Chapitre IV - La crise de 2008 : « la seconde grande contraction »

Le contexte économique et social de la crise : les Trente Piteuses

La crise de 2008 démarre dans un contexte particulier : les 30 années précédentes ont été marquées par les conséquences de la crise de 1973 puis du ralentissement économique des années suivantes. Les choix politiques, par exemple les politiques de dérégulation, sont aussi un des éléments clés la période. Un choix non-exhaustif de points majeurs est opéré ici pour présenter la période qui précède la crise de 2008 : l’approfondissement de la mondialisation des échanges, les inégalités de revenus et la dérégulation boursière.

Le commerce mondial, symbole de la mondialisation

Fruit de la libéralisation des échanges voulue après 1973, le commerce mondial est multiplié par 3.5 ces 25 dernières années.

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Évolution du commerce international depuis 2000. Source : World Trade Monitor. Cité dans wikipédia

Cette forte hausse est liée à la libéralisation des échanges dans le cadre de l’OMC, à la baisse des coûts des transports et de la communication, aux délocalisations des grandes sociétés pour faire face à la concurrence et aux hausses salariales. L’intégration de la Chine à l’OMC et la forte croissance de son économie expliquent également la période 2002-2008.

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https://perso.univ-rennes1.fr/denis.delgay-troise/CI/Cours/REI111.pdf

Il est difficile de savoir si les échanges nourrissent la croissance ou l’inverse. En revanche, la part des échanges est passée de 10% du PIB mondial à 24%. En valeur, le commerce mondial voit sa croissance diminuer régulièrement : multipliée par 10 au début de la période (1948-1973), par 6 de 1973 à 1993, elle passe à 4 entre 1993 et 2010.

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Site docplayer.fr

Les données de l’OMC permettent aussi de mettre en valeur l’évolution sur le long terme de la croissance du PIB : flirtant avec le 5% par an de 1960 à 1973, il est clairement inférieur à ce taux depuis et plus proche 2%. Le ralentissement de la croissance mondiale est une donnée forte des quarante dernières années, malgré le dynamisme de l’Asie.

La plus grande ouverture, les délocalisations ouvrent complètement les différents espaces aux aléas de l’économie mondiale et à ses soubresauts. Ainsi, la crise de 1998, celle de 2001 et surtout celle de 2008 sont lisibles en temps réels sur la courbe du commerce.

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Rexecode.fr Centre de Recherche pour l'Expansion de l'Economie et le Développement des Entreprises.

La séquence rapportée à la France et aux États-Unis illustre une tendance maintenue pour les dix dernières années : les pays développés sont dans un trend long de croissance faible.

C’est dans cette ambiance de croissance morose et d’ouverture grandissante que va se déclarer la crise de 2008.

Les inégalités de revenus en forte hausse

Jamais, à l’échelle mondiale, et depuis 1945, les inégalités n’ont augmenté aussi vite. Tous les rapports mondiaux vont dans le même sens. Les plus riches sont de plus en plus riches et les plus pauvres voient leur part des revenus mondiaux augmenter mais beaucoup moins vite :

Croissance cumulée des revenus entre 1980 et 2016 dans le monde selon le niveau de revenu. Unité : %
Taux de croissance
Ensemble 60
Moitié la plus pauvre 94
Moitié la plus riche (hors 10 % les plus riches) 43
10 % les plus riches 70
1 % le plus riche 101
0,1 % le plus riche 133
0,01 % le plus riche 185
0,001 % le plus riche 235
Revenus avant impôts et par adulte. Inflation déduite. Lecture : les revenus de la moitié la plus pauvre de la population mondiale ont progressé de 94 % entre 1980 et 2016. Les revenus des personnes situées parmi les 1 % les plus riches du monde ont doublé (+ 101 %) sur la période.
Source : WID – © Observatoire des inégalités

Cette évolution se traduit par une courbe dite « en trompe d’éléphant » :

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« The elephant curve of global inequality and growth », Working papers series n° 2017/20, Facundo Alvaredo et al., Wealth & income database, décembre 2017.

La tendance est la même dans les pays « riches » de l’OCDE :

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In it together : Why Less Inequality Benefits Alls, OECD 2015

Les écarts de revenus et de richesses continuent de se creuser de par le monde.

« Les inégalités dans les pays de l’OCDE n’ont jamais été aussi élevées depuis que nous les mesurons », a déclaré, jeudi 21 mai à Paris, le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques, Angel Gurria, en présentant le rapport.

In it together : Why Less Inequality Benefits Alls (« Tous concernés : pourquoi moins d’inégalité bénéficie à tous »). « Nous avons atteint un point critique », a-t-il ajouté.

Ce rapport montre que les écarts de revenus et de richesses se sont creusés depuis le milieu des années 1980 dans de nombreux pays, pendant les années fastes et pendant les crises. Le revenu des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9,6 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Dans les années 1980, ce multiplicateur était de 7.

