fondu tout autour et que mes yeux s'ouvrent et se rappellent la tempete, et que le CRV a passe un mauvais quart d'heure, qu'il est tout crotte de sel seche, mais bien en marche, la route s'offre a moi comme la cour d'un roi remplie de danseuses et de musique ou un banquet de viandes grillees est servi (Buritos micro-ondes). Je cherche des yeux ce que j'ai perdu et me demande encore ouj'en suis et comment j'y suis arrive. II y a, c'est vrai, le Gateway et Edmonton que je raconte, le passe; mais une tristesse me prend, arrive a Winchester, de m'etre eloigne de Joseph. J'aimerais le rejoindre et lui dire que je me suis rendu a Winchester ouj'ai pense a lui, puis que j'ai fait demi-tour pour le revoir. Impossible. J'ai cette impression qu'on m'a pousse ici, qu'un dieu (si au moins on pouvait en avoir un sous la main quand on en a besoin...) m'a pousse ici et qu'a present je dois continuer, sans trop savoir vers oü. C'est vrai qu'il y a La Nouvelle-Orleans, encore lointaine, ä l'autre bout du monde. Impossible. Avancons tout de meme un peu. Jusqu'ä Edmonton.J'y suis bien rendu ä present, depuis un moment. Oui, j'ai suivi Zac, j'y suis alle. — Oh you fucking RETARD ! Joue Cf6 et pas Fe3... Rudy cherche une place pour rouler un joint, balaie du bras tout ce qui traine sur la table et l'envoie voler par terre. Assiettes sales et verres brises. Mouvement ralenti de Zac: — Are you done ? — Oh... sure. Please go ahead... I'm sorry but you see these people here, Zac, they don't give a fuck. Well I don't give a fuck either, but I am this close, you see, this close to walking into the fucking kitchen and fucking tearing the place apart, just throw everything in a big black garbage bag and make sure it's all shattered. Fuck it, we'll all eat on carton plates, NOT A PROBLEM! But you see. ..It's the little amount of respect I still owe Dan that's keeping me from doing it. You know most of this stuff is his and he cares for these kinds of things, the poor fellow... He's not the one to leave dirty plates out, I mean the man don't even eat!... Well what the fuck... a few broken plates... so what! Retournant a son entreprise, la moustache blonde, severe, Rudy, grave, dispose sur la table vide le moulin a pot et le papier et le carton, objets de culte, et les cogne sur la table. L'echiquier tremble et certaines pieces tombent. Nouveau regard glacial de Zac. — Oh I'm sorry! Was that your king ? I didn't mean to do that... here... II redresse le roi et le tape sur l'echiquier. Tout menace de tomber. Can I roll my joint now ? He's going to fall anyway, figured I'd give you a glimpse of the future. Zac, toujours calmement, mais degoute : — You 're fucking mad, Rudy. — Sorry 'bout that, I need my joint, you see... — Have another cigarette while you 're at it... — Well thank you, I will. II s'allume une cigarette. La ligne droite du toupet, la coupe champignon, blonde, sur les paupieres et les yeux bleu clair concentres sur le roulage du joint, derriere les grosses lunettes de metal blanc. Tabac qui brule, fumee blanche par les narines dessechees. En s'adressant a moi cette fois, le regard toujours rive sur le joint, le roulant de ses doigts delicats, mais tout le corps violent, tout le corps tendu: — You know, Emil, your brother here is totally mad... you know what mad means, right ? You do speak English ? — Sure. II leve ce regard bleu pur vers moi, appuye, au-dessus de ses lunettes, et me mesure. — Well let me tell you something, Kid, and this goes for both of you, even if you think you 're so clever, Zac... This is Edmonton here and these people, Stephane, Dan, you have no clue where they come from... So I would advise to keep your eyes pealed and pay attention. Who knows ? Maybe you two, you '11 learn something ? I've met people like you, Zac, people that need help, you know... And I don't know what the fuck you are doing here and I'm sorry for saying so, okay, just being honest here... Zac, ennuye: — Whatever you say, Rudy... You need help too and don't you worry about me. And stop it with my brother... — I'm not worrying about you at all, just giving a piece of advice to your kid brother here. You 're an intelligent and strong fellow, Zac, you '11 pull through anywhere... But your brother here may want to hear what I have to say, so please, do let me finish, Zac, before you start screaming... Et il se tourne a nouveau vers moi, le visage trop proche et droit dans les yeux, son doigt qui me tape dans le creux de l'epaule, chuchotant presque. 