Dissertation generale: «N'estime 1'argent ni plus ni moins qu'il ne vaut: c'est un bon serviteur et un mauvais maTtre.» Pour ceux qui en possedent en abondance, il est 1'assurance d'une vie aisee, mais peut aussi etre la cause indirecte de bien des problemes; pour d'autres, il apparait comme tout simplement vital s'ils comptent pouvoir survivre: ä chacun son rapport ä l'argent. Toujours est-il qu'au fil du temps, celui-ci semble s'etre change, pour beaucoup, en principal objectif de l'existence. Mais peut-on vraiment dire qu'il constitue un allie en toutes circonstances? Voici ce qu'en pense Dumas fils: «N'estime l'argent ni plus ni moins qu'il ne vaut : c'est un bon serviteur et un mauvais maTtre». Selon lui, l'argent nous est utile ä condition d'en etre soi-meme le maTtre et de l'utiliser avec discernement; mais il peut rapidement devenir dangereux si l'on en devient dependant. Si cette affirmation correspond bien ä la realite, en quoi et pour qui l'argent est-il un «bon serviteur»? Pourquoi et dans quelles circonstances en arrive-t-il ä se changer en «mauvais maTtre»? Et enfin, en quoi devenir dependant de l'argent peut-il nuire ä l'homme? Voici des questions qui demandent ä etre analysees. II est evident que l'argent peut etre un «bon serviteur» s'il se trouve entre les mains d'une personne qui a la faculte de savoir le gerer ou le depenser d'une maniere intelligente et reflechie. En effet, l'argent peut, des lors, lui fournir de nombreux biens necessaires pour 1'amelioration de son niveau de vie. C'est le cas par exemple d'un homme qui, grace ä une sage gestion de ses ressources, connait une existence aisee et peut s'offrir ce qu'il desire sans dependre d'autrui. Mais c'est aussi le cas d'un etudiant qui a travaille pendant les vacances d'ete et qui a pu, grace ä son salaire, s'offrir l'ordinateur dont il avait toujours reve. Ainsi, l'argent est le plus souvent un «bon serviteur» s'il est convenablement maitrise et utilise ä bon escient. Malheureusement, bien des gens ne possedent pas la capacite de savoir en rester maitres. Iis peuvent ainsi rapidement en devenir dependants, ce qui entraine pour eux de nombreuses consequences negatives. Certains individus sont obsedes par l'idee de vouloir gagner toujours plus d'argent. Iis ne peuvent absolument pas s'en passer, en veulent toujours plus et en deviennent done les esclaves, ce qui engendre souvent une degradation notable de leur vie sociale. En effet, lorsqu'une personne n'est plus preoccupee que de sa situation financiere, eile en arrive ä mettre au second plan ses relations sentimentales, amicales ou encore familiales. Ses proches pourront alors se sentir delaisses et le feront savoir en Protestant vivement, ou alors en rompant les liens qu'ils avaient precedemment tisses. II en va ainsi d'un homme marie qui se preoccupe trop de son travail au point de delaisser souvent sa femme: celle-ci le lui fera sürement savoir, ce qui pourra aboutir ä de violentes disputes, voire ä une demande de divorce. Devenir dependant de l'argent peut done, dans certains cas, miner gravement les relations humaines. De plus, lorsqu'il n'est pas utilise d'une maniere intelligente et raisonnable, mais manipule dangereusement, 1'argent peut devenir un «maTtre» tyrannique. En effet, certaines personnes en sont si dependantes qu'elles en arrivent parfois ä commettre des actes stupides ou dangereux dans le but d'augmenter leur fortune le plus rapidement possible et par n'importe quels moyens. Bien evidemment, cela ne leur sourit que rarement et elles se retrouvent le plus souvent dans des situations tres delicates. C'est le cas, par exemple, de cet homme qui, voulant ä tout prix s'enrichir, joue au casino et finit par en sortir ruine; ou de cet autre qui, pour parvenir ä ses fins, compromet sa reputation et meme sa vie en s'engageant dans des affaires malhonnetes qui se retourneront contre lui. Etre dependant de l'argent est done une situation peu enviable, qui pousse parfois les gens ä commettre des actes irreparables. En conclusion, on s'apercoit que, employe avec intelligence, l'argent peut rendre de nombreux services ä l'homme, mais que l'inverse se produit si ce dernier lui attache trop d'importance ou s'il l'utilise sans discernement, car