2018 ACTA UNIVERSITATIS CAROLINAE PAG. 179-191 PHILOLOGICA 3 / ROMANISTICA PRAGENSIA SOUS LE SIGNE DARIEL ET DE CALIBAN : DOUBLE DISCOURS DE LA DIASPORA HAÍTIENNE DE MONTREAL PETR KYLOUŠEK Universitě Masaryk UNDER THE SIGN OF ARIEL AND CALIBAN: DOUBLE SPEECH BYTHE HAITIAN DIASPORA OF MONTREAL Abstract: Ariel and Caliban, two characters from Shakespeare's Tempest, served as emblematic metaphors for several interpretations of decolonization, particularly in the Caribbean context (Ruben Dario, Jose Enrique Rodo, Aime Cesaire, Frantz Fanon). Initially, the dichotomy was used along the North/South American axis (white/black, master/slave, civilized/barbaric, reason/instinct, and materialism/spirituality) and the argumentation of the authors in question was mainly ideological, focusing on the various civilizational factors. Since the Nineteen Seventies, these meanings have shifted to express the negotiation of cultural differences, or were used as an aesthetic counterpoint. Developments of this kind have had a positive impact on Quebec literature, particularly in the works of authors of the Haitian diaspora, such as Emile Ollivier, Dany Laferriere and Gerard Etienne. Wherever there is a thematic divide between the topographies of Montreal and those of Haiti the stylistic registers reflect the contrasts between intellectual distance and lyrical or epic emotion, between individualism and community, rationality and supernatural collective beliefs. Being positioned between the host land and the land of origin the characters look for emotional and noetical answers to their exiled existence. Keywords: Quebec literature, Haitian diaspora, conflicting cultures, emotion/knowledge, exile Mots cles : Litterature quebecoise, diaspora ha'itienne, conflit de cultures, emotion/connaissance, exil Ariel et Caliban, deux personnages antithetiques de la Tempete de Shakespeare, ont servi de metaphore emblematique a plusieurs interpretations identitaires de la decolonisation, notamment dans lespace caribeen. Rappelons Ruben Dario (El triunfo de Caliban, 1898), Jose Enrique Rodo (Ariel, 1900), pour les hispanophones, et Aime Cesaire (Une Tempete, 1969) ou Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs, 1952), pour les francophones. Si les dichotomies de la metaphore, appliquees a l'axe americain Nord/Sud (blanc/noir, maitre/esclave, dominant/domine, civilise/barbare, raison/instinct, mate- https://doi.org/10.14712/24646830.2018.46 ©2018 The Author. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.Org/licenses/by/4.0). 179 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 179 19.10.18 13:04 rialisme/spiritualité), ont été majoritairement orientées en fonction ďargumentations idéologiques jusquaux années 1970, les décennies successives, du moins dans le domaine francophone, ont progressivement porte l'attention sur le facteur civilisationnel dans le contexte de la migration et de la confrontation des cultures et des modes de pensée et de sensibilitě1. La littérature y a trouvé une source ďinspiration abondante. Rappelons le traitement ironique de la métaphore Caliban/Ariel qu'incarne le protagonisté - negre/ baiseur/écrivain - de Commentfaire Vamour avec un negre sans sefatiguer (1985) de Dany Laferriěre. Sans se référer explicitement á 1'archétype, plusieurs auteurs de la diaspora haitienne ont retravaillé la problématique de la rencontre civilisationnelle. La oú la thématique se scinde en topiques montréalaise (nord-américaine)/ha'itienne, le registre stylistique refiěte 1'alternance en accentuant tantót la distance ironique, tantót lemotivité lyrique ou la reflexion philosophique. Entre la raison et lemotion, 1'individualisme et 1'appar-tenance communautaire, la rationalité et le surnaturel des croyances collectives, les per-sonnages romanesques cherchent leur place entre la terre ďaccueil et la terre dbrigine pour répondre á leur situation ďexilés. La réévaluation par lesthétique désidéologise et dépolitise la dichotomie civilisationnelle tout en y inscrivant la problématique de la relation intellectuel/peuple au sein de deux cultures différentes. Nous tenterons ďillustrer le propos en recourant á quatre romans : Passages (1991) ďÉmile Ollivier, La Romance en do mineur de Maítre Clo (2000) de Gérard Étienne, Le Cri des oiseauxfous (2000) clVÉnigme du retour (2009) de Dany Laferriěre. Chez les trois auteurs, lemotion est le moteur de la connaissance avec, comme