34 35 — You, Emil, are someone you rarely come across and you more than your brother should start paying attention right now. You're just a fucking kid, I can see it, you're straight off the tit! But let me tell you, none of these guys here are worth half what you're worth. I've been watching you since you stepped in here. But here it is, you have got to stop being such a kid... Une voix aigue, derriere, qui parle du nez: — So what's going on here, Rudy ? You want to stay here all day and play these damn chess ? You tell me, okay ? 'Cause you 're the one who keeps bugging me to go out... — Dan! My God, I didn't know you were up! Figured you were still sick and all... — / called 'crete for three. Le grand Dan remonte une seconde. Ses petite yeux noirs, comme des billes. Froid dans le dos. Rudy a Zac, entre les dents : — This fucking Dan! This house is farfrom up and it's goddamn near ten and it's fucking freezing out there. What the fuck is he thinking... You think Stephane and your brother are mad, Emil ? You just stay away from Dan... II se leve. Dix minutes. Les deux sortent. Pas vu la couette de Dan cinq fois en trois semaines, longue couette noire, mince, lisse. Pas croise ses yeux de requin trois fois. Regarde a terre presque tout le temps, absent, ou, s'il n'est pas absent, malin. Des yeux mefiante, moqueurs. II trouve que je ne fais pas le poids. — Have you seen this kid, Rudy! He's like a baby version of Zac, mini Zac! Ha! Mais c'est pas pour t'insulter, hein... Se mefie des qu'il me voit. Faut dire qu'il sort tout juste de prison, comme Rudy. Rudy pour vol de banque, sa speciality, faisait trop d'acide a l'epoque, a pris cinq ans... Dan, aujourd'hui en charge du quatre Lakewood, a pris six mois pour des vols dans des residences. Une grosse affaire a l'epoque, il aime bien s'en vanter, trois equipes, des camions, un entrepot; la grosse histoire avant qu'il decide de faire le chalet du chef de police... C'est dire de qui viennent la tele, les DVD et les Miracle Blade... II se passe surement quelque chose avec Dan, mais, trop con, a l'epoque, pour savoir quoi... La maison s'est videe. Des le premier soir, Rudy: un vrai pretre, solennel, un ange. II roule les joints dans son coin et m'observe depuis que je suis arrive, sans rien dire par-dessus ses grosses lunettes a monture en metal annees quatre-vingt. Et puis, il se met a me remplir les oreilles du fait qu'un half-decent fellow like me devrait apprendre le metier en deux semaines. Mais je n'apprends pas tout en deux semaines, ne sais pas ce qui se passe sous les couvertures, ni pourquoi et comment Dan reste a l'etage, a sa chambre, un jour sur deux, et laisse Rudy errer dans le salon du quatre Lakewood, lion en cage, qui rugit et prend sa puff. Rudy est toujours avec moi et Zac, depuis le premier jour, mais il est fidele a Dan. On doit tous etre fideles a nos petites equipes. De mon cote: Stephane et Zac. Rudy et Dan font equipe, mais ils ne sortent pas souvent... Rudy reste ici a tourner dans le salon du quatre Lakewood. Dan reste a l'etage et ne descend que deux, trois fois par jour. S'il descend... La vapeur monte, tension. Ca prend du temps a rentrer, les lecons de Rudy. Je ne sais pas qui ressemble a quoi et comment tout se tient ensemble, je ne sais rien des techniques et subtilites politiques du quatre Lakewood, rien de l'arene... Win the crowd. Facile a dire. Combat d'habilete du marteau, que j'apprends. Dois apprendre aussi a prendre mon trou. Je le prends. 36 37