l'argent devient alors son maTtre, ce qui peut degrader sa vie sociale, voire causer sa ruine, au sens propre et au sens figure. J'adhere done entierement au point de vue de Dumas fils. Et pourtant, il faut admettre que l'aisance financiere a pris tant d'importance de nos jours que de plus en plus de gens en deviennent dependants et lui sacrifient tout. J'espere simplement que nous resterons encore sensibles le plus longtemps possible aux veritables valeurs de notre existence, telles que l'amour, l'amitie, ou la famille; si tel n'etait pas le cas, on serait vraiment en droit de s'interroger sur l'avenir de l'humanite... Dissertation littéraire Selon un critique, Madame Bovary, roman de Gustave Flaubert, serait avant tout «une charge contre la bétise humaine». - Montrez en quoi ce jugement se vérifie. Le chef-d'oeuvre de perfection stylistique qu'est Madame Bovary a trop vite classé Flaubert dans le rang des écrivains réalistes, alors que son penchant naturel se tournait vers le romantisme et le lyrisme. Lorsque la Tentation de Saint-Antoine, l'oeuvre qu'il sent le plus proche de lui, parce qu'il y a laissé s'exprimer toute son imagination romantique, est jugée «delirante» et sans valeur par ses amis, Flaubert decide de brider son style trop image pour le rendre le plus objectif et le plus froid possible. Madame Bovary est le fruit d'un travail acharné du style et de recherches méticuleuses sur le sujet á traiter, méthode que reprendront ensuite les naturalistes. A la maniěre d'un sociologue, Flaubert a étudié les mceurs bourgeoises pour donner á son roman une dimension realisté, écrasant ainsi sa tendance romantique. Et que montre-t-il dans son «documentaire»? La bétise accablante de la société. Sa critique a si bien atteint son but qu'elle lui a valu un proces retentissant, dans lequel Flaubert fut inculpé d'«atteinte á la morale publique et á la religion» en dénoncant une société dégradée et insatisfaisante. Son vocabulaire cru et parfois cynique choque le lecteur en sonnant terriblement vrai. Placant en chacun de ses personnages une caractéristique de la bétise humaine, Flaubert a vise juste en touchant un point sensible de la société. Obsédé par 1'idée de contrer son propre romantisme, Flaubert s'est refuse á toute idealisation de ses personnages, n'en épargnant aucun dans son ardeur critique. Cest pourquoi le roman ne comporte pas de «héros» á proprement parler -méme si Emma le domine de bout en bout. Le premier personnage á étre la proie de l'inepuisable raillerie de Flaubert est Charles Bovary. Děs son entrée en scene, il est étiqueté comme un étre ridicule, symbolise par son inimitable casquette: «C'était (...) une de ces pauvres choses, (...), dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile» (I, 1). Tout de suite, le ton est donné: Charles jouera le role d'un bouc émissaire, continuellement ridiculisé, dont la bétise ou l'aveuglement déterminera le destin. Lui qui accuse si souvent la fatalité n'a eu de cesse de pousser sa femme dans les bras de ses amants: «Charles écrivit á M. Boulanger que sa femme était á sa disposition, et qu'ils comptaient sur sa complaisance)) (II, 9). Flaubert accentue la bétise de Charles par l'ironie et met l'accent sur la satisfaction dans laquelle il se complait, qui le rend «heureux et sans souci de rien au monde» (I, 5). Une telle fermeture face á la réalité pourtant en constant mouvement rend impossible une quelconque remise en question ou evolution spirituelle. Charles est limite dans ses aspirations et enferme dans sa niaiserie, son monde est fixe et immuable, et sa femme s'en exaspere: «Mais il n'enseignait rien, celui-la, ne savait rien, ne souhaitait rien. II la croyait heureuse, et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur meme qu'elle lui donnait»(I, 7). Cette limitation de la vue, interieure et exterieure, empeche Charles de comprendre la vie. II ne ressent rien a l'opera et «avouait, du reste, ne pas comprendre l'histoire, - a cause de la musique, - qui nuisait beaucoup aux paroles» (II, 15), ironise superbement Flaubert. Son epoux ne peut concevoir qu'Emma ne soit pas heureuse par sa faute, et ne s'y entend meme pas dans l'exercice de son metier, ratant lamentablement l'operation du pied-bot