270 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité Petr Kyloušek Faculté de Lettres, Université Masaryk, Brno*1* L’éthos essentialiste qui avait présidé à l’émergence des sciences, y compris les philologies, est mis en question dès la fin du xixe siècle au profit des approches phénoménologiques qui redéfinissent progressivement les champs d’investigation. Le texte proposé tentera de montrer que la fragmentation des disciplines philologiques est non seulement le résultat « naturel » de la diversification et de la spécialisation disciplinaire, mais également un processus de fond qui implique une redéfinition de certaines catégories et des approches face à la causalité et aux facteurs temporels et spatiaux. Les approches stimulées par le tournant phénoménologique ont redéfini les données de l’investigation en accentuant la synchronie et la spatialisation et en transformant la causalité en dynamique processuelle. C’est aussi une des clés pour comprendre les redéfinitions des philologies romane ou française, et des études françaises ou francophones. Mots-clés : philologie romane, essentialisme, phénoménologie, causalité, facteurs temporels et spatiaux. L’unité des philologies qu’elles soient romanes, germaniques, slaves ou autres, semble désormais révolue. Rien ne l’atteste mieux que l’évolution des manuels scolaires. Un des rappels de l’ancienne approche est fourni, en milieu tchèque, par Karel Rocher-Skála dont la méthode est basée sur la grammaire historique. Ses manuels de français, d’espagnol et d’italien (Rocher-Skála 1921, 1928, 1929) présupposaient la connaissance du latin dont l’enseignement était encore bien présent dans les lycées européens durant les premières décennies du xxe  siècle. Les explications procédaient par étapes historiques et permettaient, par-delà l’unité de l’origine commune, de saisir la profondeur historique de l’évolution y compris l’accès à des stades anciens de la langue littéraire. Quelle différence entre ce regard porté sur l’activité philologique et celui, récent, de Johann Heilbron (Heilbron 1997, 2009) ou de Pascale Casanova (Casanova 2002) qui évaluent les traductions en termes de capital culturel ou ceux de * kylousek@phil.muni.cz https://doi.org/10.18485/efa.2019.11.ch20 271 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité langues centrales et périphériques, autrement dit en termes de rapport de forces de la politique linguistique et culturelle. Les coordonnées axiologiques ont évolué. Pourtant, la période du tournant du siècle, celle de 1900, justement, qui a vu les dernières avancées pratiques et les fruits de la philologie du xixe siècle, est également celle qui prépare les changements dont la période présente est témoin. Bien sûr, on pourrait argumenter par l’épuisement et par l’évolution méthodologiques, par la nécessité des nouvelles approches, par la spécialisation et la fragmentation des champs de recherche et la nécessaire reconstitution des nouveaux regards globaux interdisciplinaires. Tout cela est vrai. Mais peut-être pourraiton cerner, ne serait-ce qu’hypothétiquement, de manière indicielle, ce qui soustend les changements qui ne seraient alors que les manifestations d’un habitus de recherche au sens de Pierre Bourdieu (Bourdieu 1998). Disons, par fidélité au titre de notre contribution, qu’il s’agira de saisir les glissements qui surviennent dans l’approche aux facteurs et aux conceptions de la temporalité, de la spatialité et de la causalité. La métaphore du passage de la racine au rhizome, introduite par Gilles Deleuze et Félix Guattari (Deleuze & Guattari 1980) et développée par d’autres, est en quelque sorte emblématique des transformations de l’imaginaire « noétique » qui sous-tend le questionnement et les démarches de la pensée. Rappelons, à titre d’exemple, la « pensée achipélique » d’Édouard Glissant et sa devise : « Ma proposition est qu’aujourd’hui le monde entier s’archipélise et se créolise. » (Glissant 1997 : 194) Une réflexion générale précédera celle qui sera consacrée aux littératures et aux cultures françaises et francophones qui peuvent être prises, ici, pour une synecdoque des philologies romanes. 