Bioingénierie Anne-Virginie Salsac et la petite mécanique du corps humain Anne-Virgine Salsac Anne-Virginie Salsac, médaille de bronze 2015 du CNRS. 29.01.2016, par Louise Mussat Référence mondiale dans son domaine, la biomécanique des fluides appliquée à la santé, Anne-Virginie Salsac n'a qu'une obsession : comprendre comment s'écoulent et se déforment les microcapsules dans les vaisseaux sanguins. Qu'elles soient naturelles, comme les globules rouges, ou artificielles, comme les dispositifs conçus pour transporter les médicaments au plus près de leur cible. Tout, chez elle, trahit l’épicurienne : cet air enjoué qui ne quitte jamais son visage, un rire la moindre occasion, le plaisir avec lequel elle déguste les plats dans ce petit restaurant parisien, situé à côté de l’hôpital où elle vient de rendre visite à l’un de ses stagiaires. Rien, en revanche, ne trahit ses 38 ans. Depuis les classes préparatoires scientifiques, elle a fait du chemin. Responsable de l’équipe Interactions fluides structures biologiques du laboratoire Biomécanique et bioingénierie de l’université de technologie de Compiègne (UTC), Anne-Virginie Salsac est lauréate de la médaille de bronze du CNRS pour l’année 2015. Elle vient aussi d’être doublement primée aux trophées Femmes en or, puisqu’elle a reçu le trophée de l’innovation ainsi que celui du public. Sa spécialité : l’étude des écoulements C’est que la chercheuse est l’un des fers de lance d’une discipline encore jeune en France, mais déjà très prometteuse : l’ingénierie adaptée au corps humain. Sur ordinateur, via des simulations numériques, ou sur la paillasse, à l’aide de reproductions en verre ou en résine de portions de vaisseaux sanguins, elle modélise les écoulements vasculaires. Elle s’est en particulier spécialisée dans l’étude de microcapsules, qui consistent en des gouttes protégées par une membrane élastique. Elle étudie aussi bien les écoulements et déformations de microcapsules naturelles, comme les globules rouges, qu’artificielles, dont le rôle est de servir de vecteur pour transporter, par exemple, des médicaments. L’utilisation de microcapsules ouvre la voie à des thérapies mieux ciblées. On peut agir uniquement sur les organes malades et diminuer les effets secondaires. L’encapsulation est déjà très utilisée dans l’industrie (pour la cosmétique, l’agroalimentaire…), car ce procédé permet de protéger des agents actifs et, ainsi, de prolonger leur durée de vie. En médecine, cette technique promet une révolution. « L’utilisation de micro ou nano-vecteurs ouvre la voie à des techniques thérapeutiques beaucoup mieux ciblées, précise la chercheuse. Avec elles, on peut agir uniquement sur les organes malades et diminuer ainsi drastiquement les effets secondaires. On peut aussi contrôler le largage des molécules actives, soit grâce aux propriétés intrinsèques des capsules (porosité, élasticité…), soit via un stimulus extérieur qui provoque leur rupture, par exemple des ultrasons. De cette façon, on choisit quelle quantité administrer, à quel moment de la journée. Bref, il est possible d’augmenter considérablement l’efficacité d’un traitement et d’optimiser les quantités de médicament délivrées. » Une physicienne venue à la biologie La médecine et la biologie, Anne-Virginie Salsac a toujours eu ça dans le sang : « Gamine, je dévorais des livres sur le corps humain (en plus de ceux sur l’archéologie et l’histoire !) », se souvient-elle. Pourtant, ce n’est pas la trajectoire qu’elle emprunte après le bac. « J’avais trop de centres d’intérêt pour ne me consacrer qu’à la médecine. Tout m’intéressait ! » Tout aussi, lui était accessible. Admise à Science Po Strasbourg, elle opte pour les classes préparatoires scientifiques, avant d’intégrer l’École nationale supérieure d’hydraulique et de mécanique de Grenoble. De formation, l’actuelle experte des écoulements sanguins est donc physicienne, spécialiste de mécanique des fluides. L’envie de faire de la recherche en bio-ingénierie ne s’imposera qu’en traversant l’Atlantique, et par un heureux hasard. https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/15_07_sn apshotbenjamin_01_72dpi.jpg?itok=wuu4iv9u Anne-Virginie Salsac a une obsession : modéliser l'écoulement des microcapsules dans les vaisseaux sanguins. A.