d'Hippolyte. Charles a done malgre lui incite sa femme a chercher ailleurs un bonheur illusoire auquel elle ne pouvait plus croire avec lui. Ce bonheur, Emma Bovary croit d'abord le trouver aupres de Rodolphe Boulanger, que seule l'apparence flatteuse sauve du creux desesperant qu'il dissimule sous ses allures de seducteur. Emma est prete a croire a 1'amour-passion dont elle reve et Rodolphe, en Don Juan mediocre, n'a aucun mal a faire avaler a cette femme qui «baille apres l'amour comme une carpe apres l'eau sur une table de cuisine» (II, 7) les phrases apprises par cceur pour etre recrachees aux femmes, ses proies. Mais sous l'acteur experimente se cache un homme aussi incapable que Charles de satisfaire les folies d'Emma et de se lancer avec elle dans l'inconnu et l'insecurite. Pour echapper une derniere fois a la realite inacceptable du monde, Emma se jette dans une nouvelle aventure amoureuse avec Leon, qui, lui, dissimule sa mediocrite sous le masque d'un jeune homme romantique et melancolique parce que cette tendance est a la mode: la jeune femme ebahie croit se reconnaitre en lui. Mais il n'est pas plus que les autres a la hauteur des reves d'Emma, et se contente de retorquer, lorsqu'elle imagine dans un elan d'enthousiasme de partir a Paris: «Ne sommes-nous pas heureux?» (III, 5), brisant toute excentricite pour se limiter au quotidien mediocre qu'elle-meme fuit de toutes ses forces. Ces trois figures masculines ne font preuve d'aucun exces, d'aucun caprice irreflechi, et chacun de leurs actes est inspire par un interet terre-a-terre. lis sont tout le contraire d'Emma ou de «tous ces grands artistes» qui «brulent la chandelle par les deux bouts; il leur faut une existence devergondee qui excite un peu 1'imagination. Mais ils meurent a l'hopital, parce qu'ils n'ont pas eu l'esprit, etant jeunes, de faire des economies)) (II, 14). Emma, au contraire, on pourrait le croire, echappe a cette betise et a cette mediocrite qui traversent le livre entier. En effet, elle a le temperament exalte et passionne d'une artiste, elle en possede meme les dons, qu'ils soient litteraires ou musicaux. Mais au lieu de perseverer dans ses aspirations et de reagir face a cette societe contre laquelle elle se revolte en vain, elle abandonne, elle se laisse aller a sa reverie. Elle ne trouve d'ailleurs aucune stimulation nulle part et ne voit pas l'utilite de se battre contre des gens qui n'y comprennent rien. «A quoi bon» jouer du piano, se dit-elle, si seule la rapidite des doigts qui courent sur le clavier impressionne Charles, qui ne ressent aucune emotion et ne comprend rien a 1'art ? Emma est en quelque sorte avalee par la betise et l'ignorance de cette societe qui etouffe chacune de ses tentatives. Mais elle n'est pas seulement une victime innocente, elle se rend aussi coupable de «bovaryser», c'est-a-dire de fuir systematiquement la realite. C'est elle qui se pend aux levres de ses amants lorsque leurs discours (et eux seuls) l'emmenent dans des aventures palpitantes, et lorsqu'ils lui parlent de passion ou d'ideal.. Elle veut croire a un univers qu'elle s'est cree de toutes pieces, et qui du cote de ses amants n'est compose que de cliches lances sans conviction profonde. Emma ne vaut done pas beaucoup mieux que les mediocres qu'elle meprise et n'est pas moins banale qu'une autre. «11 s'etait tant de fois entendu dire ces choses, qu'elles n'avaient pour lui rien d'original. Emma ressemblait a toutes les maitresses» (II, 11). Pourtant, elle aspire a de grandes pensees et a de grandes aventures, mais c'est plus par sentimentalisme romanesque que par passion veritable. Plus sensuelle que vraiment romantique, elle non plus n'est pas capable de vivre jusqu'au bout de grands sentiments et, a son tour, elle fait preuve d'une certaine forme d'aveuglement en tombant dans les pieges de la parole et de l'apparence. Cependant, la critique de ces quatre personnages n'est encore pas la plus virulente de celles que Flaubert nous inflige. En effet, s'ils possedent tous une forme de betise, a des degres differents, ils suscitent neanmoins chez le lecteur une certaine sympathie, voire meme de la tendresse et de la pitie, quant a Charles (qui se revelera, mais trop tard, fou d'amour pour Emma), ou de l'indulgence, quant