1. Généralités Constatons de prime abord que l’éthos essentialiste qui avait présidé à l’émergence des sciences, y compris les philologies, est mis en question dès la fin du xixe siècle au profit des approches que l’on pourrait qualifier de phénoménologiques et qui redéfinissent progressivement les champs d’investigation. Il s’agit moins d’une pensée cohérente ou d’une conception philosophique qui sous-tendrait ou conditionnerait les réflexions, mais plutôt d’un ensemble de démarches et d’attitudes partielles ou fragmentaires qui font partie du mouvement noétique. Quels auraient été les indices de l’éthos essentialiste et de ses transforma- tions ? Le fond commun, bien sûr, est la conviction que derrière les phénomènes, il y a une essence, un élément de stabilité. En simplifiant, on pourrait résumer l’idée de l’homme comme une relation ordonnée entre le corps et les facultés psychiques, celles-ci ordonnées à leur tour dans une relation donnée entre la raison, la volonté et les sentiments ou passions. La connaissance présupposait la 272 Petr Kyloušek possibilité de la séparation du sujet observateur et de l’objet de l’observation. Le sujet connaissant pouvait se tenir à distance de l’objet, à l’image de Dieu-Grand Horloger qui avait imprimé à son univers le mouvement selon les lois immuables, dynamisées et systématisées par la pensée hegelienne. Au niveau de la collectivité, les sociétés qui se constituaient en États-nations ont progressivement défini leurs essences en argumentant leurs différences identitaires, politiques et économiques par l’histoire (racines historiques), par la langue (racines historiquement matérialisées par la littérature), par l’ethnicité (racines biologiques inscrites dans la race). L’argument temporel, en tant que facteur formateur et cumulateur de l’essentiel, constitue l’arrière-fond noétique des penseurs aussi différents que Johann Gottfried Herder, August Schleicher, Arthur de Gobineau, Hippolyte Taine ou bien Edward Sapir. La philologie, à l’instar de Franz Bopp et d’August Schleicher, qui s’est constituée dans les universités européennes, tenait à l’unité de la Stammbaumtheorie et, les convictions herderiennes ou autres à l’appui, à la spécificité des cultures romanes, la notion du génie de la langue jouant son rôle de clef de voûte. L’érosion de l’essentialisme a été progressive. Et ce ne sont pas toujours la philosophie et les sciences qui ont été à l’avant-garde des tendances novatrices. Avant que les nouvelles notions se traduisent en concepts et s’inscrivent dans les nouveaux systèmes de pensée, la littérature avait souvent thématisé et exprimé les approches non-essentialistes. Le moi double de Gérard de Nerval précède les découvertes de Sigmund Freud, la noétique implicite de Charles Baudelaire anticipe l’intentionnalité phénoménologique et la temporalité de la durée, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, entre autres, brisent les cloisons séparant le sujet connaissant et l’objet de la connaissance qui se redéfinit, également, comme une attitude non-rationnelle. Le cubisme de Guillaume Apollinaire ou de Blaise Cendrars fragmente et recompose l’unité du monde et du moi (Kyloušek 2006). Les conceptualisations apportées par la psychanalyse et par la psychologie de l’inconscient de Carl Gustav Jung (Jung 2013) ou bien par la psychologie des foules de Gustave Le Bon (Le Bon 1921) confirment les intuitions des poètes, mais aussi ouvrent de nouvelles voies, non-essentialistes. La relativisation du facteur temporel intervient avec la philosophie d’Henri Bergson (Bergson 1889, 1922), dont l’antirationalisme seconde la lignée antihegelienne de Friedrich Nietzsche. Elle s’inscrit aussi dans les nouvelles conceptions gnoséologiques lancées par la phénoménologie d’Edmund Husserl (Husserl 2004). Ce tournant de la pensée philosophique se poursuit à travers Martin Heidegger (Heidegger 1967), jusqu’à Paul Ricœur (Ricœur 1990) avec des réflexions éclairantes concernant la mémoire collective et la mémoire culturelle, celles notamment de Maurice Halbwachs (Halbwachs 1950) et de Jan Assmann (Assmann 2010). 