prémisse de leur écriture et expression, la nette conscience de la difference de statut et de fonctionnement de lemo-tion dans la société/communauté haitienne et la société nord-américaine. II ne sagit pas seulement ďune distance géographique, anthropologique, culturelle, mais děs lbrigine, de celle que l'intellectuel haitien, marqué par leducation francaise et nord-américaine, occidentales, ressent face á la realitě de son pays, á ses traditions et racines africaines. Chez les trois auteurs s y superpose une autre distance, celle de lexil. Le désir incoercible ďun retour impossible, mais toujours envisage, semble étre le moteur de leur écriture, adressée au public « occidental », québécois, nord-américain. C est dans cette complexi-té de situations existentielles et scripturales qu'il convient ďaborder la problématique Nord/Sud, Montréal/Haiti, individu/collectivité, raison/émotivité. Si la thématique, dans ce contexte, savěre dominantě, lecriture des trois auteurs offre á chaque fois une solution particuliěre. Rhétorique de la passion L'action de La Romance en do mineur de Maitre Clo de Gérard Étienne est située á Montreal de la fin des années 1970, au moment oú le nombre élevé ďimmigrés hardens 1 Dans le domaine des littératures hispanophones la clé idéologique de 1'ariélisme ou du néoariélisme se maintient jusque dans les années 1990, notamment á propos des oeuvres de Carlos Fuentes et José Augustin, Cf. Reati, F. - Gómez Ocampo, G. (1998): « Académicos y Gringos Malos : La universidad norteamericana y la barbarie cultural en la novela latinoameričana reciente », Revista Iberoamericana, LXIV, 184-185, pp. 587-609. 180 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 180 19.10.18 13:04 provoque 1'inquiétude du gouvernement canadien. Les procedures d expulsion menacent tout suspect qui se fait arréter par la police2. Le protagonisté, Maítre Claudius Lafieur, avocat hautement respecté en Haiti, est contraint á lexil par le regime du dictateur Duva-lier. II rejoint ainsi sa sceur Adrienne á Montreal. L'intrigue se définit děs Vincipit: Maitre Clo n'a pas l'intention de se rendre á l'usine oil travaille sa sceur rencontrer l'inge-nieur Claude D'Allaire intéressé á lui donner un emploi bien payé. Non. II préfěre se planter la, dans l'espoir de la voir se mouvoir á travers les rideaux de la maison d en face [... ] il allait vraiment la posséder, dans un milieu étranger, cette femme qui lui faisait des ronds de coeur dans son pays, qui l'avait méchamment méprisé au cours ďune ceremonie vaudouesque. Crampes ďestomac, intenses douleurs au ventre, Maitre Clo éprouve de temps en temps des vertiges qui font tourner devant ses yeux un ciel qui a du mal á se libérer ďun paquet de nuages noirs [...]3. Pourtant Maitre Clo n est pas un irrationnel, ni un obsédé. Ses discussions avec Claude D'Allaire ou avec sa sceur montrent une parfaite maitrise de la rhetorique et de l'argu-mentation. II percoit lucidement aussi bien les manigances des cercles d emigres hardens qui exploitent sa sceur, il percoit aussi les bizarreries de sa propre manie qui met en difficulté sa sceur et ses amis québécois qui veulent l'aider. Si sa sceur représente une insertion rationnelle, normále, dans la societě québécoise - travail, amour, famille - lui est pris dans un engrenage qui bouleverse lbrdre traditionnel de la hierarchie raison-vo-lonté-émotion. Tu es fou, tonnerre, lance-t-elle, avec colěre. Non. Le courage, le dépassement de soi, l'accomplissement d'un acte qui soit l'expression de mon honneur, de ma dignitě. Oui, foutre le camp avant de perdre mon áme dans un style de vie aux antipodes de ma culture. Je ne suis pas fait pour jouer le role de letranger modele qui accepte bétement les regies du jeu ďune société trop materialisté4. La cause de la difference remonte á l'initiation qu'il a vécue, garcon, au rite de la déesse Erzulie Freda qui est « pour la confrérie vaudou l'image parfaite de la Vierge Marie, femme blonde aux yeux turquoise, au regard candide » : Claudius se voit transformé au cours de la nuit, noyé dans un liquide comme une espěce d'amidon qui colle votre bassin au drap. Il jouissait d'un plaisir des sens, jamais ressenti auparavant. Son corps frissonnait; ses jambes tremblaient. [...] C'est comme s'il entendait des anges qui riaient, des oiseaux qui chantaient5. Serviteur fiděle de la déesse, il s etait senti protégé, comblé de succěs, tant qu'il demeu-rait en Haiti. L'apparition de Nicole Desmarais, á Montreal, á la fenétre de la maison d en face, convainc Maitre Clo qu'Erzulie s est incarnée pour le punir de l'avoir quittée, et pour le ramener au pays natal. Děs lors il ne cesse de la poursuivre, de la harceler dans la rue, 2 Étienne, G. (2000): La Romance en do mineur de Maitre Clo. Montreal: Les Editions Balzac, p. 153 et p. 162. 