a Rodolphe. Flaubert, comme a Emma qui a clairement sa preference, leur accorde en quelque sorte des circonstances attenuantes, faisant d'eux tour a tour des coupables et des victimes. Mais il est un personnage que Flaubert ne menage pas: c'est Homais, l'apothicaire. Avec le cure Bournisien, figure de moindre importance, mais qui fait la paire avec lui, Homais s'attire toute l'ironie mordante et le cynisme de l'auteur, qui lui attribue, comme pour se soulager, un flot intarissable de defauts, et fait couler de sa bouche un chapelet inimaginable de betises qui revelent en lui l'homme mediocre et fier de lui. Car Homais, qui n'est qu'un incapable de plus dans le roman, se prend au jeu de l'homme cultive et competent, et fait passer, aux yeux de plus ignares que lui, son baratin habile pour un savoir d'erudit. II en va de meme pour le cure Bournisien, incapable d'elevation spirituelle et de comprehension envers ses fideles, alors que son role l'exigerait tout particulierement. Homais, dont la «figure n'exprime rien que la satisfaction)) (II, 1), se considere comme tres fin, au courant de tout, et cache son incompetence scientifique sous des diagnostics pompeux: «Nous avons eu d'abord un sentiment de siccite au pharynx puis des douleurs intolerables a l'epigastre, superpurgation, coma» (III, 8). C'est le personnage le plus violemment critique par Flaubert, parce qu'il est le seul que la bétise ménera au pouvoir. Et lorsque la bétise est au pouvoir, elle peut s'avérer trés dangereuse, cruelle ou intolérante... Le plus grave est que, selon Flaubert, c'est cette bétise-lá - gavant le peuple de faux savoirs et de discours incohérents - qui triomphe, parce qu'on ľécoute et qu'on ľadmire. Que ce soient Homais ou les conseillers venus assister aux cornices agricoles, tous brillent de bétise dans leurs discours dictés par des idées recues qu'ils ne maitrisent méme pas. Alors que la bétise le plus souvent inoffensive de Charles est écrasée, celie d'Homais parvient á se hisser vers la gloire, prouvant la degradation de la société. Selon la mere de Charles, «avec du toupet, un homme réussit toujours dans le monde» (I, 1). Homais a réussi socialement, mais aux yeux du lecteur, il est totalement discrédité et entraine dans son sillage tous ceux qui le soutiennent et ľadmirent. Flaubert ironise encore lorsqu'il place dans la bouche de ses personnages ce que lui-méme pense d'eux: «Quelle bétise!» s'exclameratel mediocre, ou bien l'un d'eux dira d'un autre: «Je le crois trés béte»; sous sa plume, tous paraissent atteints de cette terrible maladie contagieuse que lui-méme redoute plus que tout. On remarquera finalement que ce ne sont pas ceux que la société qualifie de marginaux ou ceux qui sont senses n'avoir rien compris au progrés que Flaubert dénonce, mais bien plutôt ces petits-bourgeois satisfaits et médiocres incarnés, entre autres, par un Binet : «Binet souriait, le menton baissé, les narines ouvertes et semblait enfin perdu dans un de ces bonheurs complets, n'appartenant sans doute qu'aux occupations médiocres, qui amusent ľintelligence par des difficultés faciles, et ľassouvissent en une realisation au delá de laquelle il n'y a pas á réver» (III, 7). Dans Madame Bovary, Flaubert dénonce toute forme de bétise, qu'il assimile souvent á la satisfaction beate qu'un individu éprouve face á sa vie mediocre, ou qu'il associe á l'utilisation ridicule des idées recues. Pour la combattre en lui-méme, il recherche la perfection du style. La hantise du detail le pousse aussi á étudier ce qu'il va décrire avec une objectivité quasi scientifique. Et pourtant, il parait evident qu'il met trop de complaisance á écraser un personnage comme Homais pour que sa vision soit totalement objective. Mais la subjectivité n'est-elle pas indispensable dans ľ art ? Si l'on en croit Proust, «le style (...) est une question non de technique mais de vision. II est la revelation qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la difference qu'il y a dans la facon dont nous apparait le monde, difference qui, s'il n'y avait pas ľ art, resterait le secret éternel de chacun». L'art: n'est-ce pas l'unique solution qu'envisageait le pessimiste Flaubert pour sauver ľhumanité de sa bétise et de sa médiocrité?