273 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité 2. Temps, espace, cause Ce n’est pas le lieu de traiter en détail les mutations epistémiques, très différentes selon les penseurs, leurs points de départ et les issues de leurs visées. Ciblons plutôt la problématique qui nous intéresse, celle de la temporalité, de la spatialité et de la causalité en relation avec leur métaphorisation. Ces catégories aristotéliciennes, en effet, ont un point commun : une transformation en profondeur de la démarche noétique. Le tournant décisif semble s’être joué autour de l’intentionnalité introduite par la phénoménologie. En effet, la redéfinition de la relation sujet/objet contribue à invertir la relation entre l’essentiel et l’existentiel en accentuant le hic et le nunc de l’interaction cognitive. La synchronie prend le dessus sur la diachronie et transforme en même temps la conception de la causalité qui avantage la spatialisation métaphorique de la causalité. Le principe de l’immanence, introduit par le formalisme et le structuralisme, rompt avec l’idée de la cause externe qui avait dominé la démarche noétique antérieure (pour connaître l’œuvre, il faut connaître l’auteur, pour connaître l’auteur, il faut connaître son contexte biographique, etc.). La causalité est désormais déterminée par le système même, par la structure et les relations internes entre les éléments qui la constituent. Cette simultanéité, pour dynamique qu’elle soit, transforme la diachronie de la période précédente en processus. Les phénomènes ne sont plus ramenés à une essence, mais à un modèle dynamique processuel. En linguistique, seul le générativisme semble s’être accroché à la précédente approche essentialiste en reprenant l’idée cartésienne de la grammaire raisonnée. Mais même ici la spatialité l’emporte dans la mesure où la relation entre les deep structures et les surface structures reprend l’image de la racine. La plupart des conceptions linguistiques du xxe siècle accentuent la spatialisation qu’il s’agisse de Karl Bühler (concept d’origo, Bühler 1978), d’Émile Benveniste (Benveniste 1966), de Roman Jakobson (modélisation communicationnelle et les fonctions du langage, Jakobson 1981). Aussi bien le structuralisme pragois, notamment de Bohumil Trnka (normativité dynamique, Trnka, Jakobson & Fried 1982) que les théoriciens de la pragmatique et du cognitivisme déplacent le centre d’intérêt de l’essentialisme vers les analyses des processus. En recherches littéraires, la critique structuraliste (Jan Mukařovský, Roman Jakobson, Roland Barthes, Tzvetan Todorov, Gérard Genette, Algirdas Greimas, etc.), mais aussi la réflexion phénoménologique de Roman Ingarden (Ingarden 1931), les théories de la fictionnalité, comme celle de Lubomír Doležel (Doležel 1998), ou bien la critique réceptionniste d’Umberto Eco (Eco 2004) et de Wolfgang Iser (Iser 1979) privilégient l’approche synchronique. Et que dire des méthodologies qui prennent la spatialité pour point de départ de la réflexion, 274 Petr Kyloušek telle la géocritique de Bertrand Westphal (Westphal 2007) ou les approches culturologiques inspirées par les lieux de mémoire de Pierre Nora (Nora 1997). Rares sont les tentatives, comme celle de Felix Vodička (Vodička 1998) qui cherchent à conceptualiser la dynamique diachronique à partir de la synchronie structuraliste au sein d’une nouvelle histoire littéraire. Celle-ci s’inspire plutôt, ces derniers temps, du processualisme : Le processualisme universel infirme le logicisme : il n’y a pas de lois préétablies, de lois universelles et aveugles, de lois déterministes relevant du strict causalisme ou finalisme. Le réel est un processus évolutif, autoréférentiel et autopoïétique. Les « lois » ne sont que des récurrences observées, des types de structure que la nature s’est inventées au fur et à mesure de son évolution. Ces « lois » sont des recettes inventées pour les besoins de la cause selon le critère d’Occam : la meilleure simplicité, la meilleure économie, la meilleure frugalité, la meilleure optimalité. L’intuition de Ernst Mach est pleinement vérifiée : rien ne pourrait exister si tout le reste n’existait pas en même temps. L’univers est une unité organique, un organisme vivant, cohésif et cohérent. Et c’est, d’ailleurs, cette cohérence même qui a laissé croire qu’il était soumis à des lois absolues et déterminantes. (Halévy) Certes, ce relativisme axiologique qui est à la fois un refus de l’essentialisme et une aspiration à embrasser la totalité peut être considéré comme un avatar de la phénoménologie. Il fait écho à la réalité liquide de Zygmunt Bauman (Bauman 2000), mais également aux conceptions ontologiques et noétiques de Martin Heidegger (Gleichheit vs. Selbstheit, Heidegger 1967, § 26, § 64 ) et de Paul Ricœur (identité-mêmeté et identité-ipséité, Ricœur 1990 : 12-13) qui eux aussi laissent intervenir le temps comme un processus modérateur, chez Ricœur, en plus, sous forme