Autant de signes d’un monde en plein déséquilibre. Les précédentes périodes de fortes inégalités (fin du XXe siècle, entre-deux-guerres) ont montré les dangers d’un appauvrissement des classes moyennes et l’instauration d’un désert entre pauvres et très riches. Que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays développés, les dernières tendances économiques nées de la crise de 1973 valident une nouvelle ère de contraction des classes moyennes or elles sont le socle de la démocratie.

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Les classes moyennes américaines voient leurs revenus baisser depuis 1993.
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INSEE

La France n’échappe pas à cette évolution puisque l’évolution du pouvoir d’achat sur le temps long montre la même dégradation depuis la conférence de Tokyo (1979) et la désindexation des salaires et des prix.

La crise de 2008 arrive dans un contexte de diminution relative des revenus et de fortes inégalités. La croissance de la production mondiale se trouve donc menacée par la baisse des capacités de consommation des ménages. Ceci est le cas à l’échelle internationale et surtout dans les pays riches. Le rattrapage des pays intermédiaires et surtout des pays d’Asie ne suffisent pas à compenser l’évolution globale.

Une folle mondialisation financière

La période qui suit la crise de 1973 voit se développer une très forte intégration des systèmes financiers mondiaux. Le dogme libéral à l’œuvre depuis 1973 ouvre une ère de déréglementation et de liberté des échanges de capitaux.

Définition :

La mondialisation financière caractérise un processus d’intégration des marchés financiers internationaux sous le double impact de la libéralisation financière internationale et de l’accroissement de la mobilité internationale des capitaux.

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ses.ens-lyon.fr/ses/fichiers/la-mondialisation-financière...

Quelles sont les causes ?

Avec une demande de capitaux exponentielle et des progrès technologiques importants, les marchés financiers ont subi à la fin du XXème siècle, et particulièrement dans les années 1970, une triple révolution (très souvent nommée les « 3D » élargie aux 4D avec les progrès du numérique). L’expression des 3D a été inventée par l’économiste Henry Bourguinat dans Finance Internationale et a été très en vogue dans les années 1980 et 1990, période où elle a impacté les pays industrialisés.

  • Déréglementation : Suppression des règlements et contrôles sur les prix des services bancaires afin de permettre une totale circulation des flux financiers.
  • Désintermédiation : Accès de plus en plus direct des entreprises aux financements par émission de titres plutôt que par endettement auprès des acteurs institutionnels (banques, etc).
  • Décloisonnement : Suppression des divisions classiques entre banque de dépôt et banque d’investissement. Autrement dit, entre compte courant et compte à terme. Au niveau international, cela se traduit par la libre circulation des capitaux permis par l’abolition du contrôle des changes.
  • Dématérialisation : Cette dernière survient grâce au développement rapide des technologies de l’information dans les années 1990, qui permettent aujourd’hui, via des terminaux comme par exemple Bloomberg, Reuters ou Six Telekurs, de démocratiser l’accès aux marchés en temps réel.

La globalisation financière, principes et dérives, Economie 15 mars 2017, Thibault Lemoine, Major prépa

Conséquence de cette libéralisation : les marchés des capitaux se sont considérablement développés, notamment grâce à la circulation de l’information en temps réel. La spéculation se développe avec le rôle croissant des traders, nouveaux héros du capitalisme contemporain. Avec cette spéculation, les marchés financiers deviennent très volatiles.

Les investissements deviennent purement spéculatifs et sont déconnectés de l’économie réelle, le décalage entre le monde de l’économie et celui de la spéculation est de plus en plus fort. Les opérateurs développent une finance de l’ombre (shadow banking) pour éviter le peu de règles qui subsistent.

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Rémi Bachelet, Lille1, Cours de Marchés Financiers :La mondialisation financière http://rb.ec-lille.fr, mai 2017
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Les échos, Etienne Goetz Publié le 05/02/2018 à 11h30

Pour éviter l’impôt et accroître la rentabilité, les placements offshore explosent (le terme offshore est utilisé pour parler du placement de capitaux à l'étranger, en général dans un paradis fiscal, pour optimiser ses ressources financières).

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François Morin, que faire face à une finance globale en crise systémique? Les invités de Mediapart 18 sept. 2008

Quelle interprétation faut-il maintenant donner aux résultats de ce tableau ? Les transactions relatives à l’économie réelle n’occupent qu’une part très faible du total des transactions. En effet, les transactions relatives aux biens et services ne se montent qu’à un peu moins de 3% des paiements monétaires de la planète et ont même tendance à décroître : 2,75% en 2002 pour tomber à 1,6% en 2007. Le même constat s'observe pour les transactions commerciales internationales : celles-ci s'élevaient à 7,8 T$ en 2002, soit 2,03 % des transactions du marché des changes. En 2005, le pourcentage s'est relevé un peu, à 2,22%. Compte tenu de ces deux types de transaction, le rapport du poids de l'économie financière par rapport à celui de l'économie réelle qui était de 28 en 2002 est passé à 32 en 2005 et à 64 en 2007, ce qui apparaît, dans une première approche de cette confrontation, proprement vertigineux.