3 Ibid., p. 11. 4 Ibid., p. 18. 5 Ibid., p. 61. 181 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 181 19.10.18 13:04 de lui écrire des lettres. Sous l'impulsion émotionnelle, la perception de la réalité mon-tréalaise est doublée par un espace fantomatique, dominé par les esprits et les demons6 oú les lois naturelles nbnt pas prise : Ii aura beau secouer les jambes, se débarrasser de sa vestě, de sa cravate, de ses souliers, une force continue de quadrupler la distance qui le séparé de la femme poursuivie. L'homme n en peut plus. II est exactement midi quand, ä bout de souffle, il s'affaisse sur le trottoir, face au jardinet de Mademoiselle Desmarais7. La communication entre le monde visible et lautre se fait « ä distance, dans un lan-gage surréel8 », parallělement au « dédoublement de la personnalité, la creation en soi de divers personnages qui permettent ďaller chercher des forces par-delä Celles de la vraie nature, sinon l'invention de nouveaux langages9 ». Les lettres et les propos adressés ä Mademoiselle Desmarais débordent de la rhétorique de la devotion qui gradue au moment oú Maítre Clo entre, en pleine messe, ä leglise. La symbolique religieuse, archétypale, se mele ä 1'animalité : Maitresse Ö, Maitresse Ö ! Cest moi, Claudius ! Ä vos pieds, Madoně, je me suis fait chien, poussiere de charbon, algue de sources puantes. Maitresse Ö, mes paupiěres trinquent avec la mort. Sous mes pattes, malgré moi, se meut le désespoir, ce serpent venimeux qui partout me poursuit10. Erzulie/Desmarais s enfuit, Claudius est hospitalise. Les analyses du psychiatre Hillel, désemparé, concluent ä une « question de culture » qui « dépasse les paramětres de la science11». Devant le scandale public, la communauté haitienne hésite entre la protection de leur compatriote et la dénonciation. La mort dénoue l'intrigue. Elle se présente comme un voyage sous le signe de Legba, dieu vaudou du passage entre les mondes. La course fantomatique ä travers la réalité montréalaise est ä la fois une fuite devant une foule déchaínée, et une poursuite de la caravelle de la déesse Erzulie qui échappe toujours. Cette mort/poursuite renvoie ä la coincidence de 1 existence et de la connaissance, un désir et une soif inextinguibles que Maítre Clo, en ressentant le besoin de « l'invention de nouveaux langages12 », exprime par le biais de la citation de Paul Claudel : « une connaissance qui serait co-naissance13 », certes, dans un sens non claudelien, mais qui relěve ä la fois de la rhétorique des emotions et dune autre vision, « sudiste », haitienne, de la passion. 6 Ibid., p. 69. Notons aussi la coincidence, sans doute voulue, du nom propre Desmarais, et des attributs aquatiques, marins, de la deesse Erzulie. 7 Ibid., p. 122. 8 Ibid., p. 119. 9 Ibid., p. 140. 10 Ibid.,p. 114. 11 Ibid., p. 96. 12 Ibid., p. 140. 13 Ibid., p. 64. Cf. Claudel, P. L'Artpoetique. In Claudel, P. (1957) : Qiuvres completes. Edition etablie et annotee par S. Fumet. Paris : Gallimard, Bibliotheque de la Pleiade, pp. 121-217. Voir la partie « Traite de la co-naissance au monde et de soi-meme », pp. 147-204. 182 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 182 19.10.18 13:04 Cercle vicieux de l'exil Legba est la divinite qui apparait aussi dans les romans de Dany Laferriere Le Cri des oiseauxfous et L'Enigme du retour. Les deux se completent: le premier raconte la jour-nee precedant la fuite en exil de lecrivain-narrateur apres l'assassinat, par les tontons macoutes, de son ami journaliste Gasner Raymond, alors que l'autre retrace le rapatrie-ment imaginaire de la depouille du pere au village natal de Baraderes et les retrouvailles, difBciles et problematiques, du fils avec son pays dbrigine. L'axe Nord/Sud (ou Sud/Nord) structure le recit des deux romans. Dans Le cri, le contraste est largement thematise. L'axiologie sociale, culturelle et raciale oppose en effet le pole « civilise » a la sauvagerie. Parmi les Creoles, notamment, le conflit entre la tradition noire et la blanche est vecu comme un drame : Chez elle [la