narrative (Ricœur 1983, 1984, 1985), comme une suite d’étapes synchroniques. Rappelons la métaphore rhizomatique de Gilles Deleuze et Félix Guattari (Deleuze & Guattari 1980), mentionnons la spatialisation métaphorique de l’axiologie chez Pierre Bourdieu (Bourdieu 1998), ou bien l’herméneutique circulaire de Hans-Georg Gadamer (Gadamer 1999), appliquées à la critique lit- téraire : nous sommes loin de la racine et de la Stammbaumtheorie de Schleicher. La métaphore cognitive spatialisée domine : celle du champ, du parcours, de la réalité liquide, processuelle. En partant de la métaphore deleuzienne du rhizome, Édouard Glissant affirme l’aspect synchronique de la temporalité en recourant aux modèles mathématiques et physiques du chaos et du mouvement erratique. Il conclut au « comportement imprédictible [du] rapport des cultures » (Glissant 1996 : 85) tout en accentuant l’ouverture de la processualité. La causalité est synchronisée en interactivité, l’existence précède l’essence, en accord avec le propos sartrien, à moins que la raison cynique, selon Peter Sloterdijk (Sloterdijk 1983), ne se tourne contre la raison elle-même en démontrant ses propres pièges : la déconstruction de Heidegger, développée par Jacques Derrida. 275 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité Chaque chercheur est, certes, libre dans ses démarches en fonction de la thématique abordée. Le bref survol, incomplet et superficiel, que nous venons de présenter, n’a d’autre ambition que d’indiquer les changements imputables au discours de la recherche, à son éthos qui sous-tend le questionnement et la recherche. 3. Philologie romane ? Philologie française ? Études françaises ? Études francophones ? Il est évident que le génie de la langue, comme base essentialiste définitionnelle, ne fonctionne plus comme le ciment de la culture et de la littérature. La notion même de culture ou de littérature nationale est une donnée historique, née et constituée à une certaine époque, celles des États-nations et cesse d’être fonctionnelle à l’époque de la globalisation où les relations entre les langues et les cultures se jouent en rapports de force économiques et politiques. Si nous y ajoutons la fragmentation des champs de recherche et la séparation effective de la linguistique et des études littéraires et culturelles, il est certes oiseux de parler de philologie romane ou de philologie française comme notions opératoires à l’état actuel. Mais études françaises ? Ou études francophones ? Une unité serait-elle envisageable au moins dans le domaine littéraire et culturel ? Deux facteurs peuvent être relevés qui se croisent au sein de l’axiologie postmoderne, l’un de nature interne, l’autre externe, et qui infirment l’ancienne idée de la culture française et francophone, unie par la langue. Le facteur interne, inhibitoire de l’unité, relève de l’axiologie esthétique : l’anomie de la modernité que Pierre Bourdieu a étudiée dans le cas de Baudelaire et de Flaubert (Bourdieu 1998 : 222, 377) est secondée par la fragmentation axiologique de la postmodernité, contraire à la structuration forte et hiérarchisée de la centralité. C’est dans ce sens qu’évolue la culture élitiste dans son contrepoint à la culture de masse, mondialisée. Le facteur externe, bien plus important, relève de la logique de la dynamique centre—périphérie. Un bref regard historique permet de saisir les principaux changements. La relation entre le centre et la périphérie varie de culture en culture, mais se transforme aussi au cours du temps. La périphérie peut s’émanciper ou bien passer sous la domination d’un autre centre. Le centre peut devenir périphérie d’un autre centre plus fort. Dans le cas de la France on assiste au renforcement de l’influence du centre dès le xviiie siècle grâce aux élites européennes. L’expansion coloniale a ensuite élargi cette influence à travers le monde, et cela avec une politique culturelle jacobine, centralisatrice, qui a contribué largement à l’extension du domaine et à l’acculturation de la périphérie. Celle-ci connaît alors un développement cultu- 276 Petr Kyloušek rel au point de réclamer la reconnaissance de sa spécificité, autrement dit son autonomie, avec les initiatives d’abord parisiennes comme celle de la négritude (Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, René Depestre), qui à la fois confirment l’importance du centre (appuis de Sartre, de