-V. SALSAC/BMBI Partager En 1999, l’étudiante grenobloise débarque à l’université de Californie San Diego (UCSD) pour effectuer son stage de troisième année. « Le tout premier jour, lorsque j’ai effectué mon tour des bureaux des professeurs pour choisir mes cours, j’ai eu envie de toquer à une porte en particulier, je ne saurais dire pourquoi… », se souvient Anne-Virginie Salsac. Elle fut accueillie par un professeur de mécanique des fluides, un certain Juan Lasheras, qui s’intéressait depuis peu aux applications médicales de la discipline. « Il se trouve qu’il connaissait Grenoble et que mon profil d’ingénieure l’intéressait, raconte la chercheuse. Il m’a donc immédiatement proposé de faire mon stage sous sa tutelle. Il s’agissait de modéliser les échanges thermiques entre le sang et une solution saline à 32 °C, injectée par cathéter pour provoquer l’hypothermie et ainsi ralentir le métabolisme en cas d’AVC ou de crise cardiaque. » Dès lors piquée par le virus de la recherche et lauréate d’une bourse proposée par UCSD, Anne-Virginie Salsac poursuit sa route par une thèse sous la codirection de Juan Lasheras et de Jean-Marc Chomaz, du Laboratoire d’hydrodynamique, à Palaiseau. Lors de ces cinq années, elle tâche de comprendre comment les écoulements sanguins évoluent au cours de la croissance des anévrismes aortiques abdominaux (dilatation de l’aorte), en réalisant des expériences in vitro dans des moules d’anévrisme. « Cette codirection avec Jean-Marc Chomaz m’a permis de me familiariser avec le système de recherche français, que je ne connaissais pas », explique la chercheuse. Et de préparer un retour dans l’Hexagone. De San Diego à... Compiègne En 2005, elle soutient son mémoire de doctorat et embraye, l’année suivante, sur un postdoctorat l’École polytechnique, toujours sur l’anévrisme. À cette époque, elle postule au CNRS, sans succès, mais elle est recrutée comme lecturer en biomécanique à l’University College London. Déterminée, elle retente sa chance auprès du CNRS dès l’année suivante et obtient un poste au sein de l’institution scientifique française à… Compiègne. Pour qui a débuté sa carrière à San Diego, Londres et Paris, la Picardie sonne comme un égarement. « Lorsque j’ai passé mon entretien d’embauche au CNRS, on m’a littéralement demandé “Mais pourquoi Compiègne ?”, se souvient Anne-Virginie Salsac. Mais parce qu’au laboratoire Biomécanique et bioingénierie, j’avais l’opportunité de relever un nouveau challenge, de sortir de ma zone de confort : m’attaquer à la compréhension des écoulements non plus dans les grands vaisseaux, comme les artères, ce que je faisais jusqu’à présent, mais dans les microcanaux. Aujourd’hui, j’y suis comblée, j’y fais de la recherche tant fondamentale qu’appliquée, tout en dirigeant six doctorants, je continue à voyager en même temps que je m’implique dans la vie locale de ma commune, notamment via le théâtre. » D’ailleurs, Anne-Virginie Salsac doit se hâter de terminer son thé au lait et son carré de chocolat et de rentrer à Compiègne, car ce soir elle a une répétition. Dans une troupe de théâtre locale, elle tient le rôle de la maîtresse. Un rôle qu’elle trouve très savoureux. Sources bibliographiques et autres : https://lejournal.cnrs.fr/dossiers/femmes-de-science