mere de Lisa] s'affrontent quotidiennement deux mondes. « Le joli paquet » dont elle parlait, c'est-a-dire le vaudou, la dictature et l'Afrique, face a l'Eglise, catholique, l'Europe et la democratie. Elle vit profondement, dans son interiorite la plus intime, ce conflit. Le plus vieux confit culturel haitien14. Seuls les intellectuels tentent la greffe culturelle. Le roman insiste sur les seances de cinema15 et les emissions de jazz a la radio, commentees par l'ami du narrateur, Eze-quiel16. Plusieurs pages sont consacrees au recit de la mise en scene & Antigone, creolisee par Felix Morisseau-Leroy17. L'avant-garde est presentee comme une tentative de synthase du local et de l'universel, de l'Afrique et de l'Occident. Toutefois la cassure est la, identitaire, existentielle. Car la terre ou le narrateur aimerait realiser et vivre la synthese devient invivable, interdite, trop « africaine », alors que l'autre espace, nordique/occi-dental est encore inaccessible et inconnu. La perspective de 1 exil genere un sentiment nouveau: C'est la premiere fois que j'ai cette impression de vide. Le sentiment absurde de netre pas dans ma ville. Cette nuit, je ne suis nulle part. Plus dans ma ville, et pas encore dans une autre18. Le sentiment du vide et de l'entre-deux, qui est aussi, comme on le verra, un des themes d'Emile Ollivier, constitue le fond emotionnel de ce roman de l'errance et bouleverse la perception rationnelle. La chronologie du Cri, minutee en detail dans les sous-titres des courts chapitres-notes, est dementie par la decouverte fantasmagorique des « couloirs du temps », expliques par Barthelmy Cesar19, une sorte de clochard intellectuel qui, dans sa folie, a deja prospecte « neuf temps ». L'espace urbain ou le narrateur se deplace pendant les vingt-quatre heures qui le separent du decollage de son avion semble etre un labyrinthe sans issue, truffe de pieges qui l'attirent. Le minutage constitue alors un repe- 14 Laferriere, D. (2000): Le Cri des oiseauxfous. Montreal: Lanctot, p. 254. 15 Ibid., pp. 152 sqq. 16 Ibid., pp. 179 sqq. 17 Ibid., pp. 132 sqq. 18 Ibid.,p. 159. 19 Ibid., pp. 145 sqq. 183 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 183 19.10.18 13:04 rage qui semble fournir une armure psychologique, certes risible, destinée á amortir une constante tension émotionnelle de l'individu errant. Toujours est-il que cest une armure « rationnelle », inscrite dans le texte, une réponse de l'intellect á lemotivité. La relation entre ces deux aspects de la psychologie prend une tournure différente dans L'Enigme du retour qui resume lexpérience de lexil et du changement de cultures tout en raffermissant le lien entre le vécu et la connaissance. Le roman accentue les contrastes Nord/Sud, mais aussi lexpérience de lentre-deux du narrateur-écrivain : Arrive au Nord, il m'a fallu me défaire de toute la lourde réalité du Sud qui me sortait par les pores. J'ai mis trente-trois ans á m'adapter á ce pays d'hiver ou tout est si different de ce que j'avais connu auparavant. De retour dans le Sud aprěs toutes ces années je me retrouve dans la situation de quelqu'un qui doit réapprendre ce qu'il sait déjá mais dont il a dů se défaire en chemin. J'avoue qu'il est plus facile d'apprendre que de réapprendre. Mais le plus dur cest encore de désapprendre20. Tout comme lespace et le temps, la connaissance est envisagée non comme un acquis constant, mais comme un processus, une fluiditě entre la nécessité du savoir et celle de lbubli. Le passage cite, mais aussi le titre du roman traduisent la jonction du noétique et de lemotionnel, étroitement associés á lexistentiel. Car il s'agit, pour le narrateur, non seulement de résoudre lenigme de son existence, mais surtout de vivre le deuil du pere disparu qu'il n'a pas véritablement connu, mais auquel il est lie aussi bien par la ressem-blance physique que par le parcours biographique d exile politique. J'avais frappé á sa porte il y a quelques années. Il n'avait pas répondu. Je savais qu'il était dans sa chambre. Je l'entendais respirer bruyamment derriěre la porte. Comme j'avais fait le voyage depuis Montreal j'ai insisté. Je l'entends encore hurler qu'il n'a jamais eu d'enfant, ni de femme, ni de pays. Jetais arrive trop tard. La douleur de vivre loin des siens lui était devenu si intolerable qu'il avait dů effacer son passé de sa mémoire. Je me demande quand a-t-il su qu'il ne retournerait plus jamais en Haiti et qu'a-t-il senti exactement á ce moment-lá ? Á quoi pensait-il dans la petite chambre de Brooklyn 20 Laferriěre, D. (2009): Lenigme du retour. Montreal: Boreal, p. 123. 