Camus et des élites anticolonialistes métropolitaines), tout en indiquant la future émergence des littératures qui, progressivement, se détacheront axiologiquement et échapperont à l’emprise immédiate du centre: littératures maghrébines, subsahariennes, antillaise, et autres. Cette tendance qui s’annonce dès les années 1930 est soutenue par la décolonisation des années 1960 et conduit à la diversité francophone actuelle où la position du centre culturel parisien se trouve relativisée, sinon affaiblie. La périphérie échappe au centre, avec une autonomie confirmée (littérature québécoise) ou annoncée plus ou moins fortement dans le cas des littératures belge ou suisse. En même temps, on est témoin des changements de la carte culturelle mondiale où l’excellence de Paris est relayée par des centres nouveaux, en majorité anglophones. La place de l’anglais comme langue universelle contribue à la périphérisation de l’ensemble de la francophonie, voire à sa désagrégation que les initiatives récentes, tel le manifeste Pour une littérature-monde (Le Bris & Rouaud 2007) et les activités ultérieures n’arrivent pas à enrayer, même au prix de la dénationalisation. Quelle raison, dans ces conditions, de chercher à maintenir une unité là où la spatialité prend la relève ? Comment caractériser, par exemple, la littérature haïtienne qui s’écrit en français, en créole, en anglais et en espagnol, avec une économie éditoriale éclatée, mais qui a Haïti pour référence (Saint-Éloi 2009 : 90-93) ? Dans ce contexte, la proposition d’Édouard Glissant, citée en introduction, qui combine la créolisation linguistique et l’archipélisation des fragments territoriaux culturels, se présente comme une nouvelle aventure et de la créativité et de la recherche. 4. Conclusion Nous avons tenté de montrer que la fragmentation des disciplines philologiques est non seulement le résultat « naturel » de la diversification et de la spécialisation, mais également un processus de fond qui implique une redéfinition de certaines catégories et des approches face à la causalité et aux facteurs temporels et spatiaux. Les catégories habitant notre pensée et notre imagination se transforment non seulement selon les problématiques que l’objet de l’investigation impose, mais aussi selon notre habitude de poser nos questions et de questionner la réalité. 277 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité Le dépassement de l’approche philologique qui maintiendrait le lien entre la langue, la culture, la littérature et l’histoire en fonction d’un enracinement territorialisé et historicisé et où le facteur temporel et la causalité externe avaient constitué les éléments marquants de la pensée essentialiste a pris au xxe siècle des aspects différents. Les approches stimulées par le tournant phénoménologique ont redéfini les données de l’investigation en accentuant la synchronie et la spatialisation et en transformant la causalité en dynamique processuelle. Serait-on, à la veille d’une nouvelle épistémé foucaultienne ? Références bibliographiques Assmann 2010 : J. Assmann, La mémoire culturelle : écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris : Aubier. Bauman 2000 : Z. Bauman, Liquid Modernity, Cambridge : Polity Press. Benveniste 1966 : É. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris: Gallimard. Bergson 1889 : H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris : Félix Alcan. Bergson 1922 : H. Bergson, Durée et Simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein, Paris : Félix Alcan. Bourdieu 1998 : P. Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris : Seuil. Bühler 1978 : K.Bühler, Sprachtheorie : die Darstellungsfunktion der Sprache, Frankfurt/M. : Ullstein. Casanova 2002 : P. Casanova, « Consécration et accumulation de capital littéraire. La traduction comme échange inégal », Actes de la recherche en sciences sociales, no 144, 7-20. Deleuze & Guattari 1980 : G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Paris : Éditions de Minuit. Doležel 1990: L. Doležel, Heterocosmica: Fiction and Possible Words, Baltimore : The Hopkins University Press. Eco 2004: U. Eco, Lector in fabula : la cooperazione interpretativa nei testi narrativi, Milano : Tascabili Bombiani. Gadamer 1999 : H.