La thématique apocalyptique, notamment dans le cycle de Soifs, n’est pas un phénomene isolé dans le paysage littéraire québécois. Rappelons a ce propos les noms de Jocelyne Saucier, Nicolas Dickner, Gaétan Soucy ou Michel Tremblay et les critiques consacrées a leurs oeuvres. Toutefois l’imaginaire apocalyptique de Marie-Claire Blais se distingue par son insistance, son intensité et sa modulation mi narrative, mi lyrique. Un des éléments de la thématique apocalyptique est non seulement l’idée de la catastrophe, mais surtout la question du Mal et du Bien qui polarise l’axiologie. L’éthos a une fonction éminemment narrative, car il est susceptible de donner un sens au récit en rattachant l’histoire des particuliers a la grande Histoire, l’individuel au collectif, au transcendant. Car c’est la que l’imaginaire, la thématique, mais aussi l’enargeia structurante, qui conditionne et justifie l’écriture, se rejoignent. Pour saisir la dynamique qui, dans le contexte de l’oeuvre de Marie-Claire Blais, a contribué a l’émergence de la sensibilité apocalyptique, les principaux points de repere sont Une saison dans la vie d’Emmanuel (1966), Visions d’Anna (1982), Pierre (1986) et le cycle de Soifs (1995-2015). Dans cette perspective, la thématique apocalyptique apparaît comme une transformation du roman d’adolescent des années 1960 par un élargissement de la prise de vue qui d’individuelle et familiale se fait communautaire. En suivant ce changement de la conception scripturale, notre étude se propose d’analyser la construction de l’univers apocalyptique: configuration des personnages, évolution de la polyphonie narrative, themes récurrents, éléments de l’imaginaire, construction de l’émotion lyrique. On notera que la narration se détache de l’ironie subversive des premieres oeuvres pour adopter une stratégie a la fois pluraliste et fusionnelle qui tout en s’accordant a l’harmonia mundi confere une place grandissante au rôle de l’art et de la création comme éléments transfigurateurs de la mémoire et de l’histoire.