184 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 184 19.10.18 13:04 durant les longues nuits glaciales ? Dehors, il y avait bien le spectacle de la ville la plus animee du monde. Mais dans cette chambre, il n'y avait que lui. Cet homme qui avait tout perdu. Si tot dans sa vie21. La narration a la premiere personne privilegie l'interiorite et l'introspection, a la difference de La Romance en do mineur de Maitre Clo qui utilise la troisieme personne. L'axio-logie civilisationnelle n est done plus envisagee, ici, comme une donnee externe de deux milieux qui s'affrontent. Elle se traduit, sur le plan narratif et stylistique, par lbscillation entre les deux poles : ainsi lemotivite a tendance a se traduire par l'usage du vers libre, oppose a la prose des notations factuelles, tant au Canada ou le recit commence, qu a New York ou se situe la scene citee ci-dessus, ou en Haiti ou le recit se termine. Le retour de lexile n'a rien d'idyllique. C est un etranger qui prefere l'hotel a la maison maternelle. Il se heurte aux barrieres humaines, il a du mal a se faire accepter par les gens du pays, le depaysement le guette : Comment savez-vous que je ne suis pas d'ici ? Vous etes a l'hotel. [...] Pour moi vous etes un etranger comme n'importe quel etranger22. Si je ne meloigne pas trop du cercle dore, cest pour ne pas me sentir etranger dans ma propre ville. Je repousse chaque fois le moment de cette confrontation23. J'ai eu beau parler en Creole, rien n'y a fait. Leur etonnement me met hors jeu. C'est la que j'ai compris qu'il ne suffit pas de parler creole pour se metamorphoser en Haitien. En fait c'est un trop vaste vocable qui ne s'applique pas dans la realite. On ne peut etre Haitien que hors d'Haiti24. Le paradoxe identitaire est la consequence de leloignement, de lexil, de l'identification precedente avec un autre milieu, car - au dire du narrateur - c'est « a Montreal qu'[il a] pris conscience de [s]on individualite25 ». Comment un intellectuel de haut vol qui, dans Le Cri aspire a la synthese de l'Afrique et de l'Occident, peut-il retrouver le peuple dont il se sent solidaire ? Comment sortir de lentre-deux, a la fois temporel (« Je navigue entre deux temps26 ») et spatial (« Nous ne vivons pas dans le meme temps bien que nous soyons tous les deux dans la meme piece27 ») ? 21 Ibid., pp. 65-66. 22 Ibid.,p. 152. 23 Ibid., p. 173. 24 Ibid.,p. 186. 25 Ibid.,p. 156. 26 Ibid., p. 175. 27 Ibid.,p. 182. 185 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 185 19.10.18 13:04 C est une longue recherche des racines a travers le pays, d'abord dans une Buick 57 avec chauffeur, pretee par un ancien ministre et ami de jadis de son pere, puis en autobus, en compagnie de la poule noire, don dun autre ami de son pere, Jacques, qui s etait retire a la campagne pour vivre la vie des paysans. C est la plongee dans les coutumes ances-trales et les rites qui familiarisent le narrateur avec les divinites vaudou - Ogou, Erzulie Freda Dahomey, Zaka28. C est une lecon d'humilite, de depouillement: J'ai fmalement pris la decision d'y aller tout seul. Sans autre protection que celle de ce sang qui coule dans mes veines. J'ai donne ce qui me restait d'argent a Monsieur Jerome qui la d'abord refuse mais je l'ai convaincu qu'il en ferait un meilleur usage que moi. Deux lettres griffonnees sur le capot brulant de la voiture. La plus longue a ma mere et l'autre a l'ancien ministre qui m'avait offert spontanement sa voiture. Une derniere accolade a mon neveu avant de monter, avec ma poule noire pour seule fortune, dans ce tacot brinquebalant qui descend vers Baraderes, le village natal de mon pere29. Au cimetiere de Baraderes, sa filiation est reconnue : Vous etes le fils de Winsor K., mon camarade de classe. [...] Et puis vous etes accompagne de Legba. Et Legba qui a choisi de passer la nuit sur notre tombe. Nous ne meritons pas un tel honneur. A quel signe avez-vous reconnu Legba ? La poule noire30. La plongee dans la communaute paysanne est vecue sur le mode euphorique, lemo-tion s'associe a lentree dans l'achronie et l'atopie mythiques : Trois mois en fait pour sortir de l'intensite urbaine qui rythmait auparavant ma vie. Trois mois a dormir protege par un village entier qui semble connaitre la source