-G. Gadamer, Gesammelte Werke. Band 1, Hermeneutik, Tübingen: J.C.B. Mohr. Glissant 1996 : É. Glissant, Introduction à une poétique du divers, Paris : Gallimard. Glissant 1997 : É. Glissant, Traité du tout-monde. Poétique IV, Paris : Gallimard. Halbwachs 1950 : M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris : Presses universitaires de France. Halévy M., Les mutants noétiques. . 27/7/ 2017. Heidegger 1967 : M. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen : Max Niemeyer Verlag. Heilbron 1997 : J. Heilbron, « Traductions et échanges culturels : notes sur le système mondial de traduction », in D. Broady et al. (dir.), Formation des élites et culture 278 Petr Kyloušek transnationale, Paris : École des Hautes Études en Sciences Sociales/Uppsala : SEC, 337-349. Heilbron 2009 : J. Heilbron, « Le système mondial des traductions », in G. Sapiro (dir.), Les contradictions de la globalisation éditoriale, Paris  : Éditions du Nouveau Monde, 253-274. Husserl 2004 : E. Husserl, Ideje k čisté fenomenologii a fenomenologické filozofii, I, II, Praha : OIKOYMENE. Ingarden 1931 : R. Ingarden, Das literarische Kunstwerk. Eine Untersuchung aus dem Grenzgebiet der Ontologie, Logik und Literaturwissenschaft, Halle : Max Nie- meyer. Iser 1979: W. Iser, Der implitzite Leser: Komunikazionsformen des Romans von Bunyan bis Beckett, München : Wilhelm Fink Verlag. Iser 1990 : W. Iser, Der Akt des Lesens: Theorie ästetischer Wirkung, München : Wilhelm Fink Verlag. Jakobson 1981 : R. Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris: Éditions de Minuit. Jung 2013: C.G. Jung, Dialectique du moi et de l´inconscient, Paris ; Gallimard, Folio essais. Kyloušek 2006 : P. Kyloušek, « Subjekt a objekt – proměny literární noetiky ve francouzské literatuře 19. století », in P. Kyloušek (dir.), Otakar Novák. Tradice a přítomnost, Brno : Masarykova univerzita, 77-86. Le Bon 1921 : G. Le Bon, Psychologie des foules, Paris : Librairie Félix Alcan. Le Bris & Rouaud 2007 : M. Le Bris, J. Rouaud, Pour une littérature-monde. Paris: Gallimard. . 27/7/2017. Nora 1997. P. Nora, Lieux de mémoire, I-III, Paris ; Gallimard. Ricœur 1983 : P. Ricœur, Temps et récit. Tome I : L’intrigue et le récit historique, Paris : Seuil. Ricœur 1984 : P. Ricœur, Temps et récit. Tome II : La configuration dans le récit de fiction, Paris : Seuil. Ricœur 1985. P. Ricœur, Temps et récit. Tome III : Le temps raconté, Paris : Seuil. Ricœur 1990 : P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris : Seuil. Rocher-Skála 1921  : K. Rocher-Skála, Praktická mluvnice italské na základě latiny, Praha : Jednota českých filologů. Rocher-Skála 1928 : K. Rocher-Skála, Praktická mluvnice francouzská na základě latiny, Praha : Kvasnička a Hampl. Rocher-Skála 1929 : K. Rocher-Skála, Praktická mluvnice španělská na základě latiny, Praha : Kvasnička a Hampl. Saint-Éloi 2009 : R. Saint-Éloi, « La littérature haïtienne et ses espaces éclatés », Québec français, no 154, 90–93. Sloterdijk 1983: P. Sloterdijk, Kritik der zynischen Vernunft, Frankfurt am Main: Suhrkamp 1983. Trnka, Jakobson & Fried 1982 : B. Trnka, R Jakobson & V. Fried, Selected papers in structural linguistics: contributions to English and general linguistics written in the years 1928-1978, Berlin: Mouton Publishers. 279 Mutations dans les philologies : temps, espace et causalité Vodička 1998 : F. Vodička, Struktura vývoje: studie literárněhistorické, Praha : Dauphin. Westphal 2007: B. Westphal, Géocritique: réel, fiction, espace, Paris : Éditions de Minuit. Петар Килоушек Промене у филологији: време, простор и каузалност Есенцијалистички етос који је у основи настанка свих наука, укључујући и филологије, доведен је у питање крајем 19. века у корист феноменолошких приступа који постепено редефинишу своје области истраживања. Циљ нашег рада је да покаже како фрагментација филолошких дисциплина представља не само „природну“ последицу диверсификације и дисциплинарне специјализације, већ и један дубински процес који подразумева редефинисање одређених категорија и приступа суочених с каузалношћу и временским и просторним чиниоцима. Приступи чији је развој подстакао овај феноменолошки заокрет редефинисали су истраживачке датости концентришући се на синхронију и спацијализацију и трансформишући каузалност у процесну динамику. То је уједно и један од кључних чинилаца за разумевање другачијег дефинисања романске и француске филологије, као и француских и франкофонских студија. Кључне речи: романска филологија, есенцијализам, феноменологија, каузалност, временски и просторни чиниоци.