Les crises économiques du capitalisme

Le contexte économique et social de la crise : un monde inquiet et brisé

Les conséquences de la 1GM : une Europe dispersée et cassée

La première guerre mondiale a été un véritable traumatisme en Europe : 10 millions de morts, auxquels s’ajoutent 2 millions de morts en 1918 à cause de la grippe espagnole. Il y a aussi 20 millions de blessés dont 7 millions d’invalides et de « gueules cassées ». Les jeunes générations masculines sont fauchées et la natalité chute pendant toute la guerre.

L’économie européenne est en ruines : elle est endettée, notamment auprès des Etats-Unis. Les nouveaux pays, nés de l’éclatement des anciens empires, se sont empressés de constituer des ensembles fermés par des frontières étanches. L’Europe est morcelée et les anciennes relations économiques cassées. Un exemple : les exportations des textiles de Bohème vers le vaste empire austro-hongrois sont devenues difficiles.

Les économies européennes sont donc à reconstruire.

Une révolution mondiale :

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Cité dans Eric Hobsbawm, L’âge des extrêmes, Complexe, 1994.

La situation politique de l’Europe est aussi marquée par les vagues de révolutions socialistes de l’après-guerre. La Révolution Russe de 1917, puis la guerre civile et les guerres extérieures pèsent sur la vie politique européenne. En Allemagne, en Hongrie, en Italie des révolutions éclatent dans les années 1918-1921. Des mouvements révolutionnaires ont lieu un peu partout en Europe. L’année 1920 est tendue : l’avancée des troupes de la Russie révolutionnaire frôle les frontières de la Tchécoslovaquie à l’été 1920. En Moravie, les « gardes rouges » occupent un temps les gares et des usines en décembre 1920. La guerre Russo-Polonaise dure jusqu’en mars 1921. Par la suite, le « cordon sanitaire antibolchévique » ferme les échanges avec l’URSS.

La peur du communisme devient alors une obsession pour les élites européennes.

Le difficile retour d’un optimisme économique :

Entre 1921 (1923 en Allemagne) et 1929, la croissance moyenne annuelle est de 4.5% du PIB en France, 5.5% en Allemagne, 5-6% aux Etats-Unis. Seul le RU plafonne à 1.5%. Aux Etats-Unis, la production industrielle et le revenu national ont augmenté de moitié. En Tchécoslovaquie, l’industrie se modernise. Les usines Skoda ou Bata se développent, et l’électricité arrive dans 80% des foyers. Le taux de chômage est à son plus bas niveau en 1928. Le PNB de la Tchécoslovaquie dépasse celui de la Pologne ou de la Hongrie.

En France, ce sont les années folles : le pays connait une forte activité industrielle.

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B.Marcel-J Tajeb, Les grandes crises, Colin, 2016 p 178

L’année 1928-1929 est particulièrement faste avec une croissance de la production française supérieure à celle de ses concurrents.

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J. Marseille, op. cit, p 676

L’automobile est le secteur moteur, entraînant avec elle les autres secteurs et notamment la métallurgie.

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Philippe Bernard, la fin d’un monde 1914-1929, Points, 1975 ; p 194

La production de voitures passe de 40 000 unités annuelles en 1919 à près de 254 000 en 1929. Aux Etats-Unis, on passe de 569 054 voitures mises sur le marché en 1914 à 5 621 715 en 1929.

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Marseille Jacques. Les origines « inopportunes » de la crise de 1929 en France. In: Revue économique, volume 31, n°4, 1980.pp. 648-684, p 679
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B.Marcel-J Tajeb, Les grandes crises, Colin, 2016 p 17

Ces voiture sont les plus souvent achetées à crédit (60%) aux Etats-Unis (les particuliers doivent 1.6 milliards de dollars de crédits voitures en 1929 sur les 6 milliards de prêts) et seulement par les commerçants, patrons, professions libérales car le niveau des rémunérations reste faible. L’agriculture est un secteur encore très présent dans les économies mais les gains de productivité sont faibles : les revenus agricoles sont plutôt orientés à la baisse.

On observe donc un redémarrage de l’activité économique tardif avec une demande brimée par des revenus faibles.

Les fragilités : un système financier drogué aux crédits américains

Citation

La Première Guerre mondiale a mis en marche les forces qui ont défini les relations financières d'un bout à l'autre des années 20. Un premier effet de la guerre a été de modifier les rapports de force sur les marchés financiers internationaux. Les États-Unis sont passés du stade débiteur étranger à celui de créancier important. Les estimations contemporaines confirment que pour financer la guerre, 60% des titres américains tenus à l'étranger furent revendus aux investisseurs américains en 1915-1916. Entre 1915 et 1919, plus de 12 milliards de dollars de crédits ont été accordés par les États-Unis aux Alliés, ainsi qu'aux Européens neutres. Les belligérants européens sortirent de la guerre avec une dette extérieure considérable envers les États-Unis. Vers le milieu des années 20, la plupart des pays avaient négocié un plan de remboursement de leurs emprunts de guerre. Entre 1926 et 1931, les États-Unis ont reçu presque 1 milliard de dollars en paiement des intérêts et remboursement du capital.

Système financier et crise économique dans l'entre-deux-guerres, Barry Eichengreen : Revue d'économie financière, n°14, 1990. Le financement de l’économie mondiale : l'expérience historique. pp. 105-117

Les capitaux disponibles cherchent à s’investir, les banques américaines créent des succursales en Europe et se disputent les emprunts d’Etats européens. Les banques européennes s’engagent dans un vaste mouvement de concentration dans tous les pays : Allemagne, Hongrie, Tchécoslovaquie, Grèce… Ce sont des mastodontes financiers généralistes qui prêtent aux entreprises à long terme en échange d’actions. Ces industries, très spécialisées, sont liées aux banques et vice-versa.

L’Allemagne, principal emprunteur mondial, absorbe entre 20 000 et 30 000 milliards de marks, soit la moitié des exportations mondiales de capitaux, jusqu’en 1928, la moitié à court terme …

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Eric Hobsbawm, op. cit, p 123

Lorsque le président Coolidge fait son dernier discours sur l’état de la nation avant de laisser la place à E. Hoover, il n’imagine pas un seul instant que, moins d’un an plus tard, son pays va sombrer dans l’une des plus graves crises de son histoire. Les Républicains sont restés en marge de l’activité bancaire ou économique en générale, laissant le marché agir. La non-intervention de l’Etat est un dogme qui va se révéler désastreux.