de cette douce maladie du sommeil. Ce nest plus l'hiver. Ce nest plus l'automne. Ce n est plus le Nord. Ce n est plus le Sud. La vie spherique, enfm31. L'axe Nord/Sud cependant est ineluctable, la realite ne saurait etre niee et le retour au pays est suivi du retour a lexil, meme s'il se fait en bateau au nom symbolique, L'Epi-phanie. La dichotomie metaphorique « Ariel/Caliban » (individuel/collectif, intellectuel/ peuple, moderne/archa'ique, rationnel/irrationnel, etc.) finit par se refermer en un cercle vicieux. Car le roman est aussi un recit de filiation et de la transmission du legs de lexil et du retour. Le neveu de lecrivain pour qui il n'y aura pas d'avenir en Haiti prolongera la 28 Ibid., pp. 253, 257, 265. 29 Ibid., p. 264. 1UIU., V. iui, 30 Ibid., p. 279. 31 Ibid., p. 285. 186 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 186 19.10.18 13:04 lignee de Immigration, inscrite desormais dans la memoire familiale. L ecrivain qui recon-nait dans le fils de sa sceur un autre lui-meme lui donne en guise d'adieu « son exemplaire fripe du Cahierd'un retour aupays natal du poete martiniquais Aime Cesaire32 », recueil qui l'avait jadis accompagne au moment de son propre exil, car ce poete l'avait aide « a faire le lien entre cette douleur qui [l]e dechire et le subtil sourire de [s]on pere33 ». Pour etre assumee, lemotivite doit s'inscrire dans la parole qui la domine. Peu importe alors que 1 exil se transforme en destin et le retour de 1 exil en leternel retour en exil. L'apprentissage et le desapprentissage34 peuvent recommencer. Impossibilites L'usage thematique et stylistique de la dichotomie Nord/Sud structure aussi le roman d'Emile Ollivier Passages. L'exil est ici envisage de deux points de vue, a la fois comme un retour impossible au pays et une tentative de trouver, en s'exilant, la Terre Promise. Le recit suit deux filons narratifs. Le premier est domine par le personnage de Normand Malavy, un intellectuel exile de longue date qui, au moment de la chute de la dictature de Jean-Claude Duvalier, fait le bilan de son engagement politique. L'autre recit est assume par Brigitte Kadmon, une paysanne de Port-a-l'Ecu, qui retrace l'aventure de son village -la construction du bateau La Caminante et la navigation calamiteuse des villageois vers la Floride. La rencontre des deux mondes se fait a Miami. Normand Malavy, use et desabuse par vingt annees de luttes, s'y installe, hesitant, car il nose plus retrouver son pays natal. Les reportages qu'il suit a la television sur le soulevement populaire en Haiti le laissent sceptique. II n'y voit qu'une « agitation de surface35 », celle d'un peuple qui n'a pas prise sur son histoire que les puissances etrangeres lui imposent. Son dernier engagement est l'aide aux survivants du naufrage de La Caminante. C'est a cette occasion qu'il enregistre le recit de Brigitte Kadmon. La charpente narrative est toutefois bien plus sophistiquee, car les deux filons narratifs sont reunis par le narrateur Regis, ami de Normand, qui rassemble les temoignages et les enregistrements. Cet agencement renforce les oppositions structurantes entre la premiere (Brigitte) et la troisieme personne (Normand) de la narration, entre les deux mondes, communautaire et individualiste, entre lbralite et lecriture, tout en accentuant le paral-lelisme contrastant de deux heros, chacun entoure de deux femmes, Normand Malavy d'une part et Amedee Hosange de l'autre, les deux portant chacun son nomen omen, un homme du nord, un homme du sud, echoues et decedes, a quelques jours d'intervalle, a Miami. L enregistrement du recit de Brigitte Kadmon frappe des Vincipit par les anaphores poetisantes du style oral: Il y a la mer, il y a l'ile. Du cote de l'ile, la memoire nest pas neuve ; elle nest meme plus tres jeune. La moindre parcelle de terre peut etre considered comme un tertre magique ou 32 Ibid., p. 58. 33 Ibid., p. 60. 34 Ibid., p. 123. 35 Ollivier, E. (1991): Passages. Montreal: Hexagone, p. 154. 