François Morin, Professeur émérite, Laboratoire LEREPS sciences po, Toulouse

Les ingrédients sont en place

Fortes inégalités, concurrence mondiale exacerbée, folie spéculative sont les traits majeurs des années qui précèdent la crise de 2008. Lorsqu’elle se déclenche personne ne pense, une fois encore, qu’elle va dégénérer en une des plus graves crises mondiales.

Une crise bancaire « absolue »

La crise bancaire de 2008 a surpris par sa soudaineté et par son ampleur.

Quelles sont les causes ?

Le 9 août 2007, BNP-Paribas annonça qu’elle était dans l’impossibilité d’estimer la valeur de trois de ses fonds qui contenaient des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS). Ce fut sans doute l’étincelle qui mit le feu aux poudres. La nouvelle déclencha un vent de panique qui provoqua une montée des taux interbancaires.

LA VÉRITABLE HISTOIRE DE LA CRISE FINANCIÈRE 2008 –Marie-Claude Esposito L’Esprit du temps | « Outre-Terre » 2013/3 N° 37 | pages 127 à 158

Des taux faibles

Les autorités monétaires américaines ont mené une politique de taux faibles pour favoriser la croissance de l’économie. Cette politique entraîne le développement de bulles financières par excès de liquidités.

Les déséquilibres financiers internationaux

A plusieurs reprises, les déficits de la balance courante américaine font l’objet de mises en garde notamment aux réunions du G7 de 2003 et 2004. Mais pour Alan Greenspan il n’y a pas de risque car la flexibilité de l’économie américaine peut absorber une crise.

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Yannick Colleu Source : Réserve fédérale de St Louis, Monnaie et finance Contrepoints 5 décembre 2017

Subprimes

Pour favoriser l’accès à la propriété des ménages, l’administration américaine autorise la mise en place de crédits subprimes pour les ménages défavorisés interdits de crédits primes. En 2006, ils représentent 20% des crédits aux États-Unis. Les ménages américains empruntent, poussés à l’endettement par les taux faibles et l’augmentation des prix de l’immobilier qui garantit les crédits.

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Les Possibles — No. 17 Été 2018 2007-2018 : Les causes d’une crise financière qui a déjà plus de 11 ans lundi 9 juillet 2018, par Eric Toussaint

Entre 1996 et 2006, les prix de l’immobilier américain grimpent 92% alors que depuis 1896 ils avaient montés de 27% seulement. Cette hausse historique permet de mesurer l’ampleur de la bulle immobilière américaine. Elle n’inquiète ni la réserve fédérale ni le gouvernement.

« Je me rendais bien compte que l’assouplissement du crédit hypothécaire accroissait le risque financier et que l’aide au logement exerçait un effet distorsif sur le marché. Mais j’ai compris aussi que l’augmentation du nombre de propriétaires renforçait le soutien au capitalisme de marché – vaste question. J’estimais donc, et continue de le faire, que les avantages de cet élargissement de la propriété immobilière individuelle valaient bien l’accroissement inévitable des risques. La protection des droits de propriété, si essentielle dans une économie de marché, a besoin d’une masse critique de propriétaires pour bénéficier d’un soutien politique. »

Alan Greenspan, L’Âge des Turbulences, Paris, JC Lattès.

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FlashEconomie 20 mars 2018-301 PatrickArtus www.research.natixis.com
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FlashEconomie 20 mars 2018-301 PatrickArtus www.research.natixis.com

Un choix politique assumé, source d’une des plus graves crises depuis un siècle ! Il suffit d’une baisse brutale pour plonger les emprunteurs dans la spirale du surendettement et les banques dans la crise.

La tritisation responsable de la diffusion de la crise.

Les crédits subprimes sont titritisés (mélangés) à d’autres actifs bancaires puis placés sur le marché international.

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Eric Toussaint 2007-2018 : Les causes d’une crise financière qui a déjà 11 ans Article du 29 mars 2017 republié le 25 juillet 2018

Les encours titritisés s’envolent : 900 milliards d’euros aux États-Unis, 192 Milliards au Royaume Unis, 42% des encours, moins en France (7.7 Milliards d’euros quand même). Lorsque la BNP- Paribas annonce qu’elle ne peut assurer trois fonds, la panique s’empare des marchés et les taux interbancaires augmentent car les banques ne se font plus confiance. Beaucoup d’entre-elles sont très exposées aux titres structurés.

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LA VÉRITABLE HISTOIRE DE LA CRISE FINANCIÈRE 2008 –Marie-Claude Esposito. L’Esprit du temps | « Outre-Terre » 2013/3 N° 37 | pages 127 à 158