187 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 187 19.10.18 13:04 se sont refugies mänes des ancetres, figures des heros de l'Independance, mysteres, loas et dieux de sang. [... ] Sans eile, pas de connaissance en profondeur. Ii y a la mer, il y a l'ile. Du cote de l'ile, sur le versant nord-ouest, une zone marecageuse len-tement conquise par paletuviers et mangliers. Un paysage comme on en voit dans la Bible36. La plenitude des sensations ou tous les sens sont convoques traduit la materialite de l'horizon existentiel. Le lyrisme des descriptions culmine dans les caracteristiques d'Amedee Hosange, heros exceptionnel, vieillard vigoureux, patriarche sage, meneur inconteste, homme du gouvernail. La traversee de La Caminante, qui commence comme une sortie d'Egypte, se scinde en deux versants, bonheur liberateur de la navigation, et catastrophe du naufrage que la communaute tente de conjurer par le rite vaudou pour amadouer le dieu Agoue : Une nuit hors-temps. Un ciel immense, immobile, enveloppait le bateau. Je regardais dan-ser Noelzina [...]. Sa danse degageait une etrange sensualite, prelude de l'accouplement avec le maitre de 1 eau. « Abobo, versez l'eau ! » cria l'assistance. Odanis Jean-Louis saisit la cruche. Par trois fois il jeta de l'eau. « Nous ouvrons la barriere pour que tu viennes parmi nous, Ö Dieu, nous ouvrons les portes pour que tu puisses penetrer », chantait le coeur des femmes. « Foutre ! » dit une voix rauque venant du pont arriere. « Foutre, tonnerre ! » ponctua l'assistance. « Foutre tonnerre ! reprit la voix, une voix caverneuse, venue du fond des ages37. C est Amedee qui revet les habits de la divinite pour danser avec Noelzina, une danse de « haine-amour, manifestant une vigueur, une voracite dans cette relation hors du monde. [...]. Sur La Caminante, toute trace du reel setait effacee ; nous netions nulle part38». Rite inutile, car apres l'accalmie, la tempete vient et, dans le naufrage, Noelzina sera la premiere engloutie par la mer. De soixante-sept passagers, seuls vingt-deux survivront. L'atopie et l'achronie dont parle Brigitte Kadmon font echo ä la thematique existentielle traitee dans le filon narratif de Normand Malavy ou lbralite et lesprit communau-taire s effacent pour ceder ä une narration analytique, « nordique », « individualiste ». Choisissons deux themes - la danse et la perception spatiotemporelle - pour illustrer les ressemblances et les differences dans le traitement des emotions. Ä la scene de la danse rituelle ä bord de La Caminante correspond celle du bar new-yorkais, lieu de rassemblement des migrants : [...] le tango condense, synthetise la melancolie, 1 exil, la tristesse qui se danse, sanglot mue en un grand eclat de rythme ä deux temps. En Amerique latine, le tango reste affaire de lunapars. Alliant maitrise et abandon, hysterie et langueur, il est d'abord convulsion, spasme, et l'instant apres, soupir. Danse violente de l'enracinement, danse qui rappelle 1 acre accent des faubourgs, chair confondue, den de machos querelleurs, « Vamos nina » ; jactance pro-vocatrice de viveurs, de gens de couteaux, le tango est aussi cantique de 1 errance, psaume 36 Ibid.,p. 13. 37 Ibid.,p. 106. 38 Ibid.,p. 107. 188 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 188 19.10.18 13:04 de l'absence, gemissements, plaintes de l'amant delaisse « Una balada para un loco ». II dit le temps fugace, irreversible39. La description directe cede a la reflexion, l'analyse aboutit au sentiment de solitude d'individus isoles qui nbnt pas prise sur leur existence. II en va de meme de l'amour. II est vecu, a la difference de celui de Brigitte et de Noelzina pour Amedee Hosange, soit comme une serie de « depaysements innombrables40 », soit comme une contagion de la solitude et du deracinement41. Ce nest pas seulement le temps qui fuit, mais c'est aussi lespace qui se derobe. Amparo revenait de Cuba. Elle n'en revenait pas vraiment. Elle revenait de Cuba sans en revenir. En cela, elle ressemblait a ceux qui, ayant trouve Jerusalem, continuent a chercher ailleurs, eternellement, jusqu'au bout du monde, a 1'infini, voire au-dela42. En reflechissant a son ami, le narrateur Regis renvoie a deux reprises43 a Crainte et tremblement de Soren Kierkegaard et par son intermediaire a l'histoire d'Heraclite. La sentence sur l'impossibilite d entrer deux fois dans le meme fleuve suscite la replique dun de ses eleves: « Maitre, on ne le peut meme pas une fois.» C est pourquoi, au dire de Kierkegaard, « [i]l faut aller au-dela ». Cette forme de l'atopie et de l'achronie sera designee dans La Brulerie, un autre roman d'Ollivier, comme le Vide44, et qui, tout en rappelant le sentiment du narrateur laferrierien du Cri des oiseauxfous, sbppose a l'intemporalite mythique ou a la temporalite circulaire de lespace haitien. Conclusion Les trois auteurs exploitent leur experience d exiles politiques. Leur pays natal et leur pays d'accueil representent ainsi les deux poles de leur matiere litteraire. Leurs projets esthetiques different sur plusieurs points de vue. La Romance en do mineur de Maitre Clo de Gerard Etienne situe l'histoire a Montreal et montre l'incom-patibilite de deux sensibilites culturelles. La narration a la troisieme personne donne au roman Failure zolienne de letude clinique dun cas de folie ou le delire de l'imaginaire vaudou ouvre la voie au lyrisme visionnaire de la passion. Les romans autofictionnels de Dany Laferriere Le Cri des oiseauxfous etL'Enigme du retour se deroulent en grande partie en Haiti et retracent, le premier, le deracinement de lexil, l'autre, la recherche difficile dun nouvel ancrage au retour de lexil. Dans L'Enigme du retour, le notionnel des notations en prose cotoie lemotivite des vers libres. Le travail de la langue de la narration a la premiere personne s'applique a suivre les meandres des sensations, sentiments et reflexions identitaires et existentielles. 39 Ibid., p. 32. 40 Ibid., p. 93. 41 Ibid.,p. 137. 42 Ibid., p. 83. 43 Ibid., p. 36, 81. 44 Ollivier, E. (2004): La Brülerie. Montreal: Boreal, p. 10. 189 AUC_Philologica_3_2018_6119.indd 189 19.10.18 13:04 La repartition entre la premiere et la troisieme personne, dans les Passages d'Emile Ollivier, signale le theme central: l'impossibilite du retour au pays natal et le fosse infran-chissable entre un intellectuel exile et le peuple. Le retour que le narrateur Dany Laferriere vit comme une fusion possible ou revee sous forme dune impregnation humble, ne saurait avoir lieu a Miami ou se fait la rencontre entre Normand et Brigitte, entre l'individu et la communaute. La realite liquide de Zygmunt Bauman prend ici la forme de lenracinerrance, selon lexpression du critique Thomas C. Spear45. Chez les trois auteurs, les emotions, partie integrante du vecu, sont liees a la connais-sance, sous differentes formes - de la sensation au sentiment, de l'intuition a la reflexion. Maitre Clo, en se referant a Claudel, associe la connaissance a la co-naissance en envisa-geant sa fusion amoureuse avec la deesse Erzulie Freda. Chez Laferriere la connaissance est processuelle - apprentissage et desapprentissage continuels lies au vecu traumati-sant de lexil. La quete identitaire, angoissante, exige, pour aboutir, le depouillement et la reconnaissance par l'Autre. Pour Brigitte Kadmon, dans Passages, lemotivite se traduit par le contact immediat avec la memoire de la terre qui dispense la connaissance, alors que les personnages qui entourent Normand Malavy sont livres a la redefinition conti-nuelle de leur identite et que lui-meme se voit oblige de « faire des compromis entre le je et le moi46 ». Les prises de position noetiques se refletent dans la perception de la realite. La spatiotemporalite de Brigitte est differente de celle de Normand ; la perception du narrateur Laferriere oscille entre lentre-deux, le vide et la plenitude du hors temps; celle de Maitre Clo alterne entre la realite et la fantasmagorie. Chez les trois auteurs, et cest la leur point commun, la distribution axiologique de l'agencement narratif est fondee sur l'axiologie culturelle et la mise en relief des differences entre le Nord et le Sud, entre « Ariel et Caliban », depourvus, toutefois, du jugement de valeur de superiorite/inferio-rite. L'ideologie cede a lesthetique et a la reflexion identitaire postmoderne. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages analyses Etienne, G. (2000): La Romance en do mineur de Maitre Clo. Montreal: Les Editions Balzac. Laferriere, D. (1985) : Comment faire Vamour avec un negre sans sefatiguer. Montreal: VLB. Laferriere, D. (2000) : Le Cri des oiseauxfous. Montreal: Lanctot. Laferriere, D. (2009) : Lenigme du retour. Montreal: Boreal. Ollivier, E. (1991): Passages. Montreal: Hexagone. Ollivier, E. (2004): La Brülerie. Montreal: Boreal. Ouvrages consultes Cesaire, A. (1969): Une tempete: d'apres La Tempete de Shakespeare. Paris : Seuil. Claudel, P. L'Art poetique. In Claudel, P. (1957) : CEuvres completes. Edition etablie et annotee par S. Fumet. Paris : Gallimard, Bibliotheque de la Pleiade, pp. 121-217. Voir la partie « Traite de la co-naissance au monde et de soi-meme », pp. 147-204. Dario, R. (2012): El Triunfo de Caliban. Barcelona: Lingua digital. 45 Spear, Thomas C. 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